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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 08:11

Voyez-vous, de vous avoir croisée

en ce matin de brume

et je demeurais en moi,

au plus profond de mon être,

sans possibilité aucune de m’en exiler.

Il est parfois des rencontres

dont jamais l’on ne revient.

C’est comme de se retrouver,

sans intervalle aucun,

au fin fond d’une geôle,

 dans la touffeur d’une forêt primaire,

dans l’écart de soi le plus grand

qui se puisse concevoir.

 

Soudain l’on n’a plus rien

 à quoi donner forme,

attribuer un sens.

Mais pourquoi cette perdition

à la seule vue de votre présence ?

Êtes-vous une inaccessible déesse,

une mystérieuse habitante de l’Olympe,

 une Aphrodite intouchable

puisque née de l’écume,

y demeurant en cette touche

si légère ?

Ou bien une Athéna

à la longue sagesse

retirée en ses intimes méditations ?

Ou bien encore Hestia,

maîtresse d’un foyer

à vous seule destiné ?

 

Ne croyez-vous pas que

poser des questions à votre sujet

est déjà vous perdre définitivement ?

Car interroger est se déporter de soi,

entrer dans le corridor mystérieux

de la Métaphysique.

Combien il serait plus sage

de planter sa propre racine

dans une glaise fondatrice

de quelque espoir !

Rencontrer le sol que vous êtes

et attendre de cette langueur

une possible germination

Ô, nous hommes de faible destinée

qui espérons toujours les bras d’une Mère,

l’étreinte d’une Amante,

que ne tâchons-nous d’éprouver

une plus essentielle liberté,

de vivre en nous, hors de nous,

sans que quelque souci

ne vienne effleurer notre âme,

en noircir la virginale ivoire ?

 

Nous voudrions être grands,

tutoyer la chevelure d’ange des nuages et,

la plupart du temps,

nous nous élevons à peine

du concert faiblement rubescent

de notre sang.

Nous faisons du surplace,

 nos pensées se meuvent

dans l’indistinct,

nos mains ne brassent

que des nuées de silence.

Mais, au moins, rassurez-moi,

faites lever en moi le grésil

du lumineux espoir,

semez la graine qui me dira qui je suis,

où je vais, guidé par votre seule beauté,

appelé par votre unique voix,

celle qui susurre aux hommes

le chemin à emprunter,

qui s’appelle ‘Confiance’,

qui se nomme ‘Amour’.

 

Que se dresse dans l’air

immensément tendu

la clameur d’une joie !

Que de déploie à l’horizon

la bannière étoilée du désir !

Que vos mains consentent

à étreindre mon visage,

que vos ongles incrustent en moi

les stigmates du Mal,

je n’en ressortirai que plus téméraire,

plus enclin à écrire votre gloire

dans l’écorce des arbres,

sur le glaive nu et blanc des racines,

à même le derme

des Curieux et des Médisants.

Ne me laissez pas dans le silence

car il fore en moi les trous

par lesquels un Déluge

pourrait me visiter,

me réduire à la peau de chagrin,

me conduire au Néant dont,

un jour lointain dont je n’ai plus souvenance,

je me suis extrait à la seule force

de mon courage de naître.

 

Oui, naître est un courage puisque, dès lors,

 il nous faut affronter notre propre mort,

compter les jours qui nous séparent de l’abîme.

En nous ils font leur maléfique sabbat,

en nous ils incisent la difficulté d’être

et de demeurer au sein de la lumière

qui érode notre âme,

 en déclenche la sournoise ignition.

Ô, vous que j’ai nommée ‘L’Instant Bleu’,

d’abord pour dire le temps furtif,

ensuite pour dire l’immensité de l’Océan,

 la course inaltérable du Ciel,

la vastitude en sa fuite essentielle.

Ô vous, ‘Instant’,

que ne me donnez-vous l’Eternité ?

 Ô vous ‘Bleu’,

que ne me donnez-vous l’illimité,

 le toujours libre, le fuyant au-delà de soi

pour d’étranges et innommées contrées ?

Oui, le toujours libre est sans nom.

En aurait-il, il ne serait

qu’une chose parmi d’autres,

une apparence celée

dans les aberrations du monde,

 une simple silhouette promise

à son long et fastidieux délitement.

Car, ‘Instant’, vous le savez bien,

tout se perd de soi et rejoint les limbes

avant même que le jour n’ait été connu,

que la lumière n’ait brillé

sur le front des Innocents,

n’ait illuminé le revers blanc

de la sclérotique.

Non, ‘Instant Bleu’,

ne m’accusez pas de fatalisme,

ne me faites nullement le procès

d’être un penseur tragique.

Du reste ce n’est nullement moi qui pense,

seulement le monde en moi avec ses ruses,

ses étranges incantations,

ses polkas endiablées, ses mazurkas,

un pas avec la Vie, un pas avec la Mort.

Ceci se nomme ‘pas de deux’ :

un pied dans le réel incarné, vibrant, érectile,

un pied dans la soue, dans l’ornière

et le piège se referme

qui reconduit l’homme

à sa propre origine. Donc à sa perte

puisque les deux termes sont équivalents.

 

Mais ne seriez-vous muette,

incapable de vous dire autrement

qu’à vous laisser regarder,

à vous laisser surprendre,

à vous laisser aimer autrement

qu’à l’aune de la distance ?

Peut-être n’avez-vous nul miroir

où refléter le prisme changeant de votre être ?

Je me résous à être votre Psyché,

autrement dit votre conscience,

laquelle vibre de mille feux

dans les limbes de votre esprit.

Vous êtes vêtue d’un justaucorps noir,

 image d’un deuil dont, à peine,

vous semblez émerger.

Ne seriez-vous, à vrai dire,

en perte de vous-même ?

Vos cheveux, une pluie bleue continue,

un infini sanglot qui cerne votre visage de cire

ou bien qui fait signe

vers un masque maya de jade,

vous savez, cette figure énigmatique

 aux pupilles de jais étrangement orientés

 à la fois vers l’intérieur, à la fois vers l’extérieur

dans une manière d’au-delà aux obscurs contours.

Oui, vous êtes à la charnière de deux mondes,

écartelée en quelque sorte.

