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16 janvier 2020 4 16 /01 /janvier /2020 10:00
Attentive à la douceur des choses (1° partie)

« Le collier de perles »

Kees Van Dongen

Source : Pinterest

 

***

 

Ce matin-là, sais-tu,

le ciel était d’ivoire

et de vermeil,

ces teintes

qui devaient dire

à ton oreille

la douceur du monde.

J’aurais pu marcher

jusqu’au bord

de l’horizon,

je sais que je t’y aurais

rencontrée.

Te confondant avec

 la simple dragée

d’un nuage,

glissant entre

 deux pellicules d’air.

 

Les rues étaient désertes

et l’ou aurait cru

à une sorte

de renaissance.

C’est un sentiment de plénitude

que de coïncider avec la nature,

de marcher tout au bord du rivage

des êtres et des choses

sans faire plus de trace

qu’un flocon virevoltant

au creux de sa venue.

 

Cela coule infiniment,

cela n’a nul repos,

cela vient de soi

et s’éloigne

dans la juste mesure

du temps.

C’est si étonnant

cette chorégraphie

 si furtive,

ce chant proféré

par des lèvres muettes.

Comme une symphonie

intérieure

qui dilaterait la peau,

ferait se lever

l’écume de la chair.

 

Vois-tu, nous sommes toujours

ces marcheurs d’impossible,

ces minces aventuriers

qui ne vivent

que de sensations

et d’amours promises.

Nous les souhaitons

fructueuses,

emplies de ce nectar

qui façonne nos âmes

du plaisir du doute.

 

J’existe, vois-tu,

 mais tu ne le sais pas.

Tous les jours

je passe dans ta rue.

Une seule fois,

ce matin-là,

 j’ai pu t’apercevoir

accoudée à ta fenêtre,

faisant, dans l’air

qui frissonnait,

des volutes bleues

 

La vision a été courte

mais d’autant plus belle.

Oserais-je seulement

te décrire,

 toi qui n’as guère

que la consistance

d’une vapeur ?

Tes cheveux noirs,

mi courts,

qu’une bande de tissu bleu

retenait,

pareil au flux

d’une vague marine.

Ton regard était

comme perdu

dans l’espace,

deux lentilles sombres

que le jour lissait

de son calme infini.

J’aurais pu demeurer

des heures ainsi,

immobile,

n’ayant plus

ni passé, ni futur,

figé dans ce présent

dont il me plaisait

qu’il se donnât selon

le mode de l’éternité.

 

Comprends-tu,

toi mon Esseulée,

ce curieux état

de fascination

qui s’est emparé

de ma chair

clouée à demeure,

de mon esprit

qui n’avait

guère plus d’agilité

qu’un lointain souvenir

un peu écaillé

 par l’usure du passé ?

Je ne sais combien

de temps

je suis resté

à l’ombre de moi-même,

en cette lisière

du parc crépusculaire

qui cachait à tes yeux

ma peu avouable

curiosité.

 

Certes, j’étais Voyeur,

 mais comment lutter

contre cet irrépressible

sentiment d’exil

qu’aurait été mon retrait ?

Plus même, une fuite,

une désertion de qui j’étais.

La belle clarté s’épanouissait

sur la plaine de tes joues,

y dessinant les broderies

du bonheur.

Mais à quoi donc pensais-tu,

toi l’Immobile,

 toi la Secrète

 qui semblais ne vivre

 qu’au rythme

d’une bien sombre joie ?

Car je ne pouvais douter

qu’elle ne t’habitait

qu’à te conduire au bord

de quelque abîme

dont ton existence

me paraissait être tissée.

 

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 17:08

 

Comment estoient reiglez les Thelemites à leur manière de vivre.  Cha. lv.
 
Vignette 197
Oute leur vie estoit employé non par loix, statuz ou reigles, mais scelon leur vouloir & franc arbitre. Se levoient du lict quand bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient quand le desir leurs venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforceoyt ny à boyre, ny à manger, ny à faire chose aultre quelconques. Ainsi l’avoit estably Gargantua. En leur reigle n’estoit que ceste clause. FAICTZ CE QUE VOULDRAS. Par ce qie gens libères, bien enz, & bien instruictz, conversans en compagnies honestes ont par nature un instinct & aguillon : qui touisours les pousse à faictz vertueux, & retire de vice : lequel ilz nommoient honneur. Iceulx quand par ville subiection & contraincte sont deprimez & asserviz : de tournent la noble affection par laquelle à vertuz franchement tendoient, à deposer & enfraindre ce ioug de servitude. Car no’entreprenons tousiours choses defendues : & convoytons ce que nous est denié. Par ceste liberté entrèrent en louable emulation de faire tous, ce que à un seul voyèrent plaire. Si quelqu’un ou quelcune disoyt, Beuvons, tous beuvoient.Si disoit, iouons tous iouoient. Si disoit, allons à l’esbat es champs, tous y alloyent. Si c’estoit pour voller ou chasser, les dames montées suz belles hacquenées avecques leur palefroy guorriers, sus le poing mignonnement portoient chascune, ou un esparvier, ou un laneret, ou un esmerillon : les hommes portoitent les aultres oyzeaux. Tant noblement estoient aprins qu’il n’estoyt entre eulx celluy ny celle qui ne sceust lire, escripre, chanter, iouer d’instrumens harmonieux, parler de cinq à six langaiges, & en icelles composer tant en carmes que en oraison solue. Iamais ne feurent veuz chevaliers tant preux, tant gualans, tant dextres & à pied & à cheval, plus vers, mieulx remuans, mieulx manians tous bastons, que là estoient. Iamais ne feurent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses, plus doctes à la main, à l’aureille, à tout acte mulièbre honeste & libère, que là estoient. Par ceste raison quand le temps venu estoit que aulcun d’icelle abbaye, ou à la requeste de ses parens, ou pour aultres causes voulut issir hors, avecques osy il emmenoyt une des dames celle laquelle l’auroit prins pour son devot : & estoient ensemble mariez. Et si bien avoient vescu à Theleme en devotion & amityé : encores mieulx la continuoient ilz en mariage & autant se entraymoient ilz à la fin de leurs iours, comme le premier de leurs nopces, Ie ne veulx oublier vous descripre un enigme qui feut trouvé au fondemens de l’abbaye en une grande lame de bronze. Tel estoyt comme s’ensuyt.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 17:06

