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30 mars 2024 6 30 /03 /mars /2024 08:39
Don et contre-don

Source : Image du Net

 

***

 

Ce texte est dédié à Nathalie Gauvin

 en remerciement de qui elle est

 

*

 

   Ce texte, intitulé « Don et contre-don » reprend, dans ses grandes lignes, le concept initié par l’Anthropologue Marcel Maus, concept selon lequel ces deux notions s’articulent « autour de la triple obligation de « donner-recevoir-rendre », forme de contrat social basé sur la réciprocité et créant un état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social », d’après la définition qu’en donne Wikipédia. Oui, ceci est une nécessité à la fois morale et logique dont, aujourd’hui, il semble qu’on ait oublié les prémisses au motif qu’une existence pressée, polychrome, polymorphe, dissout l’idée même de remerciement ou d’accusé de réception des faveurs que vous adressent l’Ami, le Frère, mais aussi bien « l’Inconnu » croisé au hasard des rencontres sur les Réseaux dits « sociaux » qui, en réalité, ont bien plus l’allure du réseau opaque que de l’obligation relationnelle, ouverte, que suppose tout échange avec quelque Existant ou Existante que ce soit.

  

   Certes, Facebook et autres « salons » contemporains sont des espaces où l’on picore, où l’on butine, sans autre conséquence que ce vol de surface qui a la consistance d’une fumée vite dissipée dans le ciel des affairements et diverses occupations. Dit d’une manière kundérienne, « l’insoutenable légèreté de l’être ». Cependant, lorsque des affinités se nouent, que des amitiés naissent, que des centres d’intérêts communs se manifestent, il arrive parfois, mais de manière très rare, qu’un vrai contact s’établisse tout comme il se donne dans la « vie ordinaire », autrement dit, il s’agit du passage du virtuel au réel avec tout ce que comporte, comme profonde signification, la rencontre de deux individualités dont rien ne disait le possible lien.

   Il y a quelques années de cela, j’ai eu l’occasion d’accueillir chez moi, ce grand Artiste suisse M.D. (ma naturelle pudeur taira ici les noms de ceux ou de celles qui seront cités, ils ou elles se reconnaîtront), au cours d’un séjour inoubliable, riche de spéculations convergentes.

 

Don : j’avais écrit de très nombreux articles sur l’œuvre de M.D.

Contre-Don : M.D. m’offrait un bronze qu’il avait réalisé quelques années auparavant.

 

   Voilà, je crois qu’il n’est guère utile d’insister plus avant sur la richesse d’un tel événement. Et ce que j’écris là, concernant le don s’est réalisé à de nombreuses reprises avec différents Artistes que je remercie ici en pensée. Il va de soi que les actuelles remarques ne sont nullement la quête de « cadeaux » en échange de ma prose. Seulement un souci de précision.

   Mais, avant d’en venir au sujet précis de ce texte (à savoir le beau retour de Nathalie Gauvin sur l’un de mes écrits), je souhaite encore apporter quelques témoignages des belles rencontres que j’ai faites sur le Réseau Social, dans la perspective du don et du contre-don. Beaucoup se plaignent, selon la couleur de leur tempérament, parfois avec vigueur, parfois se retirant dans un long silence, de l’absence de contre-don, d’une nullité de retour à la suite de leurs publications, toutes les tentatives de figurer autrement que dans un lourd anonymat se soldant par une sorte de versement dans un tonneau des Danaïdes, dont chacun sait que, n’ayant nul fond, il ne saurait retenir le breuvage qu’on lui destine, fût-il un cru rare.

  

   J’avais également écrit de nombreux articles sur les photographies d’un Artiste professionnel de grand talent, G.M., lequel nous livrait avec enthousiasme, sur le thème de l’Arbre, des clichés d’une grande beauté réalisés avec du matériel d’exception. Selon le concept spinoziste, il a cherché courageusement à « persister dans son être », mais devant la triste réalité (de vulgaires selfies, témoignages s’il en est, le plus souvent, d’une démesure impudique de l’ego) obtenaient bien plus de « J’aime » (mais quelle est leur valeur réelle ?) que ses travaux réalisés avec un souci extrême. Il a fini par « jeter l’éponge », seule cette formule contingente convient. Plusieurs fois il s’était ouvert, par message privé, de cette immense déception qui était la sienne. Å dire vrai, le réel nous livre bien plus de Cigales rêveuses que de Fourmis affairées, ceci semble inscrit dans le derme même de la condition humaine. « Tristes tropiques » eût dit en son temps le très avisé Claude Lévi-Strauss.

