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13 avril 2022 3 13 /04 /avril /2022 08:51
De quel écueil ?

« Entre sel et ciel »

Etang de Leucate

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

De quel écueil

sommes-nous le nom ?

 

Toujours nous errons quelque part

au large de nous-même

mais nous ne savons guère

quel est le lieu

de notre navigation,

 le terme de notre voyage.

Déjà, enfant, nous n’étions

guère à nous, partagé

que nous étions

entre des Parents

certes aimants

mais dont nous étions

une manière de possession,

au moins symbolique.

 

De quel écueil

 sommes-nous le nom ?

 

Comment nous trouva

notre âge adolescent,

 si ce n’est sur cette ligne flottante,

cette sorte de césure s’installant

entre ses premières amours

et un Soi aux illisibles frontières ?

 

Et notre âge mûr, bien plutôt

que de nous délivrer

de nos angoisses,

de nos cauchemars

nous précipita,

 tête la première,

dans cet abîme du temps.

 Nous arrimions nos bras

 au bord de la faille,

conscients cependant

que l’heure s’écoulerait

et nous avec elle.

 

Que dire de l’arrivée

de notre vieillesse

 si ce n’est que, plus

qu’une césure, une faille,

 elle est dépossession de Soi,

les rémiges qui, autrefois,

assuraient notre vol,

les voici dispersées

aux quatre vents

et nous sommes des Icare

dont le vol hauturier,

bientôt, s’interrompra,

trouvera sa chute

 et nous n’aurons

même plus de langage

pour témoigner

de notre désarroi.

 

De quel écueil

sommes-nous le nom ?

 

Toujours nous avons

pensé ceci,

notre finitude en sa

braise la plus vive.

Pourquoi aujourd’hui,

brasille-t-elle

avec tant de force ?

Nous en sentons le feu

tout au bord de notre visage

comme si nos traits intimes,

singuliers,

l’emblème de qui-nous-sommes

se réduirait bientôt à néant.

Nous aurions trop tiré

 sur notre peau de chagrin.

De notre peau

plus de trace visible.

 De notre chagrin

la rutilante clarté.

 

De quel écueil

 sommes-nous le nom ?

 

Pourquoi, en cet aujourd’hui

 qui devrait être si beau,

 nous sommes vivants,

n’est-ce pas ?

Pourquoi de telles

idées sombres

nous assaillent-elles ?

Pourtant, devant nos yeux,

l’image est belle qui dit la Nature

en son éternelle faveur.

 

Le Ciel est une suie haut levée,

un voile nous dissimulant

les rivages de l’Eternité.

Puis le Ciel se décolore,

devient lisse, diaphane,

il fait penser au fin

duvet de l’oiseau,

à l’écume d’une naissance,

à la virginité

de la fleur de lotus.

Nous sommes heureux

de ceci et pourtant,

 nous sentons nous frôler

de noirs freux,

des oiseaux de malédiction.

 Pourquoi ne peuvent-ils supporter

 l’étincelle d’une mince joie ?

Qui sont ces freux

qui croassent et criaillent ?

Des métaphores de la Mort ?

La croix de nos péchés

 cloués en plein Ciel ?

L’ombre d’une malédiction

depuis toujours

à nous destinée ?

 

De quel écueil

sommes-nous le nom ?

 

L’horizon est une ligne

 blanche cendrée,

un mot à peine murmuré

sur la marge du jour.

Il y a beaucoup de paix

en cette paisible venue.

Il y a encore beaucoup d’espoir

 à pousser devant Soi

et pourtant notre Ciel s’obombre

de bien funestes couleurs.

Est-on perdu à jamais

dès que l’on vient au monde ?

Non, la question n’est

nullement puérile.

Elle sort simplement

d’une tête assiégée par la peur

car la Lumière baisse

et les paupières sont étrécies

qui filtrent les messages

du Monde.

Il fait noir soudain

et la tête est un chaudron

où bouillonnent des idées

de soufre et de geysers.

 

De quel écueil

sommes-nous le nom ?

 

L’eau est étale, calme, lisse,

seulement quelques rides

près du rivage

 et la palme d’une félicité

 partout étendue.

Cependant, que viennent

nous dire ces piquets

qui sortent de la vase

et se disposent

à trouer le Ciel ?

Cependant, que profère

cette barque où seules

 la proue et la poupe

émergent du fond lacustre ?

Que connaissent les

planches de la carène

sinon les ondes silencieuses

d’un Néant infini ?

 Nul n’en peut sonder

le vertigineux abîme.

 Que nous dit ce beau paysage

 que nous savons depuis toujours

mais dont nous ne voulons

entendre le cri secret

 et nous enfonçons

dans les conques de nos oreilles

d’épais bouchons de cire,

et nous obturons nos yeux

de lourds opercules,

et nous intimons à nos gestes

l’immobile attente,

et nous immergeons notre esprit

dans un fluide glacial

et nous cernons notre âme

d’une ouate dense

qui est pareille

 à une blanche geôle ?

 

De quel écueil

 sommes-nous le nom ?

 

Que nous dit l’ÉCUEIL

en son lexique si étroit,

il pourrait bien disparaître

et alors nous serions SEUL

face à l’Eau,

face au Ciel.

 

Nous serions SEUL

face à notre SOLITUDE.

 

De quel écueil

 sommes-nous le nom ?

 

 

 

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8 avril 2022 5 08 /04 /avril /2022 09:06
Le Cap en sa venue

Du cap de l’Abeille…au cap Béar …

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Que nous disent-ils dont, jamais,

nous n’aurions été alertés ?

Les Caps ne sont-ils

l’avancée de nos têtes

dans la diaphane

brume de l’exister ?

Nos pieds foulent le sol

d’humaine destinée,

mais ils n’intéressent

nullement le monde.

Ils sont trop prosaïques,

ils se confondent trop

avec le sol dont

 ils émergent à peine.

Seules comptent nos têtes,

nos Figures de proue,

 les images de notre

intime Épiphanie.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Nous les Hommes,

nous les Femmes

sommes identiques

à la lourde stature

de la Terre.

 En nous courent

 les sillons de glaise.

En nous germent

les humus

de nos croyances.

En nous se lèvent

les épis

de nos moissons.

Nous sommes

d’ombreuses argiles,

des tessons

d’antiques poteries

 jonchant le parcours

de la vaste geste humaine.

Mais d’être Terre

ne suffit pas.

Nous avons besoin

d’un Ciel

et, surtout, nous avons

besoin d’une Mer.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Les deux Caps

sont sombres,

couverts de nuit.

Pourtant en eux

 est logée

la pointe extrême

 de la conscience,

le lumignon de la lucidité.

Mais la conscience,

mais la lucidité ne constituent

 à elles seules un territoire,

 une parcelle seulement.

La Terre des Hommes

et des Femmes

a enfin rejoint

son port d’attache,

l’ancre a été mouillée

qui se fixera

 à une manière

d’éternité.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Les Caps sont de lourds cétacés

échoués au large d’eux-mêmes.

L’Abeille est un pollen triste,

un nectar éteint.

 Le Béar est un massif de roches

qui a trouvé le terme

de son périple.

Béar, Abeille,

 deux destins

 parvenus à l’extrémité

de leur être.

Un long sommeil

tout contre la plaine

 étincelante de la Mer.

Le vif de l’exister

s’est ici assoupi.

Ce que veut la conscience,

la contre-venue de l’Inconscient,

 ce réservoir immense des Rêves,

cette fécondation

infinie des Songes.

Ce que veut la Lucidité,

cette Aire Blanche,

cette Écume encore

plus lumineuse

qu’elle ne l’a jamais été,

 elle, la Lucidité,

la clarté humaine.

Car la Mer renferme

dans le luxe de ses abysses

bien plus que l’Homme

ne pourra jamais trouver en soi :

le secret de l’Homme

 en tant qu’Homme,

la pliure originelle

de sa venue au Monde,

 l’Onde qu’un jour il a été,

dont il a oublié

jusqu’au souvenir.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

L’on se recule,

l’on prend du champ

et alors que voit-on ?

On voit l’âme même

de la Poésie,

autrement dit l’immense

 beauté du Paysage,

autrement dit la gloire

infinie de la Nature.

Les Caps sont beaux

dans leur racinaire finitude.

Ils sont là allongés devant,

 ils sont là pour dire,

 précisément, le Cap

de tout cheminement

sur Terre.

