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15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 09:24

 

Richesse.

 

 

*Chacals aux dents courtes ? Illusion. Canines aigües et mortifères : Vampires.

 

*Vis-à-vis de l'argent, aucune faiblesse. Le chacal sommeille en vous.

 

*L'argent est à l'homme ce que la peste est aux peuples condamnés : bubons putrides.

 

*Approchez-vous de l'or comme de la femme fatale : perte de l'âme assurée.

 

*Argent, pouvoir. Deux formes de l'incurie humaine.

 

*Chacal ? Un autre nom pour l'égoïsme.

 

 *Chacals ? Identiquement attirés par la puanteur : or; charogne.

 

*Maigre, le chacal ? Allons donc, bouffi de suffisance, d'envie !

 

*Or, argent. Métaux précieux et rares. Les réserver à la beauté. Jamais à la richesse, au pouvoir. Art sublime des Incas.

 

*Jamais la cupidité ne laisse au chacal le moindre repos. Raison de vivre au détriment de l'altérité.

 

*StUPIDE  - cUPIDE. Rime RICHE, évidemment !

 

 

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 09:30

 

VII )-  "La parole est à nous, prenons-là. Et faisons chair de la matière des mots."

 

  La parole, il faut la prendre comme l'Amant s'empare de l'Aimée, comme le chèvrefeuille s'enlace au tronc moussu du chêne. Car, en effet, il s'agit bien de "prise", de capture, d'annexion d'un territoire, d'emprise sur l'objet langagier. Car, à défaut d'être "prise" adéquatement, la parole tourne en rond, tourne à vide, se contente de hanter tous les Cafés du Commerce, toutes les Cours des miracles, tous les caravansérails où les voyageurs, épuisés de fatigue ont tôt fait "de perdre leur latin". Privée des soins nécessaires à sa profération, la parole s'amenuise, bientôt tarit et disparaît dans quelque faille. Il y a un souci à mettre en œuvre mots, phrases, textes afin que tienne debout l'immense Tour de Babel dont les hommes sont les hôtes continuels et assidus. Seulement éviter le bavardage, l'expression indigente, la gabegie verbale. Il y a mieux à faire, à dire, à espérer.

  La parole est le bel étendard qui accompagne la survenue de l'espèce humaine, la mesure par laquelle l'homme parvient à sa complétude. Certes tout langage, pour autant, ne saurait s'entourer de précautions oratoires précieuses ou pédantes, lesquelles ne seraient qu'une perversion de son essence. L'on peut exprimer ses idées en langage simple, direct, aisément compréhensible. Attitude a contrario éloignée de cette énonciation usuelle, la tâche du Poète consiste à prendre  en garde la parole, afin que, l'ayant sublimée, cette dernière puisse s'affranchir des habituelles contraintes et demeurer dans la contrée de l'art. Mais, si le Poète est premier, il n'est pas le seul à assurer la vérité de la langue. Bien d'autres acteurs en assurent également la garde : le Philosophe dans ses traités et essais, l'Ecrivain dans ses romans, l'Historien dans ses monographies, l'Enseignant auprès de ses élèves. La liste pourrait s'allonger ainsi, à l'infini.

  Enonçant ceci, "La parole est à nous, prenons-là. Et faisons chair de la matière des mots.", le Poète situe d'emblée la parole dans une manière d'empyrée, sinon inaccessible, tout au moins investi d'une exigence, d'une puissance à atteindre, d'une ouverture à réaliser afin qu'une chair consente à se dévoiler. Car la relation à un dire essentiel est de l'ordre de la puissance charnelle, du sombre désir, de la lutte à mettre en ordre afin que la forteresse assiégée consente à s'ouvrir sous les assauts et les coups de boutoir qui, on l'aura aisément compris, ne sont que la métaphore d'un acte d'amour. Enoncer, déclamer, interpréter, écrire n'advient jamais qu'à la mesure de cette volonté, tendue, infaillible, turgescente, comme s'il s'agissait d'une énonciation portée à la dignité de Principe, à savoir d'une ressource essentielle, d'un fondement, d'un paradigme nous permettant de connaître. Car, comment désoperculer les strates de l'inconnaissance, sinon en les pensant, sinon en les soumettant au feu nourri des questions ? Or qu'est-ce qu'une question résolue, sinon la survenue, depuis l'invisible de toute métaphysique, de la réalité se dévoilant devant nous, nous mettant en mesure de dialoguer avec la terre, le ciel, le nuage, l'arbre, l'autre que nous qui, toujours s'éloigne à mesure que nous avançons sur le chemin de l'existence ?

