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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 17:08

 

  Oui, parfois, quand la pure immanence colle à la vie, quand l'existence appelle la constante déréliction, quand le Néant vous regarde de son œil vide et blafard, alors vous n'avez qu'une envie : les reconduire au plus vite, tous ces empêcheurs de tourner en rond,  à une forme de parution tellement inapparente que vous ne les verriez plus faire leurs sordides facéties sur la grande scène du monde. En l'occurrence, ces trappes ouvertes sous les pieds ont pour nom : gâtisme, radotage, alzheimer, ramollissement cérébral, AVC, néoplasies , etc… La liste est longue des épées de Damoclès faisant leur bruit de métal au-dessus de nos têtes insouciantes.   

  L'ennemi est là qui veille dans l'ombre, attendant le moindre de vos faux-pas. L'ennemi est là auquel, en dernière analyse, vous n'échapperez pas. Vous êtes dans une souricière, la gueule emplie de fromage, les côtes meurtries par les barreaux de votre résidence éternelle, la queue guillotinée et sanguinolente. Votre bourreau, la Dame-Mortelle, la Pute-à-la-grande-faux, la  Démoniaque décérébrée vous offrira, en guise de dernière cigarette, une étroite et vigoureuse copulation, laquelle vous videra de votre précieuse substance. Vos flancs asséchés se rejoindront comme les parois de la bourse du pauvre. Vous sécherez, là dans la souricière du Néant, jusqu'à la fin des temps et l'on passera près de votre moquette grise rongée par les vers sans même s'apercevoir que vous avez existé. Et pourtant, convient-il de s'insurger contre ce qui constitue jusqu'en notre moelle intime, notre essence terrestre ? Heureusement, la grande trappe définitive ! Autrement ce serait une longue et laborieuse asphyxie de toute l' humanité claudiquant depuis l'aube des temps, homo erectus jusqu'à l'effigie contemporaine pareille à uns gesticulation sans fin. Mais ce serait vraiment inconcevable, cette longue litanie des Pèlerons de la Terre faisant, partout sur la surface du globe leur procession de millénaires ingambes et vertueux, se disposant sans doute aux joutes amoureuses afin que le fleuve humain puisse s'enorgueillir de milliers de ruisseaux adjacents. Plus un pouce carré où ne figurerait la noble engeance, plus une parcelle d'espace où essaimerait la ruche pléthorique. Et le miellat fécondant ferait ses lacs de gemme salvatrice. Il n'y aurait plus d'espace. Seulement une immense cohorte de frères siamois, soudés par les diverses parties de leur luxuriante anatomie, une manière de poulpe écarlate et visqueux étendu jusqu'aux limites du visible. La grande mare anthropologique faisant, partout, son refrain d'existence incorruptible., solennel, interminable. Cataractes de bras et de jambes, retournements de vulves gonflées, sidération de phallus protéiformes, expansions de géants polyphoniques faisant résonner dans le cosmos leurs monstrueuses éjaculations. Le langage lui-même ne serait plus que cette infinie théorie de gemmes résineux, cette résille de gamètes et de chromosomes, cette immense soupe métabolique où le vivant exploserait chaque milliseconde.  

  Car, voyez-vous, l'existence n'est que cela, gesticulations. Gesticulations désordonnées et malhabiles du bébé, gesticulations des hommes arrivés à la maturité, se lançant à l'assaut du mât de Cocagne de la gloire; gesticulations épidermiques, charnelles et déjà presqu'ossuaires des Amants livrés à la petite mort afin de mieux oublier la grande; gesticulations du pouvoir qui veut asseoir sa tyrannie; gesticulations des artistes qui tendent, devant eux, leur esquisse de plâtre et de carton afin qu'on leur accorde quelque cimaise; gesticulations des foules qui, maintenant on le sait, ne sont que de grands corps solitaires livrés à une longue et interminable crise d'épilepsie; gesticulations des prostituées sur les trottoirs du monde pour ne pas crever de faim; gesticulations des affamés, des damnés de la terre, des gueux, des intouchables de tous ceux qui rampent et végètent dans les cavernes putrides dans lesquelles les peuples pauvres sont relégués afin qu'on ne les voie pas; gesticulations des prédicateurs vendant sur les agoras du monde les dogmes aux nasses étroites; gesticulations des longues voitures aux mufles carrés qui sillonnent la terre avec haine, voulant défricher jusqu'à la dernière once de terre; gesticulations des avides aux mains griffues dans les allées pléthoriques du négoce de masse; gesticulations des paralytiques une sébile à la main; gesticulations des processions infinies derrière ceux qui disparaissent de l'horizon, s'accrochant aux derniers remparts de terre.

  C'est ainsi, les gesticulations sont partout. Celles de l'espace, celles des marées d'équinoxe, des tempêtes, mais surtout, mais toujours, mais définitivement les gesticulations du temps qui grignote méticuleusement chaque centimètre de peau, chaque bâtonnet de la vision, chaque cellule de moelle. Nous sommes des êtres soumis à la corruption. Au même titre que la pomme que le ver ronge de l'intérieur, le fruit finissant par chuter parmi la grande putréfaction terminale. Ça ronge à chaque instant, ça burine, ça divise, ça décroît, ça s'amenuise, ça s'étiole puis ça disparaît, sans presque laisser de trace. Sauf, parfois, dans les mémoires.

  Alors, lorsque la vieillesse sort ses dents chloroformées, qu'elle commence la curée, qu'elle enfonce ses incisives dans la pulpe souple; lorsque les premiers signes de la longue attaque sournoise font leur apparition, comment dresser une manière de barrage contre ce qui sème la révolte, comment endiguer ce vent de folie destructrice ? Ouragan. Tornade. Séisme. Cyclone. Afin de mieux percevoir la dimension de ce qui nous affecte alors, il faut abandonner le microcosme du corps, le reporter à une démesure; à de l'inenvisageable, à de l'inexprimable; il faut l'empan infini du macrocosme, il faut le big-bang, il faut l'ouverture de l'abîme le saut dans la gueule du volcan. Il faut… Quand les mains tremblent comme de la gélatine, que la colonne vertébrale joue aux osselets, que les tibias laissent s'écouler leur moelle, que les orteils se révulsent, que les oreilles se ferment aux bruits du monde, les yeux à la clarté, l'âme à la vie, alors quel langage employer qui traduise cela, cette trappe soudainement ouverte sous les pieds ?

"La vieillesse est un naufrage." constatait amèrement De Gaulle. Mais, au moins, y a-t-il quelque bouée salvatrice ? Non, il n'y a rien. Non, il n'y a que le Rien avec son corps tissé de vide et ses doigts se refermant sur un genre d'absolu : le seul qu'il soit jamais permis de connaître ! Alors que faire ? Tisser son ennui de silence ? Sauter par la fenêtre ? Lire Platon ? Faire l'amour ? Peut-être peut-on faire tout cela. Ou bien écrire. Mais écrire, comment ? Quelle est la façon de témoigner, de faire sens avec du non-sens ? Comment rester vivant alors que la vie s'épanche hors de nous à la vitesse des comètes. Oui, écrire. Ecrire avec application, en décrivant longuement les symptômes, les failles, les pertes et le surgissement dans l'oubli de soi. Ecrire pour ne pas désespérer.

  Mais la manière, le style, la façon d'aborder l'indicible. Sans doute la lucidité n'a-t-elle que deux choix pour apparaître, dénoncer, circonscrire ce qui, toujours, échappe : la tragédie ou la comédie. Ceci est vrai au moins depuis Aristophane, Sophocle, Molière. Ou bien, alors choisir la voie médiane de la tragi-comédie, sans doute la seule qui soit à même de parcourir tous les tons de la gamme. Mais rien n'est simple et les voies moyennes toujours soupçonnées de ne rien dire de la vérité. Comment dire l'indicible ? Les Copains, eux, ont choisi le chemin iconoclaste, truculent, le pied de nez à la finitude. Peut-être ont-ils raison. Souvent, contre la face de ce qui se dérobe avant  l'ultime perfidie de l'attaque mortelle, convient-il d'élever les digues de l'humour. Humour grinçant, dérangeant, urticant. Peu importe la forme. Sans doute la Dame à la faux n'y est-elle guère disposée !

  Ici, volontairement nous n'avons pas accordé de développement au meilleur des contrepoisons contre la Mort : à savoir l'Amour. Des Autres. De soi. De l'art et des choses transcendantes. Mais ceci est une autre histoire…

 

 

**************

 

 

 

  En fait, on en a parlé entre nous, Garcin, Sarias et moi et on pense que vous confondez un brin la jeunesse avec l'enfance. Faut quand même établir une ligne de partage entre les deux parce que c'est pas la même chose. L'enfant il est encore du côté "ascendant" du cordon ombilical, ça veut dire qu'il est à peine sorti de l'abri maternel; alors que le jeune il est du côté "descendant" et ça veut dire que lui, il en cherche un autre d'abri, un tout chaud, tout doux, accueillant, un peu comme la lointaine caverne de ses ancêtres, et même ça lui vrille le ventre pendant toute son adolescence et souvent après d'ailleurs.