 

Inscription mise sus la grande porte de Theleme.   Chap. lij.


Cy n’entrez pas Hypocrites, bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux boursouflez.
Tordcoulx badaux plus que n’estoient les Gotz.
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz,
Haires, cagotz, caffars empantouflez.
Gueux mitouflez, frapars escorniflez
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus
Tirez ailleurs pour vendre vo’abus.
Vous abus meschans

 

Rempliroient mes champs
De meschanceté
Et par faulseté
Troubleroit mes chants
Vous abus meschans.

Cy n’entrez pas maschefains practiciens
Clers bazauchiens mangeurs du populaire.
Officiaulx, scribes, & pharisiens
Iuges, anciens, que les bons parroiciens
Ainsi que chiens mettez au capulaire.
Vostre salaire est au patibulaire,
Allez y braire : icy n’est faict excès,
Dont en vo’cours on deust mouvoir procès,
Procès & debaz
Peu sont cy desbatz
Où l’on vient s’esbatre.
À vous pour debastre
Soient en plein cabatz
Procès & debatz.

Cy n’entrez pas vo’usuriers chichars,
Brissaulx, leschars, qui tousiours amassez.
Grippeminaulx, avalleurs de frimars,
Courbez, camars, qui en vo’coquemars
De mille marcs ià n’auriez asseze.
Poinct eguassez n’estes quand cabassez
Et entassez poiltrons à chicheface.
La male mort en ce pas vous deface,
Face non humaine
De telz gens qu’on maine
Braire ailleurs : ceans
Ne seroit seans.

Vuidez ce dommaine
Face non humaine.

Cy n’entrez pas vo’rassotez mastins
Soirs ny matins, vieulx chagrins & ialous.
Ny vo’aussy seditieux mutins
Larves, lutins, de dangiers palatins,
Grecz ou Latins : plus à craindre que Loups
Ny vous gualous verollez iusques à l’ous
Portez vo’loups ailleurs paistre en bonheur
Honneur, los, deduict
Par ioieux acords.
Tous sont sains au corps,
Par ce bien leur duict
Honneur, los, deduict.

Cy entrez vous, & bien soyez venuz
Et parvenuz tous nobles chevaliers,
Cy est le lieu ou sont les revenuz
Bien advenuz : affin que entretenuz
Grands & menuz tous soiez à milliers,
Mes familiers serez & peculiers
Frisques gualliers, ioyeux, plaisans mignons.
En general tous gantilz compaignons,
Compaignons gentilz
Serains & subtilz
Hors de vilité,
De civilité
Cy sont les houstilz

Compaignons gentilz.

Cy entrez vous qui le sainct evangile
En sens agile annoncez, quoy qu’on gronde.
Ceans aurez un refuge & bastille
Contre l’hostile erreur, qui tant postille
Par son faulx stile empoizonner le monde.
Entrez qu’on fonde icy la foy profonde.
Puis qu’on confonde & par voix, & par rolle
Les ennemys de la saincte parolle,
La parolle saincte
Ià ne soit extaincte
En ce lieu tressainct
Chascun en soyt ceinct,
Chascune ayt enceincte
La parolle saincte.

Cy entrez vo’dames de hault paraige
En franc couraige. Entrez en bon heur,
Fleurs de beaulté à celeste visaige,
À droict corsaige, & maintien prude et saige,
En ce passaige est le seiour d’honneur.
Le hault seigneur, qui du lieu fut donneur
Et guerdonneur, pou vo’l’a ordonné,
Et pour frayer à tout prou ordonné,
Ordonné par don
Ordonne pardon
À cil qui le donne.
Et tresbien guerdonne
Tout mortel preu d’hom
Ordonné par don.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 17:03

 

Comment le Moyne se deffit de ses gardes, & comment l’escharmousche de Picrochole feut deffaicte.   Chap. xlij.
 
