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21 mars 2020 6 21 /03 /mars /2020 10:04

 

  Retrouver ses racines, établir à nouveau les fondations de ce fragile édifice que nous sommes tous, voilà une tâche sans doute commune, mais combien inévitable, combien souhaitée mais que certains, par pudeur ou bien crainte, reporteront toujours aux calendes grecques. Peut-être y a-t-il danger de brûlure à renouer avec un passé dont, déjà, nous n'apercevons guère plus que de vagues signaux à l'horizon de la mémoire. Et si, d'aventure, nous y découvrions une manière de secret, un document généalogique capable de métamorphoser notre existence? En bien, en mal, en pire ? Qui sait ? Jamais nous ne sommes réellement assurés de notre identité, des contours dont nous faisons l'étalage au-devant de nous et qui contribuent à nous déterminer, à nous fixer dans le cadre de notre humaine condition.

  Ce voyage à rebours, vers la source première, vers l'eau qui nous abreuva et participa à notre parution dans le monde, ne le redoutons-nous pas, ne le craignons-nous pas, comme s'il était porteur de quelque sortilège ? Peut-être, alors, ne nous comportons-nous à la façon de nos lointains ancêtres qui préféraient le refuge dans  la caverne ombreuse plutôt que d'avoir à confronter la coruscation de l'éclair. Parfois, plutôt que de chercher l'origine, la cause au fondement de toute cette vive lumière qui inonde l'espace, il nous est plus facile d'accepter une provisoire cécité.

  C'est ce qui échoit à Ramon, cet éternel expatrié qui ne trouve de position confortable, ni dans son ancienne appartenance, ni dans sa nouvelle, dans ce pays d'accueil qui, parfois, malgré les dénégations demeure pays d'accueil et non patrie originaire. Les quolibets des autres, parfois, se chargent de faire le travail. Celui d'une nouvelle terre dans laquelle s'immerger totalement, celui d'une ancienne dont on n'a même pas conscience que le deuil, jamais, n'en a été fait. Et, du reste, quel que soit le pays, comment résister à l'appel de ce qui vous fonda et assura les conditions de votre séjour sur terre ?

  Comment, par exemple, ignorer la si belle Espagne, Séville, l'Andalousie, les touffes odorantes des lauriers-roses, les fragrances douces des orangers en fleurs ? Comment ?

 

 

 

Voyage à Séville.

 

 Des fois, Bellonte et moi, on prend Sarias par la main et on l'amène d'abord dans le pays de son père, à Séville, tout au sud, là où sont si proches Ceuta, Tanger, Tetouan, Chechaouen, Al-Hoceima, Nador et l'Afrique tout entière, puis Gibraltar l'antique Djabal Tariq que les Maures franchissent en 711 par les Colonnes d'Hercule, puis, en 756 la dynastie Omeyyade de Damas fondera l'émirat indépendant de Cordoue et l'Andalousie tout entière sera alors investie d'une brillante civilisation qui rayonnera sur l'agriculture, le tissage, la céramique, le façonnage du cuir, les armes de Tolède et enfin, la Grande Mosquée voulue par l'émir Abd-al-Rahman 1°, l'une des plus belles du monde.

   C'est tout cela que nous voulons offrir à Ramon et Ramon redevient l'enfant andalou qu'il n'a jamais cessé d'être et ses yeux sont grand ouverts sur la généreuse capitale du Sud. A ses côtés nous parcourons les damiers des places où poussent à profusion les palmiers, les acacias, les touffes de lauriers-roses et partout les orangers et leur odeur forte, entêtante, enivrante. Parfois, dans le dédale des rues fraîches, au travers des portes de fer forgé, nous découvrons les immenses patios où la lumière douce se réverbère comme sur les parois d'un puits et Ramon ne peut se retenir de glisser, entre les antiques barreaux, des yeux inquisiteurs et avides. Ce ne sont alors que dalles de marbre blanc et noir, murs d'azulejos, immenses plantes vertes se hissant vers le jour, éblouissantes fleurs tropicales et tout ceci a la magie d'un oasis qu'enclot, de ses fibres serrées, l'étouffante chaleur du jour.

  Puis nous gagnons le quartier du Barrio de Santa Cruz, havre de paix dans la grande cité. Bellonte et moi, nous nous demandons si la mémoire peut remonter le cours des gènes, si Ramon retrouve, dans ces rues que son père José a souvent parcourues, un peu de ce temps dissous et alors ces rues ne seraient plus pour lui totalement anonymes, elles lui parleraient et créeraient tout juste à l'horizon de sa conscience, les traces de ses fondements et, marchant dans le Barrio, ce serait un peu ses pas à lui qui résonneraient, et en écho de José, son père, ceux de toute sa lignée andalouse.

  Ce serait alors pour Ramon Sarias, une lointaine réminiscence et une actuelle redécouverte des hautes maisons aux façades de chaux et de céramiques, une vision heureuse et comme amicale des balcons surmontés de verrières, de fenêtres corsetées de grillage, de la ligne rouge des géraniums le long des corniches et des terrasses et Ramon ne s'étonnerait ni des tours romaines et mauresques, ni des chapelles émergeant des toits, ni des lourds portails de bois plantés de clous de cuivre. Et puis, ce qui est bien, dans cette étrange déambulation, c'est que Bellonte et moi découvrons, en même temps que notre initié, les arcanes de l'Andalousie. Puis nous longeons les terrasses des cafés où sont assis des hommes en costumes sombres sous des grands auvents de toile. Nous nous y asseyons un moment pour y trouver le repos et nos yeux se distraient du passage de deux "aguadors" qui portent, sur leur épaule droite, deux cruches de terre remplies d'eau fraîche. Parfois des passants demandent à boire et, sans poser leurs "alazoras" aux flancs blancs comme la neige, ils font couler un mince filet d'eau dans des gobelets de métal en échange de quelques pesetas. Dans un grand verre où transpire la buée, un garçon en habit noir sert à Ramon une boisson à base d'orgeat qui ressemble à du lait, avec un parfum d'amande et de fleur d'oranger. Bellonte et moi, buvons, à petites gorgées, du "Jerez Jandilla".

  Avril, mais déjà le soleil est généreux et on a tendu, au-dessus des rues et des places, les "tendidos", grandes bâches quadrillées qui ménagent des espaces de repos. Il est près de deux heures de l'après-midi et la foule se presse dans les cafés, foule bruyante qui boit la bière et la manzanilla, et les tables rondes sont remplies de minuscules assiettes truffées d'olives vertes et noires, d'anchois, de fromage de brebis qu'on appelle ici, "mancheca" et on se demande si tout cela, les "tapas", les poulpes frits, les crevettes roses de Cadiz, les "gambas", les homards, l'odeur de la "paella" au safran, si toute cette profusion de mets étranges signifient quelque chose pour Sarias, si la Semaine Sainte qui approche, la Féria aussi, lui parlent un quelconque langage. Et pourtant, si Ramon ne semble pas toujours percevoir ce qui lui arrive, cette sorte d'étrange "pèlerinage aux sources", nous sentons bien, Bellonte et moi, qu'il faut poursuivre, que c'est la seule façon de combler le manque, le vide autour duquel il s'est partiellement construit, en porte-à-faux, comme au-dessus d'une gorge profonde et ténébreuse. Car sa question fondamentale c'est bien cela, le fait d'être apatride : son pays d'origine il ne le connaît plus, son pays d'accueil il croît le connaître. Alors, il n'y a pas d'autre issue, il faut continuer, à la façon d'un voyage initiatique, traverser des obstacles, franchir des portes, satisfaire à des traditions et des coutumes, peut être même se disposer à des rites de passage et, au travers de tout cela, Sarias aura-t-il peut être subi une sorte de métamorphose et le "Club des 7" y gagnera-t-il une vision nouvelle, une façon neuve d'appréhender l'existence ?

 

 

 

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 08:48

 

Une révolution copernicienne.

