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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 16:16

 

Honnies soient qui mâles y pensent (31) 

 

 

 Les dix années qui suivirent la révélation de la nouvelle se passèrent sans heurts et sans qu’aucun motif particulier vînt assombrir le quotidien des protagonistes de La Marline de Clairvaux. Yvette-Charline demeurait entourée de son cercle d’amies. Monsieur le Comte vaquait toujours à ses occupations, plus occupé à parcourir ses terres solognotes qu’à visiter la Capitale où il allait parfois négocier avec les Chemins de Fer, profitant de l’occasion pour rejoindre le quartier des Halles et déguster une soupe à l’oignon en compagnie de Symphorien et Segondine, lesquels avaient été désignés parrain et marraine du petit Calinpe qui, dans l’intervalle, était devenu grand.

  Calinpe venait d’ailleurs de terminer brillamment ses études à l’Ecole Normale et s’apprêtait à remplacer, comme Instituteur débutant, Monsieur Labasque-Dentain dont l’âge de la retraite approchait.

  Marie-Grâce s’était parfaitement accommodée au mode de vie de Labastide, de l’encadrement de son « intendant » à qui elle reprochait, toutefois, une certaine austérité liée, semblait-il, à un tempérament parfois taciturne.

  Le Docteur Charles d’Yvetot, emporté par une tuberculose, reposait dans le cimetière de Labastide,  tout près de la tombe familiale des de Lamothe-Najac dont il avait été, sa vie durant, un fidèle serviteur.                                                                                                                                                                                                                 

 Le nouveau Docteur, Artémis de Lalande, remplissait sa tâche avec conscience et efficacité, surtout préoccupé par l’emphysème de Monsieur le Comte, qui le tenait alité des jours durant, le souffle court, la poitrine oppressée.

  La troisième année qui suivit la nomination de Calinpe comme Instituteur titulaire à l’école de Labastide, fut marquée par un événement qui, pour n’avoir pas de retentissement dans la bourgeoisie solognote, ne manqua point de chambouler les habitudes de La Marline. Les noces d’Anselme Gindron et de Marie-Grâce des Bruyères furent célébrées en la chapelle de La Devinière dont, jusqu’ici, il n’a pas été fait mention, pour la simple raison que l’édifice, en état de ruine avancée, ne présentait plus aucun des attributs lié à son office, et que Monsieur le Comte avait patiemment fait reconstruire, pierre à pierre, afin que la célébration à laquelle il la destinait secrètement depuis des années, fût à la hauteur de ses espérances. Car, Monsieur le Comte, depuis belle lurette, n’entretenait plus de relation amoureuse avec son ancienne amante, bien que leur amitié gardât encore de belles traces de leurs amours anciennes, mais l’âge avançant, l’hôte de La Marline pensait que son Régisseur, fidèle et doué de remarquables qualités, constituait l’époux incontournable que Marie-Grâce gagnerait à prendre pour compagnon. A la façon  d’une partie d’échecs, Fénelon, en toute bonne foi, et doué de louables intentions, avait disposé, à l’intérieur et aux environs immédiats de La Marline, les points cardinaux de son existence.

  Le huitième mois qui suivit le mariage d’Anselme et de Marie-Grâce vit la naissance de Sigismond, enfant légèrement prématuré, dont le Docteur Artémis de Lalande assura qu’il ne porterait aucune séquelle de sa naissance précoce, sauf, peut être, une petite immaturité qu’il supposait compensée d’avance par la qualité du cadre familial et le milieu de vie stimulant que lui offrirait le Manoir solognot.

 


 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 16:13

 

Honnies soient qui mâles y pensent (30) 

 

  La sixième année qui suivit le départ de Ninon de la Rue du Pélican fut une année cruciale. Il y fut décidé que Calinpe et Ninon rejoindraient la campagne. D’une part Monsieur le Comte craignait que son fils ne fût prédisposé à l’emphysème dont il était lui-même affecté et qui, par périodes, lui laissait le souffle court; d’autre part, Labastide Sainte-Engrâce disposait d’une école de fort bonne réputation où Calinpe pourrait accomplir sa scolarité sous l’œil vigilant de son père et l’affectueuse attention de sa mère.

  Dès que « l’option solognote » fut adoptée, on vit Monsieur le Comte, de préférence en fin de journée, entre « chien et loup », rendre des visites fréquentes au couple Lacertaire, non qu’il fût, comme il a déjà été précisé, croyant et pratiquant assidu, ses incursions chez le Bedeau (c’était la fonction qu’occupait Camille en plus de son état de forgeron) ayant pour seule justification de leur confier l’éducation et le quotidien du jeune Calinpe, en attendant l’âge de sa majorité. On s’accorda sur les raisons à donner aux villageois trop curieux : l’enfant serait officiellement un petit neveu orphelin dont le bedeau et sa femme auraient eu la garde, aucune proche famille ne pouvant assumer cette charge.

  Quand Fénelon eut la certitude que l’éducation de son fils serait correctement assurée, il ne lui resta plus qu’à trouver à Eliette un confortable pied à terre et une fonction correspondant à ses souhaits et afin que nul ne pût établir de relation entre Calinpe et sa mère naturelle, Monsieur le Comte bénéficiant des connaissances éclairées de son ami Notaire en matière patronymique, obtint pour son amante un nouveau nom, moins ordinaire et, si l’on peut dire, plus « solognot », troquant Eliette Sauval contre Marie-Grâce des Bruyères, la particule l’introduisant au sein de l’aristocratie locale, laquelle ne ferait que se réjouir de l’agrandissement du « cercle de famille ».

  La Marline de Clairvaux, sous l’impulsion d’Yvette-Charline, recevant de plus en plus d’invités, Monsieur le Comte s’empressa de proposer les services de sa « protégée » qui était une supposée petite cousine de l’homme de loi, aussi bien douée pour le ménage que la cuisine et le linge de maison. Yvette-Charline n’opposa aucune résistance à l’engagement de Marie-Grâce qu’elle mit entre les mains d’Anselme Gindron, le Régisseur, afin que ce dernier assurât sa formation et, tenant lieu de supérieur hiérarchique, lui confiât les tâches nobles et multiples qui assuraient au Manoir une réputation autant flatteuse que méritée.

  La scolarité de Calinpe se déroulant sous les meilleurs auspices, sa bonne aptitude au raisonnement et à la compréhension, décidèrent ses parents, peu après son septième anniversaire, à lui révéler les conditions de sa naissance. L’annonce fut faite sous les antiques poutres de la Librairie et Calinpe, d’humeur égale et disposé, comme son père, aux faveurs du Destin, accueillit la nouvelle avec sérénité et naturel, ne lui donnant, somme toute, pas plus d’importance que si son Maître, Monsieur Labasque-Dentain, lui avait révélé qu’il venait d’obtenir le Prix d’Honneur qui, chaque fin d’année, récompensait les élèves disciplinés et méritants.

