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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:28

CHANT DEUXIÈME

 


 


Où est-il passé ce premier chant de Maldoror, depuis que sa bouche, pleine des feuilles de la belladone, le laissa échapper, à travers les royaumes de la colère, dans un moment de réflexion ? Où est passé ce chant… On ne le sait pas au juste. Ce ne sont pas les arbres, ni les vents qui l’ont gardé. Et la morale, qui passait en cet endroit, ne présageant pas qu’elle avait, dans ces pages incandescentes, un défenseur énergique, l’a vu se diriger, d’un pas ferme et droit, vers les recoins obscurs et les fibres secrètes des consciences. Ce qui est du moins acquis à la science, c’est que, depuis ce temps, l’homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n’est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu’il n’était composé que de bien et d’une quantité minime de mal.  Brusquement je lui appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu’au contraire il n’est composé que de mal, et d’une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:26

Le frère de la sangsue marchait à pas lents dans la forêt. Il s’arrête à plusieurs reprises, en ouvrant la bouche pour parler. Mais, chaque fois, sa gorge se resserre, et refoule en arrière l’effort avorté. Enfin, il s’écrie : « Homme, lorsque tu rencontres un chien mort retourné, appuyé contre une écluse qui l’empêche de partir, n’aille pas, comme les autres, prendre avec ta main, les vers qui sortent de son ventre gonflé, les considérer avec étonnement, ouvrir un couteau, puis en dépecer un grand nombre, en te disant  que, toi aussi, tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre pattes nageoires de l’ours marin de l’océan Boréal, n’avons pu trouver le problème de la vie. Prends garde, la nuit s’approche, et tu es là depuis le matin. Que dira ta famille, avec ta petite sœur, de te voir si tard arriver ? Lave tes mains, reprends ta route, qui va où tu dors… Quel est cet être, là-bas, à l’horizon, et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ; et quelle majesté, mêlée d’une douceur sereine ! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise, et paraissent vivre. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble ; et c’est la première fois, depuis que j’ai sucé les sèches mamelles de ce qu’on appelle une mère. Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui. 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:24

 

— Ô pou vénérable, toi dont le corps est dépourvu d’élytres, tu me reprocheras avec aigreur de ne pas aimer suffisamment ta sublime intelligence,qui ne se laisse pas lire ; peut-être avais-tu raison, puisque je ne sens même pas de la reconnaissance pour celui-ci. Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas ?

— Chez moi. Que tu sois un criminel, qui n’a pas eu la précaution de laver sa main droite, avec du savon, après avoir commis son forfait, et facile à reconnaître, par l’inspection de cette main ; ou un frère qui a perdu sa sœur ; ou quelque monarque dépossédé, fuyant de ses royaumes, mon palais vraiment grandiose, est digne de te recevoir. Il n’a pas été construit avec du diamant et des pierres précieuses, car ce n’est qu’une pauvre chaumière, mal bâtie ; mais, cette chaumière célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans cesse. Si elle pouvait parler, elle t’étonnerait, toi, qui me parais ne t’étonner de rien. Que de fois, en même temps qu’elle, j’ai vu défiler, devant moi, les bières funéraires, contenant des os bien plus vermoulus que le bois de ma porte, contre laquelle je m’appuyai. Mes innombrables sujets augmentent chaque jour. Je n’ai pas besoin de faire, à des périodes fixes, aucun recensement pour m’en apercevoir. Ici, c’est comme chez les vivants ; chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la demeure qu’il s’est choisie ; et, si quelque avare refusait de délivrer sa quote-part, j’ai ordre, en parlant à sa personne, de faire comme les huissiers : il ne manque pas de chacals et de vautours qui désireraient faire un bon repas. J’ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau ; celui qui, après sa vie, n’a pas enlaidi ; l’homme, la femme, le mendiant, les fils de rois ; les illusions de la jeunesse ; les squelettes des vieillards ; le génie, la folie ; la paresse, son contraire ; celui qui fut faux, celui qui fut vrai ; le masque de l’orgueilleux, la modestie de l’humble ; le vice couronné de fleurs et l’innocence trahie.

— Non certes, je ne refuse pas ta couche, qui est digne de moi, jusqu’à ce que l’aurore vienne, qui ne tardera point. Je te remercie de ta bienveillance… Fossoyeur, il est beau de contempler les ruines des cités ; mais, il est plus beau de contempler les ruines des humains !