  

   Et, ici, comment ne pas citer le merveilleux travail de M.P.F, sur ses auteurs élus, dans des ouvrages d’une fort belle tenue ? Mais je laisse la parole à ses commentateurs :

   « M.P.F.  parachève une trilogie intime sous le titre amusé et tendre de Rousseau, un ours dans le salon des Lumières. Rousseau, en écrivain moderne, met en musique ses émotions : confessions, jugement, rêveries... Pas de perruque ni de poudre pour masquer un philosophe engagé dans l'aventure humaine. »  (Source : L’Harmattan)

   Et encore :

   « Mais qu’en est-il de la relation que Sade entretenait réellement avec les femmes ? C’est ce qu’a voulu savoir M.P.F, en travaillant sur sa biographie et surtout son journal et sa correspondance. Elle nous révèle un homme inattendu. Sade se montre le plus souvent affectueux et tendre envers sa propre femme Renée-Pélagie, mais aussi envers ses différentes amies, dont Millie Rousset, une spirituelle jeune provençale. »  (Source : Le Divan)

   J’ai lu ces deux livres d’une grande profondeur, spirituels, au style inimitable. J’en suis ressorti pourvu d’une nouvelle vision sur ces deux écrivains. Cependant, plus d’un, sur Facebook, s’est alarmé de telles publications au motif de « l’immoralité » de Rousseau, père de famille indigne abandonnant ses propres enfants à « l’assistance publique », « « Oui, Madame, j'ai mis mes enfants aux Enfants-Trouvés » ; d’autres se sont insurgés contre le fait d’écrire sur le « sulfureux » Sade. Ces remarques ne sont rien moins qu’insuffisantes, seulement dictées à l’aune d’une mauvaise foi ou en fonction d’un dogme préétabli. Ces polémistes eussent mieux été inspirés de lire ces deux ouvrages remarquables avant de les clouer au pilori et ceci s’inscrit dans l’ordre des idées toutes faites, et ceci suit à la trace le canevas du prêt à penser, lorsqu’il ne s’agit, seulement, de diffuser de fausses informations. Malheureusement ce régime délétère d’une « pensée » qui n’en est pas une, loin s’en faut, essaime ses noires nuées sur l’ensemble de la sphère médiatique. Certes, les Cigales s’en amuseront, les Fourmis s’en offusqueront. Je ne précise plus avant de quel côté penchent mes naturelles inclinations.

  

   Ensuite, comment ne pas adhérer aux soudains « coups de sang », aux indignations légitimes d’un P.G.Y, lequel remet vigoureusement en question la pente de la société actuelle en direction de sa chute, ne s’ouvrant plus qu’au bellicisme, se ruant dans des guerres sans fin, cédant aux incantations du terrorisme, privilégiant la consommation au détriment de la poésie, de la littérature, de la musique. Cet infatigable créateur (qui fait écho aux étonnantes chorégraphies de sa Compagne L.C), tantôt Musicien, Poète, Peintre, ce bel Humaniste ouvre sans cesse son cœur aux vertus les plus nobles de l’Amour, de l’Amitié, de l’Entente entre les peuples. Mais, parfois, il semblerait que les cris qu’il pousse n’aient pour seul avenir que la perte dans quelque sable ou mirage du Désert. Et cet Ami véritable sait combien je suis en accord avec ses idées profondes, avec ses saltos et ses sauts de carpe (pour consonner avec L.C), avec son espoir de voir un jour se réaliser les conditions d’une vie heureuse et simple, seulement dictée par l’exercice d’une Vérité.

  

   Et encore il me faut citer les très beaux textes autobiographiques publiés, chaque jour qui passe, par N.L, cette admirable diariste versée dans le décryptage de Soi (l’exercice le plus difficile, le plus exigeant qui se puisse imaginer !), sans fausse pudeur, sans compromission, avec cet accent d’authenticité qui, de nos jours, ne résonne plus que du lointain de quelque réminiscence usée, devenue incompréhensible. C’est comme une fleur s’ouvrant au cœur de l’hiver, comme u rayon de soleil illuminant la grisaille des jours.

 

   Et comment omettre de parler de J.M, ce « Candide » lettré qui, volontiers, nous ferait « prendre des vessies pour des lanternes », qui pérorerait avec facilité sur Baudelaire, Rimbaud, Aragon et quelques autres, feignant de n’y rien comprendre, nous prenant à témoin de son désarroi, sans doute « riant sous cape » de notre docilité à nous laisser entraîner dans une manière de vindicte auto-sacrificielle dont il joue à merveille pour sa joie intime, pour notre étonnement quant à ses aveux de « faiblesse ». Mais il faut être rudement fort pour se flageller à longueur de journée, pour rejoindre le coin de la salle de classe et y arborer le bonnet d’âne, il faut être assuré de son être pour le « rabaisser », le « rouler dans la farine », le travestir en Pierrot, lui donner le plus mauvais des rôles dans la quotidienne commedia dell’arte que l’on se plaît à jouer devant des Spectateurs médusés.