  La parole est là qui habite notre corps, gire autour de notre âme qui se trouble souvent de ne pouvoir s'exposer à la vue dans une manière de flamboiement. Cela fait, en notre intérieur, ses pulsations, ses meutes de sons subliminaux, ses hululements pareillement au fauve à l'étroit entre les barreaux de sa cage. L'âme, cette si grande et mystérieuse chose, cette Belle Inconnue que l'on marie volontiers à Dieu lui-même ou bien aux dieux de l'Olympe ou à tout ce qui s'auréole de mystère, se nimbe du brouillard de ce qui, jamais, ne se révèle que sous les traits de l'illusion, parfois de la magie, sinon de la prestidigitation. Mais, dites simplement, prenant soin de les faire débuter par une Majuscule - le signe graphique de leur essentialité -, dites : Art, Histoire, Nature, Culture, Amour, Religion, Sacré, Vérité, Liberté, Conscience, Langage, Poésie et vous aurez simplement énoncé quelques unes des déclinaisons de l'âme selon telle ou telle figure. Et, ce faisant, vous aurez rempli l'exigence d'invisibilité, la charge d'étrangeté qui entoure la "Belle Passante", car il serait tout de même bien improbable de donner forme et consistance, aussi bien à la Nature, qu'à l'Amour ou bien au Langage.

   En effet, ce qui apparaît et se manifeste sous diverses apparences de ces entités, ne sont que des hypostases de leur essence, de la même manière que le sensible touchant nos yeux n'est que la projection dans notre réalité de l'Idée dont elle est la mise en scène sur le théâtre du monde. De l'âme, nous en produisons sans même être assurés de sa possible parution, mais nous ne l'effectuons en tant que projection dans le réel qu'à la mesure d'une exigence. Bien évidemment, l'acte manqué, l'insuffisant verbiage, la croûte se prenant pour œuvre d'art, l'argument sophistique, les conduites inconscientes, les erreurs de l'histoire, les jugements tronqués, les faussetés  sentimentales, les déraisons de quelque nature ne sauraient prétendre être des activités de l'âme, seulement des apories à mettre au rang des insuffisances humaines. Nous avons mieux à faire que de nous égarer dans ces divers cul-de-basse-fosse. Déployer l'âme du langage, par exemple, suppose que soit posée une esthétique  doublée d'une éthique. A défaut de ceci, rien ne saurait être atteint qu'un simulacre.

  Or le langage, pour devenir signifiant, doit se défaire de ses chaînes, s'extraire de la caverne platonicienne, contourner les porteurs de silhouettes et, arrivant enfin à l'air libre, contempler la lumière du Bien souverain dont le Soleil est le dispensateur. Cette belle métaphore antique ne se développant pour nous amener à comprendre, par le biais de notre intellection et l'amplitude de notre rationalité là où se situent, à proprement parler, les véritables enjeux, à savoir dans l'irréductible fondement des choses.

 

 

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 09:15

 

 

XVI  La chute du jour.

 

  On redescend lentement vers le cercle des dalles où des passereaux se disputent quelques miettes. On aperçoit sur la table des promeneurs, un sac en papier qu’on saisit, qu’on ouvre doucement. Des provisions oubliées. Une grappe de raisins ; quelques biscuits ; une demi bouteille d’eau gazeuse ; quelques amandes ; un vieux canif au manche de bois ; une boîte avec quelques allumettes ; un bout de ficelle ; des cailloux où brille le quartz. Gemma prend la poche, la tient bien serrée contre sa poitrine, ses pieds nus claquent sur les pierres encore chaudes, évitant les épines, le tranchant des ardoises. Elle arrive au Balcon, monte les marches, s’assoit sur le mur et reste un long moment à regarder le dos de la mer avec son  moutonnent de vagues couleur d’algue et d’écorce. Le jour bascule peu à peu derrière la montagne, bleuissant les pentes où sont accrochées les maisons. Dans le port les bateaux s’éteignent, ne dévoilant plus que la ligne claire des haubans. Les balises, au bout de la jetée, allument des signaux rouges et verts. Le phare balaie lentement le ciel de sa longue lame blanche. Les hauts lampadaires soulignent la côte d’une ponctuation de points blancs. Une brise tiède monte de la mer, apportant quelques bruits, quelques odeurs de fin du jour.

  Lentement, Gemma mange les grains de raisin, les biscuits. L’eau pétillante coule dans sa gorge avec un bruit léger. Elle casse quelques amandes, en jette les coques entre les pierres. Des lézards, parfois, sortent de leurs trous, zigzaguent rapidement entre les touffes sèches. Le ciel est bleu intense maintenant, piqueté d’étoiles. Une lumière phosphorescente flotte au ras de l’eau, et l’on ne voit plus, sur les flancs de la montagne, que les taches des genêts et en haut, sur la crête, les deux masses des sémaphores pareilles à des ombres chinoises.

 

XVII  La Nuit.

 

 Gemma coupe des boules de romarin, en fait une brassée qu’elle dépose sur le sol de ciment, dans la grande pièce sombre. Elle craque une allumette, la bougie s’allume en crachotant, libérant des traînées de suif qui coulent sur les flancs de la bouteille. Elle fait un feu dans la cheminée. Elle aime l’odeur âcre du bois qui se consume, qui dégage l’arôme des fleurs, elle écoute le bruit de la sève qui parcourt les fibres, l’éclatement des pignes de pin en une gerbe d’étincelles.

