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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 20:11

 

Calder : un dessein d'enfant.

 

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                                                                            Source : Google Images.

 

  Calder. L'évocation de ce seul nom et, déjà, le rêve est à portée de main. Nous voulons dire par là que nous pouvons le toucher, nous l'approprier comme un enfant le ferait d'une poupée faite de rafles de maïs et de quelques bouts de chiffon. Car, évoquer Calder, c'est faire immédiatement référence à une manière de jeu, à une existentialité ludique, à une vision ingénue et colorée de la vie. Tout y est joyeux, comme chez son ami Miro, tout y est animé, prêt à se mouvoir, à imiter les fragments de verre du kaléidoscope. Tout y est simple, combinaison des trois couleurs primaires comme chez Mondrian.

  Soudain, la sculpture est devenue facétieuse, spontanée, biomorphique, pareille aux pétales, aux feuilles sous la risée du vent. Et ces minces effigies de tôles, espiègles, volatiles,  réunies par un fil arachnéen, tellement inapparent. C'est comme si un cerf-volant peinturluré avait soudain envahi le ciel, y imprimant ses arabesques colorées. Une douceur en acte. Un glacis à l'usage du vent. Une aquarelle qui, d'aventure, pourrait se fondre dans les coulures de pluie. Des ailes d'oiseau, disons de diamants à tête rouge, pris dans les remous d'air au-dessus des mangroves. Mais peu importent les métaphores, elles seraient innombrables et, jamais ne remplaceraient l'original.

  Mais comment donc Calder, partant de simples bouts de tôle qu'il relie par des tiges de fer parvient-il à tant de légèreté, à tant d'élégance ? Mystère de l'art sans doute. En tout cas nous regardons ces mobiles avec des yeux d'enfants, un peu comme on le fait des jouets en bois de Torres-Garcia ou bien de quelques poupées polychromes inventées par le génial Picasso.

  L'œuvre de Calder est simplement fascinante. Nous ne nous en lassons pas. Nous pourrions demeurer, longtemps, face à ces merveilleux objets en mouvement, tant l'analogie avec la figure du carrousel est hautement visible. Or, a-t-on vu quelqu'un, enfant ou bien parent, se soustraire de bonne grâce à sa bienveillante giration. Le rêve n'est fait d'autre chose que de cette ivresse, de ce "perpetuum mobile" dont , nous-mêmes, sommes tissés jusqu'en la moindre de nos cellules.

  Et, comment ne pas évoquer alors, les splendides Stabiles, monstres monumentaux d'acier peint, lesquels, malgré leur gigantisme, nous invitent pareillement à l'évasion, à l'émerveillement. Là est la marque insigne du grand artiste qui, d'un matériau usuel, banal, parvient à faire une œuvre indépassable dans le temps. Car ce Maître du fer est inimitable, tout comme le sont, avant lui, César avec ses magnifiques compressions ou bien Anthony Caro assemblant avec un rare bonheur poutrelles d'acier et grilles ouvragées. Parfaite maîtrise de la matière qui, dans un même empan du geste, réunit l'infiniment grand à l'infiniment petit. Jamais cosmologie ne trouve meilleure application. Merci Calder de nous procurer autant de bonheur !

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 18:34

 

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                                                                     Source : Musée du Quai Branly.

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 13:44
 Contre toutes les barbaries qui peuplent la Terre,
    ce si beau poème de Jacques Prévert.
Barbara

 

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

Jacques Prévert  Paroles

 

(Source : Le Bac de Français.)   

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 13:07

AFFINITES

 

*Comme Adam et Eve, mettez vous à nu. Parcourez les sillons de votre corps; sentez-y les picots, les élévations, les minuscules éminences : ce sont vos affinités corporelles, vos points de contact avec le monde.

*Toute affinité véritable est empreinte d'un style.

*L'affinité ne se révèle jamais mieux qu'au plein du silence.

*Affinité : alphabet de la relation humaine.

*L'affinité attache les signifiants entre eux afin qu'ils signifient.

*Toute affinité profonde apparaît comme révélation du monde.

*L'affinité portée à l'exigence, voie d'accès à la sagesse.

*L'affinité. Jamais sédentaire. Toujours nomade.

*Affinités entre deux êtres : toujours un chemin à double sens. Topologique. Sémantique.

*Affinité relative : euphémisation du sens.