Un monde vous requiert

auquel vous répondez par une absence,

un autre vous convoque

dont vous voulez ignorer l’esquisse,

elle pourtant si proche,

vous en sentez parfois la bise froide

tout contre l’étrave de votre visage.

 

Un être de ‘l’entre-deux’, en somme.

Une fragile statue d’argile

que la première pluie pourrait dissoudre

avant même qu’elle ne se soit connue,

ait pu tracer sur le parchemin de l’exister

la possible esquisse qui la livre au monde

dans le pli de son dénuement.

Et vos yeux, ces deux griffures

qui lacèrent l’univers des formes,

qu’ont-ils d’autre à découvrir

que votre propre territoire ?

Ne me dites pas qu’ils sont

en quête d’altérité,

l’Autre n’existe

que dans le massif altéré

de votre tête

et nulle part ailleurs.

Mais par quel étrange cogito

voudriez-vous le faire apparaître ?

Son cogito parlant ?

Mais qui vous prouve

que c’est bien lui qui parle ?

Ne lui prêteriez-vous votre propre parole ?

Son cogito aimant ?

Ne lui destineriez-vous votre amour

à son corps défendant ?

Savez-vous, ‘Instant Bleu’,

vous n’êtes pour moi,

peut-être, qu’une Illusion,

qu’un oiseau de passage

bu par le ciel qui le reprend en son sein.

 Ou bien dois-je vous appeler

‘Insistance bleue’

pour vous doter d’un futur,

vous offrir une possible ouverture ?

Ce que nous sommes tous,

des ‘Insistances’

dont jamais nous ne connaîtrons

les fondements.

Les connaîtrions-nous

que nous nous ingénierions

à en biffer la trame des certitudes.

Nous sommes ainsi faits

que nous voulons toujours

tutoyer les cimes

alors que l’abîme les longe

de son ‘Indécence bleue’.

Malgré ceci nous avançons.

Notre être ne se réduit-il

qu’au nombre de nos pas ?

Une bien curieuse arithmétique

qui nous définirait

jusqu’en ses assises les plus floues.

Là-bas, quelque chose vibre

au cœur du monde.

Serait-ce notre âme

qui nous hèlerait

du fond de son

inextinguible désarroi 

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1 juillet 2020 3 01 /07 /juillet /2020 08:13
Plus que ce lien

                   Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

Sommes-nous plus que ce lien

Qu’on dirait voué

 

Aux sombres abysses

Là sont les poissons

Aux yeux aveugles

Qui nous toisent depuis

Leur regard de méduse

 

Du plein de l’eau

Ils nous disent

Notre éternelle chute

Dans ces fonds

Qui ne sont que

Nos consciences torturées

Par le désaveu de vivre

 

Longs sont les jours de corde

Auxquels nous tendons

Le vide de nos cous

Ils enlacent nos existences

Avec l’insistance d’un présent

Qui ne connaît plus le lieu

De son heure

Ils nous pénètrent

Avec la force

D’un pieu chauffé

À blanc

Ils traversent

 Notre dure-mère

Y gravent les stigmates

D’une incolore douleur

 

Alors nos mains

Battent le vide

Alors nos corps

Sont aux abois

Et les forêts alentour brûlent

Telle notre âme calcinée

Alors notre destin a l’épaisseur

D’une usure ancienne

D’une pièce de monnaie

Sans avers ni revers

Cette étroite carnèle

Ne faisant retour

Qu’à la vacuité

De son être

 

A quoi servirait-il

De méditer plus longtemps

Sur un sens à donner

A notre marche

Vers demain

Puisque demain

N’existe pas

 

Tout se défait

À être à peine touché

L’amante dont nous faisions

Le but de nos hasardeuses

Recherches

Voici qu’elle glisse

Telle la noire anguille

Dans sa nasse de fer

Quelques écailles seulement

En marquent le passage

Quelques ondes en indiquent

Le temps de perdition

 

Sommes-nous plus que ce lien

Qu’on dirait voué

 

A n’être que piège

Faux-semblant

Trompe-l’œil

Dont notre esprit

Ne saisirait jamais

Que les immatériels lacets

Ce tremblement de l’instant

Toujours déjà évanoui

Avant même le geste

 De la capture

 

Ô trop déchiffrable nœud

Du destin poinçonné

Au chiffre du pathétique

Telle l’antique tragédie

Où Phèdre jouée des dieux

N’allume sa passion

Qu’à incendier son sang

D’un coupable amour

Qui l’aliènera

La reportant à l’impossible

 La Mort est au bout

Qui attend son dû

 

Sommes-nous plus que ce lien

Qu’on dirait voué

 

A apparaître

Comme temps commettant

Ses basses œuvres

Serions-nous le lien lui-même

Maitre de son périple

Ou bien son jouet

Cloué au centre de la scène

Ce délire immémorial

Par lequel la tribu humaine

Trouverait l’espace

De sa propre agonie

 

Toute réponse serait de trop

Nous savons le berceau

De l’énigme

Depuis notre orageuse naissance

Tout attachement

Se délie constamment

Du fondement dont il a surgi

 

Que vienne le Jugement Dernier

Que vienne le trébuchet

Dans lequel nos actes

Seront pesés

 

A nous absenter

Nous sommes disposés

Tout comme le jour décline

Pour laisser place à l’ombre

Salvatrice de nos plaies

Toujours elles se referment

Le gisant de pierre est là

Qui attend le luxe

De nos corps

Ô lien dicible

De l’événement singulier

Paraître sur fond de néant

Le seul accueil

Qui nous soit réel

Il est don ultime

Don

Ultime

Existe-t-il

Une parole

Après ceci

Une

Seule

 

*

 

 

 

 

 

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1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 08:33
Se hisser vers où

                           Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

Se hisser vers où

 

Voyez-vous il est si difficile

Déjà

De se tenir debout

De ne point chuter

Dans la première ravine

Venue

De tracer son chemin

Sur la ligne de crête

De jouer les éternels

Funambules

 

Le fil est sous nos pas

Si tendu qu’il pourrait

A tout instant se rompre

Nous envoyer à trépas

Nous n’aurions plus alors

Que le vide pour compagne

L’Absolu pour demeure

 