  Sur sa couche de genêts et de romarin, elle roule son pull en guise de coussin. Elle s’allonge, en chien de fusil, tournée vers le feu qui jette de grandes ombres sur le mur. Elle n’a pas peur. Le feu éloigne les bêtes, les rôdeurs. Et puis elle sait qu’elle est seule dans la montagne, qu’à cette heure du jour les hommes sont rentrés dans leurs maisons de briques, qu’ils dorment ou regardent, au fond de leurs chambres, de grands écrans où dansent les images. Parfois elle se retourne pour exposer son dos à la brûlure du feu, pour voir aussi, au travers de la porte, le ciel qui fait tourner ses étoiles. Elle aperçoit aussi un bout du Fort, le rempart circulaire qui luit faiblement. Sans doute la lune est levée et a commencé sa course au dessus de la mer, des falaises, des villages et des villes où reposent les hommes aux yeux fatigués. La terre dort et les bruits se fondent, se perdent en de lentes ondulations, se retirent dans les creux, les failles, les gorges profondes.

 

 

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 09:09

 

Richesse.

 

 

*Leçon leclézienne : les peuples pauvres ont la beauté du dénuement.

 

*Evidence : ne voit vraiment la pauvreté que le pauvre.

 

*Ne voit la pauvreté qu'une conscience éclairée.

 

*Familles. Jamais autant unies qu'avant le patrimoine.

 

*Ne confiez jamais votre bourse à quiconque, vous en feriez un ennemi ou un suspect.

 

*Spéculations ? Beaucoup de financières. Peu d'intellectuelles .

 

*La vie du chacal ne se consomme que dans l'USURE. Voyez Gobseck.

 

*Puanteur de l'argent qui aliène.

 

*Jamais ne découvrez un centimètre de votre peau, les chacals sont partout.

 

 

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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 09:13

 

VI ) - "On peut mourir de lassitude à se chercher en vain."

 

  Certes, se chercher en vain paraît une tâche épuisante. Mais comment se cherche-t-on ? Cherche-t-on à identifier son propre corps, à situer son identité parmi la multitude, à savoir résoudre l'énigme que nous sommes à nous-mêmes ? Toutes ces pistes sont humainement investies de sens. Cependant notre attention doit essentiellement se porter sur le fait que toutes ces interrogations se font en langage, avec des mots, prononcés, pensés, écrits. Nulle autre échappatoire grâce à laquelle la recherche pourrait trouver de solution que celle, constamment affairée, des milliers de questionnements qui nous assiègent notre vie durant. Car, JAMAIS le langage ne s'arrête. Pas même dans le silence. Surtout pas dans le silence. C'est lorsqu'elle paraît flotter dans une manière de vacuité que notre parole est la plus féconde, la plus prolixe. Le langage articulé, pour être compréhensible, doit respecter un rythme, une intonation, se calquer sur une vitesse d'élocution adéquate. L'écrit est, a fortiori, soumis à ce ralentissement de la production : il faut consentir à ce que nos signes, nous puissions les relire et que d'autres que nous se disposent à s'y pencher.

   Mais le silence, quel déluge de pensées, d'idées confluentes ou bien contradictoires, combien de dires superposés, imbriqués, divergents, rayonnants, pulsant leur énergie à la vitesse exponentielle des circuits neuronaux. C'est une manière de vertige qui se saisit de nous, un genre de maelstrom, de cascade vers l'amont - la pensée est toujours une remontée vers l'origine, vers notre propre étymologie, notre lexique intime -, de coruscation où nous sommes comme illuminés, fécondés de l'intérieur. Mais que l'on n'aille pas en déduire trop vite que cet orage magnétique, loin de nous amener à une compréhension de ce que nous sommes, ne contribuerait qu'à nous en éloigner. Il faut, au langage, une effervescence afin qu'il lui soit rendu possible de percer la bogue des évidences, de surmonter le flot des opinions, de passer au-delà des conventions. La découverte d'un début de vérité nous concernant est à ce prix. Il est nécessaire que notre pensée, rendue enfin à sa mobilité essentielle, écartant les scories habituelles, se mette en demeure de s'ouvrir à ce qui, pour nous, signifie bien au-delà des contingences quotidiennes.

  Parvenus au cœur vibrant de nos affinités avec le monde, nous nous mettons à percevoir ce qui veut bien se montrer, à savoir les nervures de notre être, nos points de convergence avec ce qui s'adresse à nous dans la clarté . Les choses qui, jusqu'alors, se dissimulaient sous leur gangue d'ennui, se mettent soudain à se révéler avec un singulier éclat. Bien plutôt que des idées énoncées en mode cartésien, avec leur logique faite de causes et de conséquences, d'enchaînements bien huilés, de facture parfaitement apollinienne, ce seront plutôt des déflagrations amplement dionysiaques, des gerbes de phosphènes, des irisations infinies comme celles que révèlent les cristaux des kaléidoscopes. Sans doute cette perspective "hallucinée" fait-elle songer à l'effet de quelque mescaline. En réalité il s'agit de perceptions imaginaires - non livrées aux débridements passionnels d'une "phantasia"; non situées dans une aire extra sensorielle-, mais tout simplement "réelles", cependant non préhensibles avec quelque organe de perception, seulement avec l'intellect, la vue de l'esprit, la configuration étoilée de l'âme.