 

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 09:27

 

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 09:23

 

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30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 08:36
Eloge de l’objet déchu
mardi 30 avril 2013, par Jean-Paul Vialard 
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©e-litterature.net


Eloge de l'objet déchu.

 

 

Photographie de l'auteur.

 

 

Au hasard de nos cheminements, combien croisons-nous d'objets abandonnés, rongés par le temps, desquamés, auxquels nous n'accordons ni attention, ni intérêt. Et, du reste, le monde en serait-il changé, si d'aventure, nous nous disposions à les regarder vraiment ? Certes non. Le monde en question a bien d'autres préoccupations que celle de se pencher sur le sort des détritus et déchets qui jonchent de leur inconséquence les terrains vagues et autres friches. Mais pouvons-nous pour autant les ignorer, les laisser disparaître comme si leurs vies recluses ne témoignait que de leur prochaine éclipse ? Sans doute le pouvons-nous, sans toutefois ignorer que l'art s'est emparé de tels objets afin d'assurer leur rayonnement en les installant aux cimaises des musées.

Ainsi Alberto Burri qui créait des œuvres à partir de matières brutes, sacs en toile de jute, troués, rapiécés, tirant parti des éraflures, des défauts, des incidents de tissage.

Source : Google images.

 

Puis suivent les "Combustions" de matière plastique avec leurs déformations, leurs cratères, leurs boursouflures, leurs convulsions. Puis les "Crevasses" qui reproduisent par leurs fendillements, leurs craquelures, les tensions internes de la terre, parfois la puissance du séisme, sa folie dévastatrice. Une recherche permanente de ce qui décroît, se consume, vit dans les marges, meurt à l'abri des regards, sinon existe parfois mais n'est observé qu'avec mépris ou bien commisération. Image des bas-fonds dans lesquels, finalement, toute société consumériste finit par projeter, reléguer, tout ce qui la gêne, la met en question, alors qu'une éthique devrait prendre place, une autocritique s'instituer. Mais de telles manifestations sont rares, les recyclages par le biais de la création, infinitésimaux.

 

 

*****************

 

Ainsi Lucio Fontana qui lacère ses toiles au poinçon, les incise au cutter, faisant parfois appel à des éclats de verre, à du gravier afin d'introduire dans l'œuvre une matière signifiante, hérissée, agressée autant qu'agressive, comme saisie d'étonnement, de sidération. Il faut percer "l'illusion" de la toile, lui restituer un langage qu'un art conventionnel, bourgeois lui a ôté. Il faut trouer l'épiderme, il faut désoperculer ce qui se dissimule tout juste au-dessous de la ligne de flottaison existentielle. Il faut mettre au grand jour ce qui, habituellement se voile ou bien que nous voilons à la mesure de notre refus d'envisager le monde selon ses coutures, ses cicatrices, ses blessures.

 

Source : Google images.

 

************************

 

 

Ainsi Jacques Villeglé et sa collection d'affiches lacérées prélevées directement sur les murs des villes et transposées artistiquement sur ceux des espaces d'exposition, des galeries. Mais jamais il ne s'agira de l'affiche originelle, soigneusement composée, subtilement ouverte à l'iconographie commerciale et matérialiste. Pas plus que du média abouti visant à conditionner le consommateur, à l'amener à renoncer à tout libre arbitre afin que, libéré de ses retenues, de ses a priori, il puisse se livrer à une nouvelle sacramentalité au centre de laquelle trônera, comme sur un piédestal, l'objet élu, désiré, sanctifié.

Non, Villeglé leur préférera l'affiche usée, délavée, soumise aux caprices du temps, à la lente érosion, à la soigneuse et efficace déconstruction de l'image, laquelle, de ce seul fait, se trouve porteuse de subversion, acculée aux rencontres hasardeuses, aux conflits des messages imbriqués dans une manière de bannière polyglotte aux couleurs abruptes, aux configurations souvent révolutionnaires. Perversion d'une volonté marketing métamorphosée en son exact contraire, à savoir la mise à mort de ce qui en constituait l'essence aliénante et usurpatrice. C'est à une telle inversion des valeurs que nous convie l'art de l'Affichiste. Art de la rébellion, du refus, de l'anticonformisme, du rejet des formes imposées. Art libertaire.

 

Source : Google images.