Se hisser vers où

 

Je divaguais au bord de l’eau

Le rivage me prêtait

Sa rassurante nacelle

Tout était si calme

On aurait dit l’aube

D’un jour nouveau

L’intranquille m’avait quitté

Du moins je le croyais

 

Homme du peu

Et du hautement dicible

Cette vrille du discord

J’étais assez naïf

Pour attendre des signes

Le don d’une vérité

Ils ne pouvaient que proférer

Une insigne parole

Et assurer mon être

D’une immanente joie

Aussi indestructible

Que le roc de granit

 

Se hisser vers où

 

Malgré cette belle assurance

La question était récurrente

Se hisser vers où

Comme si un mystérieux dessein

Inclus dans les choses mêmes

Leur conférait

Une ardeur sans pareille

 

Nous les Terriens

Nous devions quitter

Notre sol natal

Éprouver dans une sorte

D’ivresse

L’embellie des nuages

La sublimité de l’éther

Le délire du Ciel

 

Au Ciel

Je posais la question

De tout ce qui

Par essence

Vouait au dépassement

Au rayonnement

 

La Religion au premier chef

Le Ciel me répondit

Que la mienne me suffisait

 

L’Art ensuite

N’était-il pas là où

J’en décidais la présence

 

Puis l’Histoire

Où il me fut répondu

Que seules

 Mes aventures comptaient

 

Puis la Science

N’était-elle le savoir

Que j’avais construit

Pierre à pierre

Dans le secret

De mon esprit

 

Puis la Philosophie

En existait-il une autre

Que celle qui tressait

La mesure de mes jours

En déterminait le sens

 

Puis la Morale

En sécrétais-je une autre

Qui n’eût été en conformité

Avec mes intimes aspirations

 

Enfin la Poésie

Pouvais-je en éprouver

La texture de soie

Ailleurs qu’en cet ombilic

Qui me reliait à l’origine

 

Se hisser vers où

 

J’avais donc tout en moi

Depuis que le temps

M’avait visité

Et ne le savais pas

Sans doute ce non-savoir

Etait-il la cause

De mes tourments

 

S’élever en quelque manière

Dans la Science ou les Arts

La Religion ou la Philosophie

Revenait à puiser l’eau

A leur source

Qui se confondait

Avec la mienne

 

Je regardais au loin

Les montagnes faire

Leurs taches violettes

En enviant le curieux dessin

En scrutant les grandioses sommets

J’avais une colline ombrée de bleu

Au sein de ce corps mutique

Il s’élevait à bas bruit

Vers plus grand que lui

J’en ignorais

La « multiple splendeur »

 

Se hisser vers où

 

Ce rocher sur la côte

Il ressemblait

À un être pathétique

Tendant vers le Ciel

Sa lourde matière

Se savait-il traversé

De ces nuées de signes

Ou bien gisait-il aliéné

A la pesanteur de la terre

 

Il fait si lourd lorsque

L’orage gronde

Et que l’on n’en peut

Saisir l’Eclair

Toujours les dieux

Se retirent

Qui

Sont

Muets

 

*

 

 

 

 

 

 

 

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30 mai 2020 6 30 /05 /mai /2020 07:48
Esquisse d’une peine

        Œuvre : Barbara Kroll

 

 

***

 

 

Toi l’Esseulée

Comment pouvait-on te rejoindre

Tu semblais si enclose en toi

Plongée dans une méditation

Qui sans doute te dépassait

Où étais-tu donc

Qui ne pouvait se dire

Dans quel lieu d’étrangeté

Dans quel temps tissé de rien

Et ce cruel silence autour

Et cette meute de bruits dedans

Qui devait forer

En ton corps

L’incision d’un deuil

 

*

 

Vois-tu te regardant

Je me reculais insensiblement

De manière à te saisir

En ton entièreté

Mais était-ce au moins

Possible

Aperçoit-on jamais quelqu’un

Avec son passé

Son présent

Son futur

Le temps est cette idée

 En fuite d’elle-même

On cherche l’instant

Et l’on ne trouve

Qu’un peu de poussière

Le gris d’une fumée

Se perdant

Dans le corridor

Des nuages

 

*

 

Te sais-tu au moins

Nommée

Par mes soins

Entourée

 Des plus exactes attentions

Placée dans l’écrin

Qui s’essaie

Au verbe du monde

Il est si étrange

De ne rencontrer

Que la fugue des choses

Un massif de cheveux

Dans le noir

Des épaules d’albâtre

Leur chute dans le jour rare

L’angle des bras

Tel une tristesse

Les mains crochetées

Aux genoux

Suppliantes

Révulsées

Atteintes d’hébétude

Le fût des jambes planté

Dans l’indifférence du sol

Comment aborder tout ceci

Hors les mots de la déréliction

 

*

 

Autour de toi je vois ceci

Qui je suppose te rend

Invisible

A toi-même

Aux autres

Le ciel en coulée sombre

Est-ce un bronze

Un vert-de-gris

Sa nuance est si austère

Son air si dense

Jaune l’horizon

Où ne se découpent

Que des étrangetés

Un temple est posé là-devant

Avec son fronton si régulier

Une horloge y a suspendu

Son heure

Sans doute destinale

Sans doute d’effroi

Puis le noir des arcades

Mystère gonflé d’ombre

Une galerie teintée de cendre

Aux colonnes démesurées

Hautaines

Sidérées

Engluées

Dans leur propre matière

Ombres longues décidées

À entailler

À dépecer

À tuer

Le sang est déjà présent

Le long des coursives de pierre

 

*

 

Deux hommes en discussion

Mais s’agit-il de figures humaines

Leur rigidité est telle

On dirait les Marionnettes

De la Mort

Ne disent rien d’autre

Que leur absence

Des causeries des gens ordinaires

Leur funeste préoccupation

T’attendent-ils

Toi L’Insurgée

Pour te conduire à trépas

Ton immobilité est si grande

La démesure d’un marbre

La fermeture de la statue

A autre chose que son secret

Un triangle

Un rectangle d’ombre

La découpe blanche

 D’une fontaine

Une eau noire y brille

D’un inquiétant éclat

Autour la terre est un tapis

De haute laine

Qui ne laisse passer

Nul son qui viendrait

De l’abîme

En réalité il est

En toi

Vacant

Librement ouvert à ta venue

Il est l’écart qui te sépare

De ta propre présence

Es-tu autre qu’une esquisse

Sur une toile

Nous n’attendons qu’un signe

Pour venir t’y rejoindre

Sais-tu le peu de réel

Qui nous habite

Nous aussi sommes

Des songes

Des scansions que le temps

Aurait dispersées

Au hasard des routes

Longuement

Nous errons

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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27 mai 2020 3 27 /05 /mai /2020 08:00
Où ma présence en toi ?

           Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

 

Sais-tu le prix d’un égarement ?

Sais-tu le prix d’une douleur

quand le monde n’offre

nul point fixe ?

Une seule fois

 il m’a été donné

de te voir.

Une seule fois

et ton écharde est là

qui saigne

au creux de ma chair.

Non, jamais je ne l’ôterai,

ce serait me condamner

deux fois.

Plutôt périr que de renoncer

 à toi,

à cette vibrante image

qui vacille au loin

 et brûle mes yeux

d’une longue cécité.

 

Un horizon de cendre,

un ciel de suie

et pourtant je demeure

et pourtant l’espoir, en moi,

fait son bruit de luciole.

Tu ne me connais pas.

Comment d’ailleurs

pourrais-tu me connaître,

 toi qui marchais

 dans l’avenue du jour,

moi qui n’étais

que ton ombre,

 à peine le feu d’un galet

sur le parvis d’une grève.

Je n’avais guère

plus d’épaisseur

qu’une joie

et pourtant

je me sentais habité.

 Habité de toi,

 de ta souplesse féline,

du vert dont tes yeux

devaient être teintés,

de l’ébruitement

de tes hanches,

cette fascination à jamais.

 

L’heure était venue

d’une saison printanière.

Les arbres chantaient

du geste des oiseaux.

Le pollen poudrait l’air de cuivre.

 Les étamines s’ouvraient

sous la douce complainte

des âmes.

Oui, des âmes,

on ne voyait plus des corps

 mais leur simple forme éthérée,

 leur balancement

dans des ondes de lumière.

 

Tes escarpins,

sur le trottoir de ciment,

 battaient la mesure

que mon cœur reprenait

en silence.

Nous étions

deux au monde.

Non, j’étais seul

mais je te portais en moi

comme le rameau la feuille.

Nul espace ne nous séparait.

Vois-tu j’étais une manière

de passager clandestin,

d’hôte discret

dont les convives

n’aperçoivent nullement

la présence.

Au demeurant je n’aurais pu

m’élever de moi,

figurer au monde

avec la sotte prétention

des curieux.

Je me voulais captif,

semblable à ces nacelles

qui volent haut,

qu’un fil retient

sur la terre des hommes.

 Plus d’un aurait songé

à rompre le lien,

 à s’évader,

 à voguer

sur de blanches caravelles.

Mais moi, non,

je ne voulais nul exil,

je me voulais ton esclave

en quelque sorte,

aimanté par ton regard,

fasciné par ce corps

 que j’imaginais de jade,

un genre de vert sombre,

de tache de prairie

 parmi le suspens de l’heure.

 

De ton corps,

de tes seins,

de ton ventre,

de ton pubis

je voulais être

 le berger,

le gardien perché

tout en haut

 de son sémaphore.

Certes nul ne m’aurait connu

mais j’aurais connu la félicité

 au prix de mon étrange aliénation.

Ne pas être libre

afin d’être libre,

tel était mon souhait

le plus ardent.

A quoi donc m’aurait servi

la liberté

si ton image s’en était absentée ?

Rien n’est plus éprouvant

que cette fausse autonomie

que l’on traîne après soi

comme une malédiction.

 

 Au jour où j’écris ceci,

depuis la modeste chambre

où le Destin a pris la couleur du deuil,

ne demeure en moi

qu’une braise,

mais un feu

qui renonce à s’éteindre.

Ta présence,

 je l’ai cherchée partout,

au creux des sources,

sur l’épaule des vents,

 à l’ombre des arbres séculaires,

 dans la fumée âcre des tavernes,

dans la brûlure d’alcools vénéneux.

Je l’ai cherchée en vain

sur l’épaule d’autres femmes,

 mais jamais,

tu n’es réapparue,

Déesse habitée de clarté

 que la rue saluait.

 

Que me reste-t-il alors

qu’une capricieuse mémoire,

qu’une imagination distraite,

qu’une espérance usée

tel un vieux tissu ?

Mais peut-être

est-ce mieux ainsi ?

Je me nourris

 de ma propre indigence,

mon univers est empli

d’étoiles filantes,

de queues de météore

qui raient l’espace,

de bruits cosmiques

soudés de vertige.

Ils me disent mon esseulement,

ils entonnent ma tristesse,

 ils font se lever le blizzard

de ma mélancolie.

Mais, au moins je possède

quelque chose

et mes mains happent le vide

et retournent à moi

avec cet air de nostalgie

 qu’ont les arbres

en leur dépouillement

d’automne.

 

De moi, à ton corps défendant,

puisque tu ne me connais pas,

tu as fait un territoire sans nom,

 tu as prononcé mon repli,

tu m’as déposé sur un mont

d’où rien n’est visible

que de vastes plaines désertes

semées de la laine

de lointains troupeaux.

 Comme ces hauts plateaux

du Tibet

 usés par le vent,

quelques yacks

au pelage hirsute

y broutent une herbe rare,

des yourtes grises

fument dans le grésil,

des femmes barattent le beurre,

des enfants jouent

de poupées de chiffon.

De moi tu as fait

un nomade,

un homme sans terre,

un réfugié au cœur du rien.

 

Comment te dire merci,

toi l’Inconnue,

pour le don précieux

de ton absence ?

 Il se dilate en moi,

il amarre ma conscience

à des filets de brume,

il fait sa voix en sourdine

qui ne me quitte plus,

qui ne me quitte plus.

Ainsi s’annonce

mon éternité.

 Pourrais-je y renoncer ?

