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9 août 2020 7 09 /08 /août /2020 07:54
La diagonale du jour

                     Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

   Cela avait commencé avec le jour sourdant à peine de terre, avec les herbes bleues couronnées d’étincelles, la lumière si peu levée, la chute de l’eau dans une gorge de pierre. Tu aimais cette juste émergence des choses, sa marche à pas de velours, la discrétion de l’onde qu’effleurait le vol de verre des libellules. Alors tu devenais visible à toi-même, tu percevais ta naissance tout contre le voile de ta chair. C’était pur bonheur que de te voir ainsi confondue avec ton ombre, différant à peine du luxe de ta peau. Tu prenais de longues gorgées d’air. Il y avait une buée secrète sortant de ton corps, pareille à un secret dont tu n’aurais voulu dévoiler que l’initiale, gardant pour toi le précieux, l’encore inaccompli. Tu me disais : « Ici est la diagonale du jour, cette heure si longue que jamais on n’en connaît la fin ».

   Cela avait continué avec de grandes flammes blanches allumant dans le ciel un genre de lointain incendie. Avec des hallebardes de chaleur qui cinglaient ton  corps subitement alourdi. Avec des criblements d’épingles dans la colline des yeux. Parfois tu mettais tes mains en visière ne laissant plus apercevoir de ton visage qu’un croissant de lune.  Roux, piqué par endroits du chiffre du silence. Etaient-ce des larmes qui perlaient aux angles, traversaient les franges de tes cils, traçaient le double sillon d’une illisible peine ? Je m’évertuais à en deviner le motif. L’accablement de la chaleur ? Une triste réminiscence ? Un vœu ayant échoué au rivage de sa parution ? C’est si étrange cette confluence des émotions, si peu déchiffrable. Mais où donc était ce « ton fondamental » qui était le tien, l’empreinte singulière que tu posais dans l’argile souple de la vie ? Je craignais de te perdre dans ce dédale où le fil d’Ariane se confondait dans la nasse poisseuse des ombres. Tu me disais : « Ici est l’heure zénithale, l’heure de la crucifixion. Les bras sont levés haut qui se perdent dans l’azur ». Je dois avouer, je ne comprenais qu’à moitié cette allusion christique. Y avait-il une mystique qui t’appelait au sacrifice ? Une dette que tu devais à la pratique d’une obscure religion ? Ou bien était-ce simple attrait pour le tragique ?

   C’était, maintenant, le temps des longues lumières, des brouillards matinaux. Ils t’entouraient de la joie sublime de ceux qui connaissent la vérité, s’y plongent comme dans un bain de jouvence. Tes cheveux doucement mordorés avaient la couleur de la châtaigne et de la feuille morte. Ils étaient l’aura dont tu cernais ton visage poli à la façon d’un étain. Le monde s’y reflétait. Parfois, un oiseau distrait venait y cogner comme il l’aurait fait contre une vitre. Ce n’était point douleur, seulement visitation d’un être ailé, peut-être un ange, peut-être une colombe annonciatrice de paix. De regarder tes yeux emplis de douce mélancolie je ne pouvais me lasser. Ils étaient des lacs où s’abattaient des volées de feux presque éteints. Ils battaient en silence sous la douce pulsation des secondes. Y aurait-il eu plus beau miracle que celui-ci ? Je veux dire d’une saison qui t’habillait entièrement de la vêture avant-courrière de l’hiver. Tu étais, en quelque sorte, l’avant-frimas, le frisson du temps en sa languissante complainte. Pareille à un vallon, à une plaine parcourue de la beauté inimitable d’une clarté qui, jamais, ne se reproduira. Si fugace l’existence dans son habit de soie. Longtemps elle faseye dans le vent qui naît, puis chute au-delà de l’horizon, là où s’abîment les rêves. Ils sont des chansons d’enfants se perdant dans le vertige de l’âge. Tu me disais : « Ici est à nouveau la diagonale du jour. Bientôt sera l’heure du nadir. Ses courtes incisions telle l’archet du violon dans le soir qui vient ».

   Souvent, dans l’hiver qui souffle son haleine blanche je passe devant ce banc qui soutenait ton ombre. Tu es, dans la diagonale du jour, cette heure médiatrice qui convenait à ton âme romanesque - ne dit-on ce lieu commun de tes compagnes ? -, tu es si visible que je croirais sentir ta meute de chair tout contre la pulpe de mes doigts. C’est bien toi, là, dans ce pli cendré du souvenir, dans cette posture qui fait penser à quelque souci anticipateur de froidure ? Si loin déjà cet instant qui balançait entre félicité immédiate et tristesse infinie. Ce qu’il reste d’une rencontre, le plus souvent, une fumée grise que le ciel capture, quelques gouttes de pluie bues par la terre, un ris de vent dont on n’entend même plus la parole légère. Oui, tu es bien Celle dans la diagonale du jour. Cette heure qui flotte entre deux eaux et jamais ne s’arrête.

 

 

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1 août 2020 6 01 /08 /août /2020 08:09
Seulement le pli d’une ligne

          Œuvre : Barbara Kroll

 

 

***

 

 

 

C’était seulement

le pli d’une ligne

 

En savais-tu le prix

L’obole à verser

Au versant de l’Autre

Nullement une dette

Un signe de reconnaissance

Un geste d’abandon

 

*

 

Le jour était curieux

Teinté d’opale

Les bords de la mer

Invisibles

La brume dense

Ton visage éloigné

De la mesure du jour

Le ciel si haut

On l’aurait cru absent

La terre si basse

Que nos pieds foulaient

La poussière blonde

Elle s’enfuyait au loin

Là-bas où nous n’étions pas

Où nous aurions rêvé d’être

Dans le luxe immémorial

De notre chair

Dans le feu

De notre conscience

 

*

 