 

*****************

 

 

Ainsi Kurt Schwitters qui s'empare de fragments de bois, d'objets au rebut, de métaux antiques rouillés, de coupures de journaux et, dans l'esprit Dada, libre et anarchiste, crée un nouveau lexique formel dénué de toute référence à l'art académique, aux canons esthétiques. Son activité se lit comme une remise en cause des standards industriels et des dictats de la société urbaine. Œuvre dérangeante s'il en est, politiquement connotée à la façon d'une entreprise déstructurant les harmonies sociales, elle figurera, à ce titre, dans "L'exposition d'art dégénéré", à Munich en 1937.

 

Source : Google images.

 

*****************

 

Avec BurriFontanaVillegléSchwitters s'écrit une nouvelle page de l'art, une perspective radicalement novatrice qui privilégie le geste par rapport à l'objet. Le matériau fini est moins en question que l'acte subversif qui a prévalu à sa création. Bois, fer, chiffon, gravier, terre, papier déclinent, chacun à leur façon, leur propre mode d'être qui s'inscrit dans tout destin commis à les consommer. Toutes ces œuvres, globalement situées dans la lignée de ce que l'on a nommé "arte povera", ne sont "pauvres" que par le fait qu'elles pratiquent " un détachement volontaire des acquis de la culture." (Wikipédia). Avant tout elles sont des modes de réflexion sur le rôle central que toute création doit jouer afin de ne pas demeurer dans une esthétique purement conformiste détachée de sa mission existentielle. Regardés différemment, ces objets du quotidien s'expriment en un langage que, de plus en plus, nous aurons à interpréter faute de quoi notre manière d'être au monde continuera de faire abstraction des "ruines" sur lesquels elle fait reposer son infinie croissance.

"Arte povera" : à première vue cette expression quelque peu "indigente" pourrait nous faire croire à un oxymore opposant frontalement le sublime de l'art au plus confondant dépouillement qui soit. Il n'en est rien. L'essence de l'art ne réside jamais en l'objet qui le constitue mais au sens que nous lui attribuons. L'Artiste en premier lieu, nous les Voyeurs qui parachevons l'œuvre à l'aune de ce qu'elle nous annonce.

 

 

 Photographie de l'auteur.

 

 

 

 

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 09:02

 

On n'aborde jamais un long texte qu'à la manière dont on courtise une maîtresse !

 

 

  A propos des textes classés sous la rubrique "Néo-fantastique". Les quelques textes qui vous sont proposés sont longs et, souvent, d'accès difficile. Ceci en raison de l'adoption de thèmes "extra-ordinaires" au sens strict et, ensuite du recours à une écriture non conventionnelle. Bien évidemment, qu'il s'agisse du Blog ou bien des Réseaux Sociaux, ce sont les textes les plus courts qui bénéficient de la meilleure audience. Ce fait s'inscrit, tout simplement, dans une pratique du média de type "journal". Aller à l'essentiel le plus vite possible. Cependant l'intérêt de ces supports consiste tout autant à permettre la diffusion de textes plus longs, plus étoffés, cherchant à se situer dans une certaine profondeur, en même temps que sont expérimentées de nouvelles façons d'aborder l'écriture. Pour les curieux qui seraient tentés d'aborder ces textes mais qui reculeraient devant l'ampleur de la tâche, des MORCEAUX CHOISIS sont publiés à leur intention, afin qu'ils se hasardent sur quelque sentier inhabituel.

  Pour tous les "boulimiques" de lecture, aussi bien d'ailleurs que pour les "anorexiques", qu'il nous soit permis, ici, de leur communiquer une petite astuce qui leur sera précieuse face à un texte dont ils redoutent la complexité ou bien la longueur. Voici comment procéder : ouvrir un livre qui suscite votre intérêt à n'importe quelle page et lire, au hasard, quelques extraits significatifs. Puis poursuivre cette exploration en maints endroits du texte afin que se dégagent quelques affinités, que se crée du désir. Ceci revient, en amour, à pratiquer le flirt plutôt que l'assaut et l'art de la guerre. Expérimenter ceci donne des résultats étonnants et "l'Aimée" révèlera ses charmes bien plus tôt qu'espéré !