 

 

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26 mai 2020 2 26 /05 /mai /2020 07:55
L’à peine bourgeonnement du jour

     Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

   Faut-il être distrait, au réveil, parmi le remuement discret de la brume, pour ne pas voir ce qui ne demande qu’à être vu. Le pommier en fleur avec sa nacelle de pétales blancs, l’oiseau qui traverse le voile d’air de son vol muet, les gouttes des nuages suspendues à la voûte du ciel. Je te sais attentive au moindre détail qui éclot, ici où là, avec son éventail de multiple beauté.

   Bien des marcheurs sont des égarés dans le fourmillement du monde. Leurs yeux sont des pierres sur lesquelles ricoche la lumière sans qu’elle vienne les atteindre en aucune manière. Ils sont perdus dans leurs rêves de songe-creux et nul événement ne les préoccupe qui ne soit lié à une fin, attaché à un gain, scellé à la  promesse d’un avoir. Mais qu’importent les distraits. Ils ne progressent que dans la flaque ténébreuse de leur ombre. Dans l’oubli du monde. Dans l’inconnaissance d’eux-mêmes.

   Ce que j’ai fait ce matin : simplement m’ouvrir à l’être des choses sans qu’aucune dette, aucun effort  ne soient liés à leur découverte. Sais-tu, il est si facile de s’absenter du rythme de la nature, d’oublier son immémorial balancement, de feindre de croire que la corne d’abondance est épuisée d’où plus rien ne s’annoncera que le vide.

   Ouvre ta main en toute innocence. Reçois le don d’une première pluie, la plume tombée du nid, le pollen que l’abeille t’envoie afin que ton visage rayonne de son éclat de miel.

   Distend la pupille de ton œil et s’y inscrira, tel un étonnant hiéroglyphe, le rameau semé de fleurs, bientôt de ces feuilles fragiles qui jouent en écho avec ta propre incertitude qui n’est jamais que ton doute foncier, ton avancée irrésolue sur les sentiers qui se perdent au loin. On n’en voit nullement le terme. Peut-être n’ont-ils pas de fin ? Peut-être sinuent-ils jusqu’aux limites de l’univers parmi la nitescence des étoiles ? Peut-être !

   Ce que j’ai fait ce matin : marcher au milieu des bois. Tout simplement. Connais-tu un autre lieu qui serait plus propice au recueillement, un autre site plus ouvert à la rencontre avec soi ?  Avec son propre, je veux dire. Non avec des formes hallucinées qui ne seraient que des faire-valoir, des miroirs aux alouettes, des décors en trompe-l’œil. Car, j’en suis sûr, tu es persuadée de cette vérité. L’osmose n’est que de soi à soi, sans distance, là juste au bout de la conscience. Sublime réversibilité du regard qui ne prend acte des choses qu’à mieux retourner en son antre.

   Les compagnons de route, les chemineaux de hasard, les nomades un jour croisés dans le clair-obscur de quelque caravansérail, tous sans exception ne sont que des miroirs qui renvoient les rayons au point focal que l’on sent là, posé avec la force d’une certitude, au centre irradiant de son propre corps. Toute autre considération ne serait que fallacieuse, périphérique, entachée de mensonge.

   Cette feuille qui, dans le frais de l’aube, faisait sa douce cantilène, son fragile déploiement, cette naissance qui me révélait son être, qui d’autre que NOUS DEUX en était témoin ? Qui d’autre, je te demande ? Un oiseau dissimulé dans le treillis de quelque futaie ? Un inconnu travesti derrière le tronc de tel arbre ? Dieu en personne depuis le Ciel où glissent les nuages ? Qui donc d’autre que nous échangeait cet événement à nul autre pareil : la confluence de deux êtres en leur unique ?

   Eût-il existé un témoin, cette singulière expérience en aurait-elle été augmentée en quelque façon ? Bien évidemment, non. La coïncidence est toujours de nature duelle, toujours conjonction de deux existences qui, l’espace d’un instant, fusionnent en une seule et unique réalité. L’amour entre deux amants est de même nature. C’est pourquoi il est si difficile de côtoyer cette véritable « monade sans fenêtres ». Tout visiteur est forcément de trop. Tout hôte jugé comme un intrus. Tout passant perçu indésirable.

   Sans doute as-tu éprouvé cet intense besoin de solitude lorsque, dans le secret d’un musée, telle œuvre te touche au plus profond de ton être. C’est alors vibration contre vibration. Energie insufflant sa puissance dans une autre énergie. Epanchement de soi à soi. Le soi de l’œuvre à la jonction de son propre soi. Aucune épaisseur entre la toile et la peau car toutes deux sont de même complexion et s’interpénètrent à la manière de deux tessons de poterie s’assemblant sous la figure du symbole. Une reconnaissance réciproque.

      Ce que j’ai fait ce matin : j’ai longuement déambulé parmi les chatoiements du peuple sylvestre, cueillant ici une écorce striée, là un gland avec son germe, une feuille dentelée, ajourée, qui me contait l’histoire du dernier automne. Il n’y avait nul étonnement à cela. J’étais UN parmi la communauté végétale et mon souvenir d’avoir été homme s’atténuait à mesure de ma déambulation.

      Pose ton pied bien à plat sur la motte d’herbe. Tâche d’en ressentir le continuel fourmillement. Pieds nus s’il te plaît, la seule façon d’être en contact avec la tribu des rhizomes qui parcourent l’humus dans la discrétion et l’assurance de leurs minces trajets.    

   Couche ta hanche tout contre la bille de bois. Tu en devines la vie cachée, ces cercles concentriques qui disent l’âge, la force, le vieillissement aussi, la texture en partance pour le long voyage vers l’inconnu.

   Soude ton ventre au bouquet d’airelles, à la touffe drue d’armillaires, tu seras immédiatement dans leur patrie. Peut-être y goûteras-tu les vertus soporifiques, hypnotiques des spores, identiques à l’impatience d’exister de tes propres fibres ?

   Plie la fente de ton sexe selon la volonté de la première hampe venue, cette crosse de fougère en son dépliement, jouis longuement de cette double possession. De la tienne, de la sienne. Ce n’est qu’une même chose. UN ressenti unique qui te déporte de toi, qui la déplace d’elle afin qu’un nouvel horizon soit connu, celui de l’Illimité.