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 16:09

 

Honnies soient qui mâles y pensent (29)   

 

 

   L’année qui suivit se déroula sous le sceau de la grâce que Calinpe, par sa seule présence, dispensait autour de lui. Ses traits s’affirmèrent, du côté d’Eustache-Grandin et d’Hugues-Richard-Artimon, selon Fénelon; du côté des Sauval, selon Eliette-Ninon; du côté de Calinpe selon Calinpe qui ne pouvait élaborer une telle pensée, mais, à n’en pas douter, l’eût proférée si l’état de son langage lui en avait donné les moyens.  Cette année fut également celle de l’aménagement d’Eliette chez Câline Vermurin, dans une petite chambre de bonne qui n’était pas sans lui rappeler la mansarde de la Rue du Pélican. La chambrette disposait d’une alcôve destinée à Calinpe, d’où l’on pouvait voir, au travers d’un œil-de-bœuf, les mouvements des passants sur la Place Joachim du Bellay et les jets d’eau de la Fontaine des Innocents. Au rez-de-chaussée de l’immeuble se tenaient plusieurs boutiques, dont la Teinturerie de Madame Vermurin où Eliette-Ninon apprit à repasser, à empeser chemises à plastron, à plier le linge et à broder. Son penchant naturel la portant, plus que tout à la broderie, activité qu’elle déployait sans relâche, aussi bien pour les clients de la Teinturerie que pour son usage personnel. Le trousseau de Calinpe se confia à ses doigts agiles qui brodèrent sur les diverses pièces de layette, au point de croix, les initiales CS, dont on aura présumé que le destinataire en était son fils lui-même : Calinpe Sauval, car tel fut le patronyme que, d’un commun accord, Eliette et Fénelon réservèrent au petit homme qui, depuis sa naissance, illuminait leur vie d’un soleil permanent.

  Les années qui suivirent se déroulèrent, pour Eliette, entre la teinturerie de Câline Vermurin, Le Pied de Cochon de Symphorien Lavergnolle, le 38 Rue Pierre Lescot où habitait la nourrice de Calimpe, la Rue du  Pélican que fréquentait de moins en moins celle qui en avait été l’assidue locataire.

Pour Fénelon, ces mêmes années le virent successivement à La Marline de Clairvaux, au Grand Hôtel de la Rue Meyerbeer (la chambrette de la Place du Bellay constituant un nid douillet mais fort étroit), à la Teinturerie, chez Silène Marsaut, la nourrice de la Rue Lescot, dans les bureaux de l’Administration des Chemins de Fer, à la Scierie d’Eustache-Grandin et, de plus en plus souvent, en catimini, on en comprendra plus tard la raison, chez Camille et Idie Lacertaire qui habitaient une modeste maison solognote, toute de bois et de briques, sur la Place Hippolyte Bazaine, place à arcades à l’angle de laquelle était située l’église datant du XV° Siècle, fort bien entretenue grâce au confortable denier du culte payé par les notables locaux qui, ce faisant, pensaient confier leur âme à Dieu, sans autre forme de procès.

  Cependant, Yvette-Charline poursuivait sa vie de bourgeoise provinciale, assidue aux après-midi feutrés à l’abri des lourdes tentures de son boudoir; Monsieur le Comte, depuis sa découverte d’un certain jour  déjà éloigné n’ayant plus cherché à pousser de nouveau le petit judas au travers duquel s’étaient imprimées sur ses rétines les fameuses visions d’apocalypse qui, pour l’instant, ne peuplaient plus guère son esprit, tout occupé qu’il était par l’éducation à donner à Calinpe (il commençait à lui apprendre quelques sentences simples dont il pensait qu’elles étaient utiles à la formation de l’esprit d’un enfant curieux), par les attentions à prodiguer à Eliette dont le comportement de mère était en tous points irréprochable.

  Ses soucis de père affectueux, disposé à éduquer son fils aux bonnes manières, ne le détournaient aucunement des tracas plus prosaïques dont il régla les détails avec son Notaire et ami, Aristide de Fontille-Meyrieux, organisant déjà sa succession sur les biens propres dont il avait hérité des de Lamothe-Najac; Calinpe se situant à la toute première place des biens et usufruits qui étaient attachés à l’immense domaine de La Devinière et de bons au porteur qu’il avait achetés auprès des Chemins de Fer.

  Lors de sa visite à l’homme de loi, il aperçut, sur la cheminée de marbre, au milieu des maroquins fauves dédiés au Droit privé et aux Règlements relatifs à la Propriété, un petit manuel à la couverture noire qu’il identifia facilement. Monsieur le Comte ne savait pas, jusqu’alors, que « Fanny Hill, Fille de joie » figurât au programme des juristes, fussent-ils formés dans des Ecoles de province. Le souvenir du spectacle du boudoir ne lui apparaissait plus maintenant que sous la forme d’un rêve qui se diluait, songeant, par la même occasion à ses phantasmes qui avaient reflué dans les couches de son inconscient depuis que Calinpe était venu peupler l’espace de ses pensées. L’idée lui vint alors que, depuis quelque temps, il avait négligé sa Librairie et, par la même occasion, son entraînement aux proverbes. Mais il constata, à regret, que son emploi du temps et ses nouvelles responsabilités paternelles ne lui laissaient guère le loisir de rêvasser sous les nobles poutres de sa bibliothèque.

 

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:52

 

Honnies soient qui mâles y pensent (25) 

 

Monsieur le Comte, pensant la représentation terminée, se disposait, à regret, est-il nécessaire de le préciser, à repousser le petit volet de bois qui lui avait livré tant de facettes inconnues du boudoir de La Marline, lorsqu’il perçut, de l’autre côté des portes damasquinées faisant face au petit salon bleu, une étrange agitation qu’il attribua, en premier lieu, au rhabillage de ces dames, lequel lui paraissait l’étape logique précédent la confection du thé et sa dégustation, accompagnée des petits biscuits  d’Anselme Gindron, avant que la table, débarrassée de ses tasses, ne servît à y déposer le jeu de bridge.

  Fénelon, ayant pour un instant déserté le judas, afin de reposer autant sa vue que ses jambes et son esprit, ne pouvait qu’émettre hypothèses et supputations quant à ce qui, présentement, se déroulait sous les lambris antiques de la petite pièce bleue. De nature concrète et ne doutant pas un seul instant de la vérité du spectacle qui, à son insu, venait de lui être offert, il ne chercha pas à ruser, à feindre, à croire à une illusion. Il se contenta d’habiller le réel de circonstances atténuantes, pensant que les quatre facs-similés de Fanny Hill, qu’il venait de voir, en chair et en os, occupées à de si voluptueuses facéties, s’étaient laissé aller, par pur désœuvrement, à une petite comédie, somme toute innocente, les époux respectifs de ces comédiennes improvisées portant, eux aussi, eux surtout, le Comte le premier, qui ne faisait plus guère la cour à Yvette-Charline, une éminente responsabilité, et qu’une fois passé l’orage, le dévergondage les quitterait plus vite qu’il n’était venu, heureuses de retrouver dans leurs couples respectifs, bien davantage que les piètres consolations qu’elles étaient allées chercher dans les livres qui, somme toute, eux aussi, méritaient un bien meilleur traitement.   