 

 nc

Nicolas Copernic (14731543),

le savant humaniste qui a changé notre vision du monde

en plaçant le Soleil au centre de l'Univers (peinture de Jan Matejko)

 

 

 

  Alors, moi, Jules  Labesse, excédé par le discours du Président, je lui lance :

 "Eh pourquoi le matin, nous les hommes, et pas l'après-midi ?". Et le Jean : "Parce que, le matin, Labesse, c'est les femmes qui font la popote, et si on inverse les rôles...tu vois ce que je veux dire ?".

  Je voyais, en effet, et même plus qu'il ne pouvait penser. Je me rendais compte qu'on ne verrait plus beaucoup d'Ouchiennes aller retirer leurs billets ni entrer et sortir du Comptoir d'Ouche, ni Nelly exposer son pigeonnant au balcon, parce que, c'est bien connu dans toute la région, c'est surtout l'après-midi que les paroissiennes vont faire leurs dévotions dans les commerces, c'est presque une maladie, et nous, les Aubergines, il nous restera plus qu'à nous regarder dans le blanc des yeux, et après tout, ce sera déjà pas si mal que du blanc d'yeux on puisse encore en avoir à regarder, alors le Simonet, il a peut être pas tort.

  Et le Jean qui, sans doute, avait deviné mon encouragement muet, il rajoute :

  "Et faites pas cette tête-là. C'est quand même pas une punition de rester l'après-midi au chaud, à la maison. Et puis vous avez tous vos vieux phonos du temps de la Communale. Eh bien mettez-y quelques 33 tours du Georges et ça vous réchauffera jusqu'au tréfonds de l'âme ".

  Sur ce, le Jean descend de son banc, et tous, comme des glands, à la queue-leu-leu, on reprend le chemin du casernement. Le jour se lève. Au fond de l'Avenue de la Gare on entend encore les couinements de nos Conjugales entre les murs du "Cleup de l'Eternelle Jeunesse". On traverse le pont comme si c'était le "pont des soupirs", comme si le Destin lui-même venait de nous rejoindre, traçant les ornières étroites qui, dorénavant, seraient notre horizon ordinaire. On se serre les mains, comme après un enterrement, et puis on se dit qu'on peut tout de même pas renoncer à notre devise, qui est celle de Paris et de "Tonton Georges" en même temps. "SES FLUCTUAT NEC MERGITUR". On franchit la Leyze sans se faire submerger. Maintenant je remonte seul la Rue du Square. Y a la Mère Wazy qui gueule toujours après Noiraud"Viens ici mon petit chat chéri, que j'ai des croquettes si bonnes". Je pousse le loquet. Cette fois, je suis sûr, y a pas de bombe à retardement cause à Henriette qui s'envoie encore en l'air au joyeux Cleup des Foldingues. Je me fais une chicorée. Je remplis une bouillotte. Je dresse la table pour le retour de "l'Epouse Prodigue". Je lui mets un napperon brodé avec le service en porcelaine, je passe au four quelques croissants du Comptoir, je lui tourne un chocolat comme elle l'aime avec de la mousse dessus et de la poussière de "Van Hooten" pour faire joli. Je file au jardin. Je cueille une rose. Rouge. Je sais, elle va apprécier. J'allume le phono. J'y pose le vinyle qui commence à tourner. Tiens, j'entends ses pas dans la rue, même on dirait qu'elle marche pas droit. Juste le temps de sauter dans le pieu. Dans la chambre qu'est contiguë à la cuisine, et vu que la cloison elle est pas plus épaisse que les murs japonais, j'entends tout comme si j'y étais. C'est même comme si je voyais au travers des briques. Et, en fait, je vois rien, sauf le disque qui tourne et le Georges qui chante et, d'ailleurs, je vous en fais cadeau de la chanson de "Tonton", elle est si belle :

 

"Je n'avais jamais ôté mon chapeau

Devant personne

Maintenant je rampe et je fais le beau

Quand ell' me sonne

J'étais chien méchant ell' me fait manger

dans sa menotte

J'avais des dents d' loup, je les ai changées

Pour des quenottes !

 

Je m' suis fait tout p'tit devant un' poupée

Qui ferm' les yeux quand on la couche

Je m' suis fait tout p'tit devant un' poupée

Qui fait Maman quand on la touche.

 

J'étais dur à cuire ell' m'a converti

La fine mouche

Et je suis tombé tout chaud, tout rôti

Contre sa bouche

Qui a des dents de lait quand elle sourit

Quand elle chante

Et des dents de loup, quand elle est furie

Qu'elle est méchante.

 

Je subis sa loi, je file tout doux

Sous son empire

Bien qu'ell' soit jalouse au-delà de tout

Et même pire

Un' jolie pervench' qui m'avait paru

Plus jolie qu'elle

Un' jolie pervenche un jour en mourut

A coups d'ombrelle

 

Tous les somnambules, tous les mages m'ont

Dit sans malice

Qu'en ses bras en croix, je subirai mon

Dernier supplice

Il en est de pir's il en est de meilleur's

Mais a tout prendre

Qu'on se pende ici, qu'on se pende ailleurs

S'il faut se pendre."

 

 

  La ritournelle vient à peine de s'arrêter. J'entends frapper à la porte. La porte s'ouvre et Henriette elle entre tout doucement, comme si elle marchait sur des balles de ping-pong. Elle est toujours en Lolita Marine, même ça lui va bien avec son béret bleu, sa robe mini, ses mi-bas couleur carotte, ses chaussures vernies :

 

"Dis, Jules, tu vas pas te pendre, quand même ? "

"Pour sûr, je vais pas me pendre, Henriette. Même la vie elle fait que commencer !".

 

 

FIN DE LA RECRE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  


 

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 septembre 2013 2 24 /09 /septembre /2013 15:49

 

La Comédie Humaine.

 

babel 

Émile Zola compare

la Comédie humaine à la « Tour de Babel ».

Source : Wikipédia.

 

 

  "C'est passionnant de chercher une sorte de vérité au milieu de toute l'agitation, de toute la démesure, de la fornication, de la tromperie, de l'illusion; c'est passionnant de l'ouvrir tout à fait le grand livre de la "Comédie Humaine" et de décrire minutieusement, obstinément, armé de patience et d'attention, toutes les petites manies, les travers, les manquements, les faussetés, les dérives dues à l'amour, à l'argent, à la gloire, à l'ambition; mais aussi, la générosité, le dévouement, l'humilité, l'altruisme dont l'homme est le creuset, assure le recel; c'est passionnant de faire un bout de route avec Balzac, de poursuivre avec lui le rêve de Louis Lambert, de chercher à percer le problème de la connaissance, d'essayer d'ouvrir le mystère de la pensée, de cerner la folie, le génie, les aspirations parfois surhumaines des individus; c'est passionnant, dans "Ursule Mirouet" de chercher à percevoir le surnaturel faisant irruption dans le réalisme, de décrire une scène de la vie de province mettant en lumière l'avidité des héritiers, les complots tramés contre l'auteur du testament; c'est passionnant de suivre les méandres des personnages balzaciens, leur délectation pour l'intrigue, le pêché, les combines, leur goût des situations limites, des franges, des marges, là où grouillent les larves et les scories de l'aporie existentielle; c'est passionnant de démonter les rouages de la vie, d'en démêler les ressorts, de tutoyer l'argent et la puissance, l'honnêteté parfois aussi, de côtoyer et d'éprouver, comme si l'on s'était glissé dans leur peau, le sens de l'escroquerie d'un Nucingen, la pente du crime sur laquelle glisse Vautrin, de ressentir l'impérieuse ambition d'un Rastignac, de s'enfoncer avec Eugénie Grandet dans l'avarice et la tyrannie.