  Avec mes potes, on pense que votre "Cleup", à la limite vous auriez pu le baptiser "Club de la Joyeuse Enfance", parce que l'enfance, c'est bien connu, on y retourne quand on est vieux et on s'y installe mieux dans l'enfance que les enfants eux-mêmes. Et, juste avant de développer le sujet, Garcin m'a proposé de vous poser une devinette. C'est la suivante :

"Quelle différence y a t-il, d'après vous, entre un enfant et un vieux ?".

Oh, vous fâchez pas, je dis "vieux" simplement parce que c'est le terme générique pour les anciens et que c'est mieux pour la devinette. Comment ? Eh bien, non, "vous avez tout faux" pour parler comme ma petite-fille; "la différence c'est pas le nombre de jours au compteur, c'est pas les rides ou la peau lisse, c'est pas un qui court et l'autre qui clopine; la différence c'est simplement que l'enfant, le tout petit bout de chou qu'on adore, qu'on se met en quatre pour jamais lui dire non, eh bien, le petit enfant, il est GÂTE et les vieux qu'on pousse gentiment sur leurs chaises à roulettes qui grincent des articulations, même des fois on les pousserait un peu plus fort pour récupérer le magot, eh bien les petits vieux, ils sont GÂTEUX".

  Oh, vous vexez pas, c'est juste une farce à Garcin qu'est un vrai pince-sans-rire et même Garcin, il dit souvent qu'entre les enfants et les vieux y a plus de ressemblances que de dissemblances. Il dit, par exemple, que les petits enfants et les grands vieux c'est pareil pour la marche à quatre pattes, c'est pareil pour les couches-culottes sauf que pour les vieux, vaut mieux qu'elles soient avec des élastiques renforcés pour éviter les fuites; c'est pareil pour la parole, ils font tous "Arrreu - Arrreu", avec plein de bulles dans la bouche, sauf que les vieux, en prime, y a la salive qui coule d'un côté ou de l'autre, ça dépend d'où vient le vent. Alors, heureux les petits "papimamis", d'être tout  juste comme les nourrissons, d'être si adorables avec vos petites rides partout qu'on y ferait plein de bisous et que c'est juste la pudeur qui nous retient.

  Vous dites ? Ah, oui, vous êtes comme les nourrissons mais en plus ridés ? Pas de problèmes, les petites "Mamis", prenez une livre de poudre de riz, une bonne épaisseur de cache-misère que vous vous collez sur la figure et vous vous la mettez dans les rides, y a pas mieux comme replâtrage et personne y verra que du feu, sauf après la douche, évidemment. Vous dites ? Vous avez des rougeurs, comme les bébés ? Vous aimeriez qu'on les passe au talc, à la marie-rose vos parties intimes, y a pas de problème les  "petipapis", y a maintenant plein de petites jeunes filles, belles et souriantes et disponibles avec des décolletés jusqu'au nombril et des culottes qui retiennent leurs aisselles, et elles demandent pas mieux que de vous frictionner, de vous langer, de vous emmailloter et même après elles vous mettront dans un lit avec des barreaux sur les côtés, non, c'est pas pour vous punir, c'est juste pour vous rappeler le parc en bois de votre enfance, celui avec les boules de couleur pour faire croire que, déjà, vous saviez compter jusqu'à cinq.

  Comment ? Vous savez encore? Ben on dirait pas, parce que quand vous savez pas quoi faire et que vous vous amusez à compter sur vos doigts, vous dites toujours "y a pas le compte, juste quatre j'en trouve", et vous recommencez par le pouce, et vous dites, à voix haute : "premier, second, deuxième, troisième, quatrième, eh merde, l'en manque un !" Vous voyez bien, adorable "petipapi" que vous y replongez la tête première dans l'enfance, même que c'était une de vos blagues à la mode du temps de la Primaire, et que ça marchait à tous les coups, avec les petits, la feinte du second et du deuxième. Alors, c'est pas une preuve que vous y êtes revenu, à la case départ ? Sauf qu'au Jeu de l'Oie, vous piochez rarement le double-six et que vous passez la plupart du temps à ramer sous le pont, à gueuler au fond du puits, à vous morfondre derrière les barreaux de la prison.

  C'est ça, les "petipapis", ça sert vraiment à rien de s'énerver. La vie elle est généreuse mais à force de faire plein de petits cadeaux, quand la roue a beaucoup tourné, alors elle se fatigue et elle croise un peu les bras et c'est plus comme du temps de Mendès-Francela "Vie", avec ses habits de la République, avec sa robe plissée de Marianne et son écharpe tricolore, elle vous filait plein de verres de lait à boire, matin, midi et soir, même ça vous filait un brin d'eczéma, mais tout de même, ce que vous aimeriez y retourner au bon temps de la Communale, à la bonne Ecole de Jules Ferry avec sa façade à moellons, sa cour de gravier et son marronnier, ses pissotières où, comme vos copains, vous vous ingéniez à envoyer votre jet par dessus la séparation en ardoise juste pour mouiller un peu les "Mitoyens".

  Et alors là, c'était la rigolade, la franchouillarde, et même à la récré, vous jouiez à "pince-couilles" avec les autres garnements et une fois, Chaliès, l'Instit vous a pris sur le fait et vous a collé deux torgnoles à vous en dévisser la tête, et même avec les torgnoles, vous aimeriez y revenir dans la cour où vous vous amusiez à "pète-pète" avec vos billes en verre et vos calots en acier, puis aussi à "L'Epervier", puis à la "Marelle" puis à "Chat perché". Même vous voudriez revenir à la Maternelle, sauf que de votre temps elle existait pas. Oh, vous savez, la Maternelle vous l'avez un peu tous les jours au "Cleup", surtout quand le Président Garcia invite les petiots, les plus petiots, ceux qui essaient de parler comme des grands, alors que les grands essaient de parler comme des petits. Les grands, ils pensent que les petits les comprendront mieux s'ils essaient de les imiter et vous savez ce que ça donne quand l'Emilie, la Jeannette et l'Ursuline se mettent à quatre pattes pour être à la hauteur des loupiots de la petite Section, ça donne des radotages touchants du style :

 " Qué ce cé ti va navoi le péti nenfan pou la noël-noël ?" ou alors : " Qui zi va me fai tou pein isettes pou sa mami quel zi fai pein de zizou patout patou", ou encore  : "E qué si dit mon piti Zulien a sa doudoune qui ni fai go go calin su péti tétét a son ti n'ange qué zazouille com piti noizeau" ou encore : "Vin nici su zenou ta mami série qué va te fair plin plin de gos poutous su ta pétit zézèt é qué n'aime ça mon ti lapin au gande noneilles, mèm i ressemb' a buc buni".

  Alors, là, vous voyez, mes "petit'mamis", on va redevenir sérieux parce qu'on commence à frôler le "degré zéro" de l'humaine condition et, franchie cette limite, il vous reste plus qu'à aboyer, à flairer le sol et à aller vous coucher dans la niche du clébard d'en face.

  J'ai forcé un peu le trait, vous dites ? Oh, à peine, "petipapi", même parfois c'est  nettement plus affligeant  que ça, tellement ça frise le Néant. Mais je vais pas embrayer là-dessus, on y serait encore à Noël et on est tout juste en Janvier. Allons donc, vous ronflez maintenant, d'une seule narine en plus - sans doute pour économiser l'autre, - comme dirait Garcin-, eh, oui, c'est l'heure de votre sixième sieste, "petipapi", attendez, je vous remonte un peu l'édredon, je vous mets une bouillotte sous les pieds, ah oui, c'est vrai, j'oubliais la SUSU, j'y colle un poil de miel dessus et je vous l'enfile dans la bouche, oh, du reste, celle-là, je peux pas la louper, elle est ouverte comme un four et puis y a plus, sur les gencives roses, toutes roses que deux ou trois ratiches qui se balancent au rythme de la luette, c'est vrai, "Papi", que vous ressemblez à un vrai petit nourrisson. Bougez pas surtout, je prends mon Brownie-Flash, que je vous immortalise, pour une fois elle vous coûtera pas cher votre "Eternelle Jeunesse" et faites de beaux rêves, "papi", mais gaffe à la torgnole, Chaliès, des fois, il pourrait bien arriver à l'improviste et ça pourrait chauffer. Enfin, je dis ça comme ça. Mais vous rêvez à la Faustine, "Papi" ? Vous êtes en bonne compagnie, "Papi", je reviendrai vous voir demain, quand vous serez plus grand !

 

 

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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 08:56

 

   Alors, ici, on entre  vraiment dans "L'auberge espagnole", mais dans ce qu'elle a de plus abrupt, de sombrement contingent. Le sens y est multiple, souvent au premier degré. Comment, d'ailleurs, ne pas en rester à ce degré lorsqu'il s'agit des bolées de cidre, des verres de Monbazillac, du jerk dansé par les joyeux lurons du "Cleup" ? Mais, à l'évidence, en demeurer à cette interprétation proximale, ferait l'économie de ce qui, en filigrane, s'y illustre. De la même façon que les "pitreries" d'un clown ne dissimulent jamais qu'un profond sentiment du tragique, les contorsions et autres galéjades rustiques des Copains  ne sont présentes  qu'à se rapporter à l'inévitable déréliction de la condition humaine. Toujours, sous le fard et les costumes d'apparat, se devinent les rides et la confondante nudité.  Ainsi en est-il de la vérité de tout Existant dans sa confrontation à la temporalité.