   Vous n’aurez pas été sans remarquer l’usage de lieux communs déguisés en proverbes facétieux, ils n’ont d’utilité qu’à mettre en perspective un dénuement supposé et une rare élégance car c’est bien de ceci dont il s’agit dans ce déshabillage total qui menacerait d’être vulgaire s’il ne faisait constamment         appel au second degré, une façon habile de dire « je me flagelle donc j’existe », inventant pour l’occasion un cogito singulier auquel même le bon Descartes n’aurait nullement pensé du haut de son génie. Il est réjouissant, au milieu de cette faune médiatique, seulement occupée de faire briller son ego, de rencontrer ce Personnage si sympathique, haut en couleurs, qui n’a de cesse de déconstruire ce que les Autres, fébrilement, mettent des siècles à construire.

   Spécialiste de la poudre à gratter, du fluide glacial, du sucre qui saute au visage, force m’est de penser qu’il « rit sous cape » du bon tour qu’il nous joue, qu’il se joue pareillement car l’on n’est jamais mieux au centre de Soi qu’à s’en éloigner, à se placer sous la lentille du microscope et à s’examiner comme le ferait d’une diatomée quelque Professeur Tournesol s’ingéniant à trouver dans ce corps translucide, peut-être une image de son être, peut-être un miroir où s’apercevoir tel le ciron de Pascal face aux « deux infinis ». Je ne serais nullement étonné que notre Homme, repus après un repas nourricier, la tête face aux étoiles, se mette à méditer, l’air gravement réjoui, ces belles paroles de l’Auteur des « Provinciales » :

 

   « Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? »

  

   Oui, je le crois capable d’un tel « forfait », cœur grand ouvert à la contemplation du Monde, effeuillant ses souvenirs comme on le fait d’une marguerite, évoquant ici un dessin à la cire, là de mystérieux signes sur une planche de bois, là encore quelque ancienne Maîtresse dont il doute qu’elle n’ait jamais existé (car il lui faut bien manier l’humour dans cet Univers rempli de tristesse !) et encore bien d’autres essais de se prendre au sérieux en détricotant ce réel manifestement têtu, parfois hostile. Oui, de ceci et de bien d’autres choses, je le crois capable ! Il est ce que l’on nomme communément, avec respect : « un Personnage ». Oui, assurément, c’est ceci qu’il faut être pour tenir « contre vents et marées » ! Oui, ceci !

   Un commentaire de dernière heure du très attentif et poète ES me rappelle à l’ordre comme pour réparer une étourderie et, certes, c’est pour le moins une étourderie au motif que ce presque Voisin (nous projetons de nous rencontrer dans la « vraie vie » avant même que le réchauffement climatique n’ait produit des forfaits inévitables). Au fil des jours, figurent, dans mon Groupe Écriture & Cie, ce que j’ai habitude de nommer « petites gemmes », « minces pépites », nullement au sens réducteur mais pour la simple raison que cet Artiste des mots, jour après jour, infatigablement, distille ses dentelles langagières sous forme elliptique mais non moins superbement réjouissantes. Plusieurs fois, il m’est arrivé de décrire la tonalité de ses vers selon la mesure acoustique-esthétique d’une « petite musique », fugue ou parfois adagio ou parfois encore cavatine, simple bruissement cristallin qui fait vibrer la corde de l’âme en laquelle elle s’instille telle la petite et entêtante ritournelle qui, de la journée, ne vous lâchera nullement, même aux heures les plus fortes de l’Amour, cette divine dimension de la rencontre humaine. Mais bien plutôt que de pérorer longuement et pour inscrire une manière de halte dans cette prosopopée, je vous livre un de ses bijoux, dont je ne sais s’il est « indiscret » et vous incite à rêver longuement au rythme de ses heureux mots :

« Poème des pluies incessantes

Dont l’écho se noie

Par trop d’averses ne répond plus

Le soleil serait-il né d’inadvertance

Ô combien me brûle l’eau silencieuse

De mes incantations

Nihil-Nihil

E. Szwed

29-III-24

Silencieuse »

 

   Familier de l’anaphore, un mot enjambant son nom, comme une incantation qui voudrait retentir silencieusement dans l’âme du Lecteur, de la Lectrice, il plante en notre inconscient un jalon pareil à une braise, une façon d’être au-delà des mots. Et, certes, il est !