  C'est bien aussi d'éprouver les choses du côté de la victime, d'être, pour un instant, le Père Goriot, de souffrir pour ses filles jusqu'à en devenir le "Christ de la paternité"; c'est bien de s'identifier à Madame De Mortsauf, de vivre sa schizophrénie, déchirée qu'elle est entre vertu et passion amoureuse; c'est éclairant de jouer le rôle de l'ambitieux Lucien de Rubempré qui, par sa faiblesse, devient le jouet de Vautrin; c'est bien d'étudier le grand carrousel des mœurs où l'âme humaine se déchire en milliers de versions, en milliers de facettes; de s'immiscer dans la vie privée avec "La Femme de trente ans"; de pénétrer la vie de province avec "Le Curé de Tours"; de se laisser entraîner par Sarrasine dans la vie parisienne jalonnée d'expériences de vies fausses et absurdes où la richesse est étalée au grand jour avec son côté clinquant et tumultueux.

  C'est bien de vivre dans "Un épisode sous la Terreur", le parcours étrangement "humain" de Charles-Henri Sanson, le bourreau de Louis XVI qui ne demande rien d'autre qu'une messe pour le Roi défunt; c'est éclairant aussi de voir les convictions parfois contradictoires du Docteur Benassis qui peuvent s'interpréter comme une conscience hésitant à choisir entre la doctrine libérale, le dogme socialiste, l'utopie fouriériste; c'est étonnant de suivre les méandres de Séraphitus-Séraphita, curieux androgyne à la recherche de l'amour parfait; et puis il faudrait passer en revue les 2209 personnages de la "Comédie Humaine", Gobseck, le Colonel Chabert, Honorine, le Docteur Rouget; avoir l'omniscience de Gaudissart, tout savoir et parler encore de Sarias, de ses calots, de son déracinement; de Garcin, brave mais buté dont l'horizon présent ne dépasse guère la Commune d'Ouche, dont l'horizon d'hier se heurte aux montagnes arides des Aurès; puis faire encore le tour de Bellonte, de sa gentillesse, de sa disponibilité qui paraissent sans limites; puis plaisanter sur les fantasmes presque hors d'âge de Pittacci, dont le bon sens nous sauvera peut être de la pire des situations, enfermés comme nous l'étions, jusqu'à maintenant, dans notre territoire étroit de la Place d'Ouche; puis évoquer les vœux pieux de Calestrel, lesquels ont du mal à entraîner l'enthousiasme des foules; parler de Jules Labesse, mais seulement en filigrane, vous avez bien aperçu quelques unes de ses obsessions, de ses ritournelles, de ses lignes de fuite et y a pas de quoi fouetter un chat, y a pas de quoi donner lieu à l'étoffe d'un roman, après tout, comme disait Céline : "C'est un garçon sans importance collective, c'est tout juste un individu", alors y a pas de raison de s'éterniser et, quant à moi, y a rien de plus à dire qu'à propos des autres branquignols qui, eux aussi, sont seulement des "individus" qui, jour après jour, font quelques bulles à la surface de l'eau pour qu'on ne les oublie pas.

   Et, comme je disais au début de mon intervention, eh bien, nos Chères Compagnes, elles en veulent une part du gâteau et même, pour nous tous, ce sera salutaire et si, par hasard, on décidait de ne pas se pousser sur nos bancs pour qu'elles puissent y poser leurs légitimes curiosités, la place elles la prendront et, je suis sûr, elles amèneront les Foldingues du Cleup et alors, pour nous, c'en sera fini de l'observation d'Ouche, du Comptoir, de la Boutique à Nelly parce qu'on croulera sous le poids du destin et il ne nous restera plus qu'à jeter l'éponge. Alors, et il ne s'agit aucunement d'une fuite de notre part, juste un partage équitable des choses, j'ai décidé, en mon âme et conscience, qu'à partir de la semaine prochaine, y aura un tour de garde alterné sur les bancs verts : les hommes le matin, les femmes l'après-midi".

 

 

 

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23 septembre 2013 1 23 /09 /septembre /2013 09:00

 

 

La sentence du Président Simonet.

 

 

DAUMIER Avocat au placet 

Honoré Daumier : L'Avocat au placet.

 

 

 

  On commençait juste à composer la liste des membres du Tribunal, avec le Juge, les Assesseurs, le Greffier et tout le cirque lorsque, tout à coup, qu'est-ce qu'on voit sortir des ombres des peupliers, tout en haut de l'Avenue ? On voit la Vamp de Saint-Trop avec les lunettes, un reste de maquillage, la perruque, les escarpins; donc on voit "Marcelle" ou "Marcel", c'est au choix, qui descend le bitume en chaloupant et la Pin-up dans le cœur tatoué, elle chaloupe aussi mais, allez pas croire qu'on va être indulgents, qu'on va s'y laisser prendre au piège de Pittacci et la sentence on l'aura prononcée avant même qu'il arrive au banc et l'exclusion définitive du "Club des 7", il s'y attendra pas le Marcel et ça, il le digèrera jamais et peut être il en fera une jaunisse mais fallait qu'il réfléchisse avant et, juste au moment où le Président Simonet, du haut du banc où il a grimpé pour l'occasion, va dire la "Voix de la Justice", eh bien le Pittacci - ou ce qu'il en reste -, déboule au milieu des bancs, essoufflé, avec du rimmel qu'a coulé sur les joues et de la poudre de riz qu'a dégouliné sur le menton et, avec des sanglots dans la parole, le Salaud, il nous dit :

 

  "Oui, je sais, j'ai fait une entorse au règlement, mais c'était pour...la bonne cause...au Cleup j'y suis allé comme une taupe de la C.I.A....pour choper à vif l'esprit du Cleup...et pour ça, faut dire, j'ai rien perdu...et je vais vous raconter...ce qui s'y trame à "L'Eternelle Jeunesse"...eh bien, ce qui s'y trame, c'est que nos Conjugales...oui, la tienne Sarias; la tienne Simonet; ta moitié, Labesse..., eh bien elles vont monter un Cleup concurrent, même elles se sont pas foulées...elles l'appelleront "Les Copines d'abord"...elles iront voir le Maire qui leur vissera des bancs comme les nôtres...et vous voyez d'ici la catastrophe...sauf que c'est imminent du point de vue du passage à l'acte...d'après ce que j'ai compris...c'est comme une sorte d'ultimatum...ou on leur fait un peu de place à nos dulcinées...ou elles dégoupillent les grenades, elles ont dit...et alors là, ça va saigner!...et je crois qu'il vaut mieux mettre un peu d'eau dans notre Artaban..."

 

   Le Président Simonet coupe court à l'épanchement avant que les paroles de Marcel aillent grossir la Leyze et, du haut de son avisement, alors qu'on est tous muets comme des carpes qui écouteraient l'Aristote, le Simonet, de ses mots apaisants :

 

  "En tant que Président, je me dois d'assumer une décision qui, sans doute, en contrariera plus d'un, mais qu'il convient de mettre en œuvre afin que la justice se rétablisse sur cette Place du Marché, sur ce microcosme qui reflète le macrocosme, le Grand Tout. Car n'oubliez pas que le monde nous regarde comme nous regardons le monde et que, chacun de nos agissements se joue en miroir sur la grande scène de l'Humanité. Alors, mes chers Amis, bien qu'il m'en coûte, je vais trancher dans le vif, sachant par avance que votre magnanimité, votre sens de la justice, votre disposition à l'égard du devoir apaiseront la rigueur d'une volonté seulement attentive à rétablir l'ordre des choses.