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:22

On ne me verra pas, à mon heure dernière (j’écris ceci sur mon lit de mort), entouré de prêtres. Je veux mourir, bercé par la vague de la mer tempétueuse, ou debout sur la montagne… les yeux en haut, non : je sais que mon anéantissement sera complet. D’ailleurs, je n’aurais pas de grâce à espérer. Qui ouvre la porte de ma chambre funéraire ? J’avais dit que personne n’entrât. Qui que vous soyez, éloignez-vous ; mais, si vous croyez apercevoir  quelque marque de douleur ou de crainte sur mon visage d’hyène (j’use de cette comparaison, quoique l’hyène soit plus belle que moi, et plus agréable à voir), soyez détrompé : qu’il s’approche. Nous sommes dans une nuit d’hiver, alors que les éléments s’entre-choquent de toutes parts, que l’homme a peur, et que l’adolescent médite quelque crime sur un de ses amis, s’il est ce que je fus dans ma jeunesse. Que le vent, dont les sifflements plaintifs attristent l’humanité, depuis que le vent, l’humanité existent, quelques moments avant l’agonie dernière, me porte sur les os de ses ailes, à travers le monde, impatient de ma mort. Je jouirai encore, en secret, des exemples nombreux de la méchanceté humaine (un frère, sans être vu, aime à voir les actes de ses frères). L’aigle, le corbeau, l’immortel pélican, le canard sauvage, la grue voyageuse, éveillés, grelottant de froid, me verront passer à la lueur des éclairs, spectre horrible et content. Ils ne sauront ce que cela signifie. Sur la terre, la vipère, l’œil gros du crapaud, le tigre, l’éléphant ; dans la mer, la baleine, le requin, le marteau, l’informe raie, la dent du phoque polaire, se demanderont quelle est cette dérogation à la loi de la nature. L’homme, tremblant, collera son front contre la terre, au milieu de ses gémissements. « Oui, je vous surpasse tous par ma cruauté innée, cruauté qu’il n’a pas dépendu de moi d’effacer. Est-ce pour ce motif que vous vous montrez devant moi dans cette prosternation ? ou bien, est-ce parce que vous me voyez parcourir, phénomène nouveau, comme une comète effrayante, l’espace ensanglanté ? (Il me tombe une pluie de sang de mon vaste corps, pareil à un nuage noirâtre que pousse l’ouragan devant soi). Ne craignez rien, enfants, je ne veux pas vous maudire. Le mal que vous m’avez fait est trop grand, trop grand le mal que je vous ai fait, pour qu’il soit volontaire. 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:21

 

Vieil océan, aux vagues de cristal, tu ressembles proportionnellement à ces marques azurées que l’on voit sur le dos meurtri des mousses ; tu es un immense bleu, appliqué sur le corps de la terre : j’aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu’on croirait être le murmure de ta brise suave, passe, en laissant des ineffaçables traces, sur l’âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu’on s’en rende toujours compte, les rudes commencements de l’homme, où il fait connaissanceavec la douleur, qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l’homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l’homme s’est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, tu es le symbole de l’identité : toujours égal à toi-même. Tu ne varies pas d’une manière essentielle, et, si tes vagues sont quelque part en furie, plus loin, dans quelque autre zone, elles sont dans le calme le plus complet. Tu n’es pas comme l’homme qui s’arrête dans la rue, pour voir deux boule-dogues s’empoigner au cou, mais, qui ne s’arrête pas, quand un enterrement passe ; qui est ce matin accessible et ce soir de mauvaise humeur ; qui rit aujourd’hui et pleure demain. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, il n’y aurait rien d’impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures utilités pour l’homme. Tu lui as déjà donné la baleine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides des sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L’homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, les différentes espèces de poissons que tu nourris n’ont pas juré fraternité entre elles. Chaque espèce vit de son côté. Les tempéraments et les conformations qui varient dans chacune d’elles, expliquent, d’une manière satisfaisante, ce qui ne paraît d’abord qu’une anomalie. Il en est ainsi de l’homme, qui n’a pas les mêmes motifs d’excuse. Un morceau de terre est-il occupé par trente millions d’êtres humains, ceux-ci se croient obligés de ne pas se mêler de l’existence de leurs voisins, fixés comme des racines sur le morceau de terre qui suit. En descendant du grand au petit, chaque homme vit comme un sauvage dans sa tanière, et en sort rarement pour visiter son semblable, accroupi pareillement dans une autre tanière. La grande famille universelle des humains est une utopie digne de la logique la plus médiocre. En outre, du spectacle de tes mamelles fécondes, se dégage la notion d’ingratitude ; car, on pense aussitôt à ces parents nombreux, assez ingrats envers le Créateur, pour abandonner le fruit de leur misérable union. Je te salue, vieil océan !