Vignette 155
E Moyne les voyant ainsy departir en desordre, coniectura qu’ilz alloient charger sus Gargantua & ses gens, & se contristoit merveilleusement de ce qu’il ne les povoit secourir. Puis advisa la contenance de ses deux archiers de guarde, lesquelz eussent voulentiers couru après la troupe pour y butiner quelque chose & tousiours regardoient vers la vallée en laquelle ilz descendoient. Dadventaige syllogisoit disant, ces gens icy sont bien mal exercez en faictz d’armes. Car oncques ne me ont demandé ma foy, & ne me ont ousté mon braquemart. Soubdain après tyra son dict braquemart, et en ferut l’archier qui le tenoit à dextre luy coupant entierement les venes iugulares, & artères sphagitides du col avecques le guargareon, iusques es deux adènes : & retirant le coup luy entre ouvrit le mouelle spinale entre la seconde & tierce vertèbre, là tomba l’archier tout mort. Et le moyne detournant son cheval à guauche courut sus l’aultre, lequel voyant son compaignon mort, & le moyne aventaigé sus soy, cryoit à haulte voix. Ha monsieur le priour mon bon amy monsieur le priour ie me rendz, monsieur le priour mon bon amy monsieur le priour. Et le Moyne cryoit de mesmes. Monsieur le posteriour mon amy, monsieur le posteriour, vous aurez suz vos postères. Ha (disoit l’archier) monsieur le priour, que dieu vous face abbé. Par l’habit (disoit le Moyne) que ie porte ie vo’feray icy cardinal, Rensonnez vo’les gens de religion ? Vous aurez un chapeau rouge à ceste heure de ma main. Et l’archier cryoit, Monsieur le priour, monsieur le priour, monsieur l’abbé futeur, monsieur le cardinal, monsieur le tout. Ha ha hes non. Monsieur le priour, mon bon petit seigneur le priour ie me rends à vous. Et ie te rends (dist le Moyne) à tous les diables. Lors d’un coup luy transchit la teste, luy coupant le test sus les os petreux & enlevant les deux os bregmatis & la comissure sagittale, avecques grande partie de l’os coronal, ce que faisant luy tranchit les deux meminges & ouvrit profondement les deux posterieurs ventricules du cerveau : & demoura le craine pendante sus les espaules à la peau du pericrane par darrière, en dorme d’un bonnet doctoral, noir par dessus, rouge par dedans. Ainsi tomba, roidde mort en terre. Ce faict, le Moyne donne des esprons à son cheval & poursuyt la voye que tenoient les ennemys, lesquelz avoient rencontrez Gargantua & ses compaignons au grand chemin. Et tant estoient diminuez en nombre pour l’enorme meurtre que y avoit faict Gargantua avecques son grand arbre, Gymnaste, Ponocrates, Endemon, etles aultres, qu’ilz commençoient soy retirer à diligence, tous effrayez & parturbez de sens & entendement, comme s’ilz veissent la propre espèce & forme de mort davant leurs yeulx. Et comme vous voyez un asne quand il a au cul un oestre iunonicque, ou une mousche qui le poinct, courir cza & là, sans voye ny chemin & gettant sa charge par terre, rompant son frain & renes, sans aulcunement respirer ny prandre repous, & ne sçayt on qui le meut, car l’on ne veoit rien qui le touche. Ainsi fuyoient ces gens de sens deprouveuz, sans sçavoir cause de fuyr, tant seulement les poursuyt une terreur Panice laquelle avoient conceue en leurs ames. Voyant le moyne que toute leur pensée n’estoit si non à guaigner au pied, descend de son cheval, & monte sus une grosse roche qui estoit sus le chemin, & avecques son grand bracquemart, frapoit sus ces fuyars à grand tour de braz sans se faindre ny espargner. Tant en tua & mist par terre, que son bracquemart rompit en deux pièces. Adoncques pensa en soy mesme que c’estoit assez massacré & tué, & que le reste doibvoit eschapper pour en porter les nouvelles. Pourtant saisit en son poing une hasche de ceulx qui là gisoient mors, & se retourna derechief sus la roche, passant temps à veoir fuyr les ennemys, & cullebuter entre les corps mors, excepté que à tous faisoit laisser leurs picques, espées, lances & hacquebutes, & ceulx qui portoient les pelerins liez, il les mettoit à pied & delivroit leurs chevaulx au dictz pelerins, les retenant avecques soy l’orée de la haye. Et Toucquedillon, lequel il retint prisonnier.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 16:59

 

L’estude & diète de Gargantua,
scelon la discipline de ses precepteurs
Sorbonagres.   Chap. xx
Vignette 69
Es premiers iours ainsi passez, & les cloches remises en leur lieu : les citoiens de Paris par recongnoissance de ceste honnesteté se offrirent d’entretenir & nourrir sa iument tant qu’il luy plairoit. Ce que Gargantua print bien à gré. Et l’envoyèrent vivre en la forest de Bière. Ce faict voulut de tout son sens estudier à la discretion de Ponocrates : Mais icelluy pour le commencement ordonna, qu’il feroyt à sa manière acoustumée : affin d’entendre par quel moien en sy long temps ses antiques precepteurs l’avoient rendu tant fat/ niays/ & ignorant. Il dispensoyt doncques son temps en telle faczon, que ordinairement il s’esveilloit entre huyt & neuf heures, feust il iour ou non, ainsi l’avoient ordonné ses regens theologiques, alleguans ce que dict David. Vanum est ante lucem surgere. Puis se guambayoit/ penadoyt/ & paillardoit par le lict quelque temps, pour mieulx esbaudir ses esperitz animaulx, & se habiloit selon la saison,  mays voulentiers portoyt il une grande & longue robbe de grosse frize fourrée de renards : après se peignoyt du peigne de Almain, c’estoit des quatre doigtz & le poulce. Car ses precepteurs disoient, que soy aultrement peigner, laver, & nettoyer, estoit perdre temps en ce monde. Puis fiantoit, pissoyt, rendoyt sa gorge, rottoyt, esternuoit, et se morvoyt en archidiacre, & desieunoyt pour abatre la rouzée & maulvays aer : belles tripes frites, belles carbonades, beaux iambons, belles cabirotades, & force soupes de prime. Ponocrates luy remonstroit, que tant soubdain ne debvoit repaistre au partir du lict, sans avoir premierement faict quelque exercice. Gargantua respondit Quoy ? N’ay ie pas faict bel exercice ? Ie me suis vaultré six ou sept tours par my le lict, davant que me lever. Est ce pas assez ? Le pape Alexandre ainsi faisoit par le conseil de son medicin Iuif : et vesquit iusques à sa mort, en despit des envieux : mes premiers maistres me y ont accoustumé, disans que le desieuner faisoit bonne memoire, pourtant y beuvoient les premiers. Ie m’en trouve fort bien, & n’en disne que mieulx. Et me disoit maistre Tubal (qui feut premier de sa licence à Paris) que ce n’est pas tout l’adventaige de courir bien toust, mais bien de partir de bonne heure : aussi n’est ce la santé totale de notre humanité, boyre à tas, à tas, à tas comme canes : mais ouy bien de boyre matin.
Unde versus.