  Afin de vous initier en toute simplicité à cette esthétique de l'approche et reprenant la formulation de la très célèbre et talentueuse Duras, "même en cas de détestation",  osez vous immiscer parmi la touffeur des pages. Sans doute beaucoup succomberont sous le premier assaut alors que d'autres poursuivront leur découverte avec quelque audace. Et ceci, l'impression que vous retirerez de votre lecture ne se révélera, au mieux, qu'au bout de quelques pages. Il en est ainsi du marathonien qui n'atteint son rythme et la production d'endorphines qu'après bien des foulées. Mais, pour user d'autres métaphores, sachez que l'on ne pratique jamais la "noire idole" (l'opium) que par petites touches successives. Il en est de même pour le poison dont on ne peut contourner la puissance mortifère qu'à confier son corps à une patiente mithridatisation.

  En guise d'instillation d'une veuve noire, sans doute repoussante, mais infiniment bien disposée à votre égard, voici un mince extrait tiré de "Fin de partie héliopolitaine" :

 

  "Siméoni sortit peu à peu de sa torpeur. "Bizarre, tout de même, se dit-il, cette impression de légéreté." Sa tête flottait en haut de son corps, menue, aiguë, infiniment mobile, surmontée de deux cils vibratiles, peut-être d'antennes métalliques; ses yeux étaient deux globes disproportionnés, divisés en un myriade de fragments sur lesquels ricochait la lumière."

 

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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 08:18

 

  Au début, au tout début, on ne s'était aperçu de rien. Tout dans l'immobile, tout dans la pesanteur. Les rues, on les longeait, il est vrai, précautionneusement, le dos courbé, les membres flasques, les bras attirés par les failles de poussière. Simiesques, harassés, claudiquant. On avançait malgré tout. Par petits bonds, par petites secousses, genre d'éjaculations rétrocédant vers une fin proche. Regard plaqué, alourdi. Pupilles à l'étroit. Sclérotique jaunie comme un vieux parchemin. Avancer n'était pas le plus pénible : rotations de rotules, basculement des hanches, percussion des calcaneus, repliement des métatarses, flexion des phalanges sur les aires de bitume et de ciment.

  Méditer sur la locomotion, au contraire, devenait problématique. On avait du mal. Les idées s'embrouillaient, faisaient des écheveaux, des pelotes compactes, des tresses élastiques. Tout rebondissait dans les cerneaux poisseux du cortex. Tout refluait vers la banlieue occipitale en images kaléidoscopiques, en tranches gélatineuses, filandreuses. Clichés tressautant, pareils aux vieilles lanternes du cinéma muet. Vibrions, glaires, mouches visuelles, lentilles microscopiques, paillettes, glaçures de mica, griffures de celluloïd, virgules merdiques, pâtés sablonneux. Vision éthylique. Pré-comateuse. Distillatoire. Mouches d'ébène percutant le regard de leurs membranes vitreuses. Symptômes, symptômes, percussion de symptômes sur la peau longuement tendue, dilatée de la conscience. Mais la conscience n'était tendue qu'à la mesure de sa vacuité. Non déployée vers une quelconque transcendance. L'opposé. La réclusion dans le gouffre. La perte liquide dans la faille terrestre.

 

 

 Dans le ciel,  une couronne de flammes qui se met à rouler au zénith et l'air est une immense toile blanche éblouissante qui crépite et lance ses flèches au hasard sur tous les coins de la cité clouée de chaleur. Dans les boîtes de ciment et de plâtre, dans les cellules de béton, au creux des caniveaux, dans les rues, les nappes d'air font leurs grosses boules d'étoupe et de laine, leurs caravanes de feux follets. C'est le début de la fin de partie.

 

 

 

Ham : T'as parlé, Hom ?

Hom : J'ai pensé.

Ham : T'as pensé tout haut !

Hom : On pense toujours tout haut. Sinon pas de pensée !

Ham : Certains pensent tout bas,  entre leurs jambes.

Hom : Pas plus haut que leurs culs.

Ham : Certains pensent qu'il faut pas penser.

Hom : Pas penser. Pas penser à quoi ?

Ham : Penser à rien.

Hom : Ça  peut pas !

Ham : Ça peut pas quoi ?

Hom : Penser le rien .

Ham : Penser, c'est toujours penser le rien.

Hom : Le néant.