Etions-nous au moins

Auprès d’une chose connue

Un livre familier

La couleur d’une encre

Le mauve de tes yeux

La perte de mon regard

Pour le large horizon 

Et le temps qu’était-il

Sinon cette fuligineuse perte

Ce vertige des corps

Cette lutte à jamais

Ce vide

Cette brèche

Qui sans doute

Jamais ne se refermeraient

 

*

 

Et l’espace où était-il

Non le vaste cosmos

La distance de toi à moi

La braise d’un sentiment

Peut-être juste une cendre

Dans le jour qui mourrait

Bientôt

 

*

 

Une mouette soudain

A volé si bas

Son ventre effleurait l’eau

Le Destin m’as-tu dit

Et ta voix a tremblé

Une voile perdue

Faisait son blanc sémaphore

Ce triangle cette pointe

Etaient-ce le danger

En nous

Entre nous

Hors de nous

Comment aurions-nous pu

Le savoir

Nous qui existions à peine

 

*

 

Bientôt la lagune a refermé

Son dais de cendre

Les campaniles se sont inclinés

Pour la nuit

Le bruit des yoles

Glissait infiniment

L’écho des cœurs

Était à son comble

Des étoiles disaient le firmament

En touches

À peine visibles

 

*

 

Remonte le col de ton manteau

Ai-je dit

Le froid est là qui bientôt

Sonnera l’heure du retour

Quel retour as-tu repris

Il n’y a de retour qu’à soi

Ta voix planait à l’encan

D’une encre lourde

Ta si belle voix voilée

Où se devinait la rumeur

De tes heures

Tu étais si mystérieuse

Inconnue de Passage

Et mes doigts trop usés

De tristesse

Pour pouvoir te retenir

 

*

 

Bientôt sur la lagune

Glacée de Lune

 Tu ne fus plus

Qu’une vague parole

Enlacée de rien

Je demeurai sur la grève

Interdit

T’avais-je rêvée

Belle Ophélie

Toi qui flottais

Sur l’eau des nuées

Toi qui scindais ma tête

En deux

Une partie emplie de silence

Une autre versée au doute

 

*

 

Le jour est pâle

À peine levé au-dessus

De la houle des toits

Ma croisée est ouverte

Sur l’immense

Où rien ne se dit

Que le vaste chemin du monde

Il faut avancer

Oui avancer

Demain peut-être

Te fera renaître

Ceci est l’étincelle inscrite

Au plein de mon être

Je ne vis qu’à l’entretenir

Dis-moi ton nom

Fût-il de songe

Je veux être homme debout

Plus loin que ces eaux grises

Plus loin que moi

Puisque le désert m’habite

Où rien n’est présent

Que les vagues de sable

 À l’infini

 

Seulement le pli d’une ligne

Ce qui demeure

 

*

 

 

 

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19 juillet 2020 7 19 /07 /juillet /2020 09:30

 

Je ne sais plus où je vous ai aperçue.

La mémoire a parfois des avens

dans lesquels elle se noie.

Peut-être dans la salle en demi-teinte d’un musée

 ou bien dans l’atmosphère apaisée d’une bibliothèque.

 Peut-être encore dans un boudoir,

dans un cabinet de lecture.

Peut-être seulement

dans la clairière de ma tête.

Parfois y naissent des images

sans réelle consistance,

elles glissent infiniment, clignotent,

font leurs étoilements et ne demeure,

le plus souvent,

qu’une palme indistincte agitée par le vent.

 

Mais, voyez-vous,

peu importent le lieu et le temps

de votre rencontre.

L’essentiel est votre présence

pareille au premier frimas

se posant sur l’étonnement des choses.

 Il m’arrive de me réveiller au cœur de la nuit,

l’esprit en déroute,

l’âme bousculée par la crainte de vous perdre.

C’est si léger les images du songe,

c’est si fragile,

c’est un cristal qui vibre

et menace de ne plus être.

Alors on tend les mains

dans la suie nocturne,

elles happent des taies de silence

 et on les replie en signe de deuil

ou de prière.

 

On est devenu autre que soi,

on ne reconnaîtrait même plus

la proue de son propre visage.

Le miroir ne renverrait

qu’une poudrée de cendre

et une immense solitude

serait le prix à payer.

Mais nul désespoir

ne saurait me sauver

de l’affliction de vous perdre.

 Pas plus qu’une soudaine joie

ne viendrait atténuer ma peine.

Et, d’ailleurs,

il me faut éprouver quelque chagrin,

 c’est le sol sur lequel

vous rendre désirée.

Non, le sourire ne convient nullement

à votre attente.

Une longue méditation plutôt,

une pensée faisant ses courbes

et ses élans dans la simplicité.

Vous en êtes le foyer

où nul ne songerait vous rejoindre.

Car il faut que vous m’apparteniez

en propre, sans partage.

 

La beauté ne se divise pas,

elle ne peut être que pleine et entière,

identique à un fruit mûr

dont on ne saurait violer la pulpe

mais regarder avec précaution

l’enveloppe charnelle,

 la tunique de pourpre

où bourgeonne le plaisir du jour.

Vous êtes une exception,

ceci vous le savez ?

Et, du reste,

pourquoi en dissimuleriez-vous

la juste effusion ?

Il n’y a nulle honte à avouer le rare

qui vous habite.

Sans doute avez-vous été élue des dieux ?

 Sans doute ont-ils tressé sur votre front

la palme d’une heureuse venue au monde ?

Bien qu’issue d’un rêve,

 je le crois et le redoute à la fois,

il me plaît de vous décrire.

Savez-vous, les mots

ont ce pouvoir magique

de vous poser ici, près de moi,

vivante effigie

que je pourrais toucher

du bout des doigts

si l’audace me prenait

d’oser quelque geste

en votre direction.

 

Mais la retenue est

ce qui vous convient le mieux,

 mais le silence est votre auréole,

mais la douce évocation

est l’empreinte qui sied

à votre naturelle pudeur.