 

  Mais, les futurs disparus de notre horizon terrestre, ne croyez pas vous en tirer à si bon compte. Y a un point qu'on n'a pas encore abordé, c'est celui qui concerne la "Jeunesse" et je vois que vous avez compris car vos regards se portent tous sur l'enseigne qui flotte au gré du vent à la proue du bâtiment terrestre qui vous ouvre si largement les bras et que le Maire a inauguré en grandes pompes, aux deux sens du terme, d'une part en raison du 48 qu'il prend chez André "le chausseur sachant chausser", et d'autre part parce qu'il avait invité les Huiles du département pour donner un peu de lustre à la cérémonie qui intronisait le Cleup et le rangeait au sein du patrimoine municipal, juste après la Déchetterie, juste avant le Nouveau Cimetière qui a pignon sur rue en haut de la colline d'Ouche d'où les morts peuvent apercevoir les Pyrénées par temps clair et, après, c'est toujours le mauvais temps qui arrive.

  Mais allez surtout pas croire que mes digressions m'égarent, je vous ai à l'œil et je vous lâcherai pas avant que mon esprit critique et tordu ait fait le tour de la question. Donc, retournons au mot "Jeunesse", la troisième formule de la joyeuse devise. Mais, "aimables petits croûtons", vous nous prendriez pas pour des idiots, par hasard, en parlant de "Jeunesse" ?  L'autre jour, alors que vous fêtiez l'anniversaire d'un de vos recordmen de l'âge, Garcin, Sarias et moi, Jules Labesse, on s'est pointés discrètement au coin de votre préfabriqué et, du revers de la manche, on a frotté la buée qui était collée au carreau.

  Et alors ? Et alors, on a tout vu : l'Adalbert qui virait ses bretelles cause à la choucroute qu'il avait ingurgitée sans compter; le Barthélémy qui pissait dans une bouteille, il faisait trop froid dehors; la Blandine qui se trémoussait, un verre de mousseux à la main, en dansant le jerk; la Fantine, on lui voyait la culotte, l'ancienne avec une fente du nombril au coccyx, tellement elle s'envoyait en l'air avec le rock; l'Emma qui buvait la bière à la bouteille ; la Flavie, la Francesca et la Georgina qui faisaient "Tûûût - Tûûût - Tûûût" en jouant au petit train, même que le Faustin il faisait le machiniste avec le képi du garde-champêtre sur la tête et le sifflet à roulette qui arrêtait pas de faire "Trrriiit - Trrriiit", et la Sabine et la Salomé, elles se trémoussaient en racontant leurs farces salaces, même que leur gélatine autour des hanches en était tout agitée; alors vous voyez bien qu'on vous raconte pas des sornettes et Garcin, Sarias et moi on était tout remués du dedans, de voir un tel cirque.

  Mais, dites, au fait, croyez pas que je noie le poisson, la "jeunesse" elle est où, là-dedans ? Pouvez m'expliquer un brin ce qu'il y a de juvénile dans vos exhibitions, ce qu'il y a de touchant et de tendre, ce qui ressemble au printemps de la vie dans votre putain de cinéma ? Mais, "c'est à dégueuler", comme dirait Pittacci qui a toujours le mot pour rire. Oh mais croyez pas que je vais vous enfoncer parce que, moi, Jules Labesse, peut être avant même que je m'y attende, j'y arriverai à vos pantalonnades et, le pire, c'est que je m'en rendrai pas compte et j'en redemanderai du petit train, du jerk, du Monbazillac et des cotillons et mes potes qui se croient si malins, ils le lui piqueront le képi au garde-champêtre et le râteau du jardinier pour en faire un cheval et le Simonet qui aime bien les motos, il chopera une branche de frêne pour en faire un guidon, avec un petit rameau qui dépasse à droite pour le frein, un autre à gauche pour l'embrayage et alors nous aussi on y tournera autour des tables juponnées de blanc, nous aussi on en écumera des bolées de cidre du Loïc de Pont-Aven et, mine de rien, en passant, on leur pelotera un peu les éminences, celles de derrière surtout, à l'Emma, à la Flavie, à la Georgina et quand on rentrera au bercail on sera comme sur un petit nuage et on s'apercevra même pas que le temps aura passé, qu'on aura chopé une ride de plus, des cheveux en moins, des tremblements en prime, mais ça fait rien, on aura été "jeunes" pendant un sacré bout de temps et "c'est toujours ça que les Boches auront pas" comme disait mon grand-oncle François en 14-18.

 

 

 

 

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21 juin 2013 5 21 /06 /juin /2013 08:45

 

  Où l'on essaie de se replonger dans l'étymologie anglaise du mot "Club". Où l'on commence à aborder quelques thèmes incontournables qui font à nos oreilles, comme des bourdonnements d'outre-tombe : le Néant; l'Abîme; le Rien.

 

Le Groupe. 

 

Dites, vous y croyez, vous, à leur cure de jouvence du Club, juste en se  réunissant autour d'une bolée de cidre et de quelques crêpes de l'Yvette ? Ah, je peux vous dire, le Jules il est pas près d'y mettre les pieds dans leur bastringue et d'ailleurs leurs arguments sont creux et de se rassembler entre "vieux tréteaux" ça peut que vous filer la sinistrose et vous précipiter encore plus vite dans le trou, rien que pour éviter de voir votre image reflétée dans les yeux compatissants, certes, mais presbytes, mais sertis de cataracte, à la cornée semblable à du cuir. Et pour les oreilles, c'est pas mieux, ils vous font toujours répéter tout ce que vous dites parce qu'ils ont rien entravé ou alors, pire, ils opinent du bonnet pour vous faire croire qu'ils ont compris les gentils "papimamis" et c'est souvent pathétique parce qu'ils peuvent aussi bien vous répondre que leur adorable petit chien se porte bien alors que vous leur demandiez simplement des nouvelles de Lucien et bien sûr tout ça vous fait penser au "cornet à moustiques" que le Professeur Tournesol confondait avec le "cornet acoustique" mais, au moins, dans Tintin, c'était qu'une fiction alors qu'au Club la fiction dépasse souvent la réalité.

  Et puis, même leur logo, le "Club de l'Eternelle Jeunesse", il fait un peu cucul-la-praline et histoire à l'eau de rose et d'ailleurs, si on y regarde de plus près, c'est même que de la poudre aux yeux et, pire, c'est qu'un tissu de mensonges.

  D'abord, "club", ça vient de l'anglais du début du XVIII° siècle et ça veut dire "réunion","cercle", également "association" et, pour l'instant, je vous l'accorde, on ne voit pas très bien où le bât blesse, sauf que d'abord, la plupart des adhérents prononcent "cleup", sans vergogne, et que l'assourdissement de la consonne finale résonne comme une forme d'idiotisme, de "rabaissement" de la langue anglaise à un simple dialecte gaulois et que, ce faisant, le mot perd sa connotation "british" originelle de Société plutôt élégante et fermée, rompue aux bonnes manières et aux belles lettres, où l'on débattait essentiellement de questions politiques, comme plus tard en France, au sein du Club des Cordeliers ou des Jacobins, et que ces aimables et distingués échanges oratoires se faisaient autour d'une tasse de "Darjeeling", le petit doigt levé vers le plafond armorié des demeures de style élisabéthains et qu'on ne voit pas très bien l'analogie pouvant exister entre cette société anglaise cultivée, raffinée et les aimables beuveries ne s'illustrant guère que de réparties en forme de "vulgum pecus" fleurant bon le terroir et s'enroulant autour des lustres de papier crépon pliant sous le poids des cotillons.

  Ensuite, l'"Eternelle", ça fait penser à quelque chose qui dépasse un poil le genre humain, tout simplement parce que ça vient du latin "aeternalis" qui signifie "qui est sans commencement, infini, hors du temps", or, si je ne m'abuse, le "Cleup" lui-même il est pas éternel, il a bien commencé un jour; ses distingués membres non plus ils flirtent pas avec l'éternité même si certains d'entre eux enfilent les années à la queue leu-leu comme les perles sur un fil, mais avec tout le mérite qui leur échoit, il faut quand même reconnaître, les meilleurs ils dépassent guère les 105, 110 et ça fait plutôt léger comparé au Temps qui a duré, dure et durera toujours alors même que la race humaine ne sera plus qu'une infime trace dans l'univers, et puis, nos aimables Gaulois ils sont tout de même pas "hors du temps", ils s'en sont pas encore affranchis; ils ont bien un corps physique, matériel, d'ailleurs, pour la plupart, il passe pas inaperçu cause à l'obésité que leur refile le "Cleup", et leur organisme il est bien présent, "bien vivant", enfin si on peut dire avec son cortège de joyeusetés style Parkinson, Alzheimer, AVC, néoplasies, arthrose, ostéoporose et autres sournoises sénilités.