  Sur cette rassurante méditation, Monsieur le Comte défroissa ses basques, alors que des bruits de nature différente naissaient maintenant de l’autre côté de l’huis de chêne, semblables à des plaintes, à des soupirs, à des chuchotements, se releva, s’appuyant à nouveau au chambranle pour y assurer ses reins, poussant doucement le guichet de bois pour qu’il lui permît d’embrasser un horizon plus vaste, la lumière baissait dans la pièce mais le lustre avait été allumé et des bougies disposées sur la table de bridge, jetaient aux murs des ombres chinoises que le Comte se plut d’abord à observer - il pensa à Platon et à sa caverne - sans qu’il cherchât, dans un premier temps à scruter l’origine des ombres, il leur prêterait attention plus tard, se prenant au spectacle charmant et subtil, sur fond de chants pareils à ceux des sirènes - il pensa à Ulysse - qui provenaient, lui semblait-il, du sofa et des bergères, et qui accompagnaient d’une façon mélodieuse une sorte de chorégraphie se déployant au plafond, faite de mouvements, tels ceux de tentacules emmêlés, s’effleurant, se nouant, s’enlaçant, se défaisant, dans un rythme lent, mouvements continus que les chants rythmaient, la cadence s’amplifiant parfois, puis revenant à son tempo antérieur, tout ceci évoquant les déplacements d’une pieuvre dans les profondeurs marines - il pensa à Gilliat dans Les Travailleurs de la mer - , ce que confirmait le va-et-vient de multiples ventouses, de tailles différentes, certaines légères, d’autres plus lourdes, plus lentes à se mouvoir, quelques formes plus complexes à identifier, plus rondes, plus volumineuses, orientées vers le bas - sans doute la tête attirée par les profondeurs marines - , puis des formes ovales, dont les filaments flottaient, pareils à des anémones de mer, tout ceci dans un perpétuel remuement, un réaménagement permanent des créatures des abysses, sortes d’hydres à mille têtes, enlacées, lovées les unes dans les autres, toujours portées par les chants semblant venir de conques liquides.

  Monsieur le Comte, au bord de la fascination, n’avait point vu de spectacle semblable, priant le ciel qu’il continuât assez longtemps, au moins le temps que les bougies mettraient à se consumer, lorsqu’un mouvement involontaire de ses globes oculaires, la fatigue les expliquant, porta son regard vers la lumière, à l’entour des bougies qui révélèrent, dans leur orbe de clarté, l’origine des formes, celles projetées au plafond n’étant que leurs copies. L’imagination du Comte, tout comme dans l’allégorie de la Caverne, ne s’était exercée que sur des illusions.

  Cependant, d’illusions, il ne vécut que l’espace d’un éclair, sa conscience brusquement illuminée découvrait, sans transition aucune, ce que ses sens abusés n’avaient pu qu’effleurer, dans une candeur une fois de plus manifeste.

  Eh bien, Lecteurs, au risque de choquer votre pudeur et votre morale, ce que vit Monsieur le Comte, sous la forme de l’hydre aux mille têtes et qu’il entendit à la manière de chants polyphoniques venus des fonds marins, mais, je suis sûr, votre sagacité aura pris les devants, était simplement le reflet de Fanny Hillla quadruple fille de joie qui, sous les traits charmants des quatre comédiennes qui servaient précédemment sa cause, avaient repris la lecture, à quatre mains cette fois, du livret érotique, où tour à tour, se confondaient les différents rôles en un maelstrom qui mêlait  les parties intimes de leurs anatomies respectives. Gestes experts et lascifs, chuchotements, désirs, assiduité à servir la cause d’Eros tout puissant qui, depuis des mois déjà, peut être des années, fouettait leur sang à vif, les écartelait, les démembrait, les livrait entières et consentantes au plaisir que le bridge, le thé, les petits gâteaux et les mollesses conjugales ne parvenaient plus à combler.

  Monsieur le Comte, refermant le petit judas dans la plus grande discrétion, s’éloigna à pas de loup sur le palier, descendit les marches sur des semelles de velours, prenant conscience qu’il venait, l’espace d’un instant, de sonder l’âme humaine selon des profondeurs qu’il n’aurait pu imaginer. Il n’en fut ni bouleversé ni attristé, se promettant simplement, dès qu’il serait de retour dans sa Librairie, de vérifier s’il pouvait apposer aux praticiennes du boudoir, l’étiquette d’« épicuriennes ». Il croyait se souvenir que le but des disciples d’Epicure, était d’atteindre la plus grande jouissance possible. L’idée l’effleura un instant que cette école de pensée le tentait et qu’il s’y convertirait volontiers. Se souvenant de la devise gravée dans le Jardin du philosophe, il se promit de la rajouter aux sentences des poutres de sa Librairie :

 

« Etranger, ici tu seras bien traité.

Ici, le plaisir est le bien suprême. »

 

    Le Comte de Lamothe-Najac, satisfait de la devise qui venait d’enrichir sa collection, persuadé qu’il était, ce faisant, de cerner au plus près la nouvelle ambiance de La Marline de Clairvaux, de définir son essence même, et ceci bien au-delà de La Marline, jusqu’à la Capitale où il ne doutait point que se fussent reconnus, sous la figure d’Epicure, le Grand Hôtel, le quartier des Halles, lePied de Cochon, la Ruedu Pélican et, selon son intention, d’autres lieux de plaisir qui ne tarderaient pas, dans un proche avenir, à se révéler à son insatiable curiosité.

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:49

 

Honnies soient qui mâles y pensent (24) 

 

  A peine la crosse de Madame la Comtesse avait-elle fini de se déployer, que ses deux autres partenaires, dont rien n’a été évoqué jusqu’à cette heure, à savoir Madame Charlaine de Fontille-Meyrieux, l’épouse du Notaire et Madame la Duchesse Sylvaine de La Mirande-Gramont, se saisirent du petit volume relié de noir afin d’en extraire encore la « substantifique moelle », ces dames, en effet, avaient des lettres et souhaitaient encore mettre la littérature à contribution, celle-ci fût-elle confidentielle.