Vos cheveux émergent à peine

du fond nocturne qui vient à moi.

Ils sont une à peine insistance,

comme une naissance

sur le bord du monde.

D’où viennent-ils donc ?

 De quelle source inaperçue

sont-ils le nom ?

Combien il est troublant

de vous relier à quelque mystère,

 de vous dire la Surgie d’un lointain

 et inconnaissable univers.

D’être mystérieuse,

vous entretenez le feu

qui m’anime,

 le ravivez et il crépite

dans le ventre de la nuit

pareil à une nuée d’étoiles.

Et ce front de marbre blanc,

ce front si lisse

que nulle veine n’y apparaît

qui dirait la douleur,

la servitude,

le désarroi de vivre.

 Il est une neige immaculée

 sur laquelle il me plairait

d’inscrire les traces

de ma propre quête de vous.

 

Mais jamais on n’offusque

qui l’on vénère.

Le devoir est de se tenir en retrait.

Quelques mèches éparses

(elles sont parfois

 la marque de la coquette !)

descendent sur vos tempes

à la façon d’une liane.

Vos sourcils,

 deux traits d’un pinceau délicat

 comme sur une toile de Fragonard,

cette exquise douceur retenue

à fleur de peau.

 

Vos paupières sont chastement mi-closes,

elles reposent sur les perles claires de vos yeux,

une lueur s’y anime,

sans doute venue de l’intérieur,

aussi n’en connaîtrais-je

que ce reflet,

cet éclair,

 cet instant

qui est instant de l’âme.

Pourrais-je vous dire soucieuse,

concentrée sur quelque pensée,

 oublieuse des êtres,

rêveuse ?

Voyez-vous combien

 j’ai de peine à cerner

ce qui vous anime en propre.

Mais c’est, je crois,

l’empreinte d’une grâce,

le sillage d’une félicité intérieure

qui ne laissent filtrer d’elles

qu’un mince filet,

je pense à ces résurgences

 d’une eau souterraine glissant

parmi les fins cheveux

des herbes aquatiques.

Le galbe de votre nez est parfait,

ni trop accentué,

ni trop linéaire.

 

Vos joues brillent

 d’une mince rumeur rose,

 vous savez ces délicieuses roses-thé,

on dirait la levée d’une aube

 traversée de brume.

Et vos lèvres tout juste entr’ouvertes,

 se disposent-elles à émettre un souffle,

 à prononcer le premier mot d’un poème,

 à faire s’élever les notes d’une chanson ?

Et votre menton,

cette blanche presqu’île

 baignée de lumière,

et la perte de votre cou dans le gris,

dans l’échancrure d’une chemise brodée,

et votre robe au rouge sombre de Falun,

ne termine-telle avec harmonie

 la délicatesse de votre portrait ?

Mais il me reste encore

à dire la double obole claire de vos mains,

elles illuminent du dedans de leur forme,

elles portent à l’éclat du paraître

cette étrange pomme

qui semble flotter dans les airs

 et vous fasciner

au-delà de toute expression.

 L’ai-je imaginée,

cette pomme,

afin d’introduire la notion

de tentation, de péché

et gommer d’une main

ce que l’autre avait donné

au titre d’une méditative splendeur ?

Non, mon Rêve au féminin,

soyez assurée de ma fidélité.

 Je ne pourrais renoncer à vous

qu’en renonçant à moi.

Il n’est pas si facile de mourir,

ne croyez-vous pas ?

 

 

 

 

 

 

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18 juillet 2020 6 18 /07 /juillet /2020 08:16

Cependant nous avons vécu

et les saisons ont passé.

 

Le Printemps était

cette touche virginale,

cette douce empreinte,

cette à-peine venue

dans le champ de l’heure.

Tous les jours

nous allions à la fontaine

 puiser une eau nouvelle.

Elle nous affermissait

dans la conscience

que nous avions

de nous-mêmes.

Elle ouvrait à notre jeunesse

le chemin sur lequel avancer.

 

Radieux !

 

L’Été arrivait sans crier gare.

Tout s’épanouissait à l’excès.

Tout s’élevait de soi

dans une manière de gloire.

Les filles étaient court vêtues.

 La lumière bondissait

sur les écailles brillantes

 des feuilles.

Les glycines chutaient

dans des cascades parme.

 On riait aux terrasses.

L’Amour bourdonnait

 telle une ruche ardente.

 

Admirable !

 

L’Automne glissait

 parmi les jours

dans ses belles teintes

de rouille et d’argile.

Les vignes flamboyaient

dans leurs vêtures pourpre.

Les guêpes faisaient

 leurs trajets incessants

 au milieu des pampres

et des vrilles.

On chantait autour des tables

dans le mauve du crépuscule.

On buvait le vin nouveau

dans de grands éclats de rire. 

 

Bucolique !

 

L’Hiver s’annonçait froid.

Les premiers frimas

poudraient les visages.

 On coupait du bois en forêt,

on faisait du feu

des petites branches.

 Lors des longues nuits,

autour de l’âtre rougeoyant,

on mangeait des châtaignes,

on buvait du vin nouveau.

On remontait le col

de sa pelisse.

La bise était acide

qui venait du Nord.

 

Rigueur !

 

Cependant nous avons vécu

et les ans ont passé.

 

Enfants,

nous demeurions

dans notre domaine originel.

Une maison aux volets rouges.

Un marronnier dans le jardin.

Des marrons avec lesquels

nous jouions.

La voiture du Père,

son long capot noir,

le bruit de son moteur pareil

 à la chute d’un torrent.

Le visage de la Mère, souriant,

sous ses boucles châtain.

L’amorce des jours,

 une promesse.

Une félicité à l’horizon.

Un ciel sans nuages.

 

Adolescents,

 nous agrandissions

le cercle.

Myriade de copains,

vol erratique d’étourneaux.