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:20

Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés des campagnes, l’on voit, plongé dans d’amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j’étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant, j’y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l’entendent. Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s’échappent des fermes lointaines ; ils courent  dans la campagne, ça et là, en proie à la folie. Tout à coup, ils s’arrêtent, regardent de tous les côtés avec une inquiétude farouche, l’œil en feu ; et, de même que les éléphants, avant de mourir, jettent dans le désert un dernier regard au ciel, élevant désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de même les chiens laissent leurs oreilles inertes, élèvent la tête, gonflent le cou terrible, et se mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui crie de faim, soit comme un chat blessé au ventre au-dessus d’un toit, soit comme une femme qui va enfanter, soit comme un moribond atteint de la peste à l’hôpital, soit comme une jeune fille qui chante un air sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles au sud, contre les étoiles à l’ouest ; contre la lune ; contre les montagnes, semblables au loin à des roches géantes, gisantes dans l’obscurité ; contre l’air froid qu’ils aspirent à pleins poumons, qui rend l’intérieur de leur narine, rouge, brûlant ; contre le silence de la nuit ; contre les chouettes, dont le vol oblique leur rase le museau, emportant un rat ou une grenouille dans le bec, nourriture vivante, douce pour les petits ; contre les lièvres, qui disparaissent en un clin d’œil ; contre le voleur, qui s’enfuit au galop de son cheval après avoir commis un crime ; contre les serpents, remuant les bruyères, qui leur font trembler la peau, grincer les dents ; contre leurs propres aboiements, qui leur font peur à eux-mêmes ; contre les crapauds, qu’ils broient d’un coup sec de mâchoire (pourquoi se sont-ils éloignés du marais ?) ; contre les arbres, dont les feuilles, mollement bercées, sont autant de mystères qu’ils ne comprennent pas, qu’ils veulent découvrir avec leurs yeux fixes, intelligents ; contre les araignées, suspendues entre leurs longues pattes, qui grimpent sur les arbres pour se sauver ; contre les corbeaux, qui n’ont pas trouvé de quoi manger pendant la journée, et qui s’en reviennent au gîte l’aile fatiguée ; contre les rochers du rivage ; contre les feux, qui paraissent aux mâts des navires invisibles ; contre le bruit sourd des vagues ; contre les grands poissons, qui, nageant, montrent leur dos noir, puis s’enfoncent dans l’abîme ; et contre l’homme qui les rend esclaves. 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:18

J’ai fait un pacte avec la prostitution afin de semer le désordre dans les familles. Je me rappelle la nuit qui précéda cette dangereuse liaison. Je vis devant moi un tombeau. J’entendis un ver luisant, grand comme une maison, qui me dit : « Je vais t’éclairer. Lis l’inscription. Ce n’est pas de moi que vient cet ordre suprême. » Une vaste lumière couleur de sang, à l’aspect de laquelle mes mâchoires claquèrent et mes bras tombèrent inertes, se répandit dans les airs jusqu’à l’horizon. Je m’appuyai contre une muraille en ruine, car j’allais tomber, et je lus : « Ci-gît un adolescent qui mourut poitrinaire : vous savez pourquoi. Ne priez pas pour lui. » Beaucoup d’hommes n’auraient peut-être pas eu autant de courage que moi. Pendant ce temps, une belle femme nue vint se coucher à mes pieds. Moi, à elle, avec une figure triste : « Tu peux te relever. » Je lui tendis la main avec laquelle le fratricide  égorge sa sœur. Le ver luisant, à moi : « Toi, prends une pierre et tue-la. — Pourquoi ? lui dis-je. » Lui, à moi : « Prends garde à toi ; le plus faible, parce que je suis le plus fort. Celle-ci s’appelle Prostitution. » Les larmes dans les yeux, la rage dans le cœur, je sentis naître en moi une force inconnue. Je pris une grosse pierre ; après bien des efforts, je la soulevai avec peine jusqu’à la hauteur de ma poitrine ; je la mis sur l’épaule avec les bras. Je gravis une montagne jusqu’au sommet : de là, j’écrasai le ver luisant. Sa tête s’enfonça sous le sol d’une grandeur d’homme ; la pierre rebondit jusqu’à la hauteur de six églises. Elle alla retomber dans un lac, dont les eaux s’abaissèrent un instant, tournoyantes, en creusant un immense cône renversé. Le calme reparut à la surface ; la lumière de sang ne brilla plus. « Hélas ! hélas ! s’écria la belle femme nue ; qu’as-tu fait ? » Moi, à elle : « Je te préfère à lui ; parce que j’ai pitié des malheureux. Ce n’est pas ta faute, si la justice éternelle t’a créée. » 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:17

On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh ! comme il est doux d’arracher brutalement de son lit un enfant qui n’a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire  semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux ! Puis, tout à coup, au moment où il s’y attend le moins, d’enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu’il ne meure pas ; car, s’il mourait, on n’aurait pas plus tard l’aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures ; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l’éternité dure, l’enfant pleure. Rien n’est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel. Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t’es coupé le doigt ? Comme il est bon, n’est-ce pas ; car, il n’a aucun goût. En outre, ne te souviens-tu pas d’avoir un jour, dans tes réflexions lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta figure maladive mouillée par ce qui tombait des yeux ; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette coupe, tremblante comme les dents de l’élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l’oppresser, les larmes ? 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:16