Ils sont le Cap

vers le Grand Nord,

ils sont lumière

du Septentrion.

Ils sont lumineuses

aurores boréales.

Ils sont le Cap

 d’une Espérance Bonne,

d’une joie attachée

 à toute chose.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Les nuages sont haut,

très haut.

Ils regardent la Terre,

ils regardent la Mer.

La Terre se sait belle

d’être regardée.

 La Mer se sait belle

d’être regardée.

 Le Monde est beau,

en sa pure beauté

circonscrit.

Tout joue avec tout.

Tout conflue en tout.

Tout est en tout,

comme la malice

est dans les yeux de l’Enfant,

 pur prodige d’être en un seul

 et même empan de Soi.

Le Soi est Soi en Soi,

 pour plus loin que Soi.

 Le Soi est la Merveille.

 Merveille de toute chose

 en sa grâce retirée.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Tout est écho.

Tout est réverbération.

Tout est dialogue.

Abeille n’est que

grâce à Béar.

Abeille et Béar

 ne sont que

 grâce à la Mer,

à son blanc

 surgissement.

Nuages ne sont que

grâce à Abeille,

à Béar,

 à la Mer.

Abeille-Béar-Nuages-Mer,

infinie complétude

qui dit la Présence

 en son mode

 le plus accompli.

Conscience, Lucidité

ne sont en mode d’être

qu’au regard

d’Inconscient,

de Secret,

de Mer retirée

en ses golfes inaperçus.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

Grand est le Destin de l’Homme

lorsqu’il se confronte à ce qui,

plus Grand que Lui,

jamais ne l’aliène

 mais trace le cercle invisible

de sa propre Splendeur.

Des heures là,

des jours là,

des années là,

 on pourrait,

 on devrait

demeurer

sous le cercle

agrandi du Ciel,

sous la bannière grise

des Nuages,

face aux terrestres Cétacés,

 face à l’Immense

de la Plénitude Marine

 en son vertige brodé d’Infini.

La Nature est une Grande Chose.

 L’Homme est une Grande Chose.

Les invisibles fils de la Poésie

sont là qui les unissent,

tressent à leurs fronts

les palmes de la Pure Joie.

Tout est Hymne

qui vient à nous

dans la félicité

du Paraître.

 

Que nous disent les Caps

 en leur venue à nous ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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31 mars 2022 4 31 /03 /mars /2022 08:46
Au plein de Soi

« Tout ce dont

vous avez besoin

est déjà en vous »

 

Œuvre : Dongni Hou

 

***

 

Au plein de Soi

 

Cette simple phrase

venait à la manière

d’une ritournelle.

Elle, Vakandi,

 l’Attentive,

cherchait autour d’elle

ce qui pouvait la conforter,

la rassurer en son être.

Vakandi était sensible

à tout ce qui l’entourait :

la pâleur infinie du ciel,

la trace diaphane du nuage,

le tremblement blanc des bouleaux,

la survenue du premier frimas,

la chute de la feuille

 sur le sol d’automne.

Elle était elle, en elle,

au-dehors d’elle.

 Elle était qui elle était

à se projeter sur les choses,

à saisir le vol erratique du papillon,

à deviner la texture de l’air,

à apercevoir un sourire

sur un visage aimé.

 

Au plein de Soi

 

Toujours Vakandi avait cru

que le bonheur était une brise

flottant tout autour de soi,

que la joie était

une cristallisation

 qui se posait

sur l’écume de la vague,

sur la lisière de la forêt,

sur le bord souple de l’âme.

Vakandi était à soi hors de soi,

pareille à ces feux-follets,

à ces minces lueurs

qui venaient d’on ne sait où,

allaient on se sait où,

une simple brume flottant

sur le visage du Monde.

Le Monde de Vakandi était

toujours Monde de l’Autre :

ce qui était hors,

ce qui était lointain,

 ce qui différait,

ce qui allait et venait devant

 le globe ébloui des yeux.

 

Au plein de Soi

 

Mais que voulait donc dire

cette antienne énigmatique ?

 N’était-on toujours

au plein de Soi ? 

Et pourquoi cette Majuscule

à l’initiale du mot ?

Que voulait-elle signifier ?

L’unicité du Soi ?

Son Essentielle mesure ?

Un Orient qui vivrait en son abri ?

 Le Soi en Soi et plus rien autour

que le silence et la chute du jour ?

Ce que Vakandi savait

à la façon d’une certitude,

c’est que le Soi était

un pur mystère,

qu’il fuyait à mesure

 que l’on s’en rapprochait,

qu’il n’avait nul contour,

ne connaissait nulle frontière,

qu’il était semblable au trait

arrondi d’un cercle,

à la crète d’une montagne

 nimbée de rosée,

à l’eau grise de la lagune.

 

Au plein de Soi

 

Toujours Vakandi avait

été en quête de Soi,

Attentive à ses diapreries,

ses floculations,

 ses irisations.

Longtemps elle avait

cherché

le Soi au loin d’elle,

dans les sillons de glaise,

sur la cime des grands arbres,

l’immensité de la Mer,

les pays aux noms exotiques,

les courbes des méridiens,

les ciels azurés au-dessus

des clairs lagons.

Cherchant ceci,

elle n’avait rencontré

 que la vacuité de l’Espace,

la mobilité infinie du Temps,

d’insaisissables esquisses,

des pastels à peine affirmés,

des traits de graphite

que gommait

 l’obstination des choses

à ne nullement demeurer,

la fugue toujours

ouverte du présent,

sa fuite déjà dans un passé

qui ne proférait plus rien,

se dissolvait dans les mailles

floues des événements.

 

Au plein de Soi

 

Puis elle avait fui

 la matière trop lourde,

trop dense,

avait cherché la transparence

dans la fiction des romans,

avait cherché la limpidité

dans le rythme d’un poème,

avait cherché refuge

dans un adagio,

 un air de violoncelle,

une romance triste.

S’allégeant, elle faisait

de son Soi un simple souffle,

un chuchotement,

un silence entre deux mots.

Peut-être le Soi n’était-il

qu’une illusion,

une impossibilité,

 un espoir fou que le

premier vent emporterait ?

 

Au plein de Soi

 

Comment dire Vakandi autrement

qu’à en tracer l’empreinte si légère

sur la face d’une toile de lin ?

Les cheveux de Vakandi ?

Une auréole de lumière grise,

des reflets si doux,

la touche discrète d’une pensée,

la délicatesse d’un sentiment.

Le visage de Vakandi ?

Une blanche glaçure,

un poudroiement de Colombine,

le sérieux d’une attention.

Les yeux de Vakandi ?

Deux points noirs,

ils sont semblables

 à des virgules

sur le vierge de la page.

La bouche de Vakandi ?

Deux traits à peine affirmés,

on y devine la lente

germination des mots,

la possible efflorescence

 de la confidence,

la naissance, bientôt,

du poème.

Les bras de Vakandi ?

Deux tiges pleines de grâce

qui soutiennent l’à peine

insistance du visage,

sa muette interrogation.

Le corps de Vakandi ?

Deviné seulement, manière

de présence-absence

que souligne

une robe opalescente

semée de fleurs délicates.

L’attitude de Vakandi ?

Claire, droite, absorbée

dans la vision d’un coquillage

 posé sur le marbre d’une coiffeuse.

La disposition de Vakandi ?

Claire, droite mais songeuse,

infiniment songeuse,

 comme au bord

d’une hallucination.

 

Au plein de Soi

 

Où le Soi de Vakandi

en cette minute fixe,

en cet instant de suspens,

le Temps est arrêté pour

 un genre d’éternité.

Où le Soi de Vakandi ?

En elle, au plein le plus

secret de son être ? 

Sur le seuil de son propre monde ?

Hors d’elle, projeté dans les spires

de l’énigmatique porcelaine ?

Où le Soi ? Où le voir ?

Peut-on au moins

le rencontrer, le dessiner,

 le projeter sur l’écran

 de sa propre conscience ?

 C’est si indéterminé le Soi.

Si abstrait.

Réduit à ses trois lettres

 S-O-I :

 

S pour Source

O pour Origine

I pour Infini

 

Comme pour nous dire

la Source inaperçue,

 l’Origine cachée,

l’Infini qui se profile

sous l’horizon

des interrogations.