Premières passions.

Des livres, des échanges,

des filles.

Une ambroisie au coin

de chaque rue.

Un espoir au bout

de chaque sentier.

Premiers enivrements

 qui en supposent d’autres,

en appellent d’autres.

 

Adultes,

 tout faisait sens

 jusqu’à la démesure.

Le soleil brûlait au zénith.

Les cerfs-volants planaient

haut dans le ciel.

Les enfants riaient.

La table était joyeuse,

les discours prolixes,

les réussites allaient de soi

qui consonaient avec bonheur.

 

Âgés,

inclinés à la dette

de la mémoire.

Qui devient partielle,

parfois capricieuse.

Le Passé, loin là-bas,

faisant sa tremblante auréole,

un chatoiement qui semble

se suffire à lui-même.

La maison comme

port d’attache.

Le soleil est au nadir,

couché sur l’horizon,

flaque vermeil qui allume

 ses derniers feux.

Une bûche dans la cheminée.

Un trouble dans les yeux.

Les souvenirs qui planent

tel un vol de phalènes.

 Il faut baisser la lampe,

 la lumière est trop vive.

 

Cependant nous avons vécu

et la vie est passée

 

Où est-il l’encrier de l’école

dans lequel nous trempions

nos plumes Sergent-Major ?

Où sont les boucles,

les pleins et les déliés

que nous tracions

sur nos feuilles blanches ?

Où sont les feuilles du tilleul,

elles faisaient dans la cour

leurs traînées vives de papillons ?

Où les premiers émois amoureux,

les promenades et les mains

qui se scellaient,

dans la fenaison du jour ?

Où les marronniers,

nous nous amusions

de la chute de leurs fruits

sur le sol de pierre blanche ?

Où le lavoir animé

de conversations

et l’eau claire qui chutait

depuis le mystérieux trou

dans la roche claire ?

Où les longues aventures

dans les bosquets de chênes,

nous y élevions nos cabanes,

un refuge où nous retrouver

et dire le lieu de notre être ?

 Où tout ceci qui a eu lieu,

que le temps a repris

dans les intervalles serrés

de ses heures

de ses secondes ?

Où ?

Mais qui donc

 pourrait nous répondre ?

Un malin génie,

une bonne fée,

un être mystérieux

venu du fond des âges ?

 

Cependant nous avons vécu

et les saisons ont passé.

Cependant nous avons vécu

et les ans ont passé.

Cependant nous avons vécu

et la vie est passée.

 

*

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17 juillet 2020 5 17 /07 /juillet /2020 08:19

Longtemps j’ai attendu

qu’un miracle survienne.

Tu sais à la manière

de la magie

de la petite enfance.

On se hisse

sur la pointe des pieds,

on fixe sans ciller

l’objet convoité

et déjà on en sent

le trouble délicieux

 aux paumes de la main.

J’ai regardé, oui, regardé

de toute la force de mes yeux.

Je croyais qu’apparaîtrait

 l’une de ces villes de cristal

des Mille et Une Nuits

avec ses coupoles bleues

comme à Samarkand.

Seul le bleu était là

et le ciel était vide.

 

Longtemps j’ai attendu

qu’un désir s’allume,

que rougeoie une braise

dans quelque nuit féconde.

Tu sais ce rubis rouge

qui brûle au sein des églises

pour nous rappeler

la passion du Christ.

J’en ai fixé la lente pulsation

mais ma passion n’a trouvé

que la lueur éteinte

des cryptes,

la blancheur ossuaire

des cierges,

des fumées d’encens,

des dalles sous mes pieds

où glissait la clarté.

Seul j’étais

et nulle prière

 n’aurait pu

 me sauver de moi.

 

Longtemps j’ai attendu

qu’une espérance se lève.

Tu sais, à la façon

de ces légères montgolfières

qui parcourent la plaine d’air

dans le genre d’un papillon coloré.

Oui, j’étais à bord, simplement,

comme un Jules Vernes curieux de tout,

le paysage était une étendue vide

 que ne tutoyait nul oiseau.

Dans la libre venue

 de cette aube naissante,

 j’étais perdu aux autres

perdu à moi-même.

Où aurais-je pu jeter l’ancre ?

Le vide m’aveuglait

de sa rumeur insolente.

 

Longtemps j’ai attendu

 qu’une rencontre

se dessine,

qu’une esquisse

se détache du monde,

 portant avec elle une argile

dont une Ève eût pu naître

comme la troublante Vénus

sort des eaux

dans le tableau de Botticelli.

Mais de Vénus, je n’apercevais

ni le fleuve roux de sa chevelure,

ni le coquillage qui la portait

sur la plaine émeraude de l’eau

 

Rien

 

Les villes étaient loin,

leurs bruits une sombre mélopée

qui mourait au hasard des rues.

 

Rien

 

Les hommes étaient vaincus,

 leurs corps calcinés,

allongés dans des citadelles

 désertes.

 

Rien

 

Les femmes étaient

d’illisibles images,

des mots se levant à peine

d’une imaginaire fable.

 

Rien

 

L’amour était

une fulguration

de comète,

un sillage oublié,

 une nuée chutant

dans la nuit.

 

Je ne pouvais demeurer longtemps

sur l’arête de cette mesa aride

qu’au risque de ne plus être.

Il me fallait sortir

de la dague étroite

de mon corps,

donner des ailes

à mon esprit,

convoquer mon âme

à de plus amples libations.

 

Alors j’ai eu une vision.

Venait-elle de ma propre conscience ?

S’était-elle créée de toutes pièces ?

Peu m’importait son origine.

 L’essentiel était qu’elle fût

et pût persévérer dans son être.

Voici, Fille des Songes

 telle que je t’ai aperçue

dans le couloir livide de ma tête.

Je m’adresse à toi en ces termes

et peu me chaut

que tu sois une chimère.