  Alors, ancêtres de tous temps et de tous pays, calmez-vous un chouïa, demeurez un peu parmi nous tant qu'il vous reste une pellicule de peau collée sur les tibias et les clavicules, vous l'aurez bien l'occasion d'ouvrir, sous vos pieds truffés d'ampoules, de cors et de durillons, la grande trappe qui vous conduira hors du temps et alors, si depuis l'au-delà, il vous reste encore un souffle de voix, de grâce dites-nous comment il faut faire pour l'éviter cette putain de trappe et dites-nous quelques secrets pour pas tomber dans les mêmes pièges que vous n'aurez pu éviter durant votre laborieuse et méritante existence. Ça doit bien refiler un peu de sagesse le Néantl'Abîmele Grand Rien parce que, à partir de rien tout peut faire sens et alors même les plus rustiques d'entre vous, si ça se trouve ils comprennent plus de choses qu'EinsteinAristote et Léonard de Vinci réunis et ça nous rendrait service aux grands naïfs que nous sommes d'ouvrir un peu les yeux, de déplisser notre conscience et de pas simplement nous abrutir à pousser des caddies remplis jusqu'à la gueule dans des supermarchés, à regarder les jeux à la télé et à écouter jacter le type qui dégoise à longueur d'antenne sur Radio-Ouche pour nous raconter la mort du chien de l'Epicière, pour nous annoncer les dates des vide-greniers du canton et les horaires des messes paroissiales et, bien sûr, la météo au cas où on voudrait aller faire bronzette au bord de la Leyze.

 

 

 

 

 

 

  

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20 juin 2013 4 20 /06 /juin /2013 13:37

 

  Eh bien, voilà, il fallait tomber un jour dans le chaudron ! Faut dire, le Jules était un peu impatient de vous les présenter "les Copains" et, cerise sur le gâteau, "Le Club de l'Eternelle Jeunesse", la cheville ouvrière d'Ouche, son incontournable Image d'Epinal, son âme bien disposée à festoyer, à boire le vin jusqu'à la lie. Car, voyez-vous, au milieu d'une rusticité de bon aloi, les Ouchiens et les Ouchiennes  y pensent encore un peu à la bagatelle, à la bonne chère, à la ripaille, à la vie en pente, à la bonne franquette. Et ils y pensent d'autant plus qu'ils ont que ça à faire, la fête, jusqu'à plus soif, plus se trémousser, plus avoir une miette d'énergie dans la musette. Faut bien que jeunesse se passe, que vieillesse se tasse, que le temps trépasse.

  Alors, vous , vous attendez quoi pour aller les retrouver les "papimamis", les bienheureux impétrants des Caisses de retraite ? Des tours, comme les magiciens, ils en ont plein leurs sacs…

 

 

Le "Club de l'Eternelle Jeunesse".

 

 Eh bien, à Ouche y a une sorte de ratatouille où tout se mélange, un vrai RATA, et cette pitance on la sert trois fois par semaine aux bonnes âmes du coin, c'est même la Commune qui met sa toque blanche, ses sabots vernis, qui dresse les tables avec des nappes en papier, des couverts en plastique, des gobelets en carton, et le Maire lui-même, parfois son Adjoint ou un sous-fifre de service, disposent autour des tables juponnées, les Aubergines nées en 12; les Courgettes nées en 20; les Tomates en 18; les Poivrons en 30 et alors, tout autour de la table ça caquette et ça aspire, ça mâchonne et ça rumine, ça glousse et ça gémit, ça miaule un brin entre deux verres d'anisette, ça raconte "qu'autrefois même c'était mieux", ça dit que "maintenant y a plus rien qui va; qu'on fout le feu aux bagnoles rien que pour rigoler"; ça renifle et ça clapote; ça remonte les fèves au grenier; ça flotte dur dans les fringues de chez Damart-Thermolactyl; ça flageole des gambettes, ça ricane parfois en mâchouillant la tourtière; "et c'était bien en 14-18 quand nos hommes étaient au front, c'est pas qu'on les trompait mais des fois on faisait des entorses à la vertu, fallait bien passer le temps"; ça cascade le blanc doux dans les gosiers; "c'était chouette autrefois les dépiquages et la gerbière et les vendanges avec plein de vin qui dégoulinait des barriques"; on éructe à la cantonade mais on s'excuse pas, ça prendrait trop de temps "et le temps il nous est compté"; on fonce sur le clafoutis de l'Yvonne, on se remet un coup de Monbazillac, du sucré, du liquoreux; on soigne un peu sa goutte, demain on ira "au Docteur", et puis, quand le Rata est bien mûr, quand les bocaux de prunes sont vides, même l'eau de vie y en a plus, on débarrasse les tables et l'Edmond il prend son piano à bretelles et l'Eva elle tambourine sur les assiettes en carton et le Louis il fait des castagnettes avec son couteau et sa fourchette et le "RATADOUCHE" se met en marche, et alors ça chauffe Marcel, ça chauffe tellement que le "Club de l'Eternelle Jeunesse" il est ,à proprement parler, en ébullition et ça tourne autour des tables et par terre y a les mouchoirs en papier, les nappes, ça fait comme la jonchée de la mariée, et le long mille-pattes ondule et se bidonne, et les Aubergines et les Courgettes s'arrosent de confettis et on met des chapeaux pointus avec des ficelles en argent qui pendent derrière, et on souffle dans des mirlitons et des fois on pleure cause au vin mauvais, et on dit "que ça vaut pas les bals musette" et les grands jours de Monbazillac millésimé, y en a qui tombent et on les refile à l'hosto pour que les plombiers de service revissent en douce les cols des fémurs, et les "papimamis" remontent leurs joggings Adidas, primo pour faire plus jeune, secundo pour pas s'empêtrer les grolles dedans, tertio pour serrer un chouïa la viande qui se fait la malle et puis quand le Rata est tout au bord de la fatigue, que l'accordéon miaule comme le chat du Siméon, que les claquettes claquettent plus, y a le Poivron-en-chef-de-la-semaine qui claque des mains au-dessus de sa tête de condor, à la façon d'un danseur de flamenco et ça veut dire qu'il faut faire la danse du balai, remettre un brin de papier blanc sur les tables, que Léon, pour son anniversaire - on est pas tous les jours centenaire -, il a amené une galette des rois du boulanger et du cidre du temps de sa jeunesse et on va trinquer tous en chœur et même la veinarde (y a plus de femmes que d'hommes, c'est comme ça, faut pas chercher à comprendre, c'est simplement la loi du genre), donc la veinarde qui trouvera la fève, d'abord elle en paiera deux autres de galettes et c'est elle qui sera la Chef-Aubergine de la semaine prochaine et la semaine prochaine ça sera au tour du Gustave d'arroser sa carcasse un brin nonagénaire et on fera péter les bouchons et la semaine d'après ça sera encore mieux parce qu'il y aura le pack complet, la Laura, L'Antoinette, l'Amélie qui, à toutes les trois, dépassent les deux siècles et demi, d'ailleurs pour l'occase elles mettront leurs robes de mariées empesées à la naphtaline et on parie que ce sera ce lubrique de Jemblain qui se débrouillera pour les leur piquer les jarretières et on après on fera la quête pour acheter plein de coques avec plein de fèves dedans et comme ça y aura plus que des Rois et des Reines, et le temps passera, les heures, les minutes, les secondes, puis chacun déposera sa couronne, son habit d'hermine, ses écussons en forme de fleurs de lys et puis, de temps en temps, on troquera ses habits de Roi pour les frusques funèbres, pour les nippes d'outre-tombe et on accompagnera Félicia, puis Adélaïde, puis Félicité à leur demeure en forme d'éternité avec du buis tout autour et des plaques avec leurs noms gravés dessus - en doré-, ça fait plus mortuaire, et on dira pour se consoler, "c'est la vie, y a rien à y faire et puis on s'en tire pas si mal tant que ce n'est pas notre tour" et on fera comme un grand conseil de révision dans la salle des fêtes de la Mairie et on recrutera des nouveaux, des fraîchement émoulus des Caisses de retraite et on les intronisera, on leur apprendra les règles de la Grande Confrérie, même on offrira un pot aux frais de la Commune et on invitera des bambins de la Maternelle juste pour leur montrer comment ils seront dans quelques années et puis on s'y prend jamais assez tôt pour les nouvelles recrues, faut bien assurer sa descendance et le soir, quand les gamins seront partis, entre les rouleaux de serpentins, les tas de confettis et la pâte rose qui file entre les doigts, on fera quelques galipettes sur le parquet, histoire de retomber un peu en enfance et le lendemain on aura ses photos dans "La Gazette d'Ouche", entre le Maire et la Cantinière, alors, dites, si ça vous tente pas de rejoindre le Club de l'Eternelle Jeunesse, c'est que vous êtes blindé comme un vieux blaireau, mais vous finirez par y venir, vous aussi, y a l'Odette qui danse si bien la bourrée et l'Yvette qui fait des crêpes si bonnes et l'Andréa qui fait...Oh non je vous dis pas pour l'Andréa, ça serait pas convenable, oh juste une petite allusion pour vous mettre l'eau à la bouche, on dit que l'Andréa elle a le feu au tambour et on est pas mauvaises langues et elle dit elle-même qu'elle réveillerait les sens d'un mort, aussi bien d'un vivant, d'ailleurs, et l'Hubert et le Grégoire y se défendent de succomber aux charmes de l'Andréa et même quand ils frottent un peu avec elle pendant les tangos, ils disent que c'est pas leurs sens qui sont éveillés, que c'est l'Opinel qu'ils ont toujours dans la poche que l'Andréa elle prend pour argent comptant et qu'elle peut toujours se faire des illusions l'Andréa, leur virilité ça fait belle lurette qu'ils l'ont remisée au placard et que "l' ancienne belle" ils dansent avec juste cause à l'arthrose qu'il faut réchauffer pour éviter d'avoir les jambes raides, alors, vous voyez, on y trouve ce qu'on veut à "l'Eternelle Jeunesse", on y trouve des crêpes, du Monbazillac, plein de centenaires et puis, entre nous, vous êtes pas obligé de vous frotter contre l'Andréa, d'ailleurs qui s'y frotte s'y pique, elle se rase plus et parfois on la prend pour son "pôôôvre frère" qui lui ressemblait comme deux gouttes de vin. Alors quoi, vous dites que vous voulez réfléchir avant de prendre l'inscription au Club ? Vous avez bien raison mais réfléchissez pas trop longtemps quand même, vous savez elle tourne si vite la roue et si vous loupez le coche on passera à d'autres et il se peut bien qu'après, vous aurez des regrets éternels marqués sur une couronne avec des perles en céramique tout autour, enfin on veut pas vous filer le bourdon mais des occases comme le Club ça se trouve pas tous les jours et blabla et blabla...