   Enfin, après ce long préambule, il est temps d’aborder le cœur du sujet, laissant la parole à Nathalie Gauvin, tout ému de prendre en compte avec exactitude le contenu de son commentaire sur un fragment de mon écriture :

 

« Perspective Existentielle sur une Photographie d’Hervé Baïs »

  

   « Quelle analyse magistrale mon ami ! C'est à couper le souffle ! Tant d'érudition et les mots pour le dire ! Tu as cette vision si juste, si pertinemment intelligente du sens profond des choses, de l'acte de dire qui se ramifie de tant de facettes bigarrées au gré de la plume de ces orfèvres du verbe que sont les grands poètes de l'histoire et qui prend en vos mots mon ami, toutes les nuances subtiles de la sublime lumière dont vous les éclairez...toujours un bonheur suave que celui de vous lire ! »

  

   Bien entendu je n’aurai l’impudence de faire à mon tour un commentaire sur celui-ci. Infinis remerciements pour une telle réception. Alors ici vient à propos une méditation sur le geste du don, sur la logique du contre-don qui lui est coextensif, nul ne saurait en nier la valeur de confirmation de qui-l’on-est en direction de qui-l’on-devient. Parvenus à ce point de notre réflexion commune, comment pourrions nous faire l’économie de la pensée hégélienne du Soi et de l’Altérité qui trouve de nombreux et abyssaux développements dans « La phénoménologie de l’esprit », dont Jean Hyppolite nous restitue ici toute la pleine teneur :

   

    « …car chacune des consciences de soi est aussi une chose vivante pour l’autre et une certitude absolue de soi pour soi-même ; et chacune ne peut trouver sa vérité qu'en se faisant reconnaître par l'autre comme elle est pour soi, en se manifestant au dehors comme elle est au dedans. Mais dans cette manifestation de soi, elle doit découvrir une égale manifestation chez l'autre. « Le mouvement est donc uniquement le mouvement de deux consciences de soi. »

  

   Les choses sont énoncées avec suffisamment de clarté pour qu’elles ne nécessitent que de brèves remarques d’ordre logique, résumées de cette manière :

 

Je ne suis moi que par l’Autre

(versant de la parentalité et de son devenir) ;

je ne suis moi que pour l’Autre

(versant de la conjugalité, de l’amitié, de la rencontre).

Hors ceci, nulle réalité.

Donc, nulle existence.

 

   Å ces quelques remarques, je crois nécessaire d’ajouter la belle réflexion de Philippe Lacoue-Labarthe extrait de « Tradition et vérité, à partir de la philosophie », mettant en lumière l’essence réelle de tout don :

  

   « La question, dans sa plus grande généralité, est donc la suivante : peut-il y avoir un rapport quelconque – impliquant un objet, une chose, mais aussi bien le « corps propre », ou la parole, ou l’âme, etc -, une absence pure de sollicitation de réciprocité, une pure dépense sans espoir de bénéfice secondaire, d’épargne à terme ou de retour, un pur désintéressement ? En général, y a-t-il une fracture possible de l’économique ? Peut-il être (dé)livré quelque chose en pure perte ? Peut-il y avoir dépropriation sans conscience de dépropriation, c’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre, sans calcul, ou espoir de réappropriation ? Ou si l’on préfère encore : un geste quel qu’il soit, envers autrui, peut-il être sans finalité, radicalement a-téléologique ? »

  

   Le problème est excellement thématisé et expliqué par le Philosophe. A ceci, l’explication me paraît simple, limpide. Ou bien nous nous situons au niveau de la théorie, « « science qui traite de la contemplation »et le rapport à l’Autre est an-économique, a-téléologique, aucune fin n’étant envisagée de telle ou de telle manière.

   Ou bien le rapport à l’Autre est réel, concret, incarné et alors surgit la dimension de l’économique, du téléologique. Nul ne souhaite être « payé en monnaie de singe ». Ce que le conscient montre comme pur geste de gratuité, l’inconscient le reprend en seconde main, réclamant son dû, son obole, sa juste rétribution.