  C'est vrai, à vivre chaque jour plongés dans notre cocon, nous en avons perdu le sens des réalités. Nos chères Conjugales souffrent seulement d'être exclues de notre chaude amitié qui élève, tout autour de nous, des barrières semblables aux fortifications d'Alésia. Elles aussi, elles en veulent un peu du bon gâteau de la gauloiserie, elles en veulent un petit morceau de cette Place pour coller leurs yeux à la lunette du "Grand Cirque Humain". Elles veulent voir la parade, les clowns et les jongleurs, les saltimbanques et les bateleurs; elles veulent en profiter des tours des magiciens qui habillent la réalité des habits d'Arlequin ou de Pierrot ou de Polichinelle; elles veulent l'entendre le bruit du monde avec tous ses soupirs, ses halètements, ses syncopes, ses sirènes qui hurlent, ses mélodies en forme d'attrape-nigauds; elles veulent les écouter les grandes déclarations d'amour des amoureux qui vivent sur la Terre, des Don Juan, des Casanova, des modestes transis d'amour et qui n'osaient pas le dire leur amour de peur que ça empêche le monde de tourner en rond; elles veulent voir  les "GRANDS" de ce siècle avec leurs habits d'hermine et leurs chamarrures, leurs vêtements de brocart; elles veulent y regarder au-dessous des grandes robes de ces Messieurs, pour savoir ce qui s'y passe vraiment , juste histoire de voir s'il n'y avait pas anguille sous roche et manœuvres sournoises; elles veulent les dépouiller de leurs vêtements, les midinettes de "Gala"; elles veulent égratigner le vernis des ongles du show-biz, soulever le voile des étranges lucarnes qui, le soir, bleuissent les appartements de leurs lueurs trompeuses, souvent démentes, parfois mortelles à force de maquiller les paroles, d'en faire des projectiles, des missiles au service du Pouvoir, des Nantis; elles veulent aller faire un tour du côté de la Corbeille, regarder la Bourse comment elle tourne, voir si les Riches ont une âme et à quoi elle ressemble, si elle n'a pas des ailes en forme de yens ou de dollars, des élytres pour éblouir les pauvres, des buccinateurs pour les manduquer, les digérer, les faire disparaître de la surface du globe, et après tout c'est pas de leur faute aux Riches si les pauvres sont pauvres, s'ils ont le ventre vide et les mains grand ouvertes sur le Rien, c'est pas de leur faute, alors qu'ils circulent, les pauvres, y a vraiment rien à voir !; elles veulent s'asseoir dans les salles obscures où, sur le grand écran, s'agite la grande pantomime; elles veulent connaître l'envers des choses, repérer les coutures, les abîmes, forer les interstices, creuser les os, sucer la moelle, car, voyez-vous, je vous le dis en tant que Président du Tribunal, il n'y a que ça qui vaille, aiguiser les canifs de la lucidité et faire partout des entailles, faire surgir le suc et la sève et jusqu'à la moindre humeur qui parcourt le rhizome humain; ouvrir les pupilles, dilater les yeux jusqu'à la mydriase et entailler la peau du monde, y repérer les failles et aller y voir de plus près."

 

 

 

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 08:51

 

L'expédition du Club des 6. (suite)

 

i 

Source : Atelier Mascarade.

 

 

 Alors qu'on s'est tous un peu succédés derrière la lucarne, maintenant, moi, Jules Labesse, je vais vous faire quelques confidences. Tous ce grand Guignol, tout ce Carnaval, c'est plutôt sympathique sauf que nos Conjugales à nous, le "Club des 7", elles y sont dans le grand bazar, et faut voir comment ! Déchaînées, elles sont ! tant et si bien qu'elles échangent leurs costumes et qu'entre les échanges, elles sont en tenue d'Eve, évidemment. Et puis c'est si rapide leur métamorphose, on a du mal à les reconnaître. La Sarias, tantôt elle est en Gitane, tantôt en Hippie avec des habits fluo et des pantalons à volants; la Garcin, elle passe du Jazzy rose à l'Infirmière débridée avec des collants à mi-cuisse, ça vous en donne le tournis; la Bellonte, c'est tantôt Lady corsaire avec ses larges bottes à revers, tantôtMadonna vamp avec sa guêpière zébrée et ses bas cancan, même ça fait plutôt "Madame Claude"la Pittacci elle oscille entre Miss 70 avec son rad'chat, ses bottes blanches en plastique et l'Odalisqueavec sa jupe voile rouge qui cache même pas ses parties charnues; la Calestrel elle jongle entre laPompom Girl avec son bustier à étoiles, sa jupe à godets, ses Adidas et Baby rose qui suce son pouce avec sa culotte en satin et revers de fourrure, ses bas résille blancs et ses chaussures à petits nœuds couleur fraise; la Simonet  elle passe sans transition du Petit Chaperon rouge très très court vêtue - même que le Loup aurait eu peur pour sa virginité ! -, à la Cow-Girl au haut dénudé, au pantalon taille basse, tellement basse qu'elle n'a plus rien à cacher; le colt à la main au cas où vous seriez pas consentant. Enfin, vous voyez le spectacle !

  Qui aurait jamais dit que de si fidèles Conjugales se seraient laissé aller à de tels errements ? Vous dites quoi ? Ah, oui, j'ai pas parlé de la mienne de Conjugale ? Ben non, j'ai pas osé. Parce qu'alors là,l'Henriette, pour l'occasion, elle portait la bannière et elle serrait les pompons. Oh, non, c'est pire que vous imaginez. Elle tenait à la fois de Bikini Noël avec son deux-pièces mini, mini pas plus grand qu'un timbre-poste et ses collants à rayures; tantôt c'était Geisha avec son kimono largement ouvert sur des collants noirs; tantôt Lolita Marine tellement ingénue avec sa boule de barbe à papa dans la main droite, son large béret bleu, sa robe sage mais haut perchée, ses mi-bas couleur carotte, ses chaussures basses vernies.

  Et là-dessus, le mousseux qui coule à flots, et les meringues qui flottent dessus, et les mirlitons qui mirlitonnent, et les confettis qui volètent, et les trompettes qui ont "tuuut  tututut", et les ballons de baudruche qui font "clac-clac" et les trompettes en plastique qui font "coin-coin" et les cymbales qui s'emballent et les serpentins qui serpentent. Vous pouvez pas avoir une idée tellement elles étaient loufoques nos Conjugales, et le "Zizi sauteur" qui sautait et le "Briquet lance-eau" qui lançait l'eau et la poudre qui éternuait et les bombes qui fumaient et, au milieu de tout ce bataclan, au milieu de la fumée et des étincelles, des feux de Bengale, au milieu des pétards-cigarettes et des bonbons au poivre, de la suie magique et du poil à gratter, mais approchez donc, regardez, mais c'est notre Pittacciqui est fringant comme un gardon et d'ailleurs on le reconnaît juste au tatouage qu'il a sur la jambe, un tatouage du temps de la Manu, avec un cœur et une pin-up assise dedans, même on l'aurait jamais reconnu sans ça, parce que, avec sa grande perruque blonde, ses lunettes Saint-Tropez, son immense cape de velours rose et revers marabout, sa robe fendue jusqu'à mi-cuisse, ses escarpins argentés, eh ben, le Pittacci il a plutôt fière allure, même il se déhanche joliment et il fait des ronds de jambe, et il lance des œillades par dessus ses verres, et il se caresse la joue façon chochotte, et on sait plus trop s'il fonctionne "à la voile ou à la vapeur" et le Pittacci l'en perd pas une l'animal, et un œil dans le décolleté de la Laura, et une main sur le charleston d'Yvonne, et un doigt dans la jarretière del'Antoinette, et à nouveau un œil, l'autre, dans la robe à froufrous de l'Amélie, et un baiser rapide sur les discos des jumelles, et un tour de piste autour de l'Adélaïde, et encore une main sur la grande sauterelle, et maintenant les deux mains qui plongent dans le décolleté de l'Andréa, même ça la gêne pas l'Andréa de se faire peloter par une copine et on dirait que le monde est en roue libre; et tour à tour le Pittacci roucoule comme un pigeon, offrant une plume à la Sarias, un duvet à la Bellonte, un petit coup de bec à la Garcin, une gorge déployée à sa moitié même qu'on trouve ça un peu normal; puis, en chœur, la Calestrella Simonet et l'Henriette, elles paradent autour du colombin, elles écartent leurs plumes et d'ailleurs c'est plutôt indécent et le traître du "Club des 7" en profite pour leur en refiler des roucoulades, des gorges chaudes, des ébrouements de plumes et ses caroncules se gonflent de désir et c'est tout juste si on assiste pas à la "scène primitive" et ça nous fout tellement les boules, à nous,"les petits enfants du club des 6", qu'on décide soudain, comme un seul homme, de partir sans même revisser la plaque d'aération, de descendre l'Avenue de la Gare, avec ce con de Pittacci qui nous reste en travers de la gorge, de passer devant chez Pierson qui, présentement, doit roupiller sur un des sièges de son Pullman, de longer la guitoune du Crédit d'Ouche, de passer devant chez Nelly qui, compte tenu des deux heures du matin, doit roucouler au milieu de ses amants, d'arriver sur les bancs peints en noir  cause à la nuit, de même pas s'y asseoir dessus vu l'impatience et, c'est décidé, on va lui régler son compte à ce salaud de déserteur qu'a déserté juste pour pouvoir peloter nos Conjugales. Encore, les autres assidues du Cleup, le Marcel il avait pas à se gêner, elles y allaient que pour ça, pour la bagatelle et comme, dans le Cleup, y a plus de bonnes femmes que d'hommes, on les soupçonne d'être un peu portées sur les copines et après tout ça les regarde, mais..."