 

 

 

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19 juin 2013 3 19 /06 /juin /2013 10:13

 

  

  Quand Jules se met à parler de ses copains, c'est peut-être l'émotion, peut-être la hâte qui le poussent à la poupe et le tout a tendance à s'emmêler, aussi bien la littérature, aussi bien les considérations existentielles, les métaphores, les clichés, les formules éculées, les lieux communs.  C'est un passionné le Jules, il lui faut lâcher la vapeur, parfois, sinon cela menacerait de déborder, de s'étaler, de finir en crue impossible à endiguer. Mais, rassurez-vous, les copains vont pas tarder à entrer en scène, ils sont tout juste derrière le rideau cramoisi, ils mettent leur nez de clown, ils enfilent leurs gants de magiciens, ils lissent leur moustache en guidon de vélo et alors va y avoir de l'ambiance mais, d'abord, c'est comme le Société Française d'autrefois, faut faire chauffer la boule et quand la mécanique est chaude, que les bielles commencent à tourner, alors…

 

  De mes copains, je vais vous parler et, me lisant, vous aurez un petit échantillon de la "Comédie humaine", oh certes un bien modeste aperçu et vous n'aurez pas l'occasion d'y croiser l'arrivisme élégant d'un Rastignac, l'asservissement aux désirs d'un Rubempré, le profil aristocratique d'un Nucingen. Mes copains et moi nous sommes des Modestes, "des gens sans importance", des "petites gens" de Dublin comme aimait à les décrire James Joyce. Rien que de bien ordinaire, me direz-vous, une sorte de réalisme à la Zola, de naturalisme ouvrier, de vie humble qui se suffit à elle-même, même si, parfois, elle se prend à rêver de sortir des coulisses, d'écarter le rideau cramoisi, d'ignorer le souffleur qui les maintient, à longueur de spectacle, dans les ornières, de renier l'Auteur qui les fige dans des conventions étriquées, de franchir l'avant-scène, de se mêler à la foule bariolée des spectateurs, de gagner les loges, de s'y installer dans des fauteuils de moleskine et d'y contempler simplement le spectacle du monde et alors tout deviendrait possible et les rôles seraient interchangeables et l'on se revêtirait de mille costumes et l'on serait libre de ses mouvements, de ses actes et l'on serait les créateurs de sa propre vie et il n'y aurait plus de frontières, de limites, et l'on serait l'Espace et le Temps eux-mêmes et l'on flotterait longtemps au-dessus de la Terre, si haut qu'on ne verrait plus ni les hommes, ni les villes et seuls les grands oiseaux migrateurs aux ailes éployées nous frôleraient de leurs plumes d'écume.

  Mais je sens que votre impatience s'étale, grossit et enfle à la manière d'une baudruche et je vais donc m'effacer complètement, comme sur la surface cendrée des ardoises magiques, et, chose promise, chose due, je vais vous les livrer mes amis, un peu comme à la curée, mais faites gaffe quand même, ne les avalez pas tout crus, laissez m'en des petits morceaux, des miettes, d'infirmes particules de mes copains, c'est si bon à déguster l'amitié, c'est comme un bourguignon, on  repique toujours au ragoût même si on a encore des morceaux entre les dents !

  Mes copains, je vais d'abord vous les présenter en bloc, comme un bloc de gelée de chez le charcutier, vous les livrer d'un seul tenant comme les terres soudées par une indivision. Mais je vous préviens, c'est simplement une commodité, une question de méthode, une simplification si vous voulez, parce que, en réalité, on est des individualités bien distinctes, d'ailleurs on revendique chacun notre propre marque de fabrique, notre label et on ne cèderait notre estampille pour rien au monde; on a bien le droit tout de même de se distinguer de la meute aveugle et bêlante qui longe les sentiers de poussière sans même se rendre compte qu'elle est une meute et qu'elle repasse éternellement dans les mêmes ornières et qu'elle bêle d'une seule et même voix , tellement pareille à son ombre que c'en est une tristesse abyssale.

  En fait, on constitue un groupe, une famille dont chaque membre peut aller à sa guise où bon lui semble, un clan où chacun se soutient mais veille cependant à son propre intérêt, ce qui, en résumé, signifie que nous ne constituons ni une coterie, ni un être unicellulaire, un genre de diatomée qui ne s'abreuverait qu'à sa propre source, n'engendrant que des lignées d'êtres dupliqués. Uniques nous sommes, uniques nous resterons et, ceci, nous l'affirmons avec la force d'une profession de foi. Mais si nous prenons autant de précautions oratoires avant de nous présenter à vos yeux, c'est bien que nous nous sentons attachés les uns aux autres, à la façon des grappes de moules soudées à leur bouchot, et que nous voulons éviter toute méprise de votre part qui vous conduirait à penser que nous sommes un seul mouton pourvu d'une multitude de pattes.

  N'importe, nous existons et c'est bien là l'essentiel; nous existons même si la plus grande partie de notre existence est maintenant derrière nous et la plus petite devant et, comme dirait Garcin qui a le bon sens chevillé au corps et les pieds sur la terre ferme, nous sommes, pour parler en images, des "vieux boulons", des "vieux débris", de "vieilles rengaines", de "vieux faitouts" dans lesquels nous avons trempé de nombreux croûtons, nous sommes de "vieilles savates", de "vieilles toupies", de "vieux apophtegmes" comme dirait Vergelin qui a des lettres; de "vieilles histoires", de "vieilles fadaises" et, pour tout dire, des "vieux machins", des "vieux trucs", de "vieilles choses". Le problème, vu sous l'angle métaphysique, c'est pas les "débris", les "clous", les "savates", et autres trompe-couillons, le problème c'est le "vieux", le problème, c'est que nous sommes tous "hors d'âge", sortes de vintages de Porto en voie de perdition, fûts millésimés recouverts de poussière et on voit même plus l'année sous les couches successives et on sera bientôt madérisés comme les bouteilles qu'avait l'Oncle François, couchées dans la paille depuis la guerre de Cent ans. Oui, je vous sens un peu perdu et je vais reprendre la main, parce que, quand mes copains se mettent en tête de parler tous ensemble, ça fait une espèce de cacophonie, de rumeur, d'immense bruit de fond et toutes ces voix mêlées finissent par être confuses et on ne comprend plus très bien qui parle à qui, qui veut dire quoi, comment chacun veut dire ce qu'il a à dire, et alors l'écheveau est tellement embrouillé qu'on finit par y perdre son latin. Pour les groupes, c'est toujours pareil, on sait jamais où est la tête, où est la queue, on sait jamais par quel bout tirer la ficelle pour obtenir Dupont, Durand et on attrape souvent Pierre alors qu'on pensait avoir Paul. C'est comme dans la ratatouille quand elle est trop cuite, ça fait une sorte de bouillie et bien malin qui y reconnaîtrait les aubergines, les courgettes, les tomates, les poivrons.

 

 

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18 juin 2013 2 18 /06 /juin /2013 08:05

 

  Où la lucidité de Jules ne fait ni l'économie des autres, Copains ou bien quidams, ni de celle de l'immense "Comédie humaine" qui déroule frasques et anneaux magiques, tours de prestidigitation et autres aimables soties afin de mieux vous enfumer, de tirer quelques marrons du feu. Mais la fausseté, l'hypocrisie, la roublardise  ne font pas leurs choux gras uniquement sur la scène du réel. Ô combien la littérature, le cinéma, le théâtre, la pantomime nous donnent l'occasion de rire de nous, des autres, de nos travers, de nos manies. Comme une manière de condiment à rajouter aux menus événements. Le sel de la vie n'a pas d'autre secret!

Le Groupe. 