  

   Certes « l’art pour l’art » et son naturel pendant « l’écriture pour l’écriture » (je me réclame le plus souvent de cette seconde option), l’inestimable valeur du geste d’écriture, « tout le reste étant de surcroît », publication, édition (certains s’y reconnaîtront), retours de commentaires gratifiants, bien évidemment cette charge positive ne saurait être évacuée sans dommages collatéraux. Nul ne saurait faire abstraction de ces gratifications qui, lorsqu’elles s’affirment avec une telle générosité, Nathalie vous l’aurez compris, sont loin de laisser les choses en repos. Ici le contre-don a rejoint le don, le circuit économique, sinon logique s’est refermé, toutes choses prenant sens dans cette dimension d’altérité reconnaissante. Comment mieux dire la gratitude lorsqu’elle rencontre une beauté de l’âme pleine et entière ?

  

   Mais, heureux de l’occasion que vous me donnez de diffuser une once de mes sentiments, qu’il me soit encore accordé, de préciser quelques éléments qui, pour n’être essentiels, constituent cependant la toile de fond d’une rumeur qui court à bas bruit sous la ligne de flottaison de la conscience. D’abord, je citerai l’expérience que j’ai de mon Blog, jean-paul-vialard.fr, sur lequel je publie, depuis une quinzaine d’années, la plupart de mes articles. Très multiples dons au cours de quelques 2720 articles publiés, lesquels n’ont reçu, en matière de contre-dons, que quelques notations strictement numériques dont la valeur est d’un vide abyssal. Å titre d’exemple, aujourd’hui même, voici le visage quantitatif du Blog :

 

Mois : 3 articles – 356 visites – 453 pages vues

 

   Les données sont si étiques qu’il n’y a strictement rien à tirer de telles informations.  Quant aux commentaires, ils sont de nature homéopathique et, parfois, sont le fait d’esprits dont je ne pourrai qualifier le contenu, surréalistes en tout cas, assurément hermétiques, frisant le délire. Sans doute vaut-il mieux s’en amuser ! Å titre de simple ironie, je publie ci-dessous, le fragment d’un commentaire portant sur un texte intitulé « Les Ombres et le Néant », texte dans lequel je tâchais d’analyser, par peuple Mongol interposé, la dialectique de la Tradition et de la Modernité. Voici donc cette « petite perle » au sujet de laquelle je ne ferai nul commentaire, l’évidence éclate d’elle-même, tout au bord du sublime canular :

  

   « 24h…il me faudra 24h pour tout refuser, 24h pour tout accepter…cette Terre ou le Soleil m’exhorte de m’effeuiller - de porter jupons et sandales de cuir - de m’invectiver contre les séquences Fruit du Dragon & Mangue du Jardin…une Mère presque hystérique, transformée par le chagrin qui déifie une enfant de 18 mois…

   Petit Oh petite étincelle - toi le Coeur de ma Vie, je n’existe que par la projection et l’Ego…quel gâchis…lorsqu’on pleure dans la chaumières, funeste « vie personnelle » versus «  solaire professionnel »…sortes « les napkin’s » ça va pleurer dans les chaumières…de ce grand et large espace Khmère très peu d’objets sont vraiment visible…autrement dit ces « grandes acrobaties » ces « clowns élégants » sont presque muet dans l’Absence, le néant…oui, ou est & qui est l’Absent? Maître Bandol, dont les cendres reposent juste de l’autre côté du Muret…ou bien est-ce le manque de Sens dans l’Existence…je répète souvent cette réforme, ou bien ce refrain…je ne sais plus quel est l’idiot-M exactement…oui je me répète que l’absence des uns fait place au Vide de l’Autre - du Soi Intérieur qui n’est ni un enfant ni un décorateur amateur des Moulins à Vent… »

 

   Je laisserai les « Moulins à Vent » broyer leurs subtiles graines et semer leurs farines à tous vents, poursuivrai mon chemin sans en être réellement affecté, amusé seulement.

  

   Autre expérience : Il y a de cela quelques années, j’avais publié de très nombreux articles sur un Site Littéraire « Exigence : Littérature ». Pratiquement nul retour. Le seul consistant provenait d’une Administratrice du Site qui critiquait vertement le contenu d’un texte publié à propos de « Soumission » de Michel Houellebecq. Autant vous dire que notre collaboration s’est arrêtée là, devant tant d’intolérance manifeste. Ce Site semble avoir disparu de la sphère Internet.