  Et n'allez pas croire qu'il s'agirait d'une simple mystification, d'un tour de magie ou bien d'une pur mirage qu'aurait provoqué l'absorption d'une drogue ou bien résultant d'une manipulation de type hypnotique. Afin de bien se saisir du phénomène, il est nécessaire de faire appel à l'expérience du "sentiment océanique", décrit par Romain Rolland ( que je traite, du reste, dans un autre texte), sentiment  dont il trace les premiers contours dans une lettre adressée à Sigmund Freud le 5 décembre 1927 :

  "Mais j'aurais aimé à vous voir faire l'analyse du sentiment religieux spontané ou, plus exactement, de la sensation religieuse qui est (...) le fait simple et direct de la sensation de l'éternel (qui peut très bien n'être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique)."

 Cependant l'on notera que, reprenant à mon compte la formulation de Romain Rolland, je m'attache à en expurger toutes les significations latentes ou clairement exprimées, à savoir de l'ordre du religieux, de la mystique ou bien d'une propension à ressentir, en soi, le sentiment du sacré proche de la foi. Mon expérience se veut simplement esthétique, poétique, littéraire, orientée vers un genre de philosophie panthéiste, directement en contact avec la Nature en ce qu'elle peut receler de plus significatif pour celui qui s'adonne à une mutuelle adhésion. Par là je veux exprimer le mouvement à double sens où homme et nature sont intimement confiés l'un à  l'autre dans la marche vers un destin commun. Sans doute peut-on apercevoir, en filigrane, un souci écologique que, cependant l'on voudra bien reporter à une conception holiste du monde selon laquelle tout est relié dans le cadre d'une vaste synthèse. En ce sens, la dimension de vastitude évoquée par l'épithète "océanique", convient à cette mesure  d'une vision cosmique de l'univers. Donc, ce fameux sentiment pourra aussi bien se révéler à l'occasion d'un regard attentif porté à un paysage, qu'à l'écoute d'une musique symphonique, qu'à la lecture d'un poème, qu'à l'audition d'une pièce de théâtre, qu'à la rencontre de l'Autre en sa singularité. Sans doute la vive émotion est-elle différente selon les individus qui en font l'expérience et c'est pour cette raison que le concept "d'affinité" (relation "élective" s'il en est) est si important puisqu'il détermine le registre particulier selon lequel la donation de sens nous affecte en propre. Le monde est toujours "monde-pour-moi", avant d'être "monde-pour-tous", lequel n'est jamais qu'une abstraction, une entité idéelle.

  Le "sentiment océanique", lorsqu'il se manifeste - prenons par exemple la passion romantique face au paysage sublime - , est un total envahissement des sens, une complète adhésion de la personnalité, une fusion où le sujet se confond avec l'objet même de sa propre contemplation. Dès lors les limites entre soi et le monde disparaissent au profit d'un seul et même déploiement du sens qui est le nôtre avec le sens qu'est le monde dans une temporalité quintessenciée. Bien évidemment, ces moments qui ne sont que des instants sont, par essence, rares, ce qui est la condition même de possibilité de leur apparition. Ils s'impriment dans le vécu à la manière des engrammes neurologiques déposant leurs premières traces dans le cortex à l'exceptionnelle plasticité du tout jeune enfant. Ils persistent sur le sol existentiel avec la belle assurance dont font preuve les météores de Thessalie dressant vers le ciel leur transcendance de pierre.

  Bien entendu, comment résister, en évoquant cet élan de nature céleste, au style héroïque, à l'emphase lyrique. Le langage peine toujours à retranscrire des événements d'ordre empirique dont le vécu paraît être la seule loi pouvant les affecter. Plupart du temps, il faut se résoudre à faire silence, à méditer, à se recueillir sur de l'ineffable. Si notre boussole ontologique, sans contestation possible, demeure le langage - nous sommes des êtres essentiellement confiés au logos -, elle s'aimante également vers des pôles que l'on pourrait relier à la catégorie du sensualisme. Toute expérience "océanique" se rapporte, d'emblée, à la nécessaire figure de rhétorique que constitue la métaphore. Face au paysage qui nous éblouit, nous sommes livrés à la profusion d'images, au lexique iconique dans sa démesure. Ceci rejoint ce qui est dit plus haut à propos du silence : le crépitement des significations est tellement intense que le langage est soudain débordé, faisant droit aux images. Et que sont donc ces images, si ce n'est une extrême condensation langagière, un amalgame de phrases pressées, une grêle dense de mots qui ne sauraient être ni articulés, ni écrits. C'est pour cette raison de l'immense profusion de signes dont ces événements sont affectés que, plus tard, nous avons du mal à en formuler les mots qui correspondraient à leur apparition, à leur succession ensuite. Aussi, parfois, la réponse à cette interrogation massive de sens se traduit-elle sous la forme poétique. Alors le langage essentiel condense dans une extrême richesse sémantique la puissance de ce qui s'est dévoilé l'espace d'un instant. Parfois c'est la forme synthétique picturale qui vient dire dans la touffeur plastique des empâtements, la vigueur des traits, la violence des couleurs, la spontanéité de la composition ce qu'une parole aurait échoué à restituer clairement.