 

 

Oui, les Héliopolitains disaient cela en regagnant leur cellule de terre aventureuse. Mais le voyage s'enlisait bientôt. On écartait les lames osseuses des stores, on mâchait  quelque chose sans importance. Un vermisseau, un bout d'imprimé, une larve de cellulose ou bien un des doigts qu'on portait dans le prolongement de son anatomie d'idiot majuscule, dont on ne faisait quasiment rien, sinon curer ses fosses nasales ou enfoncer dans ses pavillons acoustiquement déficients les tonnes de cire molle qui y trouvaient refuge. On regardait le paysage. Le ciel vibrionnait sous les assauts gluants d'une armée de gros vers gras grotesques. Les nuages, empourprés par le dieu Atoum, se faisaient la malle dans un drôle de bruit de cymbales. La pluie, suspendue en grosses gouttes gélatineuses faisait son frôlement de gemmes alanguies, attendant un ordre divin avant de se précipiter dans un grossier déluge dévastateur. L'horizon, sous la tornade de rayons solaires, ondulait, pareil à une étrange Muraille de Chine parcourue de dragons hystériques. Cependant que Ham et Hom, enlisés dans leurs berges pluviométriques, pissaient à la Lune en aboyant pareillement à une meute de coyotes.

 

 

 Au-dessus d'Héliopolis, alors qu'on dort encore dans les termitières tuberculeuses remplies du miellat obscur des passementeries et fantaisies oniriques, le dieu Khépri, le dieu-scarabée, pousse devant lui sa boule d'argile aux rayons multiples. Rougeoiement de chaudron, bouillonnement des énergies premières pareilles à des braises, éclosion du jour, filaments de lumière venus dire aux hommes le moment de s'éveiller, de commencer à nager dans l'océan de photons éblouissants, d'étoiler les pulsations de la conscience, d'ouvrir ses yeux, de dilater ses pupilles jusqu'à la merveilleuse mydriase, là où la connaissance commence à s'éployer, à féconder les jours, à leur donner sens et orientation.

 

 

 Acte III

 

(La scène : Soleil levant. Ham, Hom émergeant à peine de leurs boîtes difformes et pléthoriques : bouts de papier; croûtons; pensées minérales; membres épars.

Passants : nuls et non avenus. Rêvant seulement dans leurs couettes emplumées de circulaires certitudes.)

 

 

Ham : Au bout de la nuit vient le jour.

Hom : Lopettes !

Ham : Je vais me fâcher pour de bon, individu Hom !

Hom : Individu Ham, c'est aux  Endormis que j'adresse ma merdique altercation.

Ham : Et, pourquoi "Lopettes" s'il te plaît ?

Hom : Parce qu'il me plaît !

Ham : Et pourquoi te plaît-il, Mister Hom ?

Hom : Parce qu'il me plaît de me complaire en la présence des lopettes larvaires décadentes   qui peuplent la planète de leur désolante absence.

Ham : Voyez donc l'Impertinent !

Hom : Qui vous dit merde, clochardisé de rien. Pet de nonne.

Ham : Engeance de mouche plate aux yeux étalés.  

Hom : Petite bite fornicatoire du néant coagulé dans ta cervelle obtuse. Mais qui donc te...

Ham : Myéline avortée. Andouille névrotique.

 

 

 

Maintenant, le dieu-Khépri est installé dans le premier cadran du ciel levant, rayons dilatés, boules d'argile irradiant la clarté primordiale, comme au jour de son antiquité. Khépri parle la langue solaire qui dit sa longue mémoire, son apparition au matin du monde :

 

 "Je suis l'Eternel, (le Créateur), je suis Ré qui est sorti du Noun en ce mien nom de Khépri, pour apporter aux Non-encore-dévoilés, la parole puissante de la lumière, son multiple rayonnement, afin qu'éclairés par ma volonté, les Héliopolitains naissent d'abord à eux-mêmes dans l'étalement du Simple, avant que ne s'irise la dispersion qui abuse les yeux, mutile les désirs, les métamorphose en passion à la gueule dévorante comme le dragon.  Que les Appelés-au-jour parcourent leur  chemin en conscience, dans la blancheur fécondante, ouvrante. Ainsi leur sera dévoilée  la Vérité qui guidera leur course hasardeuse parmi le sentier lumineux des astres bien disposés à les servir et de cela, de la nécessité du Simple, du Vrai, ils devront se souvenir, abritant la brillante et malléable argile dont ils proviennent pour l'éternité.  Qu'ils se souviennent de la genèse  de Khépri, leur Serviteur, arrivé à sa forme déployante grâce à sa seule volonté, afin qu'en eux-mêmes, ils reproduisent cette royale naissance!"