 

 

 

 

 

 

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21 septembre 2013 6 21 /09 /septembre /2013 08:32

 

L'expédition du Club des 6.

 

 cd


 

Source : Atelier Mascarade.

 

 

 

   J'avais à peine raccroché le téléphone, voilà l'Antoine qui se pointe. Et derrière les oreilles d'Antoine, devinez... Non, pas la bande à Bonnot, ni les Compagnons de la chanson; juste les Aubergines, sauf qu'il en manque une, même c'est Pittacci à première vue. On fait un sort à nos cassoulets, à nos bouteilles d'Artaban - Bellonte avait été prévoyant et même Calestrel avait apporté du vin de messe doux comme les cuisses du Petit Jésus -, et on part vers l'inconnu. L'éclaireur de pointe, c'est Garcin, comme dans les Aurès, puis Sarias qu'est presque en habit de lumière avec la robe de chambre en soie qu'il a enfilée sur son pyjama; puis Simonet avec un guide de voyage sous le bras; puis Bellonte avec sa jovialité qu'a un peu fondu; puis "Ma Pomme" avec le billet de sa Conjugale plié comme un ticket de Loto et enfin, Calestrel qui ferme la marche avec son air de croque-mort qui doit prier le Bon Dieu que sa Marie-Firmine le plaque pas pour aller pieuter chez le Curé.

  Alors, sans dire un mot, comme animés d'une même intuition, d'un même souffle, d'une même locomotion, on descend la Rue du Square qui miaule encore après les croquettes de la Mère Wazy; on passe le pont où la Lune se regarde sur les cailloux au fond de l'eau, on remonte la moitié de l'Avenue de la Gare parce que c'est là, justement, que crèche le "Cleup de l'Eternelle Jeunesse", et avant même qu'on déboule sur le parking avec les traits peints en blanc, on entend comme des gloussements, à moins que ce ne soient des grognements ou des glapissements; les derniers veulent être les premiers, les premiers veulent pas être les derniers et ceux du milieu veulent pas être pris en sandwich.

  Alors, en vrac, un peu comme au "Tiercé", on se bouscule pour arriver en tête du peloton mais, en tête, y a rien à voir cause à la buée qui colle aux vitres et on en sera quittes pour le son, à défaut d'avoir l'image. Mais Simonet, l'homme des situations complexes, nous tire d'un mauvais pas du haut de son avisement. Le Jean, il contourne le préfabriqué et, tout simplement, avec son Opinel, il dévisse la plaque d'aération, et alors on reçoit le Carnaval en pleine poire et, bien que la lucarne soit plutôt étroite, on arrive, chacun son tour, à choper un peu du spectacle.

 

 Les Foldingues du Cleup.

 

 Alors, approchez, regardez bien avec nous, ça vaut son pesant d'or.

Vous voyez l'Yvonne, la spécialiste des clafoutis, eh bien, l'Yvonne c'est Miss Charleston avec sa robe noire à franges, ses manchettes à mi-bras, sa perruque couleur carotte et son diadème en toc. Et elle danse, l'Yvonne et même sa robe étroite elle remonte tellement sur les reins qu'elle a plus rien à cacher, ni ses bas résille, ni la culotte qu'elle a même pas eu le temps d'enfiler. Et comme d'habitude elle se descend un peu de Monbazillac, même elle en remplit une chaussure et comme elle est un brin éméchée, elle en refile à ses copines.

  Et derrière l'éventail en dentelles, c'est qui qui se cache ? Mais c'est la Laura en habit d'Andalouse. On dirait pas mais ça lui va bien au teint, le filet rouge. C'est du pareil au même. C'est le même teint vineux, couleur Artaban. Eh, oui, que voulez-vous, la Laura, depuis qu'elle a perdu l'Edmond, faut bien qu'elle se console, d'ailleurs "elle a toujours le gosier en pente". Et, comme dit Sarias, "de toute façon c'est bon pour faire remonter le Smic des culs-terreux".  Et le chapeau noir à larges bords, ça fait un peu d'ombre sur les rides et ça économise le plâtre, c'est toujours ça de gagné. Et la Laura, elle la fait virevolter la large ceinture à franges, on dirait même un dindon qui fait la roue.

  Alors, vous voyez, vous avez bien fait de venir. C'est pas si souvent que le Cleup se donne en spectacle. Et encore, attendez, vous avez pas tout vu !

  Et maintenant on va vous faire un paquet cadeau avec plein de ces jeunesses et le cadeau on vous l'entourera avec des faveurs et des volutes de bolduc. Vous pouvez pas vous plaindre, tout de même ! Alors, hésitez pas, ouvrez-le le colis, comme autrefois les bonnes surprises de chez L'Epicière. Et qu'est-ce que vous y trouvez, dans la pochette ? Vous y trouvez, en vrac, l'Antoinette en Cancan rouge, bottines à lacets, jarretières, plumes sur les bras et perruque en pièce montée; puis l'Amélie en Coccinelle Dream avec ses antennes sur la tête, ses ailes collées derrière le dos, sa robe à froufrous - même on se demande comment elle a pu enfiler toute sa gélatine dedans, vu l'étroitesse du fourreau ! -, ses cuissardes sur des hauts talons et, pour la culotte, on vous dit pas parce qu'on la voit même pas cause aux éminences qui l'ont un peu boulottée; et puis la Milène, avouez, vous l'auriez pas reconnue dan sa robe rouge de Diablesse, elle qui porte toujours le deuil; on doit dire, ça lui va plutôt bien les petites cornes piquées sur sa calvitie précoce; le trident qu'elle tient avec arrogance et ses yeux, vous avez vu ses yeux fardés s'ils sont mignons, on dirait des ailes de papillon avec des traits de charbon tout autour; et la Félicia et la Félicité qui sont presque jumelles du point de vue des noms, elles sont aussi jumelles du point de vue de l'habillement, et ces deux vieilles taupes, c'est presque un miracle, ça leur va pas si mal la tenue Disco avec le chandail bleu décolleté - on voit un peu du remonte-pentes qui, du reste, a du mal à remonter les oreilles de cocker ! -, et le blouson vinyle à large revers couleur guimauve, faut reconnaître, ça rehausse bien leur teint de punaises de sacristie - se sont des accros de Calestrel -, sans compter la mini-jupe à large ceinture qui n'a rien à cacher, pas même les varices qui flottent sur la peau avachie; puis l'Adélaïde en Hôtesse de l'air, elle est pas gironde avec son calot rouge à revers bleu, son chignon couleur sel avec juste un peu de poivre, sa tunique à boutons, ses jambes gainées de soie, ses escarpins vernis, elle est pas gironde notre Adélaïde ? Vous dites ? Ses oignons ? Mais ses oignons on les voit pas, ils sont à l'étuvée dans les escarpins. Ce que vous pouvez être mauvaise langue, alors !, et puis l'Yvette, celle qui sait si bien faire sauter les crêpes, vous la trouvez comment avec sa tenue de Soubrette, son plumeau rose à la main, son tour de cou, sa robe à fanfreluches, sa jarretière sur sa cuisse velue, ses chaussures à hauts talons ? Vous trouvez qu'elle a l'air d'une grande sauterelle ? Oui, d'accord, surtout les jambes, elles sont longues mais comme le buste a la taille d'un bonsaï, ça fait une moyenne et on lui demande pas d'être Miss France à la soubrette; et l'Andréa, celle qu'a toujours le feu à l'entre-jambes, elle vous tape pas dans l'œil avec ses lunettes de Star, sa robe décolletée et moulante - oui, c'est vrai, c'est sans doute un moule à cakes, vu les ondulations -, ses manchettes et ses bottes façon zèbre et surtout sa chevelure couleur citrouille et puis sa bouche pulpeuse et carminée - oui, elle a quelques dents en moins mais ça l'empêche pas de marcher -, et ses créoles, vous avez vu ses créoles, comme ça lui va bien ?"