Toujours nous serons

des Métaphysiciens

aux mains vides,

des Magiciens sans cartes,

des Alchimistes courant après

l’ultime Matière

supposée devenir Esprit.

Mais comment comprendre tout ceci : 

en devenant Humain plus qu’Humain ? 

En s’extrayant de sa propre condition ? 

En se métamorphosant en ces Démiurges

qui procèdent à leur propre venue ?

 

Au plein de Soi

 

S-O-I avec des tirets

 entre les lettres,

comme pour nous dire

symboliquement

l’irrémissible quête,

le questionnement

en forme de vortex,

le contour de l’aporie.

 Il n’y a jamais

de Soi qu’en Soi,

à l’abri de toute

investigation.

Questionner le soi,

c’est déjà le réifier,

lui donner statut de Chose,

lui infliger une

immanente présence.

 Le Soi est le Soi.

Le Soi est tautologie.

Le Soi est à lui-même

son propre Pour-Soi,

son intime liberté.

 

Au plein de Soi

 

« Tout ce dont

vous avez besoin

est déjà en vous »,

 

tel est le titre conféré

à cette belle œuvre.

Ne nous dit-il le Soi

 tel qu’en lui-même

depuis toujours assumé ?

Ne nous dit-il le Soi

à la manière

de la Beauté ?

Indéfinissable,

impérissable,

 imprescriptible.

Le Soi est de la nature

des choses qui se profilent

 à l’horizon,

ne profèrent jamais

leur nom

qu’à s’absenter,

 la scène du monde

est trop étroite

pour accueillir le Soi.

Il est la Vastitude même,

l’Illimitation,

l’Insondable.

 

Il est le SOI.

 

Il est Œuvre accomplie.

 

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29 mars 2022 2 29 /03 /mars /2022 10:10
Du non-sens à l’évidence

 

Printemps en Corbières…

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

 

 [Incise - Ce qui va suivre, sous forme de poème, d’ode, d’hymne en leur plus commune modestie, n’a de sens qu’à s’inscrire dans la trajectoire qui, partant du non-sens constitué par la non-reconnaissance de la Nature, s’élève progressivement pour se découvrir à la manière d’une Evidence dont nos yeux, tachés d’une habituelle cécité, n’ont aperçu que l’écume de surface à défaut d’en surprendre l’étonnante et foisonnante profondeur. Oui, chacun le sait, la Nature est notre fondement humain, elle est l’Être par excellence et sans doute le Seul à qui nous puissions élever quelque temple, gravant sur son péristyle cette belle formule d’Héraclite l’Obscur :

 

"Nature aime à se cacher"

   

   Or rien de ce qui est grossier, fruste, vulgaire ne cherche à se dissimuler pour le simple motif que le prosaïque est la seule raison d’être de l’insuffisance, du manque-à-être, de l’incomplétude. Seuls le beau, l’aimable, le gracieux ont besoin d’une obscurité native de manière à ménager, en eux, ce qui paraîtra sous les auspices d’une joie simple, donatrice de sens. C’est à nous, les Hommes, de dévoiler l’agrément dont toute chose porteuse d’évidence est tissée avec la plus belle réserve qui soit. Réserve est distinction, réserve est élégance. Si la Nature se donne parfois sous des paysages grandioses, sous des parutions sublimes, elle n’est pas moins estimable lorsqu’elle prend le visage du Simple, du Modeste, de l’Inaperçu. Ce thème de la Simplicité traverse mes écrits à la manière d’un leitmotiv, leitmotiv que vient redoubler, avec un pur bonheur, l’œuvre exigeante d’Hervé Baïs, belles photographies en Noir et Blanc qui m’ont souvent servi de prétexte pour broder quelque propos d’essence sans doute obsessionnelle.

   Mais, par nature, sans jeu de mots, la Nature est elle-même obsessionnelle puisqu’elle persiste et signe dans on être malgré les atteintes mortelles que, chaque jour qui passe, nous commettons à son encontre. Certes méditer ne suffit pas. Agir est nécessaire. La photographie est le premier pas, l’écriture le motif qui vient en second, une manière de greffe sur la tige du réel. Nous avons à être les Jardiniers attentifs de cette floraison qui nous a portés au jour, que nous devons servir en retour avec amour. C’est bien le moins que nous puissions faire en direction de la Naturante dont nous ne sommes que les naturés, autrement dit les obligés. Merci à vous d’avoir lu jusqu’ici.]

 

*

 

« Nature aime à se cacher »

 

Toi, la Naturante,

 la Grande,

l’Immense Naturante,

combien ta prodigalité

est sans limite.

Certes tu nous offres

beaucoup

 et nous, les Hommes,

 ne voyons rien.

Et pourtant nos yeux

devraient être comblés

à seulement voir

le plumage bariolé de l’Ara,

 les teintes chatoyantes

du Grand Canyon,

les ramures écarlates

des Flamboyants

et pourtant nous devrions

être à satiété,

laisser emplir notre corps

de la lumière étincelante des Rizières,

des cristaux de sel du Salar d’Uyuni,

des herbes couleur de soufre

des vastes Steppes.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Toi-la-Naturante

dont les faveurs

sont immenses,

toi qui jamais ne taris,

 toi qui chantes

la beauté du Monde

selon d’infinis harmoniques.

Nous ne sommes que

Les-Rejetons-naturés

de qui tu es,

Toi-la-Naturante.

Mais nous les Hommes

de faible destinée,

nous sommes imaginés

pouvoir nous hisser

à ta Hauteur,

te servir au seul motif

de notre intelligence,

te dépasser même  

tellement nous jugions

notre génie sublime.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Toi-la-Naturante,

 nous t’avons dérobé

tout ce que tu possédais,

nous avons creusé ton ventre

 pour en extraire

 tes merveilleuses gemmes,

nous avons fouillé tes entrailles,

exhumé tes métaux précieux,

 prélevé tes sucs millénaires,

nous les Hommes

sommes venus à la curée

 et n’avons eu de cesse

de manduquer jusqu’au plus

infime de tes nutriments.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Nous les Hommes

de faible constitution

sommes capables

de grandes choses :

élever de hauts monuments

au fronton de l’Histoire,

servir la Science

et lui faire accomplir

des prodiges,

écrire les Poèmes

les plus hauts,

dresser les belles

 cimaises de l’Art,

y accrocher des œuvres

impérissables.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Mais nous les Distraits,

nous les Inconscients,

nous les Somnambules

 avançons au sein

de notre ombre,

 sans souci aucun

d’y trouver quelque clarté,

 quelque raison d’espérer.

Nous-les-naturés

issus de ton sein,

nous sommes devenus

au fil du temps

les dénaturés

qui ne savent plus reconnaître

la trace de leur chemin.

Désormais,

il nous faut apprendre

à nouveau à être Hommes

jusqu’au plein de notre conscience,

dissiper les brumes de nos erreurs,

 écarter les voiles de l’inconnaissance

et avancer sur le sentier de l’exister

avec le regard clair,

les mains blanches,

l’allure de ceux

qui cherchent

le Bien et le Beau.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Long est le périple,

difficile la tâche,

mais exaltante la course

au terme de laquelle

 nous nous retrouverons

Hommes en tant qu’Hommes

et rien au-delà

qui pourrait altérer

les pages d’une

vierge condition.

Toi-la-Grande-Naturante,

 La-Pourvoyeuse-de-toutes-choses,

 nous faisons le serment

de te reconnaître

au plein de ta puissance,

 de te fêter dignement,

de nous incliner

sur ton passage.

De toi, la-Naturante,

nous regarderons tout

avec ferveur et respect,

aussi bien le faste de

tes Immenses Glaciers,

les crètes immaculées

de tes Montagnes,

le dôme de mercure

 de tes Océans.

Mais, aussi bien,

nous veillerons

au Menu,

au Modeste,

au Simple.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Aussi regarderons nous

 avec attention

ce ciel clair tissé d’argent

que traverse la laine

grise des nuages.

Aussi regarderons-nous

cette lueur du Ciel

partout répandue,

une Vérité venue à nous

dans la discrétion,

ce Poème retenu.

Aussi regarderons-nous

la courbe alanguie des Collines,

leur simple trait de charbon

qui unit la Terre et le Ciel,

image parfaite

de l’Alliance,

du Partage,

 du recueil des Affinités.