Lever matin, n’est poinct bon heur,
Boire matin est le meilleur.

Après avoir bien à poinct desieuné, alloit à l’ecclise, & luy portoit on dedans un grand penier un gros breviaire empantouflé, pesant tant en gresse que en fremoirs & parchemin poy plus poy moins unze quintaulx. Là oyoit vingt & six ou trente messes, & ce pendent venoit son diseur d’heures en place, empaletocqué comme une duppe, & tresbien antidoté son alaine à force syropt vignolat. Avecques icelluy marmonnoit toutes ces kyrielles : & tant curieusement les espluschoit, qu’il n’en tomboit un seul grain en terre. Au partir de l’ecclise, on luy amenoit sur une traine à beufz un faratz de patenostres de sainct Claude, aussi grosses chacune, qu’est le moulle d’un bonnet : & se pourmenant par les cloistres, galeries, ou iardin en disoit plus que seize hermites. Puis estudioyt quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre, mais (comme dict le Comicque) son ame estoit en la cuysine. Pissant doncq plein official, se asseoyt à table. Et par ce qu’il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit son repas, par quelques douzaines de iambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d’andouilles, & telz aultres avant coureurs de vin. Ce pendent quatre de ses gens, luy gettoient en la bouche l’un après l’aultre continuement de la moustarde à pleines palerées puis beuvoit un horrificque traict de vin blanc, pour luy soulaiger les roignons. Après mangoit selon la saison viandes à son appetit, & lors cessoit de manger quand le ventre luy tiroit. A boire n’avoit poinct de fin, ny de canon. Car il disoit que les metes et bournes de boyre estoient quand la personne beuvant, le liège de ses pantoufles enfloit en haut d’un demy pied. Puis tout lourdement grignotant d’un transon de graces, se lavoit les mains de vin frais, s’escuroit les dens avec un pied de porc, & devisoit ioyeusement avec ses gens. Puis le verd estendu l’on desployait force chartes, force dez, & renfort de tabliers. Là iouyoit au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe : à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade : iocque : fore, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la sequence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à pair ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, au savatier, au hybou, au dorelot du lièvre, à la tirelitantaine, à cochonnet va devant, aux pies, à la corne, au bœuf \iolé, à la chevêche, à je te pince sans rire, à picoter, à déferrer l’asne, à laiau tru, au boiirry, bourry zou, à je m’assis, à la barbe d’oribus, à la bousquine, à tire la broche, à la boutte fojTe, à compère, prestez moy vostre sac, à la couille de bélier, à boute hors, à figues de Marseille, à la mousque, à l’archer tru, à escorcher le renard, à la ramasse, au croc madame, à vendre l’avoine, à soufSer le charbon, aux responsailles, au juge vit et juge mort, à tirer les fers du four, au fault villain, aux cailletaux, au bossu aulican, à Sainct Trouvé, à pinse morille, au poirier, à pimpompet, au triori. au cercle, à la truye, à ventre contre ventre, aux combes, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à la foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille boucquet, aux roynes, aux mestiers, à teste à teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette, au pourceau mory, à cul sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à la cutte cache, à la maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, à cambos, à la recheute, au picandeau, à crocque teste, à la grolle, à la grue, à taille coup, aux nazardes, aux allouettes, aux chinquenaudes. Après avoir bien ioué & beluté temps, il convenoit boire quelque peu, c’estoient unze peguadz pour homme. Et soubdain après bancqueter c’estoit sus un beau banc, ou en beau plein lict s’estendre & dormir deux ou troys heures sans mal penser, ny mal dire. Luy esveillé secouoyt un peu les aureilles : ce pendent estoit aporté vin frais, là beuvoyt mieulx que iamais. Ponocrates luy remonstroit, que c’estoit maulvaise diète, ainsi boyre après dormir. C’est (respondit Gargantua) la vraye vie des pères. Car de ma nature ie dors sallé : & le dormir m’a valu autant de iambons. Puis commenceoit estudier quelque peu, & patenostres en avant, pour lesquelles mieulx en forme expedier, montoit sus une vieille mulle, laquelle avoit servy neuf Roys, ainsi marmonnant de la bouche & dodelinant de la teste alloit veoir prendre quelque conil aux filletz. Au retour se transportoit en la cuysine pour sçavoir quel roust estoit en broche. Et souppoit tresbien par ma conscience : & volentiers convioit quelques beuveurs de ses voisins, avec lesquelz beuvant d’autant, comptoient des vieulx iusques es nouveaulx. Entre autres avoit pour domesticques les seigneurs du Fou, de Gourville & de Marigny. Après souper venoient en place les beaux evangiles de boys, c’est à dire force tabliers, ou le beau flux, un, deux, troys : ou à toutes restes pour abregier, ou bien alloient veoir les garses d’entour : & petitz bancquetz par my : collations & arrière collations. Puis dormoit sans desbrider iusques au lendemain huict heures.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 16:55