 

abc 

Van Gogh. 1888, La Nuit étoilée (musée d'Orsay, Paris).

Source : Arts.

 

 

  Lorsque Van Gogh peint sa "Nuit  étoilée", à Saint-Rémy-de-Provence en mai 1888, c'est tout simplement ce "sentiment océanique" qu'il peint à coups de girations folles, ce ciel cosmique dont il voudrait tant qu'il délivre ses mystérieux secrets, ce cyprès faisant sa flamme noire à l'assaut des étoiles, ces maisons brillant dans le sourd éclat d'une végétation en marche, la cataracte des collines abrasant les sillons de l'humaine condition. C'est en termes métaphoriques que tout ceci s'exprime, à savoir en condensations sémantiques, en strates lexicales, en agglomérats phonétiques. Comme une réalité qui, pour se dire, aurait fait fondre ses gemmes dans un creuset en contenant l'essence, le principe premier indépassable.

  "On peut mourir de lassitude à se chercher en vain.", selon la belle formulation poétique, laquelle dit en mode rassemblé, ce qui, ici, a longuement été développé. Car c'est bien toujours de cette recherche dont il s'agit - la nôtre -, de cette quête qui nous assigne à coïncider avec nous-mêmes, cette ultime vérité que nous dit aussi bien le poème, que le "sentiment océanique", que toute chose sublime, que le tableau du peintre qui, en définitive, n'est qu'un long cri poussé vers les étoiles afin qu'elles veuillent bien consentir à éclairer notre chemin.

 

 

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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 09:08

 

XIV   La voyeuse

 

 

  Gemma aime, dans sa cage de verdure, regarder la vie s’éployer en multiples mouvements, en paroles vives et gaies, sorte de pluie fine qui emplit l’air de brume, de cristaux où joue la lumière, où se tissent des chants venus de la ville tout au loin, de sourdes rumeurs, les frottements des coques de bateaux, des glissements d’eau sur les plages de sable. Elle est une voyeuse du monde, pareille à la vigie qui, du haut de son mât, découvre des terres et des îles nouvelles et des peuples à la peau lisse et brillante, aux longs yeux étrécis, aux pommettes hautes, aux fronts marqués de signes ; des peuples d’animaux aussi, des oiseaux au plumage vermeil, aux becs recourbés, aux pattes hautes et élancées qui chantent une langue inconnue et des colonnes d’insectes aux carapaces de feu, aux antennes immenses et volubiles, qui bâtissent des cônes de terre pareils à des cathédrales, des poissons-étoiles qui marchent sur les flots avec leurs milliers de pattes, des araignées géantes dont les yeux éclairent la nuit comme les pinceaux des phares, des arbres aux cheveux fous, aux troncs ocellés, aux mains aussi souples que des lianes.

  Perdue dans son rêve, au milieu de la montagne où souffle le vent semé d’embruns, Gemma, arrivée au bord du sommeil, ne distingue que de vagues formes glissant sur la ligne de crête. Il n’y a plus maintenant sur ce bout de terre, au milieu du ciel, qu’une tour sombre, quelques pierres en demi-cercle, quelques touffes maigres et hirsutes, quelques voix déchiquetées par le vent, que la vallée reprend. C’est comme un basculement, une perte, une disparition. Le soleil s’est incliné vers l’ouest, couleur de sang au milieu, couronne de flammes blanches tout autour. Dernière vive lumière avant que la montagne ne bascule dans l’ombre. Gemma passe derrière la Tour qui semble s’être allongée avant son repos nocturne. Elle longe un moment le chemin qui se dirige vers l’autre Tour, la Marsane, et s’incline ensuite vers le golfe. Elle choisit une large dalle où elle s’assoit pour apercevoir encore quelques secrets de la terre et du ciel. De la mer aussi qui s’est apaisée, immense cercle bleu accroché au pied de la montagne. Plus rien ne semble bouger à l’approche du crépuscule, sauf les goélands qui dessinent de larges courbes blanches au dessus de la colonne de lave de l’Arbèle.

 

 

XV   Le pinceau magique

 

 