Aussi regarderons-nous

avec l’émerveillement

 qui convient aux enfants,

la ramure blanche de l’arbre,

son miroitement

sur la batiste légère du ciel,

sa parole à peine venue,

elle est pour nous,

elle est pour les Choses,

elle est pour Elle

en sa neuve clarté.

« Nature aime à se cacher »

 

Toi-la-Naturante,

combien il t’a fallu

de savoirs accumulés,

 d’habiletés pour

faire se hisser

de la sourde glaise,

ce tronc aux écailles célestes,

ces branches entrelacées

qui nous disent

la beauté du Jour.

Combien de patience,

 combien de générosité,

combien de mérites

auxquels nous sommes

restés aveugles,

sourds et muets !

Nous n’aurons trop

de notre vie entière

pour combler nos errances,

calmer nos douleurs,

 poser un baume

 sur nos manques,

tisser au plein de notre être

cette Ode que nous

aurions dû t’dresser,

cet Hymne que nous aurions

dû chanter à ta gloire.

 

« Nature aime à se cacher »

 

Oui, toi-l’Abondante,

Toi-la-Bienveillante,

Toi-l’Attentive

 nous te remercions

de nous avoir adressé

ce paysage d’herbe grise

qu’effleure la lumière,

ce clair chemin qui ondule

parmi la solitude de l’heure,

nous dit la seule voie possible

pour un Destin humain :

être Soi jusqu’au

 plus loin de Soi,

être Soi

pour le ciel,

 pour le Nuage,

 pour la Colline,

 pour l’Arbre,

pour toute cette

multiple affluence

qui trace les limites

de notre humanité.

Merci infiniment,

 Toi-la-Naturante

qui es notre

 Mère à tous.

Sans toi,

ni le Ciel,

ni la Terre,

 ni la Lumière,

ni les Mots pour te dire.

Nous-les-Rejetons-naturés

 devons nous incliner

jusqu’au sol,

chanter pour Toi,

prier pou Toi,

aimer pour Toi.

Toi-la-Naturante.

 

« Nature aime à se cacher »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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28 mars 2022 1 28 /03 /mars /2022 10:07
Ensam à la fleur rouge

« Enfin seule ! »

 

Image : André Maynet

 

***

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Le monde, partout,

était traversé

de longues fulgurances.

 Partout étaient

les déflagrations.

Sur les champs de guerre,

sur les places des villes,

dans les chambres d’amour.

Partout étaient les plaintes,

les sanglots longs,

les cris de la déchirure.

Partout les chairs

étaient entaillées à vif.

Plus un seul point

de la Terre

qui ne fût épargné.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Des Hautes montagnes

chutait un brouillard triste.

Les océans étaient parcourus

de longs frissons.

Les profondes vallées

s’emplissaient d’ombres.

Les rues étaient des couloirs

commis aux meurtres.

Des vitrines fusaient

des éclairs blafards.

Des bouches

ne sortaient plus

que de vagues

 imprécations.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Quelque part,

dans une chambre

claire sur fond blanc,

vivait une Jeune Existence

qui faisait tache sur le monde.

Qui faisait tache en son retrait.

Qui faisait tache en son recueil.

Qui faisait tache en son silence.

Quiconque l’eût aperçue

en rêve en fût,

 dans l’instant,

tombé amoureux.

Tout comme l’on est

en amour d’un nuage

dans le ciel,

de l’eau claire

d’un ruisseau,

du cristal d’une herbe

sur le vert du pré.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Savez-vous le prix,

vous les Distraits,

 d’une Virginale Présence ?

 La pureté devient si rare

en ces temps d’allégeance

à tout ce qui brille,

à tout ce qui bruit,

à tout ce qui file

à la vitesse du vent.

Plus rien, aujourd’hui,

ne se donne sous le signe

de l’immédiate présence,

 sous celui de la générosité,

sous celui de la gratuité.

Aujourd’hui,

seul le négoce,

seul le voyage,

seul le masque

qui dissimule les traits,

efface les vices,

se donne pour vrai

alors qu’il n’est qu’illusion,

 qu’il n’est que parade,

qu’il n’est que façade.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Ensam, regardez-là

comme vous regarderiez

une haie de buissons blancs,

le vol de l’oiseau

dans l’air limpide,

le chant du ruisseau

dans le frais vallon.

Tout se dit et murmure,

tout s’écrit sous le caractère

discret du hiéroglyphe.

Seulement le retrait,

seulement le recueil,

seulement la discrétion

 font se lever la certitude

que quelque chose existe

qui ne soit nullement affecté,

qui rayonne de soi,

gagne l’espace d’une liberté.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Ensam est de la race

des Nymphes, des Elfes,

des Êtres des Sources

et des Bois.

 Ensam, parfois,

sur les murs blancs

de sa chambre,

une cellule monastique,

Esam écrit,

à la craie blanche,

quelque formule

qui lui sert d’emblème.

 

Solitude est Joie. 

Solitude est Vérité.

Solitude est ouverture

 du Monde.

 Solitude est aller

devant soi dans la plus

neuve des grâces.

 

Dire Ensam, la décrire

selon des mots simples

est la faire apparaître

en son essence

la plus déterminée.

Gris-blanc sont les cheveux,

poudrés d’une touche de Ciel.

Les yeux sont deux perles claires

que l’on devine au travers

d’une fine voilette.

 Le visage est

 un ovale régulier,

il dit la justesse,

il dit la perfection.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Les lèvres sont

à peine dessinées,

un trait rose pâle

 où s’enclot le silence.

Le corps, en son entier

est une porcelaine,

une clarté d’albâtre,

la netteté d’une épure.

Les épaules si minces,

le buste si plat,

si retiré en lui-même,

deux boutons y figurent,

deux aréoles faisant écho

 à l’humilité des lèvres.

Les avant-bras

sont gantés de noir,

ils évoquent un toucher

des choses ténu,

à peine un effleurement.

Le bassin est étroit,

pareil à une amphore

aux flancs resserrés.

Les jambes sont joliment croisées.

Le sexe est un illisible triangle,

le retrait dans une nubilité

non encore venue à elle.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

 Seule en sa Solitude,

Ensam la partage avec

une simple fleur rouge.

Pavot ? Amarante ? Œillet ?

Peu importe la fleur,

c’est la teinte

qui profère le mieux

ce lent désir caché

 sous le fin linon de la peau.

Qui montre peut-être

la matière de la passion.

Ou bien qui fait signe

vers le plaisir.

Ou bien encore se donne

comme le rougeoiement

d’une révolte.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Fleur contre Fleur.

Ensam est une Fleur

que le Monde vient cueillir

dans la fraîcheur de l’aube

pour en faire le don aux Distraits,

 afin qu’une fois Éveillés,

jamais ils ne puissent retourner

dans leur sommeil,

sombrer dans leur inconscient,

 s’abîmer dans la profondeur

de leurs rêves.

Car les Hommes

ont les yeux clos,

la mémoire étroite,

ils cheminent à leur péril

sur une ligne de crête

qui menace, à chaque instant,

de les précipiter

dans l’orbe du Néant.

 

Ensam en sa

verticale solitude.

 

Ils seront les Distraits

et le demeureront tout le temps

 qu’ils n’auront pris conscience

de la beauté des choses,

de la beauté d’Ensam

en son esquisse retenue.

Vous, les Distraits,

saisissez une craie et tracez

 sur les parois du Monde

 les signes de la Vérité.

Écrivez ceci dans l’allégresse,

 dans la certitude de dire l’Essentiel,

de ne rien laisser dans l’ombre.

Écrivez de vos mains tremblantes

pareilles à des sarments, écrivez :

 

Soleil est vie

Ouvrir le Monde

Libre comme l’air

Illusion d’exister

Ténébreux les Hommes

Unir le Rien et le Néant

Dire la faveur de ce qui est

Ensam en sa venue

 

Lisez ceci, les Distraits.

Méditez ce qui se trouve

à l’Initiale.

Sondez votre conscience,

dépliez votre âme

et écrivez encore ceci :

 

Enivrement du jour

Nudité native

Seul le chemin

Amour devant

Moirure du corps

 

Ainsi, les Distraits,

aurez-vous dit

 la seule chose

qu’il y avait à dire,

ainsi aurez-vous

relié ENSAM

 à la seule valeur

qui la pose ici,

devant vous :

 

SOLITUDE.