   Seulement ceci a SENS. Seulement ceci vaut d’être vécu dans le plein d’une sensorialité qui chante et vibre au plus haut de sa modulation. En un mot : exulte à partir de toi, réjouis-toi, jubile, délire si tel est ton désir, si telle est l’emprise de la plante qui t’accueille comme l’un de ses rejetons. Tu n’auras d’autre lieu que celui-ci pour faire fructifier ton contentement, t’ouvrir à la promesse du jour. Lance ton être en avant de toi et rejoins-le en un seul saut, celui de ta délivrance.

   Ce que j’ai fait ce matin : simplement déclore le monde et m’y perdre,  tel le rameau lancé dans sa fragile existence. Lancé car rien ne l’y prédisposait sauf le dard aigu de la contingence. Suive-t-il son destin dans le grésillement de soi. L’espace est là qui attend !

  

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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 13:51
L’instant du regard

Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

C’est troublant, vois-tu,

de vivre dans l’instant

et d’y demeurer.

Il y a comme une perte,

comme un deuil.

Soudain on est privé de passé.

Soudain le futur rougeoie,

loin là-bas dans une manière de braise éteinte.

Que demeure-t-il alors

que nous pouvons porter à notre crédit ?

Une fugitive impression ?

Le passage gris d’un oiseau dans le ciel ?

Un bruit de source claire à l’abri des rameaux ?

 

Oui, l’instant brille.

Oui l’instant étincelle,

fait ses feux de Bengale

et il s’en faudrait de peu

que nos yeux ne s’éteignent

à trop vouloir fixer l’à peine durée

dans un pli de la mémoire.

Esseulement de l’être lorsque,

confronté à son étrange présence,

il ne perçoit plus qu’une fuite longue

et le sablier fait couler ses larmes de silice

sans se soucier de nous.

 Nous sommes si peu pour lui.

Il est si précieux pour nous.

 

Depuis le clair rectangle de ma fenêtre,

je t’aperçois, Voyageuse de nulle part.

Tu es si fragile dans le jour qui vient.

Un simple souffle

sur l’éclat blanc d’une grève.

Avec un mince effort,

je pourrais t’imaginer te fondant

dans d’illisibles flots, manière d’Ophélie,

éternelle fiancée de l’onde,

goutte d’eau parmi le peuple des gouttes.

 

Cette réalité, mais est-elle vraiment,

 la brume est si dense qui voile nos yeux ?

 Cette réalité te fixe là,

dans l’irrémédiable de l’instant,

dans cette pointe de cristal

qui vibre de mille bruits

que nul n’entend si ce n’est le Poète

en sa sublime méditation.

 

Tu es cette Silhouette, cette Forme

 tout juste arrivée

aux confins de sa parution.

Nul ne te verrait

qui n’aurait été entraîné

au jeu de la lucidité,

elle qui voit tout, qui interroge tout.

Tu es identique à un mot

 que dissimulerait la futaie d’une phrase.

 Un mot inaperçu, vois-tu,

 car si peu nous comptons aux yeux des autres,

si fort aux nôtres qui, toujours,

sont abusés de trop de complaisance.

Serions-nous une étoile perdue

dans l’encre du firmament ?

Une rapide comète dont nul n’apercevrait

la gerbe de lumière ?

Ou bien cette Lune pâle, grosse d’elle-même,

ce fanal pour âmes mélancoliques ?

Un genre de signe poudré de blanc

se dissolvant à même la Voie Lactée, notre mère ?

 

Mais il faut que je porte ma parole à un étiage,

sinon jamais tu n’apparaîtras

sur la page vierge qu’à la façon d’un feu-follet

que le vent aurait repris dans ses invisibles filets.

Chaque mot que je prononcerai,

 dans l’instant de sa profération,

ce sera un peu de toi qui prendra forme,

grise concrétion à la lisière du monde.

 

Le ciel est haut, libre, tissé d’immensité.

Une mer de nuages gris-blancs

y dérive lentement avec la même grâce

que met une fille songeuse à se dévêtir,

à livrer son corps nu à l’espace ébloui.

Combien ce ciel est lent,

combien il est long

en son essai de dire l’éternité !

Combien tu es menue,

 toi, la Passagère clandestine

d’un temps qui s’effiloche

et ne dit jamais le chiffre

de son immarcessible présence !

On croit le connaître, le temps,

on le pense familier,

mais il est toujours en fuite de lui-même,

de nous aussi qui demeurons orphelins

et nos mains sont vides qui balaient tristement

les feuillaisons de l’air.

 

« Eternel retour du même »,

 proclamait le Philosophe,

oui mais l’enfant prodigue ne ramène rien

 que sa propre solitude

et l’envie de partir à nouveau

afin de combler sa peine

de la joie d’un vain nomadisme.

L’horizon est bas, très bas

 et il s’en faudrait de peu

 que la terre ne se mêle

aux turbulences de l’éther,

en devienne un simple district

aux contours flous,

une manière d’intraçable frontière.

 

Derrière toi, paraissant chevelure hirsute,

un taillis semé de noir dérive infiniment

sans connaître le motif de cette course innommée.

Devant toi, mais à distance,

les ramures grises d’un grand arbre griffent le ciel,

y tracent de fins rhizomes.

On dirait une généalogie,

une métaphore du temps et ses racines blanches

qui fouillent le sol en deviennent presque perceptibles.

La lucidité creuse, fore le sol,

en extrait l’essence dissimulée.

A la limite du paysage,

une masure de pierres grossières à demi démolie,

le lierre court entre ses fissures,

des ronces grillagent ses fenêtres.

Tu ne te sais nullement contemplée

mais peut-être en as-tu la possible intuition,

tellement de choses sont secrètes

qui existent mais se drapent dans un pur mystère.

Toi l’Etrangère qui foules les pierres de calcaire,

qui marches sur les tiges sèches du chaume,

sache donc qu’en l’instant qui est le mien,

qui est aussi le tien,

 je ne m’affaire qu’à t’archiver

dans les feuillets du souvenir.