J’ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions : la gloire. En voyant ces spectacles, j’ai voulu rire comme les autres ; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J’ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se  réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté ! C’était une erreur ! Le sang qui coulait avec abondance des deux blessures empêchait d’ailleurs de distinguer si c’était là vraiment le rire des autres. Mais, après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c’est-à-dire que je ne riais pas. J’ai vu les hommes, à la tête laide et aux yeux terribles enfoncés dans l’orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l’acier fondu, la cruauté du requin, l’insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l’hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel ; lasser les moralistes à découvrir leur cœur, et faire retomber sur eux la colère implacable d’en haut. Je les ai vus tous à la fois, tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel, comme celui d’un enfant déjà pervers contre sa mère, probablement excités par quelque esprit de l’enfer, les yeux chargés d’un remords cuisant en même temps que haineux, dans un silence glacial, n’oser émettre les méditations vastes et ingrates que recélait leur sein, tant elles étaient pleines d’injustice et d’horreur, et attrister de compassion le Dieu de miséricorde ; tantôt, à chaque moment du jour, depuis le commence- ment de l’enfance jusqu’à la fin de la vieillesse, en répandant des anathèmes incroyables, qui n’avaient pas le sens commun, contre tout ce qui respire, contre eux-mêmes et contre la Providence, prostituer les femmes et les enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps consacrées à la pudeur. Alors, les mers soulèvent leurs eaux, engloutissent dans leurs abîmes les planches ; les ouragans, les tremblements de terre renversent les maisons ; la peste, les maladies diverses déciment les familles priantes. Mais, les hommes ne s’en aperçoivent pas. Je les ai vus aussi rougissant, pâlissant de honte pour leur conduite sur cette terre ; rarement. Tempêtes, sœurs des ouragans ; firmament bleuâtre, dont je n’admets pas la beauté ; mer hypocrite, image de mon cœur ; terre, au sein mystérieux ; habitants des sphères ; univers entier ; Dieu, qui l’as créé avec magnificence, c’est toi que j’invoque : montre-moi un homme qui soit bon !… Mais, que ta grâce décuple mes forces naturelles ; car, au spectacle de ce monstre, je puis mourir d’étonnement : on meurt à moins.

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 11:14

Lecteur, c’est peut-être la haine que tu veux que j’invoque dans le commencement de cet ouvrage ! Qui te dit que tu n’en renifleras pas, baigné dans d’innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant de ventre, pareil à un requin, dans l’air beau et noir, comme si tu comprenais l’importance de cet acte et l’importance non moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations ? Je t’assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre, si toutefois tu t’appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l’Éternel ! Tes narines, qui seront démesurément dilatées de contentement ineffable, d’extase immobile, ne demanderont pas quelque chose de meilleur à l’espace, devenu embaumé comme de parfums et d’encens ; car, elles seront rassasiées d’un bonheur complet, comme les anges qui habitent dans la magnificence et la paix des agréables cieux.


 J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolûment dans la carrière du mal… atmosphère douce ! Qui l’aurait dit ! lorsqu’il embrassait un petit enfant, au visage rose, il aurait voulu lui enlever ses joues avec un rasoir, et il l’aurait fait très-souvent, si Justice, avec son long cortége de châtiments, ne l’en eût chaque fois empêché. Il n’était pas menteur, il avouait la vérité et disait qu’il était cruel. Humains, avez-vous entendu ? il ose le redire avec cette plume qui tremble ! Ainsi donc, il est une puissance plus forte que la volonté… Malédiction ! La pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur ? Impossible. Impossible, si le mal voulait s’allier avec le bien. C’est ce que je disais plus haut.


Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités du cœur que l’imagination invente ou qu’ils peuventavoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! Délices non passagères, artificielles ; mais, qui ont commencé avec l’homme, finiront avec lui. Le génie ne peut-il pas s’allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la Providence ? ou, parce qu’on est cruel, ne peut-on pas avoir du génie ? On en verra la preuve dans mes paroles ; il ne tient qu’à vous de m’écouter, si vous le voulez bien… Pardon, il me semblait que mes cheveux s’étaient dressés sur ma tête ; mais, ce n’est rien, car, avec ma main, je suis parvenu facilement à les remettre dans leur première position. Celui qui chante ne prétend pas que ses cavatines soient une chose inconnue ; au contraire, il se loue de ce que les pensées hautaines et méchantes de son héros soient dans tous les hommes.

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