 

Vous les Solitaires,

plongez en vous jusqu’à

atteindre vos racines,

 

SEULES,

elles sont

SEULES.

 

Et vous êtes au Monde

 

ESSEULÉS,

 

à votre insu

et vous êtes au Monde

et ne la savez pas !

 

 

 

 

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25 mars 2022 5 25 /03 /mars /2022 09:58
Ce pays dont j’ai rêvé

Lac de la Ganguise

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Ce pays, longtemps

je l’ai habité

à la lisière de mes songes,

à la clairière de mon être.

Ce pays était celui de ma nuit

traversée

de fulgurances blanches.

Ce pays était pareil

à un conte d’enfants,

empli de fils de soie,

tissé d’aérienne splendeur.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Ce pays,

c’était moi hors de moi,

c’était moi en moi.

C’était un pays

plus réel que le réel,

c’était l’œil de l’imaginaire,

la langue souple de la poésie,

une révélation pareille

au surgissement

de l’amour.

Souvent, au cours de

mon voyage nocturne,

je m’éveillais,

avec la certitude que donne

toute joie accomplie,

avoir, au creux

de mes mains,

ce que je cherchais

en vain depuis toujours.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Mais l’abattement

succédait à l’illusion

et une rivière de larmes

creusait ses cruelles ravines

sur la plaine aride

de mes joues.

Pourquoi faut-il

que le songe meure

à la frange du jour ?

Pourquoi, ce qui était

pure félicité,

s’abîme-t-il en

de tristes abysses ?

Existe-t-il, en quelque

endroit du monde,

une Arcadie où vivre

jusqu’au bout de soi,

ne rien regretter d’Hier,

ne rien projeter pour Demain,

demeurer dans le plein

du Présent

et y creuser sa niche

avec le désir

de n’en jamais sortir ?

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Voyez-vous,

c’est une peine sans égale

que d’abandonner ses rêves

que le jour dissout,

d’avancer sur un chemin

 bordé d’épines,

 de ne rien attendre d’autre

que la prochaine nuit,

son lac ténébreux,

 là où s’ouvrent

les plus belles images,

 là où de verts météores

tracent leur sillage,

 là où des chants silencieux

venus d’ailleurs

vous accordent à votre être.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Alors, entre le monde et soi,

entre le bonheur et soi,

entre le désir

et ce qui le fait se lever,

plus rien n’existe

qu’une belle unité,

plus rien ne s’écrit

que sur le vierge

d’une page blanche.

 Et voici qu’à l’instant

où tout se retirait de moi,

qu’à l’heure d’un

possible renoncement,

s’annonçait ce que

mon intuition

faisait naître dans le pli

de ma conscience,

une pure beauté

qui m’était destinée,

dont j’assurais le recel,

dont je prolongeais le recueil

aussi longtemps qu’une éternité

m’en octroierait le subtil bonheur.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

C’était une pluie d’étoiles

parmi l’encre de minuit,

un fuseau de brillante

lumière,

des lignes de clarté

qui traçaient la voie

de mon Destin.

La lumière,

je la suivais,

ou bien elle me

précédait de peu,

ou bien la lumière

était entrée en moi,

était moi jusqu’au cœur

le plus vif de ma chair.

Mon esprit,

détaché de mon corps,

le voyait, mon corps,

semblable à ces

poissons lumineux

des grands fonds,

 un genre de poisson-lune

dilaté aux confins de l’univers.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Tout était matière éthérée,

énergie céleste,

 traversée de l’espace

avec le prodigieux

sentiment de l’infini.

Le Ciel, mais j’étais le Ciel,

était une immense bulle,

un dôme étincelant  attaché

 aux quatre horizons du monde.

Le Ciel était gris que floconnait

 le glissement de fins Nuages.

Les Nuages,

mais j’étais les Nuages,

regardaient la Terre

de leurs yeux invisibles.

Le Ciel descendait

 vers les Collines

en se décolorant,

le gris de plomb et d’étain

le cédait au gris perle,

une douce incantation proférée

par une Parole inaudible.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Les Collines,

mais j’étais les Collines,

 étaient un clair liseré

liant l’Occident à l’Orient,

un seul mot qui disait

 le lieu de la Pure Présence,

l’avènement en soi

de ce qui attend

 et se décèle

afin d’être connu,

afin d’être fêté.

Nulle joie plus grande

que la Naissance de l’Aube,

nulle cérémonie plus belle

que le dépli des volutes

 encore soudées de l’ombre.

Et le Lac, et l’Eau,

mais j’étais les deux

en un même mouvement réunis,

et le Lac de blanche écume,

et l’Eau de neuve parution

et les Choses de réelle donation.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

Pouvait-il y avoir,

en ce lieu,

en cette heure

singulière entre toutes

de plus grande émotion

que de se trouver

à la confluence des Choses,

au sein de leur mystère,

au luxe inouï de leur jointure ?

 Et ces Épis noirs des branches,

mais j’étais les Épis,

naissaient de la blancheur,

montaient telles

de fuligineuses notes,

tels les pleins et les déliés

d’une Écriture

jusqu’ici indéchiffrée.

Mais j’étais cette Écriture,

j’étais ce balbutiant Alphabet,

 mais j’étais Espace

entre les signes,

j’étais le Silence

 avant la Parole,

j’étais l’Invisible

avant le Visible.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

 

J’étais ce qui venait

au Monde

et ne savait point

 ni le lieu,

ni le temps,

 ni la raison

de sa venue.

Cependant un nom résonnait

sous la voûte des Cieux,

cependant trois syllabes

frappaient les trois coups

 sur la grande scène du Monde :

 

 « GAN-GUI-SE ».

Mais j’étais

GAN-GUI-SE 

 mais ne savais

les contours

de mon être.

J’étais Ciel, Nuages,

Collines, Lac, Eau,

Branches,

j’étais tout ceci

et le demeurerai jusqu’à

la pointe du Jour.

Oui, à la Pointe du Jour.

 Il n’y a guère

de plus réelle Vérité.

 Je suis un Monde

que le Monde attend.

Le Monde est Monde

qui m’attend.

Plus loin que la césure

Plus loin que le partage

Au milieu inouï du SENS

Toujours est la Confluence

qui fait les Choses

en tant que Choses,

le Monde

en tant que Monde,

ma propre Présence

en tant que Présence.

Hors ceci,

seul le Silence.

 

SEUL.

 

Ce pays dont j’ai rêvé

a-t-il seulement jamais existé ?

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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 11:26
Biffure des Mots

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

*

 

Sommes-nous

au moins

assez éveillés

pour percevoir

le bruit de fond

du Monde ?

Ne demeurons-nous

 trop en nous,

dans l’enclin

 de-qui-nous-sommes

et alors plus rien n’existe

 que le foyer menu

 et son égoïque étincelle ?

Le Monde,

il nous faut le viser

en sa totalité,

c’est-à-dire en  sa Vérité.

 Ne laisser aucun coin

dans l’ombre,

désocculter les failles,

débusquer ce qui s’y dissimule,

en un mot être inquiets

 de la feuille,

 du vent,

 du sable

 qui glisse depuis

 l’arrondi de la dune.

 Le Monde a perdu la Raison.

Mais l’a-t-il jamais éprouvée

telle une réalité ?

De nos yeux il faut ôter

 la lourde cataracte,

de nos oreilles

 retirer la cire,

de notre conscience

 lever le voile,

de notre esprit

désembuer la vitre,

notre âme la rendre

transparente.

 Et nos mains ?

Et nos doigts ?

C’est d’eux en premier

dont il faut parler.

Nos mains sont inertes,

nos doigts sont gourds

et quiconque nous observerait

avec attention

nous croirait paralytiques,

 affectés de quelque apraxie,

 et quiconque nous jugerait,

 dirait notre native incapacité

 à mobiliser quoi que ce soit.

Geste cloué sur place.

 Catatonie.

Léthargie.

Ainsi le Monde

irait à la vitesse

des comètes

et nous à celle

des gastéropodes.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Nos mains,

il faut parler

de nos mains,

en faire l’inventaire

et les promettre

 à un radieux avenir.

Du moins est-ce notre espoir

 dont il faut croire cependant

qu’il est bien fol.

 Il en va de notre destin,

 il en va du destin du Monde.

La main est blanche, livide,

 pareille à des rameaux

de porcelaine,

 à des bourgeons de kaolin.