  

   Dernière expérience, qui nous est commune : la participation au Réseau Social Facebook. Deux volets : celui de mon Profil jean-paul vialard sur lequel je publie tous mes nouveaux textes avec images jointes et des « souvenirs », simples extraits de textes antérieurs. Autre volet : mon Groupe d’Écriture « Écriture & Cie » qui compte à ce jour 1300 Membres. Sur ce Groupe, publications diverses d’Auteurs édités, de photographies d’art, de fragments de mon écriture. Ces fragments sans images sont voulus afin de faire droit au texte et au texte uniquement afin que les éventuels « J’Aime » soient clairement délimités. Bien trop de Participants cliquant plus volontiers sur une Image que sur un Texte, lequel nécessite un investissement minimum. Dans ce Groupe qui menace de devenir pléthorique, une vingtaine d’Amis (dont les Auteurs dont j’ai cité précédemment les initiales en lieu et place de leur patronyme réel) qui sont devenus fidèles, avec lesquels d’intéressants échanges sont entretenus. Autrement dit 1280 Membres constituent une majorité silencieuse qui, peut-être, n’en pense pas moins mais le silence est toujours difficile à interpréter et sujet à erreurs multiples. Voici la réalité telle qu’elle se dévoile, qui n’est guère différente de celle que nous connaissons dans notre environnement familier :

 

la qualité est rare,

la quantité foisonne

comme l’eût énoncé ce

bon Monsieur de La Palice.

 

   Il n’y a pas lieu de s’en plaindre même si ce que j’exprime ne se dispense guère d’une critique, peut-être même, parfois, se teinte d’une juste frustration. J’aimerais tant, parfois, que la « monnaie de singe » soit troquée en « espèces trébuchantes et sonnantes » (n’entendez pas une rétribution économique), seulement cette reconnaissance si bien mise en évidence par le génie de Hegel dans la construction de la conscience de Soi.

  

   Ici, après ce long bavardage qui présente le visage de quelque épanchement affectif, vous remerciant encore mille fois pour votre gentillesse et comme contre-don qui clôturera ma parole, je cite ci-après l’un de vos Poèmes qui brille de mille feux et témoigne d’une conscience attentive à une marche éclairée du Monde :

  

   « Et si, pour survivre au-delà de tout, je risquais l’égarement ? Que j’appareillais vers l’inaccessible et mettais voiles au plein sens ? Que trouverais-je au-delà de l’horizon visible ?

Ramènerais-je en mes cales

Quelques trésors si fabuleux

Qu’ils n’attendaient que cette escale

Au périple de mon esquif

Pour me laisser les découvrir ?

Ou sombrerais-je dans les abysses

Tristes et solitaires du rêve

Comme tant de ces barques de lunes

En quête d’aurore boréales

Comme tant de ces bateaux de brume

Survivants de l’imaginaire

Que l’on enfante dans l’éther

Entre l’espoir et l’amertume

Hantant les lueurs vespérales

Des feux Saint-Elme qui se consument

À se dissoudre dans leurs voiles

Évanescentes comme l’écume ?

Comme tant de ces vaisseaux précieux

Aux bois de rose ou de santal

Ceux qu’on incruste d’or massif

Qui cherchent des routes aux étoiles

Qui bravent corsaires et mistral

Pour des louis d’or et des épices

Ou voguent en des eaux d’infortunes

Qu’azurent des soleils excessifs

Sans autres haleines qui les essoufflent

Que vents qui tiennent dans un souffle

Mais qui se condamnent au naufrage

Pour n’avoir su se prémunir

Contre les dangers du voyage

Ni mouiller l’ancre en quelques terres

En quelques havres, quelques rivages

Et qui reposent leurs épaves

Au linceul de toutes les mers

Aux lits desquelles elles s’enclavent

Pour ne laisser de leurs sillages

Que ces lambeaux d’écumes brèves

Aux tombeaux de chaque récif ?

 

   Comment un texte d’une telle tenue pourrait-il se passer, logiquement, rationnellement, mais aussi affectivement d’un évident contre-don ? Et, pourtant, dès que le niveau d’écriture s’élève, que la pensée brille par son ample déploiement, les sentiers se font rares en Marcheurs et Marcheuses prêts à confronter l’abîme toujours ouvert du sens. Que dire après ces mots aux belles facettes de cristal qui n’en obombrerait la subtile luminescence ? Cependant qu’il me soit permis de placer à l’épilogue de mes méditations, cette réflexion qui est vôtre, qui résume excellement ce que j’ai essayé de dire avec tant de laborieuse incertitude et, peut-être, d’amertume et de désillusion face à un Monde bien trop préoccupé de soi, qui n’a de cesse, tel Narcisse, de se mirer dans l’eau qui en reflète le mirage. Mais, énonçant ceci, après une longue considération de mes écrits, ne suis-je, moi-même, ce Narcisse que je récuse ? Mais que la proche altérité de votre parole vienne ici me rejoindre et me porter vers cette entière beauté que vos mots distillent à la façon d’une belle et troublante ambroisie :

 

« Ramènerais-je en mes cales

Quelques trésors si fabuleux »

 

En attente de l’Autre, ne sommes-nous,

faute de nous l’avouer clairement,

uniquement en attente de Nous ?