 

Comment Grantgousier congneut
l’esperit merveilleux de Gargantua à
l’invention d’un torchecul.   Cha. xii
Vignette 45
Us la fin de la quinte année Grantgousier retournant de la defaicte des Canarriens visita son filz Gargantua. Là fut resiouy, comme un tel père povoit estre voyant un sien tel enfant. Et le baisant & accollant l’interrogeoyt de petitz propos pueriles en diverses sortes. Et beut d’autant avecques luy et ses gouvernantes : esquelles par grand soing demandoit entre aultres cas, s’ils l’avoyent tenu blanc & nect ? À ce  Gargantua feist responce, qu’il y avoit donné tel ordre, qu’en tout le pays n’estoyt guarson plus nect que luy. Comment cela ? (dist Grantgousier.) Iay (respondit Gargantua) par longue & curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus royal, le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expedient, que iamais feut veu. Quel ? dist Grantgouzier. Comme vous le raconteray (dist Gargantua) presentement. Ie me torchay une foys d’un cachelet de velours de voz damoiselles : & le trouvay bon : car la mollice de la soye me causoyt au fondement une volupté bien grande. Une aultre foys d’un chapron d’ycelles, & feut de mesmes. Une autre foys d’un cachecoul, une aultrefoys des aureilles de satin cramoysi : mais la doreure d’un tas de spheres de merde qui y estoient, m’escorchèrent tout le darrière, que le feu sainct Antoyne arde le boyau cullier de l’orfebvre qui les feist : et de la damoiselle, qui les portoyt. Ce mal passa me torchant d’un bonnet de paige bien emplumé à la Souice. Puis fiantant darrière un buisson, trouvay un chat de Mars. D’icelluy me torchay, mais ses gryphes me exulcèrent tout le perinée. De ce me gueryz au lendemain me torchant des guands de ma mère bien parfumez de mauioin. Puis me torchay de Saulge, de Fenoil, de Aneth, de Mariolaine, de roses, de fueilles de Courles, de Choulx, de Bettes, de Pampre/ de Guymaulves/ de Verbasce (qui est escarlatte de cul) de Lactues/ de fueilles de Espinards. Le tout me feist grand bien à ma iambe : de Mercuriale, de Persiguière, de Orties, de Consoulde : mais ien eu la cacquesangue de Lombard. Dont feu guary me torchant de ma braguette. Puis me torchay aux linceux/ à la couverture/ aux rideaux/ d’un coissin/ d’un tapiz/ d’un verd/ d’une mappe/ d’un couvrechief/ d’un mouschenez/ d’un peignouoir. En tout ie trouvay de palsir plus que ne ont les roigneux quant on les estrille. Voyre mais (dist Grantgousier) lequel torchecul trouvas tu meilleur ? Ie y estoys (dist Gargantua) & bien tout en sçaurez le tu autem. Ie me torchay de foi/ de paille/ de baudusse/ de bourre/ de laine/ de papier : Mais

Tousiours laisse aux couillons esmorche :
Qui son hord cul de papier torche.

Quoy ? dist Grantgousier, mon petit couillon, as tu prins au pot ? veu que tu rime desià. Ouy dea (respondit Gargantua) mon roy, ie rime tant & plus : & en rimant souvent m’enrime. Escoutez que dict nostre retraict aux fianteurs :

Chiart
Foirart
Petart
Brenous,
Ton lard

Chapart
S’espart
Sus nous.
Hordous
Merdous
Esgous
Le feu de saint Antoine te ard :
Sy tous
Tes trous
Esclous
Tu ne torche avant ton depart.
En voulez vous dadventaige. Ouy dea,

dist Grantgousier. Adoncq dist Gargantua.
Rondeau
En chiant l’aultre hyver senty

La guabelle que à mon cul doibs,
L’odeur feut aultre que cuydois :
Ien feuz du tout empuanty.

O si quelqu’un eust consenty
M’amener une que attendoys.
En chiant.
Car ie luy eusse assimenty
Son trou d’urine, à mon lourdoys.
Ce pendant eust avecq ses doigtz
Mon trou de merde guarenty.
En chiant.