  Monsieur le Comte, tournant légèrement la tête vers les deux bergères qui encadraient la table du salon, laquelle était supposée être le centre des parties de bridge, découvrit, sur le fauteuil de droite, Charlaine, seulement vêtue d’un corsage transparent qui laissait deviner son opulente poitrine, les mamelons bruns et longs dont elle était porteuse imitant la truffe du sanglier, dépourvue de défenses toutefois, robe relevée jusqu’à la taille où béait un sombre buisson qu’on eût dit affamé, alors que sur la bergère de droite, Sylvaine, seulement habillée d’une ceinture de perles et d’une culotte fort étroite - Monsieur le Comte n’en avait jamais vu d’aussi mince - , laquelle s’ingéniait à explorer des grottes dont bien des géologues eussent fait l’inventaire, Madame la Duchesse disposant encore d’encorbellements, de stalactites et de stalagmites de fort bonne tenue; Fénelon de Najac, à dire vrai ne se souvenait plus très bien lesquelles des stalactites ou des stalagmites montaient ou descendaient, mais là n’était pas la question et si Ninon n’avait pas fait irruption dans sa vie, il eût été fort probable, qu’au cours d’une randonnée à cheval, en tête à tête avec la Duchesse, il se fût risqué à la spéléologie, dans le but d’ailleurs bien avouable de fixer dans sa mémoire, la direction que prenaient les concrétions de pierre, dont Sylvaine était, encore pour un temps, une si belle illustration.

  Madame de Fontille-Meyrieux, tenait en sa main droite, à la façon d’un sceptre royal, une des cannes de Monsieur le Comte, dont elle caressait alternativement le pommeau et le fût, dans un geste dont même une communiante eût deviné l’impudeur, geste s’accélérant à mesure de la lecture, les aréoles gonflées de désir, cherchant à suivre leur rythme dans un balancement qui imprimait au corsage de violentes tensions, lesquelles mettaient à mal le laçage qui, fatalement rompit, libérant la fougue porcine qui, du buisson noir, rejoignit l’impatience.

  Au milieu des halètements de la lectrice, le Comte n’eut point de mal à reconnaître l’extrait qui faisait suite au texte que son épouse avait fort brillamment interprété et il rendit grâce aux comédiennes de respecter l’intégralité et la lettre de l’œuvre. Charlaine se fit donc, avec entrain et conviction, la narratrice de la suite des aventures de Fanny :

 

  « Cependant il n’abusa pas plus longtemps de ma complaisance. Son formidable faucillon

(A ces mots, l’épouse du Notaire souleva haut et fort le noble emblème de Monsieur le Comte dont le pommeau portait les armoiries des de Lamothe-Najac, geste que Fénelon prit pour un hommage sinon personnel, du moins destiné à son arbre généalogique), ayant repris tout à coup sa belle forme, il le pointa directement à l’entrée du détroit ( Charlaine se contenta de mimer le geste) et le poussant avec une fureur extrême ( elle poussa un formidable soupir, à la fois de douleur et de plaisir), il pénétra jusqu’aux derniers retranchements de la région des béatitudes ».

 

  Médusé fut le Comte de ne plus apercevoir sa canne à pommeau, Madame de Fontille-Meyrieux, telle une magicienne, l’avait escamotée d’une si habile façon que l’hôte de La Marline, jamais ne retrouva ni canne ni pommeau.

  Après cette magistrale interprétation, le témoin fut passé, si l’on peut dire, à Sylvaine de La Mirande-Gramont qui, pour ce jour-là, du moins, devait terminer la scène. Confortablement assise sur la bergère où, sur la toile de lin qui l’habillait, cabriolaient gaiement biches et faons, dans une pose qui, pour lascive qu’elle fût, n’était aucunement attentatoire à la pudeur et ceci pour la seule raison que Madame La Duchesse était parée d’une éclatante beauté et d’une réputation à toute épreuve qui eût mis toute la Sologne à feu et à sang si quelque goujat, pourvu d’une coupable inconscience, se fût aventuré à mettre en doute l’honnêteté et la droiture de l’épouse de Monsieur le Duc, lequel possédait une chasse qu’on courtisait depuis la Capitale et qui, par-dessus tout, était homme d’honneur, lequel, sur son épouse, se répandait, faisant en quelque sorte des méandres, tout comme la Limeuille dans la forêt touffue.

  Madame la Duchesse, donc, tirant sur sa mince culotte pour qu’elle réintégrât l’axe médian, faisant glisser pudiquement sa ceinture de perles autour de ses hanches, comme s’il se fût agi d’une ceinture de chasteté, se saisit du petit livre qui sentait le musc et la rosée, en tourna délicatement quelques pages, s’autorisant donc à pratiquer une coupure, à moins que ce ne fût une censure, Monsieur le Comte s’apercevant, en définitive, que le saut pratiqué n’était qu’une commodité pour parvenir à l’endroit du texte qui semblait émoustiller sa lectrice, la disposant même à adopter une position identique à celle occupée par l’héroïne de Fanny Hill, et apparemment si acrobatique, qu’il advint, de la petite toile de soie qui protégeait l’intimité de Charlaine, la même chose que celle qui avait frappé la canne de Monsieur le Comte : on ne revit pas l’artifice vestimentaire qui, pour petit qu’il fût, n’en était pas moins de soie de Chine, tissée selon la tradition et non dissimulable cependant dans le fond d’un dé à coudre.

  Monsieur le Comte se contenta d’observer le phénomène sans en tirer d’autres conclusions, à l’instar de la canne dont il ferait bientôt son deuil, se disposant seulement à éprouver encore la merveilleuse sensation de l’écoute, laquelle, incognito, ne faisait que renforcer le sentiment d’être un spectateur privilégié quoique fort innocent. Dans un profond silence, on l’eût dit religieux, la voix ferme et assurée de Madame la Duchesse, sous lequel perçait toutefois le vibrato d’une jouissance anticipée mais fort bien contenue, s’éleva sous les poutres du boudoir :

 

  « Depuis cette première entrevue je jouis (soupir) presque tous les jours des embrassements de mon cher Will … Un matin, étant à folâtrer avec lui dans mon cabinet, il me vint en tête d’éprouver une nouvelle posture (ce que sur le champ la Duchesse se disposa à faire, à califourchon sur les accoudoirs de la bergère). Je m’assis et me mis jambe deçà, jambe delà sur les bras du fauteuil, lui présentant à découvert (la petite soie avait mystérieusement disparu) la marque où il devait viser. » (Qu’elle accompagna d’un geste évocateur dont, d’ailleurs, elle eût pu faire l’économie, tant son auditoire était avisé quant aux choses de l’amour). 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:46

 

Honnies soient qui mâles y pensent (23)   

 