 Blanche est sa blancheur

qui frôle le Néant.

La Blanche Main

est le Néant

en son ultime forme venue.

 Blanc est le silence

de la Main.

Main nullement

 attentive à Soi,

main en tant que Main transie

mais cependant nullement neutre,

transie seulement en apparence.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Main, en quelque manière,

 destructrice du Monde.

Main destinalement orientée

 vers la perte de l’Homme.

Main qui ne sait

plus reconnaître

le chemin de sa tâche :

recevoir, accueillir,

 frôler, caresser,

 faire fleurir

 le geste d’oblativité,

se donner

 comme réceptacle

 de l’Amour.

La Main s’est refermée

 sur sa propre incompréhension.

 Les Doigts, ses attributs,

sont de simples sarments

qui semblent promis

aux confins

d’un proche abîme.

 Les Doigts sont

une blanche sidération,

 les concrétions de la peur,

 les linéaments

d’une blanche angoisse.

 Ils sont des tiges de givre.

Mais nullement plongées

en leur hivernale froidure.

Les apparences

sont trompeuses.

Eux, les doigts,

 qu’on croirait

endormis, atones,

 voici qu’ils sont doués

d’un dangereux pouvoir :

celui de ramener l’Homme

à sa primitive

et pierreuse condition.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Blancs sont les doigts,

blanche la cruelle Vérité,

 blanc le masque mortuaire

 du Monde que figure

cette blanche épiphanie.

Là-bas, dans les lointains

du Temps et de l’Espace,

 l’Origine est ce blanc

 et beau linceul,

cette neige étincelante

 qui n’a encore connu

 nulle souillure.

Puis le Monde

a découvert

 son venir-sur-soi,

l’engrenage fatal

des heures et des secondes.

 De ceci, la marche du Temps,

 en est résulté la levée

d’une grise nuée,

se sont obombrés les jours,

 s’est déplié le Mal

qui rôdait tel un voleur

dans d’inquiétantes lisières.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Le Monde a pris Visage

 d’un Masque Antique

habité de tragique.

 Depuis les coulisses,

 depuis le proscénium,

la voix du Choryphée

s’est fait entendre avec,

dans la déclamation,

d’étranges

et tonnantes

 inflexions.

 D’autres bruits

s’échappaient

 des cintres,

des herses,

un bizarre feulement,

un étrange bourdon

dont, bien vite,

l’on s’apercevait

 qu’il était

la Folie Guerrière

du Monde,

le chant lugubre

des Génocides,

le roulement

des pas exténués

de l’Exil.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Ce que la Blanche Main,

oublieuse

des Paroles de l’Origine,

a accompli sans peut-être

bien le savoir,

donner lieu au meurtre

 de l’Essence Humaine,

à savoir plaquer

sa lourde congère sur

Ces Lèvres Noires,

charbonneuses,

 bitumeuses,

un goudron invasif

dont nul Langage

ne sortirait plus,

ni la moindre plainte,

 ni le plus mince murmure.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Le Langage,

 cette Transcendance

princeps

 dont découle

toute autre

Transcendance,

Art,

 Religion,

Philosophie,

 le Langage a reflué

au plus profond

de mystérieux abysses

 et avec son effacement,

c’est l’Humain

qui s’est perdu,

c’est le Monde

qui a basculé

 dans l’aporie plénière

dont, jamais,

 il ne se relèvera.

. Partout la Terre

se lézarde.

Partout les flots

tournent au Déluge.

 Partout les polémiques

deviennent conflits.

Partout la Culture connaît

sa peau de chagrin.

Partout l’Amour

se donne

dans le vénal.

Partout la Poésie

 est clouée au pilori.

Partout la Blanche Main

a frappé,

 elle qui n’a plus souci

ni d’elle-même,

ni du Passé,

ni du Présent,

 ni du Futur

qui devient illisible

sous le fuligineux

horizon du Monde.

Ou bien ce qu’il en reste.

Pas même une Blancheur.

 Pas UN SEUL

ET UNIQUE MOT

 

Le Néant en sa

 « multiple splendeur ».

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

 

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17 mars 2022 4 17 /03 /mars /2022 10:34
Hilde et la volupté

Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Hilde,

tel était son prénom,

il voulait dire

« lutte », « combat ».

Mais lutte contre qui ?

Mais combat contre quoi ?

 Hilde ne savait nullement

pourquoi elle était Hilde,

 le sens de ce duel

qu’elle entretenait

avec le Monde.

Depuis toute petite déjà,

elle avait su

cette irrépressible inclination

à se dresser contre les choses

plutôt que de chercher

à les amadouer,

à les faire siennes,

 à réaliser une unité.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Cependant Hilde

n’était nullement révoltée,

seulement arc-boutée

sur son destin,

bandée telle la corde de l’arc.

Son avancée dans l’âge n’avait été

 que confirmation de tout ceci.

 L’âge adolescent

l’avait trouvée rebelle

mais non insensible

aux charmes des petits Amis

qu’elle croisait, ici et là,

au hasard des chemins.

Bien vite elle s’était aperçue

 que sa beauté

 ne les laissait

 nullement indifférents,

qu’ils cherchaient

sa compagnie,

 qu’ils lui envoyaient

des signes, des sourires,

autant d’invitations

 à les rejoindre.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Au début,

dans un pur souci

de coquetterie,

elle avait feint

de ne pas les voir,

 ne pas les entendre,

de poursuivre

en quelque manière

le sentier innocent

de l’enfance.

Seulement,

tout juste adolescente,

 Hilde possédait

tous les atouts

d’une femme mûre :

élégance discrète,

confiance en soi,

formes généreuses,

on eût pensé

à des fruits mûrs,

pommes luisantes,

pêches veloutées

 et odorantes.

Si bien que Hilde

s’tait prise

à son propre jeu,

selon la pente

de quelque ingénuité,

elle était séduite

par sa propre image.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Elle passait de longues heures

 devant le tain de son miroir

qu’elle interrogeait.

L’écho qui en revenait

était de « luxe »

et de « calme »,

il ne manquait

 que la « volupté ».

A son corps défendant,

elle était une figure matissienne,

un genre de Modèle

dont l’académie eût séduit

le grand Peintre.

Elle était consciente

qu’elle devait

faire naître en elle

cette « volupté »

 qui n’était encore

que bourgeon plié

dans sa tunique d’écailles.

Volupté elle voulait,

Voluptueuse elle serait.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Or elle s’aperçut vite

que Volupté

consonait avec Désir,

consonait avec Jouissance.

Donc Hilde devint,

à son corps consentant

Volupté-Désir-Jouissance,

comme ceci, d’un seul trait,

d’une seule et même figure

de-qui-elle-était.

Dès lors on s’intéressa

beaucoup à elle.

A son corps,

 à ses formes,

bien plutôt qu’on ne

flattait son esprit,

qu’on ne louait son âme.

Hilde, en une

première réception

s’était contentée

de ce regard posé sur elle

comme on le poserait

sur une friandise,

une Bêtise de Cambrai

ou bien un berlingot

ou bien une barre de nougat.

Comme on peut s’y attendre,

ses conquêtes furent vives,

son corps le lieu de mille feux,

de mille éblouissements.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Cependant la joie

tardait à venir,

cependant le bonheur flottait

 à d’inaccessibles altitudes.

Hilde comprit que cette vie

d’immédiate abondance

était vide de sens, stérile,

que rien n’en sortait

que le cycle infernal

du manque et du désir

et elle passait

de longues heures

 d’abattement,

 demi-nue,

seulement vêtue

de ses colifichets

dont elle avait attendu

 qu’ils la rendissent radieuse,

 mais ils n’étaient

que des miroirs aux alouettes,

d’étranges signaux

dans lesquels,

tels des phalènes,

ses Amants de passage

venaient un instant

 brûler leurs ailes

et prenaient leur envol

dépossédés du souvenir même

de ce corps qui les avait accueillis

puis déposés dans une manière

de territoire flou, sans attaches.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Hilde n’avait été

qu’un simple

divertissement,

 un trompe-l’œil,

un dérivatif de l’ennui.

Brusque fut sa métamorphose,

soudaine sa prise décision.

Elle ne changea rien

à son apparence extérieure,

à la touche craminée de son fard,

 au khôl bleu de ses paupières,

 à ses vêtures osées,

 à ses hauts escarpins,

 à sa marche pareille

 à celle des Mannequins.