Or dictez maintenant que ie n’y sçay rien. Par la mer Dé ie ne les ay faict mie, Mais les oyant reciter à dame grand que voyez cy, les ay retenu en gibbessière de ma memoyre. Retournons (dist Grantgousier) à nostre propos. Retournons (dist Grantgousier) à nostre propos. Quel ? (dist Gargantua.) Chier ? Non, dist Grantgosier. Mais torcher le cul. Mais (dist Gargantua) voulez vous payer un bussat de vin Breton, si ie vous foys quinault en ce propos. Ouy vrayment, dist Grantgousier. Il n’est, dist Gargantua, point besoing de torcher le cul, sinon qu’il y ayt ordure. Ordure n’y peut estre, si on n’a chié : Chier doncques nous fault davant que le cul torcher. O (dist Grantgouzier) que tu as bon sens petit guarsonnet. Ces premiers iours ie te feray passer docteur en Sorbone par dieu, car tu as de raison plus que d’aage. Or poursuyz ce propos torcheculatif, ie t’en prie. Et par ma barbe pour un bussart tu auras soixante pippes Ientends de ce bon vin breton, lequel point ne croist en Bretaigne, mais en ce bon pays de Verron. Ie me torchay après (dist Gargantua) d’un couvrechief, d’un aureiller, d’une pantoufle, d’une gibbessière, d’un panier. Mais o, le malplaisant torchecul. Puis d’un chappeau. & notez que des chappeaux les uns sont ras, les aultres à poil, les aultres velouttez, les aultres tafetassez, les aultres satinisez. Le meilleur de tous est celluy de poil. Car il faict tres bonne abstersion de la matière fecale. Puis me torchay d’une poulle, d’un coq, d’un poulet, de la peau d’un veau, d’un lievre, d’un pigeon, d’un cormaran, d’un sac d’advocat, d’une barbute, d’une coyphe, d’un leurre, Mais concluent ie dys & maintiens, qu’il n’y a tel torchecul que d’un oyson bien dumeté, pourveu qu’on luy tieigne la teste entre les iambes. Et m’en croyez suz mon honeur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirificque, tant par la doulceur d’icelluy dumet, que par la chaleur temperée de l’oizon, laquelle facillement est communicquée au boyau cullier & aultres intestines, iusques à venir à la region du cueur & du cerveau. Et ne pensez poinct que la beatitude des heroes & semidieux qui sont par les champs Elysiens soit en leur Asphodèle ou Ambrosie ou Nectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est selon mon opinion en ce qu’ils se torchent le cul d’un oyzon, et telle est l’opinion de maistre Jean Descosse.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 16:53

 

Comment le nom fut imposé à
Gargantua : et comment
il humoyt le piot.  
Chapitre. vi
Vignette 8
E bonhomme Grantgousier beuvant, et se rigollant avecques les aultres entendit le cris horrible que son filz avoit faict entrant en lumière de ce monde, quand il brasmoit demandant à boyre/ à boyre/ à boyre/ dont il dist, que grant tu as, supple le gousier. Ce que oyans les assistans, dirent que vrayment il debvoit avoir par ce le nom Gargantua, puis que telle avoyt esté la première parole de son père à sa nativité, à l’imitation et exemple des anciens Hebreux. À quoy fut condescendu par icelluy, & pleut tresbien à sa mère. Et pour l’appaiser, luy donnèrent à boyre à tirelarigot, et feut porté sus les fonts, et là baptisé, comme est la coustume des bons christians. Et luy feurent ordonnées dix et sept mille neuf cens vaches de Pautille, et de Brehemond : pour l’alaicter ordinairement, car de trouver une nourrice convenente n’estoit possible en tout le pais, consideré la grande quantité, de laict requis pour icelluy alimenter. Combien qu’aulcuns  docteurs Scotistes ayent affermé que sa mère l’alaicta, et qu’elle pouvoit trayre de ses mammelles quatorze cens pippes de laict pour chascune fois. Ce que n’est vraysemblable. Et a esté la proposition declarée par Sorbone scandaleuse, et des pitoyables aureilles offensive, et sentant de loing heresie. En cest estat passa iusques à un an et dix moys, en quel temps par le conseil des medicins on commencza le porter, & fut faicte une belle charrette à bœufz par l’invention de Iean Denyau, et là dedans on le pourmenoit par cy/ par là, ioyeusement & le faisoyt bon veoir car il portoit bonne troigne, et avoyt presque dix et huyt mentons : & ne cryoit que bien peu, mais il se couchioyt à toutes heures, car il estoit merveilleusement phlegmaticque des fesses, tant de sa complexion naturelle, que de la disposition accidentale qui luy estoit advenue par trop humer de purée Septembrale. Et n’en humoyt poinct sans cause. Car s’il advenoyt qu’il feut despit, courroussé, faché, ou marry, s’il trepignoyt/ s’il pleuroyt, s’il cryoit, luy aportant à boyre, l’on le remettoyt en nature, & soubdain demouroyt quoy et ioyeux. Une de ses gouvernantes m’a dict, que de ce fayre il estoyt tant coustumier, qu’au seul son des pinthes & flaccons, il entroyt en ecstase, comme s’il goustoyt les ioyes de paradis. En sorte qu’elles considerant ceste complexion divine pour le resiouyr au matin faisoyent davant luy donner des verres avecques un cousteau, ou des flaccons avecques leur toupon, ou des pinthes avecques leur couvercle. Auquel son il s’esguayoit, il tressailoit, & luy mesmes se bressoit en dodelinant de la teste, monichordisant des doigtz, & baritonant du cul.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 16:49

 


GARGANTUA

oOo0O000000000000O0oOo
ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ
OooooooooooooooooooooO

LA VIE
INESTIMABLE

DU GRAND
Gargantua, pere de
Pantagruel iadis composée
par
 L’abstracteur
de quinte essence


Livre plein de
pantagruelisme



MDXXXV


On les vend à Lyon, chez
Françoys Iuste devant nostre
Dame de Confort.

  
Au Lecteurs



Amis lecteurs qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection.
Et le lisants ne vous scandalisez,
Il ne contient mal ne infection.
Vray est qu’icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire.
Aultre argument ne peut mon cueur elire.
Voiant le dueil qui vous mine & consomme,
Mieulx est de ris que de larmes escrire,
Pour ce que rire est le propre de l’homme.