  La voix, à mesure de la lecture, devenait plus liquide, plus fondante, plus sensuelle aussi, comme si le désir de la lectrice eût irradié du centre de son corps, lançant ses ondes jusque dans la langue qui humectait en cadence les lèvres écarlates et présentement gonflées, ce phénomène s’accompagnant d’une amplification du mouvement dont la cambrure, portée à son acmé, imprimait au bassin de lascives ondulations, parsemant de rosée la délicate toison d’Yvette-Charline, laquelle, toute livrée à la beauté du texte, semblait transportée au-delà de la cimaise du boudoir, jusqu’à des hauteurs inouïes, d’où elle continuait à déclamer, dans des intonations qui frisaient l’extase, de sublimes perles dont les hôtesses de La Marline ne perdaient goutte :

 

  « Le fripon me leva les jupes et la chemise au-dessus des hanches. Je me plaçai  moi-même dans l’attitude la plus favorable pour exposer à ses regards le petit antre de voluptés et le coup d’œil luxurieux du voisinage. »

             

  Disant ces mots, perdant, semblait-il, tout recul par rapport au texte, s’y ruant même d’une certaine manière au sens propre, exposant aux « joueuses » de Labastide Sainte-Engrâce, au comble de l’impudeur, ses creux et bosses les plus intimes, ses replis et sombres excroissances, faisant songer à la lune au milieu des bouleaux dans le ciel de Sologne, la Comtesse, dont les « museaux de chien » frémissaient comme sous l’effet d’une drogue, ou mieux d’une transe, peut être de l’influence d’un chaman, se livra tout entière, plus nue qu’une âme au fort de la tourmente, assiégée par Lucifer lui-même, à une sorte de, comment dire ?, de … carmagnole, tant était révolutionnaire son incroyable posture, le souffle court, le rouge au front, le feu chevillé au corps, dont l’écartèlement, digne de Ravaillac, était semblable à un abîme où eussent pu se jeter tous les damnés de la terre, se livra donc, pieds et poings déliés à un sabbat dont elle était elle-même le centre et la périphérie, hachant, hoquetant, haletant les phrases de John Cleland, atteignant, dans le paroxysme qui la déchaînait, les régions du sublime auxquelles succombèrent les innocentes victimes du salon bleu, rivées au désir de la maîtresse des lieux, rendant hommage à ses prouesses, au don d’elle-même qu’elle faisait à la littérature, au théâtre et même au récent cinématographe que les Frères Lumière venaient de porter sur les fonts baptismaux.

 

  « Extasié à la vue d’un spectacle si nouveau pour lui, il écarta légèrement les bords de ce sombre et délicieux réduit; fourrant un doigt dedans, il parvint à cette douce excroissance qui de souple qu’elle était enfla et se raidit de telle sorte à son toucher que le chatouillement m’arracha un soupir. »

 

  Outre le soupir, qui devint peu à peu perceptible, redoublé par les ondes du plaisir, transformant le sofa en lieu de béatitude, se révéla, dans les ombres chaudes et veloutées des bois solognots qui habitaient le Mont de Vénus d’Yvette-Charline, une sorte de petite crosse, semblable à celle des fougères, érectile, d’abord discrète au creux de la toison, puis se dépliant, dans une sorte de majesté humide et carminée, doublée de reflets couleur pervenche et myosotis - le Comte, en secret, remercia son épouse, dont l’intimité même, semblait faire un clin d’œil à son amante - , irisée sous la lumière couchante qui traversait le boudoir, puis s’exhaussait d’elle-même, prenant essor de sa propre substance, dans une sorte de dépliement logique et implacable, comme si la chair se fût multipliée, à la façon des pains de Jésus, trouvant dans sa croissance même la raison de son inexorable turgescence, de son embellie, de sa décision d’envahir l’espace, de rayonner, à la façon des queues des comètes dans le vide sidéral, de coloniser le territoire disponible, d’assumer sa volonté d’expansion douce et farouche à la fois, la crosse devenant un étonnant cryptogame vasculaire, une filicaria aux membrures multiples, une hampe de chair dont l’ampleur, la puissance, ne se pouvaient mesurer qu’à l’aune des Titans eux-mêmes, ou de toute autre entité hyperbolique dont la mythologie avait le secret et qui, immanquablement, ramena Monsieur le Comte à la figure incontournable de Polyphème et à celle du pieu dont Ulysse se servit pour crever l’œil du Cyclope, métaphore déjà utilisée, on s’en souvient, comme étalon, comme référence de la virilité du jeune fermier dont, entre nous soit dit, Fanny usait et abusait, à bon escient, comme il se doit, pour une jeune fille de bonne éducation.

 


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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:43

 

Honnies soient qui mâles y pensent (22)  

 

  S’appuyant au chambranle de la porte, afin d’y jouir d’une plus confortable pose, frottant ses yeux de l’index pour mieux les déciller, il se disposa au spectacle comme il l’eût fait du fond de sa loge au Châtelet, à quelques pas des Halles et de la Rue du Pélican, assistant au plus étonnant vaudeville qu’on pût imaginer.

  Madame de Raincy-Plessis, l’épouse de l’apothicaire, assise, en petite culotte - les autres vêtements gisant à terre - , sur le rebord du canapé de velours rouge, tenait, à hauteur de ses seins qui, pour son âge, présentaient encore une embellie satisfaisante, un livre dont le Comte ne put lire le titre, et que Hyacinthe - c’était son prénom - , lisait à haute voix et qu’il reconnut bientôt pour être tiré de « Fanny Hill, la fille de joie », une de ses lectures favorites. Tout en lisant, la belle promenait ses doigts ornés de bagues - cadeaux de son apothicaire de mari, à moins que ce ne fût d’un éventuel amant - sur le renflement de son Mont de Vénus, dont on devinait l’éminence, à peine dissimulée par le petit bout de soie rose qui lui servait d’écran. Monsieur le Comte, écoutant déclamer le texte, eût pu en devancer les phrases, tant il les avait pratiquées, ne se doutant pas cependant qu’il les entendrait jamais dans la bouche de Madame de Raincy dont les lèvres écarlates articulaient méticuleusement chaque mot, dans une sorte de jouissance esthétique. L’extrait mettait en scène Fanny qui, voulant se venger de Monsieur H…, s’ingénie à séduire un jeune garçon de dix-huit ans, fils de l’un de ses fermiers, que son maître vient d’embaucher.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

  «  Le pauvre enfant répondait  toujours d’un ton niais et honteux selon mes désirs. Quand je crus l’avoir assez bien préparé, un jour qu’il vint à son ordinaire, je lui dis de fermer la porte en dedans. J’étais alors … dans un déshabillé fait pour inspirer des tentations à un anachorète. Je l’appelai et, le tirant près de moi par la manche, je lui donnai pour le rassurer deux ou trois petits coups sous le menton … Je glissai les doigts, en le baisant, sur une de ses cuisses le long de laquelle je sentis un corps solide et ferme que sa culotte trop juste paraissait étrangler. Alors, faisant semblant de jouer avec les boutons qui étaient prêts de sauter par leur grand tiraillement, tout à coup la ceinture et la braguette s’ouvrirent et présentèrent à ma vue émerveillée, non pas une babiole d’enfant, ni le membre commun d’un homme; mais une pièce d’une si énorme taille, qu’on l’aurait prise pour celle du géant Polyphème ».