 

 

 

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20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 10:02

 

Le retour au bercail.

 

brassens6 

Source : Esprits nomades.

 

 

  Alertés par un sens identique de l'urgence de la situation, Bellonte et moi on s'est levés d'un coup, d'un seul, comme un diable jaillit de sa boîte et on a planté là Aristote qui, du reste, ne semblait pas se rendre compte qu'il ne parlait qu'à lui-même, comme "Simon du désert" le faisait dans le film de Bunuel et c'est alors qu'on remontait l'Avenue de la Gare sous l'œil glacé de la lune qu'on s'est rendu compte de l'étendue des dégâts. Pas plus Bellonte que moi n'abordions les deux points sensibles indissolublement attachés l'un à l'autre : l'heure et l'état d'âme dans lequel nos Compagnes devaient se trouver. Déjà, dans l'enceinte de nos têtes, résonnaient les voix harmonieuses de nos douces Egéries :       

  "Dis, tu sais qu'elle heure il est ?.........", et elles laisseraient volontiers la question en suspens un très long moment afin que ladite question nous taraude jusqu'au centre de la conscience, ce dont elles espéraient que nous souffririons longtemps, éprouvant une culpabilité sans fin, aussi éternelle que la vie que Calestrel évoquait lorsque, montant les yeux au ciel, il murmurait le nom du Tout-Puissant.

  Arrivés Rue du Square, on se sépara sans mot dire. Je crois bien que ça ne nous était jamais arrivé. Maintenant la lune blafarde, tout en haut du ciel, nous regardait, toute goguenarde, rejoindre peinardement nos chaumières respectives. Le spectacle qui nous y attendait était pire que celui que nous avions supputé. Alors que la Mère Wazy gueulait dans la Rue à qui voulait bien l'entendre : "Viens ici, Noiraud, viens ici mon chéri, mon doudou, mon tout mignon chaton", et que des dizaines de greffiers de gouttière s'accrochaient à ses basques, moi, Jules Labesse - ou, du moins ce qu'il en restait -, j'appuyais avec précaution ma menotte sur le loquet de la porte comme si une mine anti-personnelle y était suspendue. Comme à l'accoutumée le loquet grinça un brin cause à la rouille, la porte pivota sur ses gonds dans le même sens que d'habitude et, au lieu de la tornade conjugale que je m'apprêtais à y découvrir, ce fut la voix chaude et accueillante de Tonton Georges qui m'accueillit :

 

 

"Au moindre coup de Trafalgar

C'est l'amitié qui prenait l'quart

C'est ell' qui leur montrait le nord

Leur montrait le nord

Et quand ils étaient en détress'

Qu'leurs bras lançaient des S.O.S.

On aurait dit des sémaphores

Les copains d'abord".

 

 

  Sur le pick-up, le vinyle vivait sa vie de vinyle, en tournant; quelques mouches volaient en faisant des arabesques sous la lampe; l'horloge tic-taquait comme toutes les horloges du monde. Alors, vous le croirez ou pas, mais j'ai respiré un bon coup et même ça m'a fait du bien. Ma dernière respiration, je m'en souvenais même plus. J'ai viré sur mes talons, comme un demi-tour règlementaire chez les Fantassins, et c'est là que j'ai commencé à comprendre que ce qui m'attendait, le "Radeau de la méduse", à côté, c'était rien, c'était même infinitésimal et la tempête menaçait. Sur le formica de la table, il y avait une boîte de cassoulet, un ouvre-boîtes à côté, un rectangle de papier avec une flèche faite au marker, et dans le prolongement du marker y avait la casserole sur le réchaud et dans la casserole gisait un mot plus que laconique : "Bon appétit et A + ". Alors là, ça m'agaçait vraiment ce "A+" qu'Henriette avait adopté, comme tous les Péquins qu'en avaient la bouche pleine de cet "A+". "Tous des moutons de Panurge", je pensais, moi, Jules Labesse. Et, pensant cela, cette pensée en cachait une autre, comme les trains, et la pensée cachée, c'était tout simplement : "Où elle est passée l'Henriette ? Et puis, quelle mouche l'a piquée ? Et puis c'est quand même un monde qu'on retrouve pas SA Conjugale en rentrant au Foyer !".

  J'avais à peine fini d'ébaucher ces quelques questions en forme de bonde d'évier, que le téléphone se met à sonner comme s'il était énervé. Je décroche, et au bout du fil, devinez qui c'est ? Eh bien, c'est Bellonte, évidemment.

Bellonte. - Dis, Labesse, tu sais pourquoi je te téléphone ?

Labesse. - Dis-voir, Bellonte. Je suis sûr qu'on pense la même chose en même temps. Des pensées jumelles, si tu veux mieux.

Bellonte. - Dis voir, Labesse. Même je crois que t'as pas tort.

Labesse. - Tu sais comment on fait cuire le cassoulet ?

Bellonte (qui rigole jaune au bout du fil) . -  Alors, toi aussi, elle t'a fait le coup du cassoulet ? Celui du Comptoir d'Ouche, je parie, même il faut aller loin pour en trouver un qui lui monte à la cheville ! Et puis t'as sans doute une étiquette avec "Bon appétit et..."

Labesse. - "Et A +". Te fatigue pas Bellonte, elles disent toutes pareil. Et tu vois, Antoine, ça serait un coup monté que ça m'étonnerait pas ! Qu'est-ce qu'on fait Bellonte ?

Bellonte. -  On se fout au pieu.

Labesse. -  Non, Bellonte. On va tout de même leur donner raison à ces déserteurs. Manquerait plus que ça ! Amène donc ta boîte de cassoulet et une bouteille d'Artaban. On dîne et après on part en reconnaissance.

 

 

 

 

 

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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 08:12

 

De Moi à l'Autre, de l'Autre à Moi.

 

pigeon 


 

 

Source : Stéphane Dufour.

 

... De moi à l'Autre, de l'Autre à moi, c'est toujours et seulement une forme de passage qui ne peut jamais recevoir la marque et la frappe du réel. Le "voyage" est de l'ordre du non-dit, de la mutité, du secret; de l'ordre du phosphène, de la vibration, de l'onde; genre de dialectique qui opère en continu notre transition, notre conversion, notre mutabilité, nous disposant à ce que notre humaine condition a d'essentiel et dont l'Autre est l'illustration et la condition de possibilité.

  Bellonte et moi, on essayait de deviner l'heure. On n'osait pas regarder nos montres. On écoutait le tic-tac régulier derrière les vitres de l'Horloger. A vue de nez il pouvait être quelque chose comme huit heures.

... Car pour autant que NOUSsommes NOUS-MÊMES le foyer à partir duquel l'Autre rayonne, nous n'infirmons pas ce dernier, nous ne l'hypostasions nullement, nous ne faisons là qu'énoncer une loi existentielle au sein de laquelle il évolue, tout aussi bien que nous, en TANDEM.