Don et contre-don

Des deux mains qui s’étreignent ici,

laquelle reçoit l’Autre,

laquelle est reçue ?

Y a-t-il homologie des intentions,

 des émotions, des ressentis ?

L’étreinte partage-t-elle avec équité

le souci de la pure Amitié ?

 

   Ici, nous ne pouvons que questionner et nous poster à l’orée de cette interrogation tant l’exister ne nous assure de rien, nous visite seulement comme l’oiseau fend l’air qui se referme sur lui et ne laisse, dans le trajet du Ciel, qu’une place vide !

 

Oui, le vide est à combler incessamment,

la solitude est immense qui replie autour de nous

 ses ailes de carton et de suie.

Vous voulons de la LUMIÈRE,

rien que de la LUMIÈRE !

 

Merci, Nathalie, de nous en offrir

Ces subtils éclats

Ils vont droit au cœur

 

CORDIALEMENT

 

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18 janvier 2024 4 18 /01 /janvier /2024 09:59
Génie : folie par destination

Marc Alpozzo (Ouvroir de réflexions potentielles)

 

***

 

De Christine Raison :

 

« Merci, Jean-paul d'avancer l'idée de la folie de Nietzsche.

Certains la réfutent en parlant des effets de la syphilis.

Comme vous, je pense qu’une relation sincère

et intime l’aurait protégé de son enfermement .… »

 

*

 

   Le problème de la folie est si redoutable à affronter, si difficile à cerner que le recours imageant à la métaphore (ici une pièce de monnaie), un pied dans le sensible, un pied déjà dans l’intelligible, nous la rendra plus « familière » si l’on peut s’exprimer ainsi. Le Génie m’apparaissant, par essence, un être du partage, du milieu, mais aussi et surtout un être de l’entre-deux (avant même de basculer hors de toute dimension humaine), c’est dans la figure étrange du Funambule, du Fildefériste, qu’il donnera le plein de sa réalité, scintillant parfois dans le pur rayonnement solaire, parfois chutant dans le cul-de-basse-fosse ténébreux du Néant.

Donc, métaphoriquement, plaçons l’activité du Génie (la pièce de monnaie en est le lieu) sur cette lisière étroite qui porte le joli nom de « carnèle », cette limite s’instaurant entre l’avers portant l’effigie (l’apparence sensible), et le revers portant la valeur (chiffre intelligible ou essence déterminant sa vraie nature).

   Car ce qui est paradoxal au plus haut point, c’est bien la destination tragique du Génie qui n’accomplira son essence qu’au prix d’un saut dans cette folie dont il redoute les assauts mais dont il espère qu’elle tiendra allumée la vive étincelle de sa passion. Nul n’est un Génie au titre de sa propre volonté, c’est tout simplement la Nature qui a posé les conditions de son accomplissement. Par « Nature », il faut entendre le socle infrangible, le fondement à partir desquels un individu trace sa route, exception faite des déterminismes sociaux et autres influences sous le sceau desquelles il se trouverait placé. Ce que je veux exprimer par-là, c’est le caractère de nécessité qui fait du Génie un Génie.

   Ayant posé ceci tel un incontournable postulat, l’on comprendra aisément que tout événement survenant dans la vie du Génie (rencontre fortuite, attrait amoureux, culte passager d’une passion adventice), tout événement donc n’agira qu’à titre de pure contingence, c’est-à-dire qu’il ne fera dévier en rien la flèche existentielle dont l’atteinte de la cible se trouve, par vocation, entièrement déterminée. Ces méditations, reportées au cas de Nietzsche, veulent dire que, ni les effets négatifs de la syphilis, ni l’impossibilité en laquelle se tiennent ses sentiments intimes de pouvoir rejoindre en quelque manière une Lou-Andrés Salomé ne peuvent justifier son basculement dans la démence. De la même façon, la perte de Suzette Gontard (la Diotima de son roman « Hypérion ») à elle seule, fût-elle douloureuse, ne peut suffire à expliquer la chute de Hölderlin, son refuge terminal dans l’enfermement de la tour du Menuisier Zimmer, à Tübingen, là où plus aucun sens ne vient entretenir un esprit en totale déroute. Pas plus que les succès on insuccès d’Artaud dans « Les Censi », sa pièce retirée de l’affiche, son « demi ratage », ne suffisent à bâtir les fondations de son internement à l’asile des Quatre-Mares ou à l’hôpital de Rodez. Et, en ce qui concerne Van Gogh, ni ses soucis financiers, ni son échec du projet d'établir un atelier à Arles, ne peuvent être les motifs suffisants qui le conduisent au geste irréversible de ce coup de révolver dans la poitrine qui signera l’épilogue de son destin.