 

  A l’énoncé de ces mots, qui semblaient faire à son corps ce que Dieu fait à l’âme, - était-ce une illusion d’optique ou l’effet produit par la lecture,- la petite soie rose, sans doute propulsée par le gonflement du Mont de Vénus, prit promptement le chemin des airs, ce qui sembla mettre au comble de la joie les autres protagonistes de la scène. Amusé autant que médusé, Le Comte, qui avait pris appui sur sa jambe gauche afin de reposer la droite, toujours soutenu par le cadre de la porte, se disposait mentalement à la suite des événements, se demandant quelle serait la prochaine comédienne qui animerait le vaudeville.

  Portant son regard vers le sofa bleu qu’affectionnait particulièrement son épouse, il aperçut cette dernière, chevauchant ce dernier, dans une attitude fort cavalière, ayant pour tout vêtement un petit soutien-gorge à balconnet où s’épanouissait sa petite poitrine dont les mamelons, cependant, paraissaient plus foncés qu’à l’accoutumée, plus étendus aussi, les faisant passer de l’état de « museau de cochon » à celui de « museau de chien » - Fénelon eut à cette vision une pensée émue pour Ninon - ,le bas du corps n’ayant pour tout attribut que des bas noirs soutenus par un porte-jarretelles rouge sombre, le tout dénudant largement les parties les plus intimes de la Comtesse, dont l’apparente nonchalance contrastait, c’était le moins qu’on pût dire, avec sa réserve habituelle et les bonnes manières dont elle aimait à s’entourer. A l’instar de son amie, Yacinthe de Raincy, elle tenait un livre à la couverture noire qui tranchait sur la blancheur de sa peau et dont elle entreprit, à son tour, de lire un extrait, pour le plus grand plaisir de ces dames, telle était du moins la supposition du Comte.   

  Une petite voix flûtée, que ce dernier ne lui connaissait point, sortit de ses lèvres peintes en rouge vermillon, lesquelles étaient animées de mouvements lents et voluptueux, livrant passage à ce que Fénelon reconnut comme la suite de Fanny Hill, où le jeune garçon, enhardi par les avances de la Fille de joie, s’aventure à son tour dans le carrousel amoureux, prenant même l’initiative d’explorer un territoire qui, jusqu’à présent, lui était demeuré mystérieux :

 

  « C’était une scène bien douce pour moi de voir avec quels transports il me remerciait de l’avoir initié dans de si agréables mystères. Il n’avait jamais eu la moindre idée de la marque distinctive de notre sexe ».

 

 Le Comte, étonné par l’impeccable diction de son épouse, pensa qu’elle eût pu, de fort belle manière, jouer la Comédie sur les scènes parisiennes les plus réputées, d’autant qu’elle semblait parfaitement diriger le texte, prenant la hauteur nécessaire, le recul, pour qu’elle-même ne se confondît nullement avec ses paroles, les maîtrisât, leur donnant vie d’une façon autonome, permettant ainsi à ses auditrices d’en jouir à leur aise, selon leur propre fantaisie.

  S’apprêtant à lire la suite, la Comtesse, cambrant légèrement les reins, prenant, de ses pieds, une meilleure assise sur le sofa - comme le fait un cavalier éperonnant ses étriers - , accentua sa posture et dévoila, aux yeux de ses compagnes, une généreuse anatomie, genre de forêt solognote frissonnant sous la brise. La voix, était-ce une conséquence du changement de position, devint pour ainsi dire, plus intime, plus profonde, propice aux aveux et aux secrets :

 

 

  « Je devinai bientôt, par l’inquiétude de ses mains qui fourrageaient au hasard, qu’il brûlait de connaître comment j’étais faite. Je lui permis tout ce qu’il voulut, ne pouvant rien refuser à ses désirs ».

 

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:41

 

Honnies soient qui mâles y pensent (21)   

 

  Cependant le sort de son épouse, dont le comportement paraissait fort équilibré et l’humeur réglée avec équanimité, dont la vie sociale s’épanouissait en de multiples occupations, ne le préoccupait à vrai dire qu’aux rares moments où il n’était point affairé à quelque activité et, bientôt, cette question ne se posa même plus, n’ayant, à ses yeux, aucun soubassement qui lui permît d’entretenir plus longtemps de si pusillanimes états d’âme.

  D’états d’âme, bientôt, il n’eut plus besoin pour peupler sa conscience morale, les circonstances l’ayant, un jour, de manière fortuite, conduit aux abords du boudoir, lieu réservé à l’intimité de son épouse, pour y quérir « Vénus dans le cloître », dont il souhaitait relire des extraits. Son entreprise, toute naturelle, ne recélait aucune intention particulière, si ce n’était de se replonger dans une lecture dont quelques détails lui échappaient et qu’il voulait à nouveau collecter dans l’unique but, non de fouetter ses phantasmes, mais de mieux percer la vie de Ninon, qui, telle la « Vénus » de l’Abbé du Prat, vivait, à sa façon, dans le « cloître » qu’avaient édifié autour d’elle, pour son plus grand bonheur, fallait-il croire, Grâce Nantercierre et Gaston Leglandu.

  Pour se rendre à l’autre extrémité du Manoir, le Comte eût pu emprunter couloirs et escaliers, mais il préféra, pour rejoindre le boudoir de son épouse, passer par l’extérieur, profitant de l’odeur des glycines en fleurs, le Docteur Charles d’Yvetot insistant pour que son patient mît à profit toutes les situations qu’il pourrait exploiter, afin d’offrir à ses alvéoles l’air pur qui convenait à leur apaisement.

  Seize heures sonnaient au clocher de Labastide Sainte-Engrâce, lorsque le Comte descendit l’escalier de sa Librairie, gagna le perron aux balustres de pierre, devant lesquelles étaient garées, face à la pièce d’eau, des voitures automobiles qui, rares en Sologne, lui permirent de deviner d’emblée l’identité de leurs propriétaires, toutes femmes de la bourgeoisie solognote, qui passaient le plus clair de leur temps à La Marline, en compagnie de la Comtesse, le long  d’interminables parties de bridge. Les véhicules, une Dedion-Bouton de couleur noire; une Panhard-Levassor à la carrosserie blanche; une Talbot-Lagot au long capot, étaient découvertes, leurs capotes rassemblées sur le coffre, lesquelles indiquaient, mieux que n’importe quel baromètre, la supposée persistance d’une journée radieuse et ensoleillée que Fénelon de Najac se promit de mettre à profit, dès qu’il aurait relu l’Abbé du Prat, pour monter l’alezan et aller chevaucher du côté de la Limeuille, jusqu’aux grandes forêts de bouleaux qui jouxtaient la propriété de son ami, Aristide de Fontille-Meyrieux, à qui il se promettait de rendre visite si, toutefois, ce cher homme n’était point occupé à sa charge notariale.