 Il sera si réconfortant,

en ces journées d’hiver

 qui ne semblent n’avoir de début ni de fin,

de me livrer au jeu infiniment renouvelé

des réminiscences.

Ainsi mon instant d’alors

sera armorié d’une possible joie,

t’amener à nouveau dans la présence,

y creuser un abri à ta dimension,

il sera le nôtre,

le témoin que rien jamais

ne peut disparaître ou s’oublier.

Pour ceci demeure en toi,

dans ce feu du jour,

 que le temps soit

notre commune mesure !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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6 mai 2020 3 06 /05 /mai /2020 08:05
Illisible souvenir

 

       « Souvenir illisible »

      Œuvre : Dongni Hou

 

 

***

 

 

Souvenir illisible disait-on de vous

Si bien que ma mémoire

N’en avait gardé nulle trace

Sauf cette vue paradoxale

D’un dos en partance

Pour je ne sais où

Etait-il au moins vrai

Je veux dire saisissable

Autrement que

Dans le voile du rêve

Avait-il une tenue

Une adresse

Un lieu où se montrer

Une peau qu’on eût dite

De pêche ou bien de nacre

 

*

 

J’inclinais pour la nacre

Son air de nuage

Sa consistance de brume

Ce genre de perdition

Que connaissent les amants

Du haut de leur vertige

Les poètes

Du fond de leur absinthe

 

*

 

Il est vrai j’étais un peu naïf

Sans doute attardé

Dans mes habits d’adolescent

Croyant à la force des mots

Aux pouvoirs des rêves

Aux séductions de l’esprit

Pour moi simplement

Prononcer votre nom

Vous n’en aviez pas

N’en auriez jamais

C’était convoquer le silence

Or je parais le silence

Des plus hautes vertus

Qui pouvaient échoir

A un gamin de mon âge

Faire surgir l’impossible

Guérir les lépreux

Mettre fin aux guerres

Multiplier les pains

Réduire la misère

Porter une femme

Plus haut que moi

Dans la beauté

Dans l’esprit

Dans le luxe

D’aimer

 

*

 

Voici j’ai bien vieilli

Mes tempes sont chenues

Des rides apparaissent

Ma marche est plus lente

Mon destin bien avancé

Et pourtant

En un recoin de mon âme

Ce mystère

Cet insondable

S’animent toujours

Les ondes qui parlent

De vous

Me ferez-vous face un jour

Enfin

Que je connaisse

Votre beau visage

Il ne peut être que celui

De la pure grâce

Comment pourrait-il

En être autrement

On n’a si joli dos

Qu’à fonder une énigme

L’ouvrir un jour

Aux chercheurs de beauté

Vous ne pouvez exister

À seulement offrir

Votre envers

Ce mutisme

Qui met à la torture

Vos voyeurs

Les mieux intentionnés

Ils meurent de vous connaître

Ne les laissez donc au supplice

Moi en premier dont la vie

N’a été que suspens

Longue parenthèse

Attente infinie

 

*

 

Mais peut-être est-il mieux ainsi

Demeurer

Sur le bord d’une joie

Inentamée elle peut encore

Fleurir

Epanouie elle est déjà

Un souvenir illisible

Ne croyez-vous pas à ceci

Jamais l’eau de la source

N’est meilleure

Qu’à être longuement attendue

Demeurant dans l’ombre

De la terre

 

*

 

Nous sommes déjà

Dans sa juvénile présence

Nubile elle se prépare

Aux noces qui feront

De deux chemins

Un unique sentier

Oui je me destine encore

 À vous

Dans la pliure pensive du jour

Cette pliure comme titre

D’un ancien texte

Avant même

Que je ne vous connaisse

Je vous l’offre du fond même

De qui je suis

Qui attend la lumière

L’instant de sa révélation

Oui les destins s’ouvrent

À qui sait attendre

 

*

 

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16 avril 2020 4 16 /04 /avril /2020 07:44
In-présence du temps

 

                 Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

Le seuil est immobile

Vois-tu

Qui ne profère plus rien

De TOI

Il énonce son langage

De pierre

Une longue mémoire

Qui s’use aux carrefours

Des vents

 

L’horizon est libre

Il file là-bas

Vers les brumes bleues

Du causse

Où es-tu que je puisse

Deviner ton corps 

Où ton esprit

Que je l’emplisse

De joie 

Où ton âme 

Vibre-t-elle tel le diapason 

A-t-elle des ailes

Et part-elle pour des cieux

Que jamais je ne connaîtrai 

 

Le seuil est immobile

Je l’ai habillé

Du souvenir de TOI

J’y ai posé quelques larmes

En guise d’obole

J’y ai deviné l’empreinte

De tes pas

Une onde si fragile

Elle tremble

De ne plus être

 

Le seuil est immobile

Pareil à un temps

Sans racine

Le jour s’y englue

Tel l’insecte

Dans la toile

 

Dis-moi l’éclatante nécessité

De vivre

Dis-moi la feuillure de l’heure

Son indéfectible attente

Dis-moi encore et toujours

Les contours de ton être

 

Le seuil est immobile

En deuil de TOI

Comment pourrait-il

En être autrement 

Le grain serré de la pierre

Se désespère

De ne plus être frôlé

Tes sandales si légères 

S’y posaient

Dans la méditation du jour

 

La chambre est vide

Qui fait son curieux gonflement

Qui appelle et puis se tait

Tout s’y dissout

Et plus rien n’y paraît

Que le vide

 

Partout où tu as posé

Tes doigts

Je les ai posés

Partout où tu as imprimé

Tes lèvres

J’ai imprimé les miennes

Partout où ton regard

S’est porté

J’ai laissé errer le mien

Il était un lieu sans amarre

Un lieu de pure perdition

 

Sur la route

Qui glissait au loin

Je t’ai accompagnée

L’ajointement soudain

De nos mains

Était-il le scellement

De nos âmes 

Ou bien un étrange rituel

Que nous savions

Le dernier 

Où bien était-il

L’antépénultième

 

Ta voiture blanche

Au long capot

L’éclat de ses chromes

Les points rouges de ses feux

Ont longtemps vibré en moi

Ils ont creusé un puits

D’innombrable attente

Aussi le fil des heures

S’égrène-t-il lentement

Il fait son bruit

De gouttes claires

Dans la nuit d’une crypte

 