 Ce qu’elle voulait désormais,

du fond le plus vibrant

de son cœur, desceller

de leur piédestal existentiel

Volupté-Désir-Jouissance,

les ramener à plus de Vérité,

les regarder en leur Essence.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Volupté en tant que Volupté.

Désir en tant que Désir.

Jouissance en tant

que Jouissance.

Pareille au joaillier

qui taille avec ardeur

 les faces de son cristal,

pareille à l’Astronome

qui cherche l’Étoile unique

au fond de la lointaine galaxie,

 pareille au Fauconnier

qui s’oriente

sur la perfection

du vol de son oiseau,

Hilde n’accordait plus de place

qu’à la perfection de sa Volupté,

à la rubescence de son Désir,

à la pure splendeur de sa Jouissance.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Tout se donnait

en soi, pour soi

et le monde alentour

 ressemblait

 à un manège de brume,

 à la diaphanéité d’un songe,

à une vapeur montant du sol.

En vérité,

Volupté-Désir-Jouissance

 étaient leur début et leur fin,

 le centre et la périphérie,

 le fragment et le tout.

Ce triptyque

était devenu si subtil

qu’il n’avait plus besoin

 de nul objet pour trouver

 le site de son sens.

Il était le SENS

 parvenu au faîte

 de son être,

à la pointe extrême

 de sa manifestation.

 

Volupté-Désir-Jouissance

Trois mots pour

une seule Essence

 

Il y avait maintenant

une manière

de quadrité indissociable,

d’étoilement

au Centre duquel

se trouvait Hilde

avec ses trois branches :

 Volupté

 Désir

Jouissance.

 Chacune appelait l’autre.

Chacune n’existait

que par l’autre.

Nommait-on « Volupté »

  et surgissaient « Désir »

 et « Jouissance ».

Nommait-on « Désir »

et se déployaient

« Jouissance »

et « Volupté ».

Nommait-on

« Jouissance »

 et s’épanouissaient

« Volupté »

et « Désir »

. Nommait-on

« Hilde »

et l’on avait

les Quatre à la fois.

Lutte et combat qui étaient

 les significations fondatrices

du prénom « Hilde »

 avaient enfin trouvé le lieu

de leur apaisement

et de leur unité.

Rien que ceci signifiait

au-delà de toute question.

 Le dispersé,

l’épars,

 le divers

 étaient au foyer.

 

Hilde était Hilde

telle qu’en son essence.

 

HILDE.

 

 

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15 mars 2022 2 15 /03 /mars /2022 10:50
Sur l’illisible lisière de l’Être

Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

   [En guise d’entrée dans ce poème. Ce dernier, nul ne le comprendra (j’ai souvent défendu la thèse selon laquelle comprendre un poème revenait à le détruire, alors détruisons, de cette manière nous nous rapprocherons de l’abîme), on ne le saisira donc qu’à ouvrir le préalable suivant. Les mots ici posés, l’ont été à partir de cette Esquisse telle que proposée par Barbara Kroll. Le jeu de langage s’est calqué au plus près des signes qui paraissent au travers de l’œuvre naissante. La parole du poème est adressée par le Narrateur au Sujet de la toile. Mais il faut percevoir, sous cette signification formelle de surface, une autre signification plus profonde qui interroge l’humain jusqu’en ses plus ultimes fondements. Ainsi, décrire les biffures, faire apparaître le néant, en appeler à un vide constitutif de l’œuvre en sa genèse, c’est, de facto, procéder à sa propre genèse apparitionnelle.

    Aujourd’hui, enfin venus à nous dans la forme approximative que nous connaissons, notre épiphanie actuelle ne porte plus trace des phases constitutives de notre être-au-monde. Mais si nous présentons, ici et maintenant, un visage acceptable, c’est au simple motif que nos manque-à-être, nos balbutiements existentiels, nos failles les plus patentes, un lent travail du temps en a gommé la trop sévère réalité. Cependant disparition n’est nullement synonyme de total effacement.

   Si, par un rapide exercice de l’imagination, nous retournons notre peau, nous y trouverons sans délai, coutures, scarifications, plaies, cicatrices, morsures et autres lésions qui ont émaillé, souvent, à l’aune de quelque ressentiment, les étapes de notre cheminement. Nos afflictions d’aujourd’hui, du moins j’en fais l’hypothèse, ne sont que des réactualisions de ces actes du passé, lesquels, en termes psychanalytiques se nomment « lapsus ». Tout comme une œuvre venant à sa forme accomplie, nous ne sommes qu’une série d’actes manqués que notre ego dissimule à sa façon sous maints fards. Tout exister se construit sur des décors en trompe-l’œil. Savoir ceci est déjà participer à son propre sauvetage.]

*

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

J’écrirai ton nom

 

Te tutoyer,

 t’amener auprès de moi,

n’est-ce pas déjà

un geste inopportun ?

Jamais de familiarité

avec l’Étranger,

 qui aussi bien pourrait

se dire l’Étrange.

Toujours une distance

s’établit de Toi à Moi

car nous n’habitons

nullement

le même territoire.

Vois-tu, malgré les essais

d’alliance,

de rapprochement,

 d’amour peut-être,

la distance entre les Vivants

est immense

qui, le plus souvent,

se donne tel

un vertigineux abîme.

 Je te sais exister en toi.

Tu sais ma propre posture

 en qui-je-suis

Nous savons

la profondeur

de la douve

qui nous sépare

 dont rien ni personne

ne comblera la faille.

Vérité infrangible

de notre mortelle condition.

Mortelle, oui,

nous en sommes assurés

car, en nous,

 autant de mort

que de vie,

en nous

 autant de blanc

que de noir,

en nous

 autant de joie

que de tragique.

 

 Sur l’illisible lisière de l’Être

Je graverai tes signes

 

Autant m’avouer que

 jamais je ne te connaîtrai.

Autant te persuader

que je demeurerai,

 pour toi,

 une lointaine terra incognita.

Nous sommes des îles éparses

que nul archipel ne réunit.

Nous sommes des créatures

 des vastes océans,

peut-être ces habitants

des grands fonds

 aux yeux aveugles

qui chantent silencieusement

au creux de noirs abysses.

Ceci, chacun le sait depuis

le clair cristal de sa conscience

mais nul ne l’avouerait

 qu’au risque de se perdre.

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

J’avancerai les yeux ouverts

   

Parfois est-il préférable

de mettre sa lucidité

sous le boisseau.

Ne le ferions-nous

 et l’haleine glaciale

de l’aporie

 figerait notre dos,

ferait naître en nos reins

de minuscules

mais dangereux icebergs.

Pouvons-nous,

sur cette Terre,

connaître une autre mesure

que celle de l’absurde,

une autre réalité

que celle de l’insensé,

éprouver un autre sentiment

que celui d’une folie racinaire

qui ne rêve que

de nous faire rejoindre

cette glaise originelle,

nous y inscrire

pour l’éternité ?

Certes, tu trouveras

 mon propos

 bien fuligineux,

mes paroles pessimistes,

mes idées stériles.

 Mais, en ton fond,

tu sentiras,

comme l’on éprouve

un frisson

 sous l’impulsion

d’un vent soudain,

ce tourment qui ne sera

que confirmation de mes dires,

fussent-ils funestes,

eussentt-ils dessiné

la forme étique

d’un non-sens.

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

J’inventerai la forme

de ton bonheur

 

Hors ce préambule,

force m’est destinée

de te dire selon Celle-que-tu-es.

Ta Forme, mais sans doute

le qualificatif est-il excessif,

ton Esquisse plutôt est celle

de-qui-vient-au-Monde

dans l’incertitude de soi,

dans l’incomplétude,

dans une manière

de gris désarroi.

La mélancolie

est le ton

qui te définit

le mieux.

C’est à peine

si tu te détaches

d’un fond blanc

maculé de taches.

 Confirme mon impression,

ce blanc,

c’est bien le Néant

en personne,

ces taches ce sont bien

des tentatives d’exister

qui s’annulent à même

 leur illusoire prétention ?

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

Je donnerai acte à ta joie

 

En vérité,

 tu es un Être

 traversé de néant,

griffé de nullité,

comme retenu,

sinon aspiré par le Vide

d’où tu proviens.

 Sais-tu qu’à prétendre vivre,

est attachée

une incroyable audace ?