Peut-être est-elle supérieure

à la réalité ?

Je te vois de dos,

comme si, anonyme,

 tu voulais te réfugier

au sein de ta personne

et y demeurer,

dissimulée,

inatteignable.

Tu es coiffée

d’un haut chignon

couleur de nuit

qui porte encore en lui

l’empreinte du takamakura,

ce reposoir qui donne

à ta nuque

ce port altier,

cette si fine élégance.

Une épingle kanzashi,

sans doute en ivoire,

 traverse le doux maquis

de tes cheveux.

Un kimono de soie

orné de formes chamois,

dont je ne sais si elles sont

oiseaux ou bien feuilles,

descend lentement

sur le galbe de ton épaule.

 

Ton visage poudré

de riz blanc

se dessine dans l’ovale

d’un miroir.

Mais que réfléchit

donc sa surface ?

La trace d’un possible miracle ?

La flamme assourdie

d’un désir caché ?

La bannière

d’une espérance ?

L’attente

d’une rencontre

dont la nuit te fera l’offrande

dans une okiya

aux murs de papier huilé ?

 

Parlant de toi,

évoquant ton image

de parchemin ancien,

 je m’aperçois,

 maintenant que le jour se lève,

que je n’ai fait que feuilleter

ce livre d’estampes

d’Utamaro Kitagawa,

m’arrêtant sur

‘Femme se poudrant le cou’,

cette si belle illustration

de la touche japonaise

de l'ukiyo-e,

ce monde flottant

qui se nourrit d’illusions

et faseye longuement

avant qu’un miracle ne survienne.

Vois-tu, tout est toujours

signe du temps

qui, jamais,

ne s’arrête.

Demeure,

je demeurerai !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 07:44

T’ayant un jour aperçue

dans cette ombre si longue,

elle n’avait nulle fin,

je pensais t’avoir perdue

avant même de te connaître.

 C’était étrange de t’apercevoir

au travers de ce rideau de brume,

 loin des yeux des hommes,

tout contre cette sauvage

Mer du Nord

dont tu paraissais être

 un étrange prolongement,

la poudre d’une dune,

le flottement d’un oyat

 dans le vent,

le vol d’un oiseau

sur le jour de porcelaine.

 

Ce qui m’était précieux,

 qui me rivait au lieu de ton corps,

c’était cette tremblante incertitude

que tu m’offrais comme si,

en un instant,

tu avais pu te distraire de moi,

retourner dans ta pliure native.

Souvent je méditais

sur la vanité des choses,

leur peu de réalité,

les songes des hommes qui,

au réveil,

se déchiraient

et les laissaient hébétés

 dans la blanche cellule

du silence.

 

Il y avait si peu à saisir.

Il y avait tant à donner

aux mains complexes

de la nuit.

Parfois, errant au hasard

d’heures bien creuses,

foulant le sable

que le flux avait durci,

méditant sur le rien

de l’heure à venir,

 je m’interrogeais

sur ma propre présence

au monde.

 Que signifiait-elle ?

Quel hasard m’avait déposé

en ce lieu de la terre

dont le futur serait

mon dernier abîme ?

Avais-je jamais

rencontré quelqu’un ?

Je veux dire,

 nullement dans sa chair,

dans son tumulte de peau,

 dans son apparence,

dans ses affèteries,

mais dans son être même,

dans son essence irréductible

 à quoi que ce soit,

dans sa solitude

si tu entends le message

 de mon âme tourmentée.

 

Mais, sans doute le sais-tu,

Toi dont l’évanescente silhouette

dirait plutôt ta disparition,

que ta venue en présence,

à peine sommes-nous

venus à nous,

tellement il est difficile

de vivre

sous la pesée du ciel,

le regard lourd de la terre,

l’eau qui, parfois,

tombe du Ciel

 et nous convoque au Déluge.

 Autrement dit à la fête du Néant.

 

Mais que je te dise plutôt

le site de mon errance.

Le sable est bosselé,

 parcouru de tapis

d’herbe verte,

jaune par endroits,

grise dans les creux,

 irisée de vent

en haut des dunes.

Des grappes de nuages

flottent à mi-ciel.

L’immense est une perte bleue

avec des déchirures de lumière.

 

 Un étang en forme de croissant

ou bien de parenthèse

(serait-ce un signe

d’une mise à l’écart

du monde ?),

 lisse ses eaux étales

 semblables à un métal poli,

à un étain antique.

A l’horizon,

 une barre de sable habitée

d’une végétation sombre.

Elle regarde la mer,

son immense plateau

 parcouru de sillons,

de tremblements,

 de reflets qui se perdent

dans la clarté poncée et inutile,

que bientôt n’éclaireront plus

que les yeux immobiles des étoiles. 

 

Oui, vois-tu, toujours sombre le jour

 en d’abyssales fosses,

toujours l’heure étrécit

 pour ne plus paraître,

toujours les choses agonisent

sur le bord de leur indigence

et ne nous laissent,

tout au plus,

que quelques signes

dont notre esprit ne prend

nulle possession,

l’exister est ceci

qui toujours fuit devant,

 fait signe et se dilue

comme appelé

par une étrange faille,

jamais nous n’en connaissons

 ni la destination,

ni la raison de sa présence.

 

Mais, dis-moi,

ne serions-nous,

tous les deux,

des mots égarés

que nul ne pourrait prononcer ?

On ne prononce nullement

l’arcature du Vide.

L’écho de deux Vides

a-t-il jamais constitué

un Plein ?

Deux absences pourraient-elles

tresser l’effigie d’une présence ?

 

Certes, il me faut le reconnaître,

tu es le Sujet d’une peinture

 aperçue dans le mystère

d’un musée.

 Désincarnée si l’on veut,

mais tellement inscrite en moi,

je pourrais décrire une à une

les parties aussi bien visibles,

qu’invisibles de ton corps.