  De son pull usé par les intempéries, Gemma sort le miroir trouvé au Balcon, projette son haleine sur la glace qui se remplit de buée, le lustre de ses mains polies à la façon d’un silex. Elle l’oriente vers le soleil. Des rayons s’y accrochent, qui rebondissent vers le ciel. Alors la visiteuse d’Albère, comme ce matin sur les poutres du Fort, s’amuse à projeter les taches de lumière, semblables à l’éclat de pièces de monnaie. A la façon des goélands qu’elle connaît si bien, elle prend possession de son territoire comme ils le font des rochers criblés de trous. Partant de la crique de Pauseilles où flottent encore les canots des plongeurs sous-marins, elle dirige le faisceau vers les bâtiments ruinés de la fabrique d’explosifs, parcourt une plage déserte où battent quelques toiles rondes, puis contourne un massif de pins parasols, le bâtiment en escalier du Centre hélio-marin, suit le virage de la route, redescend vers la crique des Elmes, éclaire d’abord le parking de l’hôtel, puis le restaurant aux larges baies qui donnent sur le large, puis les rochers en pente vers les profondeurs marines, le promontoire qui surplombe l’eau, le chaos de blocs devant la grotte qui est son repaire à elle, sorte de refuge profond et ombreux, image inversée mais semblable à celle de l’aire de l’aigle royal, isolée, inaccessible, qu’on ne peut rejoindre que par la mer ou par la Roche aux Goélands, au risque de se briser le cou, puis le port de Blanuys, ses maisons entassées qui commencent à se perdre dans les ombres mauves, puis les résidences étagées de Castell Béar, perdant enfin son pinceau magique sur les sommets qui plongent vers l’Espagne.

  Gemma s’amuse beaucoup à bâtir ce chemin étrange, à le faire sauter parmi les éboulis, au dessus des toits, sur les terrasses où les gens boivent du vin en fumant de longues cigarettes. Gemma se demande si, depuis la côte, des hommes, des enfants, des vieillards assis sur leurs bancs, appuyés sur leurs cannes noires, des gens derrière les vitres de leurs maisons, de vieilles dames au fond de leurs boutiques, des enfants dans des salles de classe ou dans les cours cernées de grillage, peuvent suivre des yeux la course du rond de lumière qui fait comme un œil magique et un peu inquiétant; s’ils abritent leurs paupières derrière leurs mains à cause de l’éblouissement et ça donne à Gemma l’impression d’une sorte de pouvoir dont personne ne peut percevoir l’origine, comme un secret qui viendrait de très loin. Et Gemma pense à ce secret qui ne peut se dévoiler, ne peut être emporté, doit rester là où on l’a trouvé, au milieu des herbes maigres où siffle le vent, des pierres rongées où glissent les couleuvres, près des Tours qu’on voit de très loin, depuis la mer, et qui ressemblent à des fées, parfois à des sorcières.

  On pose sur la terre le miroir où son visage est une sorte de mirage au milieu des grains de poussière et des reflets du mica. De ses mains habituées à façonner des objets, à faire des frondes et des harpons, on rassemble des pierres qu’on met les unes sur les autres, à la façon d’un cairn, on y pose la glace, orientée vers la mer, les criques, les plages, les ports, on cale la base avec une plaque de schiste, on cherche la bonne direction par rapport au soleil, à sa course complète du nadir au zénith, on évite l’ombre portée de la Tour, on calcule la poussée du vent, on recule un peu sur le versant qui redescend vers le Balcon, on observe l’angle, l’inclinaison, l’incidence, on ne s’éloigne qu’avec la certitude que le miroitement du ciel sera perceptible de la terre, de l’eau, du domaine où vivent les hommes. On laisse alors la mince pellicule habitée de reflets sous la protection des étoiles, des hauts murs de pierre qui longent la côte.

 

 

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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 08:59

 

Richesse.

 

 

*Il faut beaucoup de pauvres pour entretenir un riche.

 

*La vraie générosité est souvent inversement proportionnelle à la richesse. Evidence.

 

*Seuls les peuples pauvres aiment la Terre. Les autres la violentent.

 

*Richesse : la plus grande des impudeurs.  

 

*Honte à ceux qui favorisent la République des Nantis : ils ne sont que les suppôts de la féodalité.

 

*Un riche n'est pas "vrai", il fait semblant de l'être.

 

*La pauvreté est la face hideuse de la richesse. A moins que ce ne soit l'inverse.

 

*Le pauvre se console de n'exploiter personne.

 

*Seuls les riches pensent à l'or (que les pauvres leur procurent).

 

*La foi vraie, seule richesse des déracinés.

 

 

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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 09:18

 

La chair luxuriante des mots (2).

 

 

 

IV ) -  "La voix est libre."

 

  Oui, la voix est cette liberté qui nous assure de la possession d'un monde. Oui, la voix est notre projection sur les choses. L'homme, toujours, est reconnaissable à sa voix. Elle est notre fac-similé, notre sceau, notre rythme. L'âge, souvent altère la locomotion, la gestuelle, la motricité fine, la mémoire, la posture du corps mais, jamais le temps n'affecte cette mélodie sortant de notre poitrine comme la sève exsude de l'arbre. Notre voix est la matrice selon laquelle semble se construire notre édifice de chair : colonne d'air nous tressant de l'intérieur, nous modelant telle une argile afin que les autres puissent nous percevoir, afin que nous-mêmes puissions témoigner de ce qui nous habite et nous fait aller de l'avant. La voix est libre à la mesure de notre propre liberté. Les voix usées, cassées, voilées témoignent d'un bouleversement, d'un manque-à-être, d'une incomplétude. Jamais tristesse ne s'illustre mieux que dans les vibrations de la voix. Mais, a contrario, jamais plénitude n'est aussi réalisée qu'à l'aune du chant, ce sublime poème vocal.