 

   Bellonte et moi, on était muets devant le sens de l'à-propos dont faisait preuve Aristote. En effet, nous n'étions plus, lui et moi, que l'unique "tandem" qui prêtait ses oreilles aux paroles du Stagirite. Nous en éprouvions des sentiments mêlés de fierté et de confusion. Force nous était de reconnaître que "Les Copains d'abord" avaient fait une entorse au règlement du "Club des 7" et avaient un peu tordu le cou à la fraternité et à la solidarité. Mais aux Copains, on leur trouvait toujours des circonstances atténuantes, ce qui était bien normal, sauf que nos estomacs commençaient à crier famine et que nos Conjugales devaient présentement tourner comme des fauves en cage, derrière leurs fourneaux. Finalement on préférait penser à rien. Somme toute c'était bien plus confortable. S'apercevant de notre visible égarement, Aristote, en conférencier avisé, reprit le cours de ses explications.

 

  ... Donc, pour résumer, l'Autre et Nous, fonctionnons en couple intimement articulé et cette réalité même d'une inévitable jointure ne peut que nous incliner à assumer la nécessaire transcendance de Celui qui nous fait face, nous révèle à nous-mêmes, en même temps qu'il se révèle à lui-même, constituant l'irremplaçable miroir où seule notre conscience peut s'ouvrir et prendre son essor. Nous pouvons résumer ceci en une formule lapidaire : "L'Autre que JE est un miroir pour ma conscience"

 

  Aristote profitait de son mince auditoire comme s'il avait été au centre de l'agora à Athènes et, à cause des premiers assauts de la fraîcheur, ébouriffa ses plumes qu'il disposa à la façon d'un col montant. Son discours ne paraissait cependant guère souffrir des effluves vespérales. Puis il amorça un virage à 180 degrés, chutant subitement des hauteurs de la transcendance sur lesquelles il semblait planer comme un aigle sur les tourbillons d'air chaud, pour se retrouver dans l'immanence la plus pure, le "prosaïque terre-à-terre", lequel ne pouvait trouver de meilleure assises que la condition corporelle, charnelle de tout un chacun.

 

 

L'inévitable condition corporelle.

 

... Mais notre conscience n'est pas seule à la tâche, liée qu'elle est au corps qui lui sert d'abri et de tremplin. Le corps, lieu de notre réalité la plus pure, parfois la plus dure, sous la forme de la souffrance, du vieillissement, du délitement, de la craquelure, de la fêlure, de la perte osseuse, de l'écroulement cartilagineux; sol de muscles et de sang, terre d'humeurs et de desquamations, refuge ultime de notre existence, seule possession dont nous sommes vraiment assurés et qui semble tellement aller de soi qu'on ne se pose même plus la question de nos propres flux intérieurs, de nos fonctions, nos métabolismes, la composition de nos cellules. Sortes de dépouilles qui se sont progressivement éloignées de leur sens et chacun vit à côté de son corps comme s'il était quelqu'un d'autre, situé dans une zone d'ombre et qu'on aurait pu l'oublier là, comme on laisse son parapluie chez le coiffeur après que le soleil a succédé à la pluie.

 

 

 

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18 septembre 2013 3 18 /09 /septembre /2013 08:27

 

 

La conférence d'Aristote sur le Soi et l'Altérité.

 

Aristote 

Aristote.

Source : memo.

 

 

  Cependant, attiré par l'étrange colloque, le "Tout Ouche" avait migré aux alentours des bancs peints en vert et, maintenant, Aristote disposait d'un auditoire à la mesure de son talent : on devait être une bonne trentaine de badauds à boire ses paroles. A mesure que l'air fraîchissait, le cercle des curieux se resserrait et chacun en retirait un sentiment de sécurité, en même temps qu'une rassurante fraternité.

Aristote. - L'Autre, nous le portons en nous comme la mère porte l'enfant en son sein. C'est de la même nature, au début il n'y a pas de séparation réelle mais simplement une fusion, une osmose qui mélange les "Eaux Primordiales", les confond en une seule entité élémentaire.

 

  Alors que la voix d'Aristote tressait ses modulations, la noble assemblée commençait à glisser lentement dans les bras de Morphée. Sarias fut le premier à succomber. Tête abandonnée sur la poitrine, il respirait comme un soufflet de forge, parfois pris de brusques réveils qui le faisaient sursauter comme si quelque banderille se fût plantée dans sa généreuse anatomie.

 

... Plus tard, à la suite d'un long et méticuleux métabolisme, apparaîtront deux territoires, d'abord confondus, imbriqués l'un dans l'autre, seulement reliés par l'effusion de l'ombilic, puis le temps les maintiendra dans le même plasma, les différenciant tout en les laissant dans une relation de proximité, dans une sorte "d'arche d'alliance" aussi peu visible que l'éther mais aussi dense que le mercure, aussi solide que le platine.

 

  Le second à décrocher, ce fut Pittacci qui, sous le prétexte d'une vessie trop pleine, nous tira sa révérence. Personne ne songea à lui reprocher cette "fuite". Nous étions tous bien placés pour savoir ce qu'il en était de ces symptômes, cause à la prostate.

 

... Vous l'aurez donc tous compris, l'Autre n'est qu'émanation de Soi et, en même temps, totale émanation, pur jaillissement, concrétion solidaire, racine commune. Au sens propre, il n'y a pas de séparation, de césure qui serait de l'ordre de la faille, de l'abîme, de la lézarde terrestre. Il y a une solution de continuité, une "logique" de la division et de l'engendrement qui porte en son essence la trace déjà visible du devenir, l'épiphanie de l'Autre.

 

  Nelly fut la troisième à jeter l'éponge. Pas pour des raisons de prostate. En ce qui la concernait, elle n'avait guère à fournir d'explication, sa jupe haut fendue sur ses longues jambes gainées de nylon, son déhanchement qui faisait joliment jouer ses fesses, en disaient plus qu'un long discours. Elle ne fut plus, bientôt, dans la perspective de l'Avenue, qu'un genre d'aimant coloré auquel s'accrochait la limaille aiguë des pupilles; les masculines par envie; les féminines par jalousie.

 

...C'est comme si tu étais seul dans un genre de quatrième dimension  ou la condensation de l'espace serait la condition même de sa propre dilatation, où le temps réaliserait son essentielle extase grâce à l'instant comblé d'éternité.

 

  Paradoxalement ce fut le pieux Calestrel  qui sortit ensuite du cercle des fidèles alors même qu'Aristote convoquait l'éternité. "La nature humaine est bien complexe, parfois", pensait l'aviséSimonet alors qu'il emboîtait les pas au bedeau. Puis ce fut au tour du Comptoir d'Ouche de nous fausser compagnie, suivi de près par le Crédit et l' Horloger. Il est vrai, l'heure tournait et la sauce devait commencer à épaissir dans les casseroles. La relative désertion qui éclaircissait les rangs ne semblait nullement émouvoir le Philosophe qui continuait à étaler sa science.

 

... C'est un jeu qui s'instaure de Soi à Soi et seul ce jeu permet à l'Autre de faire phénomène, d'apparaître sous les traits qui réalisent son essence et le portent à l'existence.

 

  Quelques colombins s'envolèrent en direction des platanes dans une pluie de plumes. On entendit les couvertures de moleskine claquer sur les pages du Cadastre qu'on refermait prestement. On perçut le dernier grincement du portail du Cimetière. Décidemment, le jour ne tarderait pas à succomber, ce que confirmèrent les lampes de la Place qui se mirent à grésiller comme un vol de moustiques. Aristoten'en changea point son rythme. On n'était pas Philosophe, uniquement pour les apparences ! On n'était point Sophiste !

 

... Nous ne sommes jamais qu'une paroi, une membrane, une peau que nous tendons à un "Alter Ego"pour qu'il y rebondisse et, en retour, nous envoie son écho. Nous ne sommes jamais qu'une conque disposée à l'accueil du bruit; une cible en attente de la flèche; un écran sous les feux de la lanterne, et, pour le dire d'une façon plus essentielle, une matrice où s'impriment en creux les hiéroglyphes d'une parole dont nous avons instauré les fondements.