V I V E z I O Y E U x
  
Prologue de lauteur.
Vignette 3
Euveurs tresillustres & vous Verolez tresprecieux (car à vous non à aultres sont dediez mes escriptz) Alcibiades en un dialoge de Platon, intitulé Le banquet, louant son precepteur Socrates sans controverse prince des philosophes : entre aultres paroles le dict estre semblable es Silènes. Silènes estoyent iadis petites boites telles que voyons de present es bouticqs des apothecaires, pinctes au dessus de figures ioyeuses et frivoles, comme de Harpies, Satyres, oysons bridez, lievres cornuz, canes bastées, boucqs volans, cerfz limonniers, & aultres telles pinctures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire. Quel fut Silène maistre du bon Bacchus. Mais au dedans l’on reservoit les fines drogues, comme Baulme, Ambre gris, Amomon, Musc, zivette, pierreries, et aultres choses precieuses. Tel disoit estre Socrates : parce que le voyans au dehors, & l’estimans par l’exteriore apparence, n’en eussiez donné un coupeau d’oignon : tant laid il estoit de corps & ridicule en son maintien, le nez pointu, le reguard d’un taureau : le visaige d’un fol : simple en meurs, rusticq en vestemens, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inepte à tous offices de la republicque,  tousiours riant, tousiours beuvant à un chascun, tousiours se guabelant, tousiours dissimulant son divin sçavoir. Mais ouvrans ceste boite, eussiez au dedans trouvé une celeste & impreciable drogue : entendement plus que humain, vertu merveilleuse, couraige invincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, desprivement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, travaillent, navigent & bataillent. À quel propos, en vostre advis, tend ce prelude, & coup d’essay ? Par autant que vous mes bons disciples, & quelques aultres folz de seiour lisans les ioyeux tiltres d’aulcuns livres de nostre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinthe, La dignité des braguettes, Des poys au lard cum commento etc, iugez trop facilement ne estre au dedans traicté que mocqueries, folateries, & menteries ioyeuses : veu que que l’enseigne exteriore (c’est le tiltre) sans plus avant enquerir, est communément repceu à derision & gaudisserie. Mais par telle legiereté ne convient estimer les œuvres des humains. Car vo’mesmes dictes, que l’habit ne faict point le moine : & tel est vestu d’habit monachal, qui au dedans n’est rien moins que moyne : & tel vestu de cappe hispanole, qui en son couraige nullement affiert à Hispane. C’est pourquoy fault ouvrir le livre : et soigneusement peser ce  qui y est deduict. Lors congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d’aultre valeur, que ne promettoit la boitte. C’est à dire que les matieres icy traictées ne sont tant folastres, comme le tiltre au dessus pretendoit. Et posé le cas, qu’on sens literal vo’trouvez matières assez ioyeuses & bien correspondentes au nom, toutesfois pas demourer là ne fault, comme au chant des Sirènes : ains à plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en guaieté de cueur. Crochetastes vo’oncques bouteilles ? Caisgne. Redvisez à memoire la contenence qu’aviez. Mais veistez vo’oncques chien rencontrant quelque os medullare ? C’est comme dict Platon li. 2 de rep. la beste du monde plus philosophe. Si veu l’avez : vo’avez peu noter de quelle devotion il le guette : de quel soing il le guarde : de quel ferveur il le tient : de quelle prudence il l’entomne : de quelle affection il le brise : et de quelle diligence il le sugce. Qui l’induict à ce faire ? Quel est l’espoir de son estude ? quel bien y pretend il ? Rien plus qu’un peu de mouelle. Vray est que ce peu, plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres pour ce que la mouelle est aliment elabouré à perfection de nature, comme dict Galen 3. facu. natural. & 11. de usu particu. À l’exemple d’icelluy vo’convient estre saiges pour fleurer sentir & estimer ces beaux livres de haulte gresse, legiers au prochaz : & hardiz à la rencontre. Puis pour curieuse leczon, & meditation frequente rompre l’os, & sugcer la substantificque  mouelle. C’est à dire : ce que ientends par ces symboles Pythagoricques, avecques espoir certain d’estre faictz escors & preux à ladicte lecture. Car en icelle bien aultre goust trouverez, & doctrine plus absconce que vous revelera de tresaultz sacremens & mystères horrificques, tant en ce que concerne nostre religion, que aussi l’estat politicq & vie oeconomicque. Croiez en vostre foy qu’oncques Homere escrivent l’Iliade & Odyssée, pensast es allegories, lesquelles de luy ont beluté Plutarche, Heraclides Ponticq, Eustatie, & Phornute : & ce que d’iceulx Politian a desrobé ? Si le croiez : vo’n’aprochez ne de pieds ne de mains à mon opinion : qui decrete icelles aussi peu avoir esté songeez d’Homere, que d’Ovide en ses metamorphoses, les sacremens d’evangile : lesquelz un frère Lubin vray croquelardon s’est efforcé desmontrer, si d’adventure il rencontroit gens aussi folz que luy : & (comme dict le proverbe) couvercle digne du chaudron. Si ne le croiez : quelle cause est, pourquoy autant n’en ferez de ces ioyeuses et nouvelles chronicques ? Combien que les dictant n’y pensasse en plus que vo’qui paradventure beviez comme moy. Car à la composition de ce livre seigneurial, ie ne perdys ny emploiay oncques plus ny aultre temps, que celluy qui estoit estably à prendre ma refection corporelle : sçavoir est, beuvant et mangeant. Aussi est ce la iuste heure, d’escrire ces haultes matières et sciences profundes.  Comme bien faire sçavoit Homere paragon de tous philologes, et Ennie père des poëtes latins, ainsi que tesmoigne Horate, quoy qu’un malautru ait dict, que ses carmes sentoyent plus le vin que l’huile, Autant en dist un Tirelupin de mes livres, mais bren pour luy. L’odeur du vin ô combien plus est friant/ riant/ priant/ plus celeste, & delicieux que d’huile. Et prendray autant à gloire qu’on die de moy, que plus en vin ay despendu que en huyle, que feinst Demosthenes, quand de luy on disoit, que plus en huyle que en vin despendoit. À moy n’est que honneur et gloire, d’estre dict et reputé bon gaultier et bon compaignon : & en ce nom suis bien venu en toutes bonnes compaignies de Pantagruelistes : à Demosthenes fut reproché par un chagrin que ses oraisons sentoyent comme la serpillière d’un hord & sale huilier. Pourtant interpretez tous mes faictz et mes dictz en la perfectissime partie, ayez en reverence le cerveau caseiforme qui vous paist de ces belles billes vezées, et à vostre povoyr tenez moy tousiours ioyeux. Or esbaudissez vous mes amours, & guayement lisez le reste : tout à l’aise du corps et au profict des reins.