  Et si la voix est libre pour projeter dans l'air ses modulations, elle ne l'est pas moins lorsqu'elle anime la pièce de théâtre ou bien les dialogues du roman, les tirades et déclamations. Merveilleuse polysémie des homophonies où la "voix" rejoignant la "voie", s'installe comme un guide à suivre, un chemin à parcourir. L'Écriveur-impénitent entend-il une voix intérieure qui l'assurerait du bon choix, le conduirait jusque sur les rivages d'une œuvre à accomplir ? La voix est libre pour que quelque chose paraisse, que les mots fassent leurs feux de Bengale, leurs irisations colorées.

 

V ) -   "La parole court devant." 

 

  Le langage nous précède, les mots nous dictent la marche à suivre. Pourrait-on imaginer, un seul instant, que la parole s'inscrive à la suite, nous laisse la distancer et fasse ses mélodies à l'ombre de notre marche pensive ? Mais alors nous serions un simple mannequin d'osier semblable aux représentations de De Chirico, un genre de mécanique abstraite, une dépouille courant vers l'horizon sans même que nous soyons  conscients de nos allées et venues. Car la parole a cette vertu de donner à notre sentiment d'exister les nervures nécessaires à notre propre signification parmi les rumeurs du monde. Partout règne un bruit de fond pareil au halètement du soufflet de forge. Le monde se cherche, essaie de tenir ses éléments rassemblés, de concourir à l'édification du cosmos. Mais, sans le sublime logos, cette aptitude à parler-penser-raisonner, la géométrie cosmique s'effondre de l'intérieur. Imaginons un ballon dans lequel les hommes seraient enfermés. Imaginons ses flancs resserrés comme ceux d'une outre vide en attente d'une présence. Alors ce sont les respirations des hommes - leurs âmes -, leurs vocalisations - les productions langagières - , leurs proférations qui dilatent les parois, les portent à leur sphéricité signifiante. Hors la parole, aucune marche en avant de l'humanité, seulement une race bégayante au mieux, mutique au pire. Encore que le silence soit la condition de toute parole, mais un silence quintessencié qui fasse des éléments rencontrés des prétextes à réflexion, des justes mesures dont la subtile poésie tirera son suc.

  "La parole court devant" de telle manière que la conscience des hommes suivant sa lumière puisse se déployer en milliers d'événements. Jamais  la belle mesure anthropologique n'aurait pu s'édifier sans le recours au langage. Si tel avait été le cas, nous aurions partout, sur la surface de la terre, près des antres des grottes, de simples concrétions de chair, des élévations vouées à l'erectus, à l'habilis, sans plus. Autrement dit l'empan de la pensée serait demeuré dans sa bogue primitive, pareille à un ombilic retournant à son ombreuse condition pré- germinative. Parlant, pensant, raisonnant, nous ne percevons même plus l'extrême faveur que les dieux nous ont remise comme figure destinale. C'est pour cette raison inaperçue de l'origine donatrice que toutes choses, le plus souvent, se referment à nous avec le caractère de l'absurdité.

 

 

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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 09:06

 

 

XIII   Les Passants

 

 

  Des bruits humains, des bruits de paroles mais elle n’entend que des sons, ne peut savoir ce qui se dit, un peu comme les mots étranges inscrits sur la porte de fer. Abritée par la Tour, elle se hasarde à regarder vers le versant exposé au levant. Des formes aux ombres courtes gravissent la pente, lentement, faisant des haltes successives. Deux enfants d’abord. Une fille de taille moyenne, un garçon plus petit. Deux adultes derrière, leurs parents sans doute, le père portant un sac à dos bleu, la mère un panier rouge. Gemma sait qu’elle peut continuer à regarder l’ascension du groupe sans crainte d’être repérée, à l’ombre d’Albère. Quand les promeneurs parviendront au troisième lacet avant la dernière montée, alors elle descendra sur le versant opposé, ira se cacher derrière les touffes de genêts. Elle pourra voir les visiteurs, les entendre sans qu’ils s’aperçoivent de sa présence. Il y aura, entre le groupe et elle, la distance nécessaire. On ne lui volera rien. Ni son regard, ni la Tour, ni le Fort, ni la vue sur la mer, ni le golfe qui s’étend si loin, au nord, vers les grandes salines, ni les montagnes violettes au sud qui résonnent déjà des bruits de l’Espagne, du chant des perruches dans les têtes des palmiers, du balancement des bateaux dans les canaux de la marina, du cri des aigrettes dans la Réserve de l’Emporda.