  

   Moi, Jules Labesse, j'ai assez parlé de moi. Maintenant, vous devez un peu mieux saisir mes contours, ma perspective, mes lignes de fuite et je parie que vous pourriez même me dessiner sur une feuille de papier, y délimiter des zones de lumière, des zones d'ombre, y projeter quelques hachures, quelques pointillés, et le fusain se ferait parfois plus charbonneux et ça voudrait peut être symboliser mes états d'âme et parfois il y aurait des lignes claires comme l'espoir, des lignes indécises comme le doute, des lignes brisées comme la chute brusque du jour en hiver. Oui, bien sûr, ce ne serait qu'une ébauche, un essai de représentation et votre feuille contiendrait seulement l'une des esquisses possibles de Jules Labesse. Et puis, Jules Labesse ne peut prétendre se définir par la seule vertu d'un exercice solitaire, par le recours à une belle autarcie qui convoquerait le monde pour le réduire à l'espace singulièrement restreint de sa propre dimension.

  Vous vous souvenez, l'Océan Indien, les gouttes, la métaphore de l'un et du multiple, la théorie du savoir à partir du connu pour aller vers l'inconnu. Eh bien, maintenant, le moment est venu et je sens plein de gouttes impatientes qui se pressent autour de moi et leurs bouches jusqu'à présent muettes se gonflent de désir et leurs langues fluides et opalescentes commencent à s'agiter, longs filaments qui fouettent l'eau à la manière des algues, sortes de protestations peut être, et les gouttes, une à une, veulent exister vraiment, veulent qu'on les caresse du regard, qu'on les pare de mots à la façon dont les coiffes des lointaines îliennes s'habillent de fleurs odorantes, et les gouttes, peu à peu, se détachent et font, à la surface de l'eau, des cercles de bulles, des ronds multiples et les hommes penchés sur le rivage ne vivent qu'à les interpréter, à les comprendre, à les assimiler à leur propre savoir, faute de quoi il n'y aurait que ces énigmes en forme d'ondes et les hommes ne seraient pas tranquilles et leur sommeil serait traversé d'étranges et lancinantes questions.

  Donc, si vous le voulez bien, Jules va s'effacer un peu et vous pourrez ainsi distraire votre regard de sa personne, décaler un poil sa silhouette et alors, sur l'espèce de praticable, de décor en carton-pâte qui se dresse au-delà, vous les apercevrez les autres protagonistes, les mannequins de cire et de toile; les acteurs du Musée Grévin aux visages de cire; les marionnettes à fil, celles caricaturales d'Aristophane, celles de Bergman que la société persécute, mais aussi celles des foires qui enchantent le jeune Goethe; vous les verrez de vos yeux incrédules et c'est VOUS qui leur donnerez vie par la grâce de votre regard, l'acuité de votre pensée, la pénétration de vos sentiments; vous les verrez à l'infini les divines marionnettes, celles de Cervantès qui abusent Don Quichotte; celles de Gogol qui peignent les hommes sous les traits de la férocité, des tares, du ridicule, de la bouffonnerie; les Muppets de la télé aussi vous les reconnaîtrez et , peut être, à la façon de Geppetto, taillerez-vous vous-mêmes des marionnettes à votre convenance dans le bois d'une bûche, car vous le savez bien, c'est VOUS et  SEULEMENT VOUS qui tirez les ficelles, et les Autres bougent leurs bras et leurs jambes et les Autres déroulent leur saynète pour vous épater, pour vous être agréable, vous séduire, vous prendre dans les mailles de leur réseau de fils et de poulies, mais aussi pour que vous vous intéressiez à eux, que vous les fassiez exister à la seule force de votre volonté, et vous savez, comme Antonin Artaud le savait, que "tout vrai langage est incompréhensible", tout aussi impénétrable que l'Autre qui vous fait face, que la vérité est cachée sous une infinité de couches, qu'elle est sédimentée, qu'il vous sera nécessaire de ruser avec vos alter ego, d'interpréter leur confus conciliabules de signes, de décrypter leur gestuelle et peut être alors parviendrez-vous à cette "pantomime non pervertie" que l'Auteur du "Théâtre et son double" appelait de ses vœux mais dont il devait douter lui-même, la "folie" de cet homme n'étant que la figure de son extrême lucidité.

 

 

 

 

 

 

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17 juin 2013 1 17 /06 /juin /2013 15:45

 

  Une seule longue, très longue phrase pour dire, l'espace d'une infinie respiration la lucidité, la cruelle réalité, la condition métaphysique dont l'essence de l'homme ne peut qu'être partie prenante; une seule longue tirade, comme on se débonde d'une charge trop lourde, une manière de cri de révolte en même temps qu'un hymne à la vie, une considération désabusée des croyances de l'homme en quelque divinité que ce soit, enfin le couplet en forme de codicille du "Pauvre Martin". Avec Jules, avec les Copains, Tonton Georges n'est jamais bien loin ! Et c'est tant mieux !

Le Sens.

   Ça veut dire que le SENS n'est jamais donné définitivement à la façon d'un paquet-cadeau enveloppé de faveurs et il suffirait de défaire les nœuds pour avoir toutes les réponses sur la vie, les ficelles sur l'existence, les astuces pour déflorer les conceptions du monde. Et tout ça, ça veut dire que Jules Labesse qui vous parle présentement, il est toujours un peu coincé entre l'enclume et le marteau, entre la porte et le fenêtre, et ça veut surtout dire qu'il est assis le cul entre deux chaises, juste à l'endroit exact où se trouve le tiret qui sépare "méta" de "physique", ce qui signifie qu'il n'est ni dans la physique des choses matérielles, ni au-delà de la physique, dans les choses qui seraient célestes, par exemple; il est juste au milieu, juste au mitan comme sur une sorte de "Radeau de la Méduse" qui flotte au centre des éléments et l'on ne sait plus où est l'eau, où est le ciel, et il n'y a plus de terre à l'horizon et la lumière se confond avec l'ombre et il y a autour de vous des monceaux de chair, des tumultes indistincts, des voix perdues, tout un grouillement visqueux semblable à ce que devait être le tout début du monde et de ce chaos émergent des filaments, des protubérances en forme de membres, des giclées de mains qui moulinent l'air, des excroissances ligamentaires, des projections de rotules et de phalanges et Jules Labesse sait déjà que toute cette laborieuse gesticulation, cet effort pour s'exhausser du Néant, pour colmater le Rien, pour diluer l'informe, pour s'illustrer en forme de genèse n'est, en fait, que le début d'une grande catastrophe, et Jules pense qu'on ne peut jaillir de nulle part qu'à l'expresse condition d'y retourner, à la façon de gouttes de pluie qui ne font que réintégrer le cercle des eaux primordiales, et cette idée, ou plutôt cette simple constatation ne le rend ni triste, ni inquiet, ni mélancolique puisque telle est la nature des choses et que, tout bien considéré Jules Labesse est une simple chose, une petite éminence corporelle où la vie bat lentement à la manière d'un souffle mais ce souffle n'est qu'un dépôt transitoire, un hôte de passage et qu'il faudra bien, un jour, lui rendre sa liberté - la seule, sans doute -, et le souffle de Jules Labesse et de ses "frères humains" ira rejoindre le grand souffle universel, celui qui est invisible et que la faiblesse et l'incurie des hommes ont voulu habiller d'un nom, et des milliers de bouches ont alors prié AllahDieuMoïseMahomet mais ces noms ne résonnent que du vide qui les habite et les dieux du Panthéon, ZeusAppolonHéphaïstos, sont sourds et aveugles à la parole des hommes et l'Olympe est trop haut et le ciel est trop vaste pour les imprécations des peuples de la terre et tous les nomades qui parcourent, hagards, les sentiers du monde, lesJules, bien sûr, mais aussi les Ramon, les José, les Antoine, les Marcel, les Yves, les Jean, tous, sans exception, la savent cette vérité qui taraude l'esprit, creuse les consciences, vrille les corps et, chacun à sa façon, y fait face et regarde fixement l'horizon, mais l'horizon est courbe et les vérités sont toujours au-delà, bien au-delà et il y a encore une infinité d'horizons qui s'emboîtent à la façon des poupées gigognes et il y a beaucoup de temps en-deçà et au-delà, et notre temps est si mince, si hésitant, si frêle sur ses pieds d'argile qu'il est saisi de vertige face à la démesure, et alors tous les Marcel et les Jean de la terre, tous les Martin creusent indéfiniment leurs sillons, sachant bien qu'ils peuvent faire leur la phrase du poète, du "François Villon de Sète" :

 

"Pauvre Martin, pauvre misère

Creuse la terre, creuse le temps" ,

 

sachant que leur petite ritournelle, au bout du compte, se terminera comme toujours depuis que le monde est monde :

 

"Pauvre Martin, pauvre misère

Dors sous la terre, dors sous le temps".

 

  Cette seule certitude en forme de finitude, ils l'ont chevillée au corps mais ils n'en parlent jamais. Ils s'assoient dessus et regardent le large horizon où voguent les bateaux, où battent les vagues, où planent les sternes en courbes aiguës qui veulent dire toute la beauté du monde et la profondeur des abîmes aussi et le grand dôme de lumière descend peu à peu du ciel et se pose sur les yeux des hommes et les hommes s'endorment sur leurs corps rompus et arrondis en forme de question.