 

 

  On en était arrivé là par une belle inconscience, par une cécité compacte, par un dédain de ce qui faisait l'essence de l'homme: à savoir son langage, son art, son histoire, sa religion, son éthique.  On avait simplement forniqué longuement sur des lits d'infortune, sans bien se soucier de ce qui résulterait de ces accouplements sauvages. On avait bu la première ambroisie venue, fût-elle la boisson la plus fatidique, laquelle emportait avec elle le peu de libre-arbitre dont la vie s'était fait prodigue. On s'était rué sur les victuailles empilées sur les étals du monde avec une belle voracité, ne cherchant nullement à partager la provende. On avait usé ses yeux à regarder des filles livrer leurs corps juvéniles aux assauts de riches et pléthoriques minotaures. On avait roulé dans de lumineux carrosses, dans de vieilles guimbardes peinturlurées, cabossées, crachant leurs tonnes de CO2 meurtrier. On avait pissé, déféqué dans des fleuves aux eaux translucides. On avait plongé des trépans dans le ventre doux de la terre afin de lui subtiliser le fruit de ses immémoriales métabolisations. 

 

 

 Un Paumé-parmi-le-néant, nommé "Glob", autrefois "Siméoni" dans son ancienne configuration humaine, s'éreinte les reins, s'échine l'échine, s'époumone les poumons, à faire cuire un peu d'eau dans une cucurbitacée du doux nom de "Berdouille". Ça jouille dans les graines, ça rimulle en grosses bulles ubuesques, ça gigote et planisphère et ça finit par gamuler en gaz flattant les antres piriformes de Glob, lequel a laissé tomber dans les cataractes fusionnelles quelques grains d'anis étoilé et deux abdomens de ses congénères termites hors d'âge. Après avoir bu le liquide émollient, après une rapide toilette, après un regard dans le miroir sans tain, Glob emprunte la galerie qui donne accès à l'extérieur. La porte est refermée sur les sombres vicissitudes de la termitière. On n'entend plus que le craquement de l'harmattan aux angles des bâtisses.

 

 

 

Sur le front : coupable de rêver.

Sur les paupières : écorces usées de la conscience.

Sur les joues : planisphères étroites de l'envie.

Sur les lèvres : négations de la vérité.

Sur l'à-pic du menton : promontoire de l'arrogance.

Sur les rocs des maxillaires : volonté égocentrique.

Sur la buse du cou : déglutition de l'amertume.

Sur les collines des épaules : esquives existentielles.

Sur les plateaux des pectoraux : défi de l'autre.

Sur l'épigastre : nœud gordien de la relation.

Sur l'ombilic : gratification de l'ego.

Sur les hanches : tango de la volupté.

Sur la plaine abdominale : plaisir immédiat.

Sur le scrotum : fidélité intempestive.

Sur les genoux : fausse rédemption.

Sur les pieds : corruption terrestre.

 

 

 

 

Maintenant les choses n'étaient plus réversibles. La grande sécheresse avait tout dévasté, jusqu'aux idées qui n'avaient pu résister à l'immense réification. Tout était devenu sec, compact, replié, sourd, aveugle. La conscience était devenue une simple chose. L'intelligence, une chose. La mémoire, une chose. L'imaginaire, une chose. L'intuition, une chose. L'histoire, la science, la religion, la spiritualité, l'art, la politique, l'éthique, la liberté, la vérité, le beau, le bien, le vrai, choses, choses, choses, et ainsi jusqu'à l'infini du temps fini.

 

 

 

Siméoni sortit peu à peu de sa torpeur. "Bizarre, tout de même, se dit-il, cette impression de légéreté." Sa tête flottait en haut de son corps, menue, aiguë, infiniment mobile, surmontée de deux cils vibratiles, peut-être d'antennes métalliques; ses yeux étaient deux globes disproportionnés, divisés en un myriade de fragments sur lesquels ricochait la lumière.

 

 

"Ô toi, source de toute vie, pénètre mon âme
et purifie-moi de corps et d'esprit,
Que toutes les ombres qui sont en moi se dissolvent,
que l'harmonie cosmique pénètre toutes mes cellules.
Tu es le père de mon esprit, le but ultime de mon
existence est de rayonner à ta ressemblance.
J'ai décidé d'être un soleil. Qu'il en soit ainsi."