 

Je pourrais dire le frêle

de tes membres,

ta robe blanche

de communiante,

les deux tiges droites

de tes jambes,

le feu éteint

de tes cheveux,

la sagesse de tes mains

couleur d’argile,

elles semblent vierges

de tout toucher.

Dans l’immense du tableau,

tu viens dans la douceur,

dans l’esquive de toi,

dans la discrétion,

et c’est presque un miracle

 de t’apercevoir.

Tu es pareille à une flamme

dans sa cage de verre,

 une manière de grésillement

que ton souffle juvénile,

à peine, entretient.

 

C’est heureux que tu sois ainsi,

située dans une marge inquiète,

dans une pensée

en naissance de soi.

Un genre de méditation,

celle que connaissent

 les sages et les esthètes,

celle que connaissent les amants

dans le tremblement

avant-coureur

de la rencontre,

dans le rougeoiement

inaperçu de la passion.

Ou bien es-tu braise

que l’âtre dissimule

dans sa colline de cendres ?

Non, je ne te laisserai pas mourir,

sur toi je soufflerai

afin de ranimer ton âme.

‘Rien, jamais, ne mourra’

 qui, un jour,

aura été éprouvé

 dans le cristal

d’une indicible joie !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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13 juillet 2020 1 13 /07 /juillet /2020 08:22
De l’oubli l’image accomplie

             Œuvre : Barbara Kroll

 

***

 

De l’oubli l’image accomplie

N’étais-tu que ceci

Sur l’écran dépoli

De ma mémoire

Absente de tous les lieux

Privée de tous ses feux

Pareille à une périssoire

Sur les eaux agitées

D’une ancienne histoire

 

T’étais-tu dissoute

Dans les mailles de mon souvenir

Au point d’incessamment devenir

Ce nuage au loin

Cette cendre dans la buée de l’heure

Cette faute à peine absoute

Qui ne trouvait sa route

Cette image sans témoin

Cette chute qui te clouait à demeure

Dans ce corps de terre et de glaise

Dont rien n’émergeait

Qu’un éternel malaise

 

Jadis tu avais des yeux de braise

Des lèvres purpurines

Une haute poitrine

Des désirs immédiats

Des goûts d’apparat

Tout ce qui d’habitude apaise

L’amant de passage

Comble les fureurs de l’âge

 

Mais combien ton silence

Dans ce monde d’absence

T’amenait à cette solitude

Dont tu vivais le rude

Dont tu tressais les fils

A la manière d’un sombre exil

 

Tu étais au-delà

De toute compréhension

Tu étais en-deçà de toute décision

Pareille à ces fins nuages

Qui hantent les nuls rivages

Que traversent nos vies

Quand sonne l’hallali

 

Avais-tu au moins l’espérance

D’une proche délivrance

Ou bien te condamnais-je

Par une sotte intuition

A tourner sur ce manège

Qui menaçait d’être tragique

Te plaçant en une fiction

A l’allure de vaine supplique

 

Que ta bouche scellée

Que ton corps flagellé

Demeurent en leur vérité

Cette haute finitude

Dont tu parais atteinte

Cette vanité à la morne teinte

Cette lisse incomplétude

Voici ce qui t’éreinte

Et ourdit la toile de ta lassitude

 

Vois-tu il ne sera pas dit

Que je t’aurais aimée en vain

Je te remets à ton étrange destin

Il n’est de plus haute pensée

Que celle qui dit la liberté

Je t’en offre le subtil levain

Je n’attends nul merci

Seulement un éternel oubli

Une goutte de rosée sur ta main

Une pluie se levant au loin

 

 

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9 juillet 2020 4 09 /07 /juillet /2020 07:29
L’ombre, que me disait-elle de toi ?

                     Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

C’était un matin hésitant,

à peine sorti des lèvres

de la nuit.

Juste une lumière

qui effleurait les arbres,

soulignait leur contour.

Ils étaient des manières

d’oriflammes discrètes

dont nul vent, encore,

 n’agitait les frondaisons.

Tout était dans l’immobile.

Tout était dans le recueil.

Dans l’attente souple de soi.

 

Tôt levé, je savais que

cette source matinale

serait belle,

qu’elle viendrait à moi

 avec l’élégance

de ce qui est originel,

ne s’ouvre que lentement

afin qu’une grâce soit possible,

qui dise la nature

 en sa plus exacte présence.

 

 C’est une joie sans pareille

d’être seul au monde,

ou bien d’éprouver le sentiment,

de se destiner à cette nature

si disponible aux yeux

de ceux qui, avec elle,

sont en affinité,

ne demandent que la rencontre,

le frémissement de la peau

à la pointe de l’heure.

Tout est si attentif, ici,

 sur les collines rouges

que parcourt une végétation rare.

Seulement une respiration verte,

un élan de chlorophylle,

une palpitation parmi

la dureté invincible

du minéral.

 

Souvent, j’étais venu

à la levée du jour.

Parfois regardant la tache rousse

d’un renard faisant sa toilette.

Parfois surprenant

le vol rapide d’une huppe.

Parfois devinant

les brillantes écailles du lézard

 hibernant dans son trou.

Eh bien, vois-tu,

ces minces existences

 plutôt entr’aperçues qu’éprouvées,

elles venaient à moi simplement

pour apporter une preuve de vie,

la mienne qui, parfois,

ne se donnait

qu’avec parcimonie

ou bien dans le vertige

de l’angoisse.

 

 As-tu déjà éprouvé,

Toi-la-Passante-du-Lointain,

ce creux au plein de la poitrine,

ce creux qui fore son trou et,

bientôt, il ne demeure qu’un vide

cerné d’ombre

et c’est comme si le monde,

soudain, s’était effacé ?