Mais escoutaz vietz d’azes, que le mau
lubec vous trousque : vous soub-
vieigne de boyre à my pour la
pareille : et ie vous plegeray
tout are metys.

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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 10:42

 

 

Il n’y a pas de bon père, c’est la règle; qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge; au milieu des Énées qui portent sur le dos leurs Anchises, je passe d’une rive à l’autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie; j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais; mais je souscris volontiers au verdict d’un éminent psychanalyste: je n’ai pas de Sur-moi.

Ce n’est pas tout de mourir: il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable; un orphelin conscient se donne tort: offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j’étais ravi: ma triste condition imposait le respect  fondait mon importance; je comptais mon deuil au nombre de mes vertus. Mon père avait eu la galanterie de mourir à ses torts: ma grand-mère répétait qu’il s’était dérobé à ses devoirs; mon grand-père, justement fier de la longévité Schweitzer, n’admettait pas qu’on disparût à trente ans; à la lumière de ce décès suspect, il en vint à douter que son gendre eût jamais existé et, pour finir, il l’oublia. Je n’eus même pas à l’oublier: en filant à l’anglaise, Jean-Baptiste m’avait refusé le plaisir de faire sa connaissance. Aujourd’hui encore, je m’étonne du peu que je sais sur lui. Il a aimé, pourtant, il a voulu vivre, il s’est vu mourir; cela suffit pour faire tout un homme. Mais de cet homme-là, personne, dans ma famille, n’a su me rendre curieux. Pendant plusieurs années, j’ai pu voir, au-dessus de mon lit, le portrait d’un petit officier aux yeux candides, au crâne rond et dégarni, avec de fortes moustaches: quand ma mère s’est remariée, le portrait a disparu. Plus tard, j’ai hérité de livres qui lui avaient appartenu: un ouvrage de Le Dantec sur l’avenir de la science, un autre de Weber, intitulé: Vers le positivisme par l’idéalisme absolu. Il avait de mauvaises lectures comme tous ses contemporains. Dans les marges, j’ai découvert des griffonnages indéchiffrables, signes morts d’une petite illumination qui fut vivante et dansante aux environs de ma naissance. J’ai vendu les livres: ce défunt me concernait si peu.

Jean-Paul Sartre

Extrait de Les Mots (1964)

 

 

 

                                                                                                                                  Source : Incipit - Extraits.

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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 15:16

 

LETTRE XLVI.
Lyon, 2 août, VI.

Quand le jour commence, je suis abattu, je me sens triste et inquiet ; je ne puis m’attacher à rien ; je ne vois pas comment je remplirai tant d’heures. Quand il est dans sa force, il m’accable ; je me retire dans l’obscurité, je tâche de m’occuper, et je ferme tout pour ne pas savoir qu’il n’a point de nuages. Mais lorsque sa lumière s’adoucit, et que je sens autour de moi ce charme d’une soirée heureuse qui m’est devenu si étranger, je m’afflige, je m’abandonne ; dans ma vie commode, je suis fatigué de  plus d’amertumes que l’homme pressé par le malheur. On m’a dit : Vous êtes tranquille maintenant.

Le paralytique est tranquille dans son lit de douleur. Consumer les jours de l’âge fort, comme le vieillard passe les jours du repos ! Toujours attendre, et ne rien espérer ; toujours de l’inquiétude sans désir, et de l’agitation sans objet ; des heures constamment nulles ; des conversations où l’on parle pour placer des mots, où l’on évite de dire des choses ; des repas où on mange par excès d’ennui ; de froides parties de campagne dont on n’a jamais désiré que la fin ; des amis sans intimité ; des plaisirs pour l’apparence ; du rire pour contenter ceux qui bâillent comme vous ; et pas un sentiment de joie dans deux années ! Avoir sans cesse le corps inactif, la tête agitée, l’âme malheureuse, et n’échapper que fort mal dans le sommeil même à ce sentiment d’amertumes, de contrainte et d’ennuis inquiets, c’est la lente agonie du cœur : ce n’est pas ainsi que l’homme devait vivre. (...)

 

                                                                                   Source : Wikisource.

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