 

 

 

La diatribe était sévère mais sans doute méritée. La parole de Rê, ses rayons de lumière ne pouvaient mentir. Sim... ramassa ce qu'il put de ses fragments épars, pattes de criquet, mandibules et tête de mante, crochets venimeux de mygale, quelques lambeaux de son ancienne gloire anthropomorphe et, claudicant-sautant-de-guingois, il se hasarda à avancer parmi la solitude des contrées dévastées par la brume effervescente. Croisant d'étranges silhouettes, pieds fichés en terre, tête se sustentant au-dessus du vide, bras arrêtés dans l'attitude de la marche, langues soudées entre elles dans un étrange conciliabule, barbes lévitant, scrotums dégorgeant leur dernier jus,  positions fécales suspendues, mutineries amoureuses comburées, passions liquides, répliques vissées dans l'air tendu, Sim.. progressait par petits à-coups, pareillement à la miction bégayante de vieillards prostatiques, par petites giclées de nourrice prise en flagrant délit de rétention lactaire, par petites émotions, par menus sauts parkinsoniens, par petits doutes cartésiens.

 

 

Ham : Hom, vois-tu ce que je vois ?

Hom : Non, Ham, je vois ce que je vois. Un point c'est tout !

Ham : Et, pourrais-je savoir ce que tu vois que je ne vois point ?

Hom : Assurément. Je vois que tu n'as pas vu ce que je regarde.

Ham : Et ce que tu regardes aurait-il plus d'importance que ce que je regarde ?

Hom : Ce qu'on regarde soi-même est toujours plus important.

Ham : Et, Hom, t'importerait-il que j'accorde ma vision à ce que tu observes ?

Hom : Sans doute, vieille Boîte pareillement déglinguée à la mienne !

Ham : Et, par une juste réciprocité, m'accorderais-tu la  faveur de jeter un œil sur ce que je vois ?

Hom : Un seul. Après la cécité !

Ham : Mais la cécité, parfois avec les deux.

Hom : Même ouverts ?

Ham : Surtout.

 

 

 

(C'est au tour des oreilles, ou du moins  ce qui reste des pavillons, de déserter les contours échancrés de leur possesseur).

 

Les Oreilles : Que ne me laisses-tu attachées à mon rocher originel ? J'avais encore tant de choses à entendre, tant de choses à écouter avec passion !  

Juge Hom : Sornettes que tout cela. Qu'avez-vous fait, esgourdes vaseuses, sinon vous ouvrir aux confidences miteuses, sinon vous faire le réceptacle des calomnies, des procès en diffamation, sinon dilater vos conques mielleuses pour y recueillir des conseils véreux, écouter le vent délétère des sourcilleux, des tordus de l'âme, des haineux de toutes sortes ?

 

 

 

Comment l'homme peut-il oublier cela, cette longue coulée d'airain, de métal en fusion qui fait un fleuve continu depuis la courbe de notre conscience et s'étoile, loin au-dessus des choses immanentes, tangibles, fragiles. Ce que les yeux peuvent voir, ce ne sont pas seulement les objets, les haches de pierre, les lacis de racines, les accumulations de pierre. Ce qu'ils peuvent voir va bien au-delà, au centre des choses et autour d'elles, là où vibrent les gestes des civilisations, les remous de l'inconscient, les vivantes érections du sens. Constamment les yeux voient l'invisible, perçoivent l'indicible, l'immatériel, les événements ténus, inapparents. Il suffit de s'y disposer, de s'y exercer. Il n'y a pas d'autre secret, d'autre exigence. Une inclination, les conditions du surgissement des affinités. Lorsque tout est en relation, uni, en osmose, les choses, naturellement, tiennent leur langage essentiel.