  Sur ces bonnes résolutions, il monta le majestueux escalier de pierre qui conduisait au boudoir où étaient réunies les bridgeuses. Parvenu au deuxième étage, le boudoir étant situé à l’étage au dessus, le Comte perçut des rires et des éclats de voix, témoignant du bonheur qu’avaient ces dames à se rencontrer pour une partie de cartes, autour d’une tasse de thé et de quelques biscuits confectionnés par le régisseur, Anselme Gindron en personne qui ne détestait pas, lorsqu’il en avait le loisir, mettre la main à la pâte.

  Arrivé sur le palier du dernier étage, Fénelon de Najac perçut, comme entremêlés aux bruits précédents, des sortes de soupirs, peut être des gémissements ou des plaintes qui, à défaut de l’intriguer, piquèrent sa curiosité au vif. Ne parvenant aucunement à les identifier, il fit halte près de la porte du boudoir qui était munie, en son milieu, d’un minuscule guichet qui faisait office de judas et qui se commandait de l’intérieur de la pièce. Quoiqu’il fût dans la nature du Comte de ne point être indiscret, les murmures s’amplifiant derechef, il esquissa un geste vers la jalousie afin de satisfaire une curiosité toute naturelle. Tout honnête homme, à sa place, eût cédé à la même impulsion. A son grand étonnement, la planchette de chêne n’était nullement verrouillée de l’intérieur et pivota sur elle-même, livrant à ses yeux une scène que sa raison, dans un premier temps eut du mal à cerner. Sa vision, s’habituant peu à peu à la lumière dorée qui tapissait le boudoir, parvint à accommoder sur les personnages présents dans la pièce. S’offrait à lui un tableau digne de la Renaissance italienne, pour sa facture générale et sa composition; digne des orgies romaines quant à son contenu et aux mouvements dionysiaques qui l’animaient. Le Comte, pour être en paix avec sa conscience, eût pu repousser discrètement le guichet, redescendre l’escalier de pierre, regagner les écuries où l’attendait la jument qu’Anselme Gindron avait sellée à son intention, et disperser aux quatre vents l’irréelle vision qui venait, tout en l’assaillant, de lui révéler les étranges mœurs du boudoir de La Marline de Clairvaux. Cependant il n’en fit rien et estima salutaire pour sa conscience de percer plus à fond la vie secrète de l’aile droite du Manoir.

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:37

 

Honnies soient qui mâles y pensent (20)   

 

  Les retrouvailles à Paris furent célébrées au Pied de Cochon où s’étaient réunis, Ninon, Symphorien Lavergnolle, son épouse, le Cocher qui avait reconnu Monsieur le Comte lors de sa première sortie aux Halles - il avait été adopté, enfant, par la famille Beautrillac demeurant à Labastide Sainte-Engrâce, y avait passé sa jeunesse, admirant le Domaine de La Marline où il n’avait jamais pénétré, ne l’apercevant que du chemin conduisant à La Devinière, était ensuite « monté » à Paris pour y exercer la fonction de cocher, et avait juré au Pensionnaire du Grand Hôtel, sa parole valant de l’or, de ne jamais dévoiler à quiconque le penchant de son illustre passager pour les quartiers populaires - ; quelques auvergnats de passage à la Capitale complétaient la joyeuse troupe qui festoya jusqu’à l’aube autour de coupes de champagne et de galettes bretonnes que Segondine Lavergnolle avait confectionnées, fidèle en cela à son origine celtique.

  La petite chambre de la Rue du Pélican accueillit de nouveau les ébats du couple - on se reportera en arrière aux diverses figures de style, auxquelles, du reste, ils apportèrent quelques innovations - , accueillit aussi confidences et projets dont le contenu essentiel se résuma à constater la cruauté du Principe de réalité qui, s’il ne réduisait pas à néant le Principe de plaisir, le restreignait de façon importante, et ceci pour cinq années consécutives, durée du « bail » entre la Locataire de l’Hôtel du Midi, la Mère maquerelle et son Souteneur.

  « Faisant contre mauvaise fortune non cœur », les deux amants - car c’était bien de cela dont il s’agissait en effet, malgré, et peut être à cause des nombreuses contrariétés dont ils étaient l’objet - , résolurent de ne se rencontrer qu’épisodiquement; rarement Rue du Pélican afin de ne pas attirer l’attention sur une liaison qui, du fait du statut social du client attitré (bien qu’il le dissimulât), eût tôt fait d’attirer les soupçons de Grâce Nantercierre, « l’employeuse » habituelle de Ninon et de plusieurs autres des péripatéticiennes qui arpentaient les trottoirs des Halles, préférant plutôt l’arrière-cuisine du Pied de Cochon où la discrétion et l’amitié de l’Auvergnat se traduisirent par l’aménagement d’une alcôve munie d’un rideau, qui permettait au couple de recréer son intimité, tout entouré de l’odeur des choux, de la cochonnaille et de fûts de vin dont la pièce était encombrée. Les bruits de la salle où étaient servis les repas leur parvenaient, légèrement étouffés, et bien qu’ils ne pussent en percevoir les paroles et le contenu, le rythme, l’accent, l’ambiance, participaient au bonheur de leur retrouvaille, comme si l’assemblée des Auvergnats, ne le sachant pas, mais communiant intuitivement à leur union, l’eussent renforcée et protégée des menaces de la ville.

  Ainsi coulèrent une suite de jours heureux où les séparations, toujours trop longues, étaient ponctuées d’une correspondance assidue à laquelle le Postillon, tout acquis à la cause du couple « illégitime », bien qu’il ne connût pas celle qui s’adonnait régulièrement à ses talents d’épistolière, adhérait pleinement, allant même jusqu’à dissimuler les enveloppes au jasmin dans le trou d’un vénérable chêne situé à la croisée des chemins, lorsque le Comte, pour une raison quelconque, tardait à venir récupérer ses missives, le même trou servant d’ailleurs à accueillir les lettres que Monsieur le Comte y déposait, lorsque, pour une raison quelconque, le Postillon, malgré sa bonne volonté, ne pouvait conduire sa voiture de Poste à l’heure convenue pour la collecte du courrier à destination de la Sologne ou de contrées plus lointaines.