 

 

 

 

 

 

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16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 09:15

 

    Alors, là, ça commence à se corser. Sans doute fallait-il s'en douter. Quand un simple Magasinier prétend se mêler de philosophie, il semble qu'il y ait danger. Non en raison d'un quelconque élitisme qui ôterait,  d'emblée, la prétention à penser à un individu sous prétexte de son appartenance à un univers trop concret, réaliste, éloigné de toute considération intellectuelle. Le problème, c'est qu'avec Jules et sa bande de branquignoles, il y a toujours danger que cela dérape. Et, déjà, avec Labesse c'est certainement pas évident. Car le Magasinier est amateur de tout, friand de connaissances, chatouilleux du côté concept, avec comme un prurit permanent de la réflexion, un eczéma chronique dans les parages de l'imaginaire. Et puis un brin de lyrisme, ça gâte rien ! Et puis vouloir éprouver l'existence à la manière du minéral, du végétal, est-ce répréhensible ?  Quant à la danse de Saint Guy face à la métaphysique, ça empêche pas le monde de tourner. Et le langage, croyez-vous donc qu'il ait tiré un trait dessus ? Eh bien, non. Bien au contraire, il se complaît à fréquenter les désinences des mots, à girer infiniment sur l'orbe étourdissant du grand cercle herméneutique, chaque signification en entraînant  une autre et, ainsi, à l'infini. Ah, je vous le dis, vous vous êtes mis dans un drôle de pétrin. Suivre Labesse, cela demande, pour le moins, une santé gaillarde ! Alors courage ! C'est toujours les premiers pas qui sont les plus durs sur le chemin vers Compostelle. Et puis, tout le long du trajet, il y a des fontaines pour se rafraîchir et des auberges pour boire un canon. Y a pas de quoi désespérer !

Etre relié au Grand Tout.

 

  C'est ça qui est bien, d'être relié directement au Grand Tout, d'être une simple pierre à la face du sol; un arbuste aux racines plantées dans le limon; un gastéropode glissant sur son pied et alors toutes les rumeurs de la terre entrent en toi et tu es toi-même un fragment de la grande planète et tu n'as plus besoin d'intermédiaire, de médiateurs, d'interprètes; tu vibres quand le sol vibre, tu as chaud quand le sol a chaud, tu claques tes dents de pierre quand le gel habite la croûte terrestre; tu as mal à tes racines quand la terre se fend; ton pied long et baveux se rétrécit quand l'air chaud n'est plus que poussière et tourbillon brûlant.

  Oui, bien sûr, je la sens venir votre critique. Vous voulez démasquer la supercherie, débusquer la faille dans le raisonnement. Dans le raisonnement, bien sûr. Eh bien oui, c'est bien là le problème. Le grand saut, celui du troisième millénaire à la préhistoire, c'est, à l'évidence une pirouette, un tour de main d'un prestidigitateur, une astuce de magicien.

 

Etre auprès des choses.

 

  C'était juste pour vous dire que Jules il aimerait bien être auprès des choses en toute simplicité, dans le genre d'une intimité familiale, comme quand on se sent bien au milieu de ses amis. Seulement, pour parvenir à ça, pour être en prise directe, pour vivre la vie dans son dépliement métabolique, il faudrait plonger notre tête dans un bain d'azote liquide, la maintenir en état d'hibernation pendant que le reste de notre corps vivrait sa vie autonome, de façon quasi animale ou végétative et alors nous n'aurions plus en permanence ces espèces d'hallucinations mentales, de fulgurations obsessionnelles, de réflexions en forme de météorites qui pompent si consciencieusement notre substance et nous réduisent en quelque sorte à néant alors même que nous pensons être plus vivants que la plante, l'animal ou le minéral.

  Mais qui donc est allé voir ce que pensait une fougère, ce que ressentait un rognon de silex ? Peut être bien qu'on serait étonnés. Peut être bien que nos petites spéculations en forme de crochets, de parenthèses, de points d'interrogation ne figureraient plus alors qu'à titre d'épiphénomènes. Finalement on préfère ne pas savoir. Finalement on préfère en rester à notre "humaine condition"On préfère se poser le genre de question qui sert strictement à rien mais qui, au moins, occupe les neurones en toute tranquillité.                

 

La Métaphysique.

 

  On préfère se dire : au fait, la désinence des mots en "tude", si ça veut bien dire l'état de ce qui est fini, solitaire, nègre, alors ça a à voir avec l'Etre, ça veut donc dire avec la nature profonde des choses, avec le sens de la vie, l'essence, le fondement, l'assise primordiale, c'est une question éminemment existentielle, "ontologique" comme disent les Philosophes, lesquels ne se préoccupent, comme chacun sait, que de Métaphysique, ce qui veut dire de spéculations intellectuelles sur des choses abstraites qui n'aboutissent pas à une solution de problèmes réels. Les Philosophes, ils sont "après" la physique, "en dehors" de la physique. Et, d'un air de rien, cet"après", cet "en dehors", ça veut pas simplement signifier que tout ce qui est physique ne nous intéresse plus que comme un vulgaire artefact qui aurait trompé nos sens.   

  C'est exactement le contraire, ça veut dire qu'on est déjà passé "de l'autre côté", et "de l'autre côté"c'est des trucs comme l'Absolula Transcendancela Vérité. Vous avez remarqué les trois mots ? Avec des MAJUSCULES.

  Oui, juste pour vous dire qu'on peut pas fricoter avec ces mots comme avec de simples mots, du genre  "chaussette", "déco" ou "Adidas". Ces mots, comme disent les Futés, ce sont des concepts, c'est à dire des idées, et ces idées ce sont des notions, et ces notions ce sont des connaissances intuitives plus ou moins définies, et ces intuitions sont des savoirs directs et immédiats de la Vérité, et la Vérité c'est la proposition qui emporte l'assentiment général, et l'assentiment c'est l'acte par lequel quelqu'un exprime son adhésion, son approbation à une idée et quand ce quelqu'un se nomme Jules Labesse, ça fait en permanence dans le genre d'un shaker où s'agitent et se frappent et rebondissent inlassablement les concepts, les idées, les notions, les intuitions, les vérités, les propositions, les adhésions, les approbations et même souvent les contradictions, les réfutations, les dénégations, les irrésolutions, les aberrations, les objections, les déductions, les explications, les élucidations, les affirmations, les connotations, et je sais pas si vous avez remarqué mais le langage c'est un peu comme un carrousel ou un Grand Huit, c'est une sorte de ronde infernale, de serpent qui avale sa queue, c'est, philosophiquement parlant, un genre de cercle herméneutique, c'est à dire une théorie de l'interprétation des signes qui fonctionne sous la nécessité d'un mouvement perpétuel, ce qui fait que lorsque tu viens d'acquérir une nouvelle connaissance, c'est un peu comme si tu marchais dans la "Cité Interdite"à Pékin, passant d'une porte à l'autre, d'une salle à l'autre, d'un pavillon à l'autre sans qu'il te soit jamais permis d'atteindre la "Salle de l'Harmonie Parfaite"; là où réside le secret des Empereurs chinois.                                                                 

 

 

 

 

 

 

 

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14 juin 2013 5 14 /06 /juin /2013 09:02

 

    Ici, vous verrez comment la Philosophie peut venir à vous d'une étrange manière. Par le rangement par exemple. Devenir Philosophe ne passe pas nécessairement par un savoir élaboré que quelque Université estampillerait, tant et si bien, qu'aucune autre voie ne serait plus possible. Car, s'initier au système des catégories aristotéliciennespeut aussi bien surgir, à l'improviste, parmi les armoires métalliques et les menus tiroirs dans lesquels trouvent place "tout naturellement" - bien qu'un brin de logique et d'esprit de déduction soit de mise - , ressorts et suspensions dont la Manu n'est jamais à court, Magasiniers et autres factotums étant mal payés pour le savoir. Jules en premier, bien entendu !

 

  Et, pour ma part, si vous voulez bien le croire, l'entièreté de ma personne était mobilisée dans mon boulot : les jambes tout au long du marathon qui consistait à longer les grandes armoires métalliques, à louvoyer entre ses hauts rayonnages, à se perdre même parfois dans le labyrinthe de ses couloirs et dédales; la tête aussi était à la fête, si on peut dire, occupée en permanence à démêler l'écheveau compact des milliers de pièces qui constituaient mon ordinaire : longerons, ressorts, suspensions, essieux, fusées, roues, cylindres, culasses, soupapes, delcos et autres pompes à huile. Souvent mon activité se poursuivait la nuit, m'entraînant dans une sorte de vie somnambulique, manière de zombie soumis, comme Chaplin, dans les "Temps Modernes" aux lois implacables du taylorisme, et il n'était pas rare que je m'éveille en proie aux affres du rangement, ne sachant plus très bien lesquels des cardans ou des différentiels devaient trouver refuge dans tel ou tel compartiment.

  Cependant mon activité ne vint pas au bout de ma raison, laquelle, de proche en proche, se mit progressivement à s'intéresser au "principe des catégories". Dès cet instant, mes rangements ne furent plus guidés que par les notions qui y étaient afférentes. Ainsi toutes les pièces ne pouvaient recevoir d'affectation que selon des critères de temps, de lieu, de quantité, de qualité, de relation, de modalité. Soumis à l'empire du rationnel et de la logique, je faisais mes premiers pas dans les arcanes de la Philosophie, sans m'en rendre vraiment compte, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose à son insu. Oh, une bien modeste philosophie qui n'avait de rapport à l'existentialisme que dans la mesure où mon vécu y était en question. Je ne pouvais encore prétendre en pénétrer l'essence et Kierkegaard n'était, pour moi, qu'un vague nom aux étranges consonances nordiques.