   Cela, les salines du nord, l’Espagne derrière la frontière, elle ne les connaît pas, mais les pêcheurs qui jettent les filets dans la crique lui ont tout raconté et c’est un peu comme si elle y était allée, si elle avait vu les rectangles d’eau étincelants de sel, les hérons et les biches traversant la lagune dans l’air bleu et brumeux du petit matin.Et sur les gens qui voyagent beaucoup, qui traversent les mers, qui volent dans des avions, qui parcourent les savanes, les déserts, elle a le privilège du rêve car elle pense qu’on ne peut rêver que de choses imaginaires, non de ce qu’on a vu car, de cela, il ne reste jamais guère plus qu’un peu d’air sorti d’une outre dont on aurait pressé les flancs jusqu’à les faire se rejoindre.  Les promeneurs sont arrivés sur les pierres usées devant Albère. Ils s’arrêtent d’abord, soufflent longtemps, regardent l’horizon circulaire, les courants sur la mer semblables à des ruisseaux d’eau vive, la lente courbure du golfe tendue sous le vent, le flottement d’or des genêts, le clignotement blanc des bateaux dans le port, la disparition au sud, des montagnes sombres dans la brume d’été. Du sac bleu, le père sort des jumelles et regarde longuement le paysage si vaste qu’il croirait presque voir l’envers de la Terre, les îles lointaines, comme sur une immense mappemonde. Peut être, près du port, aperçoit-il le dos gris-bleu du dauphin dont le ventre, parfois, se confond avec les galets de la plage. L’air est vif, tout à coup, coupant comme la lame d’un silex, et les promeneurs s’habillent de blousons de toile, se réfugient derrière la Tour, semblable à l’immense tronc d’un baobab.                         

  De sa cachette, Gemma les observe, assise sur ses pieds, sans faire un mouvement. De temps en temps, pour mieux voir, elle écarte doucement les tiges des genêts et ça fait comme une sorte de halo jaune devant ses yeux, comme si le soleil s’était dispersé en des milliers de gouttelettes. Les enfants disposent en rond des dalles de schiste pour en faire des sièges, une pierre plus haute, au centre, pour la table. On s’assoit, on étire ses bras engourdis de fatigue, on cherche une position confortable. Le sac bleu est ouvert. On distribue des timbales, on y verse une eau claire gorgée de bulles, on boit de longues rasades qui calment un peu la soif. On coupe d’épaisses tranches de pain. On mange du jambon, du fromage, des œufs durs, des fruits, quelques biscuits. L’odeur de la nourriture, portée par le vent, se mélange aux senteurs épicées de la garrigue, traverse les fleurs jaunes, s’épanouit sur les lèvres sèches de Gemma, sur le contour de ses narines.

  Elle sent alors son estomac comme une poche vide, un antre déserté, une grotte humide en attente, où la marée déposera bientôt, comme dans les failles de la crique des Elmes, des algues, du plancton, de minuscules crustacés, des oursins, des moules à la coque noire et luisante. Mais Gemma, comme la grotte, vit au rythme de la mer. La nature lui a appris cette longue patience, ce jeu subtil du prédateur et de la proie où le guet lui-même anticipe le plaisir. Elle n’a pas faim vraiment et elle est comme la pieuvre, un simple repliement de tentacules, une dilatation de ventouses, un corps ramassé et disponible, tapi au fond d’un trou où la lumière ne parvient qu’en rampant. D’être là, simplement, les yeux dissimulés derrière une fente semblable au fil d’un rasoir, de surveiller les battements de l’eau, c’est comme ouvrir une coquille, en approcher le corail, en éprouver la douceur iodée. C’est un signe annonciateur qui se suffit à lui-même, dans lequel Gemma s’installe, prenant plaisir surtout à observer la scène, à anticiper le déroulement des gestes, à savoir que bientôt il ne restera plus, sur les dalles de pierre, que quelques épluchures, quelques fragments que bientôt les fourmis visiteront avant de les entasser dans leurs nids de brindilles et de terre.

  Ce qu’aime surtout Gemma, c’est entendre le rire clair du frère et de la sœur, la voix chantante de la mère, celle du père aussi, plus grave, qui parfois se mélange aux rafales de vent et alors on ne perçoit plus qu’un roulement pareil à celui des galets dans les vagues. Elle aime les mouvements vifs qu’ont les enfants, lorsque les mouches et les taons, les abeilles parfois, viennent tourner autour de leurs bras nus. Elle aime voir l’homme boire longuement au goulot de la bouteille et essuyer ses lèvres du revers de la main. Elle aime la façon qu’a le garçon de faire éclater les coques des amandes en les frappant d’une ardoise en forme de massue.

 

 

 

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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 08:57

 

Diverses considérations intempestives.

 

 

 Pensée molle.

*"Il n'y a rien à faire contre la pauvreté". Sotte affirmation de l'incurie.

 

Pensée proximale.

*Fiction : le narrateur n'est pas forcément l'auteur !

*Eden. L'innocence ne voit que la Pomme. Jamais le Serpent.

*C'est du rivage que la mer s'observe le mieux. Proximité est cécité.

*Pensées proximales. Non l'incurie de l'homme. Seulement la pente de la facilité.

 

Persuasion.

*Dans la tête du lecteur, enfoncez le clou, enfoncez-le jusqu'à ne plus voir que le clou, plus le lecteur.

 

Politique.

*Souvent la politique est à la démocratie ce que l'infidélité est au couple : une insulte. 

 

Principes.

*Assume le Principe de Contradiction, il te définit plus que ta persistance à être.

 

 

 

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