 

  Quant à Garcin, il se contentait de mettre en musique les propos d'Aristote, disposant la conque de son corps au plus généreux des ronflements qui se puisse concevoir. Sans doute dérivait-il, quelque part dans les Aurès, en route vers le bled, au volant d'un poussif GMC. Compte tenu de l'égaillement de la troupe, nous nous interrogions du regard avec Bellonte, ne sachant trop si nous devions siffler la fin de la partie ou rester afin de prêter des oreilles attentives à l'ultime séquence de la conférence. A l'évidence, le double cercle de notre insularité s'était vigoureusement détricoté. Les volatiles avaient pris leur envol et les humains ne se comptaient guère plus que sur les doigts d'une main.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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17 septembre 2013 2 17 /09 /septembre /2013 09:23

 

La terre est vivante.

 

creacosm 

La création du cosmos.

 Source : hypermedia.univ-paris8

 

 

 ... Or, Jules, tu voudras bien admettre avec moi que, sauf à l'offenser, la terre est vivante, parcourue du mouvement des micro-organismes, des révolutions atomiques contenues dans les minéraux, d'une activité biochimique et donc d'une "conscience"élémentaire, certes minérale, certes "pauvre en monde" - pour reprendre la célèbre formule heideggerienne -, dépourvue de langage, de connaissance mais cette infime "conscience", si elle a quelque élément de réalité, ne peut être connue que d'elle-même, de l'intérieur, "objectivement", pourrions-nous dire et le Sujet qui l'observe ne peut que l'observer, se la "re-présenter", incapable de l'intuitionner en lieu et place de la seule chose qui puisse s'intuitionner en tant que chose, à savoir la chose elle-même. Donc, si la chose s'intuitionne, ce dont je ferai ici l'hypothèse, rejoignant en cela les concepts vitalistes, elle se perçoit aussi bien entière que scindée en deux parties égales et elle peut, à partir de cette "perception", aussi primaire et élémentaire fût-elle, commencer à construire la notion d'identité et de différence, ses deux parties ne jouant pas seulement comme image spéculaire, réciproque, d'une partie par rapport à l'autre, mais comme entité entière, autonome, pourvue de frontières, de formes, de consistance. A partir de cette esquisse somme toute sommairement "existentielle", peut se dessiner et se mettre en forme la ligne de partage de l'autonome par rapport à l'hétéronome et donc se constituer le profil d'une "identité"propre, même si celle-ci, dans sa connexion étroite avec les processus naturels ne s'illustre que sous les auspices du tremblement géologique, du linéament sédimentaire, de l'assise matérielle.

 

 

La transposition matière\homme.

 

... Or, si nous considérons ce qu'il est convenu d'appeler le phénomène de la "transposition", le schéma élémentaire qui parcourt la matière vivante peut s'appliquer au processus biologique humain dont la nature propre consiste en une amplification, un déploiement, un exhaussement dudit phénomène via la transcendance propre à la conscience.

 

 La perception de l'altérité à travers le Soi.

 

... Ce que Robinson reproduit, par son retour à la "Terre-Mère", se confondant lui-même avec la boule d'argile n'est que son propre processus vital, sa propre mitose, sa division cellulaire, sa reproduction à l'identique, son dédoublement qui lui apportera sa première perception de l'altérité; ce qui revient à dire qu'à partir de son propre lui-même, il sera devenu différent, qu'à partir de son propre noyau identitaire, il aura créé le "tout autre", le complémentaire, le pôle auquel se référer comme à son semblable  et à celui qui, cependant, est radicalement "ailleurs", mais jouera, tout au long de sa vie, le rôle d'un miroir à double face. Et cette première perception de l'altérité se confondra avec celle de sa propre généalogie, reflétant d'un côté le Père, céleste, ouranien; de l'autre côté la Mère, terrestre, chtonienne. Il aura été lui, Robinson, le médiateur, le lieu de passage de cette hiérogamie et il en portera le sceau, à son insu ou le sachant, jusque dans la plus intime de ses particules élémentaires. Le passage réel dans la grotte est surtout prétexte à créer un lieu hautement symbolique par lequel s'opère le clivage, la scission qui apporte le Soi à la dimension de l'altérité, comme si un jumeau était venu au jour par la seule réverbération d'un miroir identitaire.

 

  Alors qu'Aristote avait déployé, en de larges arguments, ses conceptions de l'identité et de la différence, les Membres du Club s'étaient rapprochés dans la lumière maintenant oblique qui projetait l'ombre des bancs jumeaux sur les nervures jaunes de la boîte à lettres et, bientôt, ils firent cercle autour de notre singulier colloque. Les colombins avaient suivi le mouvement et constituaient un second cercle qui entourait le premier, si bien qu'Aristote et moi étions immergés dans uns double conque étonnamment silencieuse qui, replacée dans son contexte, ne faisait qu'évoquer et renforcer l'analogie évidente de notre situation avec celle de Robinson, circonscrit, en premier, par le périmètre de l'île, en second par les parois de la grotte.

  Et, de cette bizarre géométrie, nos consciences aiguisées et attentives, tiraient des conclusions, aussi hâtives que pertinentes, du moins le souhaitions-nous, persuadés de nous vivre nous-mêmes en tant que nous-mêmes et qu'autres à la fois, et nous finissions, dans cet état auquel incline toute fin de journée, par ne plus trop savoir où se situaient nos frontières réelles, lequel était Aristote, lequel était Jules, et cette situation débordait notre intimité et ricochait, si l'on peut dire, sur les parois existentielles du "Club des 7", lesquelles se répercutaient en écho sur les orbes que les colombins avaient éployées à notre périphérie, sans même que nous en fussions vraiment conscients. Pour bizarre qu'elle était, cette situation ne nous offusquait point et la disposition doublement circulaire de nos congénères ailés et bipèdes semblait même nous apporter une réassurance narcissique dont Aristote profita pour rebondir sur ses propos qui étaient à peine retombés sur les bancs peints en vert.

  Ce qui nous étonnait le plus, sans doute, dans cette sorte de métaphore de "l'œuf primordial" dans laquelle nous inscrivait la Place, les copains, les colombins, c'était moins l'insistance sémantique du double encerclement - sorte d'hermétisme dont nous aurions pu avoir à souffrir - que la densité du silence qui nous entourait de ses ailes cotonneuses, comme au cours de la plus mystérieuse des métamorphoses où la chrysalide concentre en son sein le recueillement qui, seul, convient à la promesse de son propre déploiement.

  En d'autres termes, Bellonte, Sarias, Garcin fermaient leurs grandes gueules - ça nous changeait pour une fois -, ce qu'imitait la pléthorique confrérie colombine dont les becs jointifs et scellés ne cherchaient même plus à picorer les miettes confites de piété que Calestrel leur avait apportées. La chute du jour était propice aux confidences métaphysiques. Nous n'allions pas bouder notre plaisir, Aristote et moi, tout pris qu'on était par le grand tournis philosophique qui semblait s'emparer des platanes eux-mêmes dont la chevelure était traversée de rayons de lumière semblables à un miel conceptuel. Oh, non, nous ne bouderions certainement pas notre plaisir, la nuit dût-elle nous accompagner dans la dérive songeuse que notre imaginaire brodait autour de nos têtes, comme si des gouttes de rosée y étaient suspendues, attendant l'humilité de l'ombre pour nous livrer le contenu de leurs pensées moléculaires.

  Nelly fermait ses rideaux couleur lilas; le Bijoutier tirait le sien de rideau, métallique et bruyant; le Comptoir rangeait ses caddies à roulettes; la Pharmacie éteignait son clignotement vert; la Maison de la presse rentrait ses présentoirs avec l'Huma dessus; le Crédit distribuait ses derniers billets; la Mairie repliait son drapeau tricolore; le Cimetière invitait ses morts à dormir.

 

 

 

 

 

 

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