 

 Toujours j’ai été attiré,

depuis mon enfance, je crois,

par cette inconsistance

de ce qui, en vérité,

ne saurait trouver de nom

car on ne nomme nullement

le rien,

on ne brode

quelque poésie

 sur l’immense,

l’infini,

l’absolu

qui appellent

par-delà les jours

mais toujours se dérobent

dans l’instant où,

présomptueux,

l’on voudrait en rejoindre

les portes de brume.

 

Sais-tu combien le sort

de l’homme est précaire,

lui qui, toujours, se pense

comme le garant

du « devisement du monde ».

 Faut-il être fat pour se croire

plus grand que l’océan,

plus fort que le souffle

de l’harmattan,

plus puissant

que l’amour

lorsqu’il plante

son dard de feu

dans le derme incendié

de la passion !

 

Nous, les êtres-de-passage,

nous prenons le plus souvent

pour d’immortelles idoles de pierre

que nul temps ne saurait user,

dont nul orage ne pourrait

décider du foudroiement.

Homme, mon semblable,

incompressible marge d’erreur,

 vanité à fleur de peau,

homme d’incomplétude,

que ne te décides-tu enfin

à prendre la mesure de ton être,

 il est si friable parmi les confluences

et les contrariétés des événements,

 ils nous assaillent continûment

et, pourtant, toujours faisons-nous

comme s’il s’agissait

d’aventures adventices

 pareils à ces filets d’eau

que la terre boit du plein

de ses fissures.

 

Au hasard de mes

matinaux vagabondages,

Toi-la-Passante-du-Lointain,

dont j’aperçois souvent

la course irisée

tout en haut de la colline,

sous la lame libre du ciel,

quel est donc ton degré de réalité ?

Est-ce la force de mon regard

qui abrase ta silhouette

et te disperse,

flocon de nuage

parmi le lac immobile

des incertitudes,

la toison blanche des rêves,

 l’effeuillement d’un

« vierge, vivace

 et bel aujourd’hui »

que tout poète chante

avec l’inquiétude mallarméenne

rivée au fond de la conscience ?

 

Vois-tu combien

mes interrogations

sont inopportunes,

lissées d’inconsistance,

forgées au coin d’un lyrisme

qui les conduit dans l’étroitesse

d’une fondrière.

Tu ne le sais et comment donc

pourrais-tu en être alertée,

celle que tu es,

qui toujours échappe

à mon insatiable curiosité,

 se distrait constamment

de mon désir,

voici que je t’ai attribué

la forme de Cette Plante

qui croît sur sa dalle de rocher

sans se soucier autrement

des problèmes du monde.

 

Telle la rose d’Angelus Silesius,

qui déploie son mystère

sans cause ni raison,

existant parce qu’elle existe

et ne s’alarmant de rien,

toi donc, que j’observe

chaque jour qui passe,

osant parfois palper

ta douceur de laine,

en apprécier l’ombre portée,

que me dit-elle de toi

cette ombre, ce glissement,

dont la parole demeurera

silencieuse,

dont le corps sera

cette brillante comète

 au large de mes songes

les plus fous,

les plus dispersés ?

 

Me répondrais-tu

et du deviendrais,

soudain,

cette Fille-ci,

cette Femme-là

à la chair dolente,

aux soucis fichés

dans le repli de l’âme,

cette Présence qui,

sans doute,

s’offusquerait de paraître

et revêtirait d’ineffaçables

prédicats.

A tout prendre, je crois que

 je te préfère

en ta consistance d’éther,

éloignée dans l’inintelligible

résille du jour,

cette nécessaire obscurité dont,

longtemps encore,

il me plaira de projeter

sur ton énigmatique venue

la roue polychrome

d’une possible volupté.

 

Oui, l’ombre est plus précieuse

que la plante qui lui a donné

sa silencieuse forme.

Tout reste à connaître,

rien n’est dit  de l’indicible.

Tu es espace entre deux mots.

Tu es hiéroglyphe.

Qui jamais

Ne déclôt son être.

JAMAIS !

 

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8 juillet 2020 3 08 /07 /juillet /2020 08:11

Vois-tu, c’est toujours

sous les mêmes ciels

 que je viens chercher

la trace du monde.

Elle est partout visible,

me dis-tu.

Certes mais ma vision a besoin

d’appuis particuliers.

Une ombre qui s’allonge

et glisse sur le sol.

Une lumière qui rebondit

puis plane infiniment

à la manière d’une traînée de cendre

ou bien d’une feuille d’argent.

 

L’espace est infini

qui fait son chant,

loin au-delà de la terre.

Mais quelle est cette brume

qui se lève

sur la plaine de la mer,

elle est si fine, si haute,

si peu assurée d’elle-même ?

Elle pose sur le globe de mes yeux

l’empreinte

d’une illisible présence.

Ô bonds immédiats de la lumière !

Ô étranges silhouettes

qui naissent de l’eau,

vous pourriez être des Sirènes

ou bien des Muses

portées par les flots d’écume !

Mais vous n’êtes

que d’étranges sortilèges,

 des rumeurs, des fabriques de rêves,

peut-être simplement

l’esprit sorti de mon corps,

il erre longuement

et paraît ne trouver

nul repos.

 

Là-haut est la belle clarté

 que cerne un horizon noir.

Le ciel est pareil

à une porcelaine,

il brille depuis son intérieur

mais garde, en lui, son secret.

Les humains sont trop petits,

trop épars, trop disséminés

pour qu’il puisse

s’intéresser à eux,

leur adresser la parole,

déplier les vers d’un poème

qui les rassurerait.

 

Le ciel poursuit sa route,

entraînant avec lui

ses théories d’oiseaux.

 Ils sont gris ou blancs,

ils se fondent à même

leur longue solitude.

Car, sais-tu, les oiseaux,

tout comme moi,

sont de grands solitaires.

Ils se contentent

de glisser dans le vent,

parfois saisissent

 une goutte d’eau

de leur bec courbe,

puis cinglent vers l’inconnu

 à la seule force de leur ivresse,

de leur liberté.