  La santé de Fénelon s’améliora sensiblement, son emphysème semblait au repos, tapi au fin fond de secrets alvéoles, cette accalmie témoignant de façon évidente de l’état de repos de celui qui abritait la sournoise maladie, de l’absence d’émotions - ou, du moins, ces dernières furent-elles contenues - et de projets optimistes utiles à soutenir son énergie, bien que leur réalisation dans le temps fût reportée aux calendes grecques.

  Occupé à inscrire de nouveaux adages sur les poutres de sa Librairie, à lire et à relire des livres dont il ne se séparait plus guère, ayant une inclination particulière, depuis sa rencontre avec Ninon, pour une littérature « légère » mais non moins érudite, dont les titres s’égrenaient parfois, au cours des longues nuits. Ainsi lut-il, identifiant souvent les héroïnes des romans à son amante, de grands classiques de la littérature érotique du XVIII° Siècle, dont il connaissait par cœur certains passages et qui  avaient pour noms : « Fanny Hill, la Fille de joie » de John Cleland; « Thérèse Philosophe » du Marquis Boyer d’Argens; « Point de lendemain » de Vivant Denon, Diplomate de son état; « Le doctorat impromptu » d’Andréa de Nerciat; « Vénus dans le cloître » de l’Abbé du Prat.

  Outre que ces œuvres lui plussent, débarrassant le libertinage des fausses pudeurs bourgeoises, les qualités de leurs auteurs, leur réputation, ne faisaient que confirmer la justesse de ses choix et finissaient même par donner une sorte d’absolution à sa vie extraconjugale et à l’infidélité qui en était la conséquence. Honorant peu son épouse, il s’étonnait parfois que celle-ci ne se plaignît point d’un manque d’égards à son endroit, semblant se satisfaire des rares plaisirs dont il la gratifiait, de plus en plus rarement, ses effusions en arrivant même, comme les rivières au plus fort de l’été, à un point d’étiage qui, parfois ne laissait pas de l’inquiéter.

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:33

 

Honnies soient qui mâles y pensent (19)  

 

  On le comprendra aisément, à la lecture de cette dernière missive, la dilatation des alvéoles de Monsieur le Comte fut à son comble et malgré la prise d’une thérapeutique renforcée, le Docteur Charles d’Yvetot fut convoqué au chevet du patient auquel il administra une série de piqûres d’Aconit ferox et de Stannum, renforcée d’extraits actifs de Pulmine. Pendant plusieurs jours, l’hôte de La Marline dut accepter une assistance respiratoire sous la forme d’une pompe à piston, actionnée, tour à tour, par Yvette-Charline, par le fidèle Anselme Gindron, les trois gardes-chasses, les bûcherons de La Devinière et les scieurs de la succession d’Eustache Grandin. Monsieur le Comte retrouvant ses esprits et son souffle, le Docteur d’Yvetot prit la responsabilité de stopper la machine, la laissant toutefois à portée de toute main secourable au cas où l’emphysème s’emballerait sous la forme d’une crise aiguë. Fort heureusement celui-ci capitula bientôt et laissa Monsieur le Comte au repos.

  Il ne quittait guère sa chambre et son fauteuil que pour gagner sa Librairie, s’asseyant sur le divan près de la fenêtre qui donnait sur les communs, l’écurie et la pièce d’eau, se distrayant seulement grâce aux visiteurs qui venaient à La Marline, lui apporter soutien et réconfort. Cependant Ninon s’étonna de ne plus recevoir de nouvelles malgré les nombreuses lettres adressées à Fénelon.  Ayant été informé de ses problèmes de santé, Le Postillon, homme de tact et de bonne éducation, attentif à ne pas soulever de brouilles familiales, avait réservé  au courrier de Monsieur le Comte, une place discrète dans un des coffres dissimulé sous le siège de la voiture postale. Dès que Fénelon fut autorisé par son Médecin à faire quelques tours dans le parc, il ne put se retenir d’en franchir les limites, au prix d’un essoufflement dont il consentait à payer le prix, réconforté à l’idée de serrer prochainement dans ses doigts les lettres porteuses de jasmin.

  Ce ne furent pas moins de dix enveloppes que le Postillon offrit à Fénelon qui manifesta, à l’égard du messager, une immense gratitude, sous la forme d’un écu l’enveloppe. Les lettres, soigneusement enfouies dans la veste de chasse, ne furent décachetées que sous les vénérables poutres de la Librairie dont la porte avait été soigneusement fermée à clé. L’odeur de jasmin transporta d’aise le Maître des lieux qui jouissait plus des bienfaits des missives que de la pompe à air du bon Docteur d’Yvetot. La grande tendresse dont Ninon faisait preuve, son témoignage d’une sincère amitié, son impatience à le revoir, firent de la lecture du  Comte, un véritable enchantement, comparable à la méditation des « Essais » de Montaigne, et parfois même plus. Quoique fatigué par sa longue convalescence, Fénelon s’empressa de répondre au courrier de Ninon - comment devait-il la qualifier maintenant, après toutes les révélations qui lui avaient été faites ?-, sa confidente, son Egérie, sa compagne des jours tristes, sa conseillère, son ancienne maîtresse, sa « Fille de joie » ? Dans l’instant il ne résolut pas cette question, laissant au Destin - qui lui avait toujours été favorable - , le soin de décider.

  Son optimisme naturel revenait peu à peu. Il irait le lendemain, dès le jour levé, à la rencontre de la voiture postale. Il ne doutait pas, qu’après les propositions contenues dans sa lettre, Ninon ne pourrait qu’obtempérer à ses désirs. Monsieur le Comte, doué d’un naturel d’une incorrigible ingénuité, eût pu assumer la devise de Candide lui-même : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».Cependant, endossant les vêtements du jeune protagoniste du conte de Voltaire, eût-il été capable d’en tirer les enseignements nécessaires, en éprouvant le réel dans sa dimension abrupte et parfois tragique ?

  A sa grande satisfaction, les événements qui suivirent penchèrent plutôt du bon côté, laissant dans l’ombre les désagréments qui eussent pu escorter la si fantaisiste liaison d’un Comte et d’une Fille de joie.  Après les émotions liées à son état de santé, aux nouvelles de Ninon décrivant sa dépendance vis-à-vis du « Milieu », le Comte se fit une raison, souhaitant mener une vie parallèle dont il s’accommoderait, le plus clair de son temps en Sologne, pour sauvegarder les apparences, se ménageant toutefois de nombreuses escapades à Paris où l’appelleraient, de plus en plus souvent, la gestion de ses affaires et le maintien de son patrimoine, quoiqu’il se trouvât dans l’impossibilité de léguer ce dernier à qui que ce fût, ce dont il s’était entretenu avec maître Aristide de Fontille-Meyrieux, ami de toujours, depuis les bancs de l’école communale. A ce sujet, un projet avait été conçu mais demeurait provisoire, Fénelon de Najac souhaitant prendre le temps de la réflexion avant de désigner son légataire universel.

  

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