  Donc la nature de mon activité m'avait installé dans un genre d'ambiguïté, un pied dans la pratique, un autre dans la théorie, c'est à dire dans la "contemplation", et c'est pour cette raison que mes copains me considéraient comme un territoire un peu à part, une Principauté, peut être, ou mieux une Confédération de type helvétique, neutre et autonome, située au centre de l'Europe sans cependant en faire réellement partie.

  Mais je crains de devenir tellement ennuyeux avec mes considérations sur mon propre ego, que mon ego va finir par se lasser lui-même de son narcissisme aigu. Je vais vous dire, en fait, tout ce laïus sur la philosophie, les catégories, etc..., c'est juste pour situer un peu les choses. En réalité, avec mes Potes, on est comme l'eau et la terre, on s'absorbe mutuellement et c'est sans doute nos différences qui nous rapprochent le mieux. D'ailleurs, vous en supporteriez beaucoup, vous, des types qui vous ressemblent comme vos propres jumeaux; vous aimeriez vous balader en ville, flâner un peu dans les magasins pour vous changer les idées, alors qu'au détour de chaque gondole vous tomberiez sur votre propre effigie, alors que sur les boîtes de pâtes et de riz, les conserves de cassoulet ou de tripes à la mode de Caen vous ne découvriez que votre propre icône ? Mais ce serait l'Enfer, vraiment et Sartre avait beau dire dans "Huis clos", "L'enfer c'est les autres", en réalité l'enfer c'est nous et seulement nous et d'ailleurs faut pas être Aristote lui-même pour comprendre que, pour l'Autre, nous sommes aussi ce fameux Autre, et y aurait pas pire situation que d'être seul sur une île et bien sûr on aurait pas de miroir mais l'eau tout autour elle oublierait pas de nous la renvoyer notre propre image en forme de finitude, de solitude, de négritude.

  Oui, je sais, vous allez dire le Jules il le cultive son art de la formule, il joue sur les mots, les désinences et les suffixes du genre "...tude", on peut en trouver des brouettes, on peut s'en gargariser, on peut en faire des guirlandes de mots du genre "complétude", "hébétude", "lassitude", "certitude", "plénitude", "servitude" et même, des fois, on cherche dans les dicos, les encyclopédies, et le petit suffixe en forme de "tude", on le trouve nulle part avec la vraie explication qui va avec. Y a pas à dire, c'est vaste le savoir, y a toujours un recoin qu'on n'a pas exploré, et alors il te reste plus qu'à faire marcher ta machine à penser et à y mouliner ton petit suffixe en forme d'énigme, mais vraiment de petite énigme, d'énigme microscopique parce que la réponse tu l'as vite, elle t'est donnée presque avant la question, c'est de l'ordre de l'évidence : la "finitude" c'est l'état de ce qui est fini; la "solitude", l'état de ce qui est solitaire; la "négritude" l'état de ce qui est nègre; la "complétude", l'état, l'état, l'état...enfin, pour moi, c'est un genre d'intuition et, par définition, on peut guère aller contre, sinon c'est plus du tout une intuition, c'est de la logique, de la démonstration, c'est de la ruse qui sort tout droit du "principe de raison" et, à partir de là, t'es complètement dépossédé de ta manière à toi, qui t'est propre de voir le monde, selon telle ou telle de ses coutures, selon telle inclinaison particulière, sous telle lumière, etc...

 

 

 

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13 juin 2013 4 13 /06 /juin /2013 08:36

 

  La vie, l'existence. Ces deux mots si familiers dont le contenu, cependant, nous reste souvent inaccessible, comme si, vivre, était une simple abstraction, un processus dévitalisé nous faisant penser aux automatismes des "Temps Modernes"et alors, nous ne serions que rouages, pignons, courroies. En un mot,  simples assemblages machiniques hors d'atteinte, clavettes et cliquets de renvois nous faisant avancer sur le chemin existentiel à notre insu. Le mot redoutable de "destin" - le fameux "fatum" des Latins - ne trouve guère ses assises d'une autre manière. Fâcheuse impression d'un conditionnement sans fin dont nous n'échapperions qu'au terme du voyage, après avoir franchi la dernière pierre d'achoppement. Alors, distraits de la qualité de la vie, à défaut de pouvoir en déguster la chair savoureuse, le fruité, l'arôme inimitable, nous nous résolvons à n'être plus que des étiquettes sur quelque casier de rangement, identiquement à ce bon Jules Labesse classant, à longueur de vie, ses pièces métalliques et autres rotules et biellettes. L'existence comme pure activité mathématique, algébrique, comme incluse dans les arêtes d'une géométrie étroite. Mais, heureusement, pour se distraire de cet engrenage monotone de la Manu, les Copains sont toujours là…

 

 

 Donc, si ma démonstration vous est apparue un tant soit peu pertinente, si elle a éveillé en vous une démarche qui vous est plutôt familière bien que demeurant souvent inapparente, il ne me reste plus, sans complaisance aucune, soyez-en assurés, qu'à parler de moi avec la retenue nécessaire qui sied aux confidences. Aussi, disposerez-vous, au travers de ma personne, d'un territoire connu, donc d'assises assez fermes à partir desquelles vous pourrez élaborer un savoir sur l'inconnu, à savoir mes habituels compagnons. Ils vous deviendront familiers, presque à votre insu, à la façon dont les meubles qui vous entourent font à tel point partie de votre intimité, que vous les tutoyez quotidiennement sans même y prêter attention. Heureusement, d'ailleurs, les choses autour de vous se font un peu oublier, se fondent dans le paysage car, autrement, votre vie serait une sorte d'enfer permanent, lequel vous occuperait à un inventaire sans fin, à la manière de l'énumération célèbre de Prévert :

 

"Une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur..."

 

  et alors vous seriez tellement occupé à dénombrer l'infinité des choses que vous n'auriez même plus le loisir de faire halte auprès de vous-même, ce qui, toutefois, aurait pour avantage secondaire qu'on ne pourrait vous soupçonner ni de solipsisme, ni d'égocentrisme, ni de vous plonger dans une quelconque auto-pédagogie satisfaite d'elle-même.

Et puis, à propos, l'inventaire ça vous fait penser à quoi ?                                         

  A dénombrement, recensement, classement, je suppose. Eh bien, moi, ça me fait penser à plein de choses qui font un énorme tourbillon autour de ma tête et dans ma mémoire. Ça me fait penser à une sorte d'univers peuplé d'une multitude de galaxies, de planètes, d'étoiles, avec plein de satellites qui tournent tout autour. Et puis, tenez, comme le "Joueur" de Dostoïevski, je vais aller au Casino m'enivrer à la roulette, à la roulette de la vie par exemple. Je vais miser, disons quatre-vingts louis sur la douzaine du milieu (le gain est triple mais on a deux chances de perte contre une, je vous rappelle), et c'est bien sûr, par hasard, la douzaine qui sort. Vous aurez fait aussitôt le calcul, mais, contre toute attente, c'est pas deux cent quarante louis que le croupier va pousser sur le tapis vert au bout se son râteau, c'est simplement un gros jeton de bakélite où il y aura un seul chiffre avec plein de zéros, du style 288 000 000 et vous allez donc penser que le gain est important.

  Eh bien, l'énorme chiffre qui pourrait être celui correspondant à l'argent de poche d'un émir d'Arabie, c'est simplement le produit de 40 x 300 x 8 x 50 x 60, ce qui, énoncé en langage clair, n'est rien d'autre que le résultat obtenu par moi-même, Jules Labesse, au bout de 40 années de labeur assidu, 300 jours par an, 8 heures par jour, tout au long de classements, rangements, étiquetages de 50 rayonnages différents, comportant chacun 60 casiers, et je vous fais cadeau du nombre de pièces figurant dans chaque petit tiroir métallique laqué en vert.

  Vous l'aurez compris, j'étais magasinier à la Manu, et donc considéré comme une sorte de plaque tournante, de lieu stratégique situé entre la fonderie et les ateliers d'assemblage et, à ce titre, passais pour disposer d'un pouvoir secret, à mi-chemin entre les créateurs qui inventaient les techniques et les exécutants qui assemblaient les pièces comme de simples cubes de Lego.   

  De cet état de choses découle sans doute le fait que, dès le début de mon travail, et ce jusqu'à la fin, j'ai pu apparaître, aux yeux de mes copains comme une sorte d'électron libre situé à la limite de deux mondes bien distincts : ceux des cols blancs et ceux des bleus de chauffe; ceux des donneurs d'ordre et ceux qui les mettaient en pratique; ceux qui gambergent dans leur tête et ceux qui assemblent, vissent, taraudent, boulonnent, ajustent avec l'ensemble de leur corps, un peu comme on disait autrefois, "La tête et les jambes", dans une émission célèbre du temps où j'étais plus jeune, alors qu'on ne pouvait décrocher le jackpot que d'une façon totale, avec l'ensemble de son moi rassemblé, cervelle et jambes pareillement à la tâche.

 

 

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