 

Connais-tu quelque chose

de plus libre que la course

du goéland dans la forêt de nuages

ou la pluie d’un mince brouillard ?

Et puis, nous-mêmes,

depuis la forteresse de nos certitudes,

 ne sommes-nous

de simples lettres

que le temps effacerait ?

De simples signes

s’élevant à peine au-dessus

d’une tristesse ou bien d’une joie ?

Oui, les deux sont identiques.

Toujours la joie appelle la tristesse

 tout comme la tristesse appelle la joie.

C’est la loi bien connue

de l’affinité des contraires.

Tout comme le jour appelle la nuit,

le sourire convoque les pleurs.

Pourrions-nous inverser

 notre condition d’hommes,

en faire un livre sur lequel

 nous ne graverions

que le chiffre de nos plaisirs,

le pas de deux de nos caprices ?

 

Un puissant rocher noir

 émerge du miroir de l’eau,

son ombre s’étale

sur la nappe liquide

avec un air de tragédie.

Trois silhouettes

tout au bout de la plage,

à contre-jour d’une falaise

 qui s’élève doucement

puis disparaît

à ma bien trop courte vue.

Serait-ce ici le bout du monde

et il y aurait l’horizon

puis un vertigineux abîme

et plus rien ne se donnerait

qu’un silence orné de vrilles muettes,

qu’un écho dont nulle falaise

ne renverrait la parole déserte ?

 

Ici, dans la levée immémoriale du jour,

il faut bien prendre garde

à être soi jusqu’au bout de soi-même.

Ne nullement se laisser distraire

par un bruit qui dirait notre dette

à l’égard de ce qui nous entoure

 et concourt à nous égarer.

Tel le fier albatros

se perdant dans l’azur,

dans le bleu transparent,

il convient de ne nullement

se laisser distraire,

mais de tracer son chemin de vent

bien plus avant

que la vue ne le permet,

 bien plus large

que la conscience ne l’autorise

. Nous n’avons d’autre destin

que de nous en remettre

à cette heure-ci,

sur l’immanent bord des choses

 et à attendre l’éternité.

Oui, l’éternité !

 

 

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6 juillet 2020 1 06 /07 /juillet /2020 08:17
Ici dans l’avenue de l’être

                Photographie : John Charles Arnold

 

 

***

 

 

On pourrait écrire

 

Branche-Lune-Givre

 

Et l’on aurait dit

Le tout du monde

Celui qui nous regarde

De son œil atone

Depuis le lointain

Où il paraît

Etrange

Séparé

 

*

 

Sais-tu combien le jour est

Cette obole miraculeuse

Cette naissance inaperçue

Ce faible tremblement à l’orée

De l’être qui ne connaît

Ni son heure

Ni la trace qui le porte

Au-devant de lui

Dans la marée

A peine ouverte

Des choses

 

*

 

On est livré au sommeil

On est accordé au rêve

Plein d’indulgence

Pour ce corps meurtri

LE SIEN

Le seul qu’on possède jamais

Qui dérive dans les plis

Encore inaccomplis

De l’aube

 

*

 

Branche-Lune-Givre

 

Le corps n’exulte plus

Après le combat de l’amour

Le corps se retire en son carquois

Ses flèches émoussées

N’ont plus de cible qu’elles-mêmes

Une chute dans le néant

Une perte de soi

Dans l’autre retiré

 

*

 

Pourquoi au seuil du jour

Faut-il que ce corps de l’amante

Ici alangui dans le blanc du drap

Soit ce territoire perdu

Cette puissance soudain

 Indomptée

Cet isthme rompu

Dont peut-être

On n’aura plus que l’image

Logée dans le dôme de l’oeil

Pareille à une poussière d’albâtre

Semée dans le vent acide

De la marâtre folie

 

*

 

On pourrait écrire

 

Branche-Lune-Givre

 

Et l’on n’aurait

Donné lieu

Qu’à  l’immense solitude

Qui étreint les êtres

Au sortir de la Nuit

Tout juste issus

De ce ventre maternel

Cet abri amniotique

Qui nous berce

De ses vagues hypnotiques

Nous appelle comme

 Ses surgeons

Abandonnés au diapason

Du péril de vivre

Ivres

 

*

 

Sais-tu combien le voyage

Est risqué

Qui de l’un à l’autre

Tend le filin de l’impossible

 Unité

As-tu au moins été

Dans le sombre creuset

Où nous avions de conserve

Sombré

Cette conscience ouverte

Cet accueil autre que

De toi à toi

 

*

 

L’être est si plein

Si sphérique

Qui jamais ne se scinde

Se veut seulement

Monadique

Ce haut météore

Que même les étoiles

Jamais n’atteignent

Fût-ce au plein de l’aurore

 

*

 

Branche-Lune-Givre

 

L’être peut-on le graver

Ailleurs que dans l’airain

De la singularité

Il est tellement logé

Dans sa propre vérité

Si beau dans le cristal

De sa félicité

Des lianes de ses bras

On n’en peut éprouver

Que l’envol obsidional

Des griffes de ses mains

Que l’essor adamantin

 

*

 

On pourrait écrire

 

Branche-Lune-Givre

 

Aussi bien tracer

L’amphore d’une hanche

Elever au ciel

La courbure de la dune

Faire rutiler

Le maroquin d’un livre

On n’aurait fait que rimer

S’escrimer

A tracer

Sur le voile du jour

Cet immense détour

Ce cercle infini

Qui ne revient qu’à soi

 

Branche-Lune-Givre

 

Puisque l’autre n’est en soi

Que le reflet

Que le tain nous renvoie

Cette figure finie

Avec laquelle on est en deuil

Jamais on ne déserte

De soi le seuil

Tout le reste n’est

Que trompe-l’œil

 

Branche-Lune-Givre

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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