 Il faut une force inouïe

 pour s’extraire du Néant,

pour refuser,

chaque jour qui passe,

ses attraits,

ses aimantations.

Saurait-on,

à l’orée de sa naissance,

le violent combat qu’est la vie

et nous retournerions sans délai

dans le non-lieu,

le non-temps

qui nous abritaient.

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

Je poserai les contours

De ton épiphanie

 

Tes cheveux ?  

Une sorte de vague résille,

 un aria d’épines,

une jonglerie de rien.

Ta tête ?

Rouge, entre Alizarine

et Ponceau,

simple giclure de sang.

Ta tête ?

Un visage à la Basquiat

avec ses orbites vides,

la herse visible des dents,

 les joues mangées

par quelque lèpre,

une apparition-occultation,

 une avancée-retrait

dans l’illisible du siècle.  

Tes bras ?

Deux angles vifs,

ils enserrent ta tête

dans un étau.

Ton corps,

 ton corps de haute lassitude,

ton corps d’invisible présence,

 qu’est-il que je ne saurais saisir ?

Corps-canopée

en son inatteignable figure ?

Corps-lagune

livré aux vents mauvais ?

Corps-mangrove

déchiqueté par les pinces

des crabes ?

 Corps-brume

sans réelle consistance ?

Corps-diaphane,

on pourrait le franchir

sans même s’en apercevoir.

 Ou bien déroutant

Corps-astral,

 traversé de forces mystérieuses,

Corps de Lotus et de Chakras,

Corps-quintessencié

 qui n’aurait plus,

pour paraître

que le motif

de sa propre lisière ?

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

J’appliquerai le calque

De ton Corps

 

Rien de ce qui fait sens

 pour moi n’est présent.

Nulle poitrine.

Nul bourgeon

mimant des aréoles.

 Nul ombilic

en sa mince doline.

Nulle clairière du sexe

avec son lumineux appel.

 Et tes jambes,

Disséminées,

 de-ci, de-là,

on penserait

 à des pattes d’insectes,

elles disent

dans cette bizarre posture

 ton à peine appartenance

 à l’espèce humaine.

Oui, je sais, tu n’es

qu’une Esquisse

sur un subjectile,

un ensemble

de traits tâtonnants,

de reprises et de biffures,

d’affirmations et d’effacements,

 d’avancées et de retraits.

Tu es à l’image de tout exister,

 à l’image de la Femme que tu es,

je suis à l’image

de l’Homme que je suis.

Aujourd’hui, parvenus

au plein de nos êtres,

ou y tendant,

 nous avons oublié

 les prémisses

de notre venue sur Terre.

Nous ne vivons jamais

 qu’à être amnésiques.

A peine notre mémoire naissait,

 projetait dans le temps et l’espace

 ses milliers de boucles et d’arabesques

 et, déjà, il ne demeurait de nous

que ce Vide sidéral,

que cette nullité

 que nous nommions

« Vie »,

qui n’était

qu’effacement,

 perdition,

dépassement

de la lisière

 en direction

du Vaste Inconnu.

 

Sur l’illisible lisière de l’Être

J’écrirai ton Poème,

 le Poème de Qui-tu-es

en ton Énigme

 

ÊTRE

 

 

 

 

 

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13 mars 2022 7 13 /03 /mars /2022 11:13
Chair de plénitude

Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

Chair de plénitude,

tu nous interroges si fort

sur Nous

sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

En ce temps

où la guerre fait rage,

en ce temps où les hommes

semblent avoir perdu

leurs repères,

leur raison,

comment pourrais-je

me détourner de Toi ?

Certes, tu n’es qu’Esquisse

sur une toile

mais Esquisse présente

bien au-delà

de ta forme,

de ta teinte,

de ta posture.

Une Esquisse en Soi

qui réhausse le sentiment

que je peux avoir de moi.

C’est étrange et rassurant

cette vertu de l’art

de métamorphoser

Celui Celle

 qui s’y adonnent avec ardeur,

de les ôter à eux-mêmes,

de les déposer au lieu

où ils pourront éprouver

une heureuse complétude.

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

Te pensant,

 t’imaginant,

 te nommant,

toujours je trouve

le sublime mot de

PLÉNITUDE

Telle Celle que tu es,

tu es une manière d’orient

qui m’indique le chemin

vers Modigliani,

vers « Nu couché ».

Même carnation,

même corps souple

offert à la vue,

même confiance

en la vie,

même liberté

à l’intérieur de Toi.

Certes tu es plus pudique

que « Nu couché »,

mais ceci n’est-il peut-être

qu’une réserve provisoire.

Si la forme diffère,

le fond consone.

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

C’est une véritable

Ode à la Joie

qui se lève de vos deux figures.

Eloignées dans le temps,

 unies dans l’identique du dire.

Mais c’est Toi que je vais

regarder maintenant.

Toi et le Monde

qui paraît si près

de sa fin.

 La vague souple

de tes cheveux

n’est-elle le signe

de ce généreux abandon

qui semble te combler

et te porter hors de toi

vers qui voudra bien

t’apercevoir

selon ta propre vérité.

Tes yeux clos ne le sont-ils

qu’à biffer le Monde

en quelque sorte,

à l’abandonner

à sa propre finitude ?

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

Ta peau soyeuse,

que tend une chair pulpeuse,

se pare de si heureuses touches !

En Toi, une lumineuse palette

qui dit l’intensité de la vie,

l’urgence de te donner

au bonheur sans réserve.

Uniquement des couleurs

de félicité :

Coquille d’œuf

qui dit sa discrétion,

l’atténuation de la lumière ;

Chair qui affirme sa densité ;

Saumon et déjà tu remontes

 à ta source ;

 Dragée et tu rejoins

les rives radieuses

de ton enfance.

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

Et ce linge rouge

qui t’entoure,

ce Rosso Corsa

plus vif que la Pourpre,

est-il large fauteuil,

tenture ou fond

d’où tu proviens,

un genre d’incendie

dont nul ne connaît la raison,

 que nul ne pourrait éteindre ?

n’est-il tout uniment l’épiphanie

d’une félicité intérieure

qui traverse ton corps

 et bourgeonne à la façon

de l’éclosion d’une fleur,

singulièrement d’une rose ?

 Nullement le bouton

 replié sur lui-même,

mais plutôt

le déploiement

des pétales,

le luxe ouvert

de la fragrance,

la tête vous tourne

à son contact mais

le vertige est délicieux,

il est réminiscence

des temps anciens,

il est floraison

des souvenirs éteints.

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

L’un de tes bras suit

la diagonale de ton corps

dans un geste de protection.

 De quoi est-il le signe :

d’une pudeur native ?

 D’une retenue

 en ton intime ?

 D’une crainte vis-à-vis

 des syncopes du Monde ?

 L’autre bras est

une longue liane

qui épouse ton flanc,

semble le flatter.

Une jambe est relevée et pliée

sur laquelle ta tête prend appui.

L’amande de ton sexe

est visible,

 à la manière de celle

d’une Jeune Fille nubile

 qui, encore, n’aurait connu

le signe de la défloration.

Et, en quelque sorte,

tu serais en-toi-hors-de-toi,

en voyage pour

une nuptiale cérémonie.

 Certes, tu souhaiterais devenir,

en un seul et unique

trait de ta volonté,

devenir l’Épousée

du Monde,

mais l’Épousée

d’un Monde heureux,

débarrassé de ses scories,

dispensé de ses maux,

exhumé de ses biffures,

 un Monde sans hébétude

ni servitude,

un Monde

sans négritude

ni solitude,

mais surtout

un Monde

de quiétude,

de plénitude,

car seulement à ce prix

 la vie vaut d’être vécue,

 d’être éprouvée en sa pulpe

douce comme la pêche,

souple comme la pluie,

veloutée comme

la joue du nouveau-né.

Oui, nous avons

un réel besoin

de renaître

 à nous-même,

aux Autres,

de même que le Monde

a besoin de retrouver

les traces de son origine,

une blancheur,

une page vierge

où rien ne figure

que la pure

possibilité d’être,

de devenir.

 Un sourire

 à l’orée du Vivant,

 un regard empli

de la lumière

des choses.

 

Chair de plénitude,

Tu nous interroges si fort

Sur Nous

Sur l’Autre, sur le Monde

Chair de plénitude

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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