Partout où tu viendras

 Je viendrai

Sur la courbe bleue

Des planètes

Dans les yeux révulsés

Des étoiles

An sein même

De mes rêves lapidaires

Dans la gemme

De mon cœur

Où se fige la braise éteinte

De mon sang

 

Vois-tu n’aies nul regret

Ma souffrance est

Un plus grand don

Que ne l’était ma joie

Car à trop m’inonder

Elle te rendait invisible

Du sein de ma douleur  

Tu bourgeonnes et éclos

Semblable au bouton de rose

Qui se dépliant

Apporte l’être au monde

Qu’il visite

 

 

Partout où tu seras

Je serai

Aurais-je d’autre raison

De vivre

Que celle-ci 

 

Toujours les gouttes

S’assemblent

Qui font les ruisseaux

Ils coulent sous des berceaux d’ombre

Rejoignent d’autres tresses d’eau

Se jettent dans l’estuaire

 

Quel est donc celui

Qui t’accueille

Seras-tu au gré des jours

Qui viennent et vacillent

Différente de cette buée

Pliée aux choses

Et qui leur donnent

La gloire de vivre

Autre chose

 

Ne réponds pas surtout

Seul le silence sera

Le reposoir

Des amours qui furent

Et qui désespèrent de visiter

Le lieu de leur native rencontre

 

Le seuil est immobile vois-tu

Il est la parole retenue

Qui n’attend

Que de parler

Oui de parler

De TOI

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24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 09:29
Ton nom de Pierres Blanches

                      Photographie : JP Blanc-Seing

 

***

 

 

Ton nom de Pierres Blanches,

NIKITA,

Trois simples syllabes

Qui claquaient

Dans l’air pervenche.

 Comme ceci NI,

Comme le refuge de l’oiseau,

KI, comme le pli du souffle,

TA, comme le possessif.

 

Mais qui donc, Nikita,

 Toi la Fille du Vent,

Pourrait donc se targuer

 De te posséder,

Toi la libre qui n’as

Ni lieu, ni temps,

Ta seule vérité

Cette empreinte

Sur la colline de pisé,

Cette énigme à jamais

 Dont même le Sphinx

N’eût pu décrypter

Le message codé ?

 

Ignores-tu combien,

Dans ce matin

D’un premier soleil,

Mon trouble était avivé

De la trace par toi laissée ?

C’est terrible, Nikita,

De découvrir un luxe soudain

Et de ne jamais pouvoir l’enserrer

Au creux de ses mains.

 

Ton nom de Pierres Blanches,

Nikita,

Etait-il l’écho de ta hanche

Que je présumais troublante,

Saisie de mille picots

Disant la délivrance

D’un subtil écot ?

Sur ce coin de la terre,

Nikita,

En ce réduit du monde,

En cette invisible faille du jour,

Deux nous étions

Sous la voûte du ciel :

Toi que je ne connaissais pas,

Moi qui devenais,

De plus en plus,

A moi-même,

Ma propre inconnue.

 

Ne pas te savoir mienne,

Toi l’irrésistible,

Tutoyait l’indicible

Et mes yeux voguaient

Au loin embrumés

D’une infinie tristesse.

Comment étais-tu

Dans le réel

Qui flamboyait ?

Portais-tu des tresses ?

 Etais-tu rousse

 Avec des yeux verts ?

On dit ces Filles

Au tempérament de feu

Qui dévorent,

Telles les mantes,

L’objet de leur amour.

 

Ô combien, en un sens,

J’eus préféré m’immoler en toi

 Juste après la rencontre des corps.

 Ô crois-le bien

Sans aucun remords.

Certes, je n’aurais saisi de toi

Que la violence de ta loi,

Que l’étreinte mortifère

Mais peut-on survivre au feu

 Qui vous a brûlé

A cinglé votre âme

 Jusqu’en son principe premier,

Ce haut vol qui, jamais,

Ne devrait retomber ?

 

Ton nom de Pierres Blanches,

Nikita,

Abusé par mes sens,

Taraudé par mes fantasmes,

 Ne s’était-il donc mystérieusement

Métamorphosé

En LOLITA,

Même nom à un iota près.

Mêmes syllabes libres et claires.

Trois notes de clavecin

Tout contre la promesse

D’un fastueux festin.

 

Alors, Nikita,

 Je te voyais

Dans la douceur de l’âge,

Certes pas très sage,

Sans doute un peu volage,

Mais c’est ta primeur

Qui parlait à mon cœur,

C’est ta troublante naïveté

Qui m’ourlait de félicité.

 

 Oserais-je te dire

Telle que je t’imaginais,

Tes pieds mignons chaussés

 D’escarpins armoriés,

Tes mi-bas qui dévoilaient

Ton teint de rose,

Ta jupe si courte,

Elle incitait au voyage

Dont nul ne revient,

Même le plus ascète

Des patriciens.

Ton corsage enserrant

Deux fruits pommelés,

On eût dit des nuages

Dans le ciel apprêté.

 

Et ton visage,

 Cette nuée de bonheur

 Au milieu de tant de candeur.

Et ton sourire

 A peine esquissé,

Un rayon de soleil

Au cœur de l’été.

Et l’éclair de tes yeux,

 L’écho de ta chair

Dans le jour joyeux.

Ô Nikita-Lolita,

Puis-je encore demeurer

Dans l’essaim de tes bras ?

Te dire l’amour inaliénable

Que je te porte, ici,

Dans l’inenvisageable rime

Que trace ma vie

A mesure que mon regard

Te porte au centre même

De l’abîme ?

 

Un instant seulement,

Je t’aurais crue perverse,

Peut-être liée à quelque démon

Et mon chemin de hasard

Ne se fût tracé que dans

Un illisible limon.

Et pourtant,

Aimée hallucinée,

Es-tu autre chose qu’une fumée

S’élevant dans le ciel de mes idées ?

Fantasques, je dois bien l’avouer,

Moi l’éternel rêveur distillant

Mes pensées

Au hasard des nuées.

 

 

 

 

 

 

 

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