 

 

Cependant, Faucon-Enragé désossait consciencieusement son cobaye, ne prenant même pas soin de trier les morceaux. Quelques filaments de peau attachaient encore les bras aux clavicules teigneuses. Faucon, d'un coup incisif de bistouri, détacha les morceaux comme un boucher, expert dans son art, sépare aiguillettes et gîte nerveux, sans autre forme de procès. Donc les bras gisaient à terre dans un jus rosâtre que saupoudraient  des poussières cendrées pareilles à celle issues de la gueule des volcans. Le peintre Soutine, grand expert en poulets vidés, plumés et autres charognes éventrées aurait eu matière à réflexion pour réaliser ses natures mortes, lesquelles n'avaient jamais si bien porté leurs noms que sous le pinceau du natif de Biélorussie. Mais le propos de Ham-Hom n'était pas d'étudier le réalisme en peinture, fût-il des plus arrogants, mais de considérer la nature humaine selon ses diverses coutures. Il restait fort à faire !)

 

 

(Présentement, les Mains n'étaient que de minuscules vanités, de simples repliements, de minables effondrements d'inconséquences cumulées. Pareilles à de vieux gants mités qu'on aurait abandonnés sur un chantier, au milieu des gravats, des poussières de ciment et des tourbillons de vent. Autour d'elles, dans une mare carmin, s'ourlaient des meutes de lambeaux vaguement humains. Parfois, sous l'effet des tourbillons d'air ou des tremblements du sol, les doigts, singulièrement animés d'une sorte de danse de Saint Guy, tenaient un étrange langage des signes. C'était une langue morte, blanche, muette à la mesure des gesticulations désordonnées et, pour tout dire, tragique. Pseudo-aphasie, balbutiements, glougloutements pareils à la chute régulière de gouttes résonnant dans le silence des grottes.)

 

 

 

Hom : Que s'est-il passé, Ham ?

Ham : Il s'est passé que le temps a passé.

Hom : Jamais pouvoir de l'arrêter ?

Ham : Jamais !

Hom : On a rapetissé, vieux Jeton, on a rapetissé.

Ham : C'est le temps, vieux Débris.

Hom : C'est le temps, quoi ?

Ham : Qui nous a emboîtés.

Hom : Pour l'éternité ?

Ham : L'éternité est bien courte parfois.

Hom : Juste un instant.

Ham : Juste trois petits tours...

Hom : Marionnettes ?

Ham : A fils.

Hom : Qui les tient ?

Ham : Pas Hom, vieille Galère, pas Ham, vieux Boisseau.

Hom : Qui alors ?

Ham : Peut-être Dieu, Rê, les Autres.

Hom : Comment savoir ?

Ham : En cherchant.

 

 

 

(Maintenant Atoum a complètement disparu de la scène. De grandes biffures carmin balafrent encore le ciel d'étain, lissé comme une vieille cuillère. Les platanes au bord du canal ne sont que deux épouvantails grillés comme de vieilles saucisses. De Mante-Glob-Siméoni, il ne reste plus qu'un monticule de graisse et de cendres sur lequel flottent deux antennes métalliques. L'air est chargé de souffre. Des deux boîtes emboîtant Hom-Ham, il ne reste plus que les arêtes pareilles à de vieux os rongées par le temps. De Ham-Hom, il ne reste plus qu'une flaque gélatineuse au milieu de laquelle se contorsionnent des lèvres laborieusement occupées à l'émission du dernier langage. Dans les remugles lourds et les volutes immanentes de l'air ouaté comme une vieille défroque, parmi les plissements métaphysiques dispendieux et les outrances ontologiques, apparaissent et disparaissent, grand ballet chaotique, les âmes, esprits, consciences et autres restes corporels des Ci-devant-vivants, piteux menuets, inglorieuses farandoles, flasques gavottes, derniers soubresauts de l'au-delà, ultime gigue avant que la révérence finale ne soit tirée. Bouches Ham-Hom articulent leurs dernières diatribes. Le rideau tombe sur une lumière grise alors qu'en silhouette, sur le fond de scène, apparaissent Teigne-Faucon à la proue de l'embarcation solaire et le dieu-Khépri-Rê-Atoum, à la poupe, tenant fermement la barre. On devine quelques restes - humains ? -, lambeaux et autres fragments ontologiques accrochés aux flancs du voilier céleste. La lumière s'éteint progressivement. Ne restent apparentes dans le noir que quelques nervures : branches, angles des boîtes, élévation pyramidale de la termitière. Soudain, une grande explosion se fait entendre alors que s'élève dans le ciel un champignon vénéneux - peut-être un bolet de Satan -, puis le noir absolu, néant.)

 

 

 

 

 

 

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18 avril 2013 4 18 /04 /avril /2013 16:46

 

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