   Tous ces événements, aussi décisifs soient-ils, sont des actes de pure immanence, s’adressant bien plutôt à la personne humaine de l’Artiste en proie aux multiples soucis de l’existence, ils ne sont nullement des motifs du Génie, des fragments de son inatteignable essence. Ils témoignent de l’Homme, nullement de ses dons hors du commun, de ses facultés suressentielles, de son commerce avec ce qu’il nous faut bien nommer une transcendance, à savoir le plus haut de Soi aimanté par le Hors-de-Soi, ce danger, mais cette fascination, mais cet attrait de la brûlure, cette netteté scintillante de la Blancheur, cet orbe assourdissant du Silence, cet appel d’une absolue Solitude.

   Et ici, il me faut citer la célèbre assertion hégélienne selon laquelle : « La philosophie est idéaliste, ou elle n'est pas. », que l’on pourrait aisément paraphraser selon la formule : « Le Génie est idéaliste, ou il n’est pas ». Car tous ceux cités jusqu’ici, aussi bien Nietzsche, qu’Hölderlin, qu’Artaud, que Van Gogh sont des Idéalistes, autrement dit leur esprit précède et justifie leurs corps, ces lourdeurs, ces boulets, ces empêchements à être.  Le geste immanent ne prend sens qu’à la lumière du motif transcendant qui en a dicté la forme, a présidé à sa mise au jour. Il y a donc, chez l’homme de Génie, un constant jeu pervers qui met en tension son existence perpétuellement tiraillée entre les gestes du quotidien (ces entraves, cette aliénation) et cet essai de pure Liberté que constitue l’effectuation, au plus haut degré, du geste artistique, philosophique, philologique, tous domaines dans lesquels l’Esprit est à l’œuvre (au sens de l’œuvre se faisant), le corps étant au repos, en une certaine manière répudié, comme pourrait l’être une chose inutile et gênante, une servitude à proprement parler. Car il faut, au phénomène intellectif, imaginatif, inventif, la vitesse de la comète, le scintillement de l’éclair, l’éclat de la foudre. Il faut s’extraire du réel, telle l’indigente chrysalide qui s’arrache à sa tunique de fibre pour donner lieu au brillant imago.

   Seulement, tout geste d’arrachement, d’effraction, de fracture est, de facto, geste de séparation, d’éloignement de Soi, geste schizoïde, unité se brisant en mille fragments qui, dès lors, ayant atteint un point de non-retour, signeront l’éparpillement d’une personnalité livrée au feu même de la disjonction, de l’écartèlement, de la diaspora sans fin.  Sillage de la folie faisant ses mille brisures, beauté insoutenable, tel un miroir étincelant ; mariage antithétique de la Raison et de la déraison, laquelle déraison se donnera comme le signe irréversible d’une méta-réalité dont nul ne pourra percevoir que les contours externes, les feux de Bengale, les diaprures, à défaut d’en pouvoir connaître la subtile et non-reproductible genèse. Le Génie sait bien qu’il vit sur l’étroite margelle de la carnèle, cet espace si étroit, ce lieu innommable, ce fin liseré qui s’insinue entre le Corps et l’Esprit, la Physique et la Métaphysique, la Matière et le Néant, ce fléau oscillant en permanence d’une réalité à l’autre, le « juste milieu » constituant le seul site habitable pour l’homme. Mais ces Hautes Figures de la Pensée, de l’Art, ne sauraient accepter de se vêtir d’un corset si étroit au sein duquel leur puissance même échouerait à se donner pour ce qu’elle est : un nécessaire rayonnement à offrir au Monde, la délivrance de pures gemmes en lieu et place de substances viles, l’aboutissement, en quelque sorte, de l’entreprise alchimique, là où le réel quintessencié, devient diaphane, où l’opaque devient transparent, où la prose devient poésie.

   Certes, tout ceci se déroule au risque de leur Folie, et ceci est gravé en eux, d’une façon infiniment visible, rubescente, braise illuminant la nuit de son regard magnétique. Observant la danse du feu, se fondant en son irrémissible beauté, qui donc est capable, sur cette Terre, de se soustraire à la fascination de ces mystérieux rayons de lumière paraissant se ressourcer à leur propre jaillissement ? Quidam, l’on n’échappe pas plus au sortilège du feu que le Génie ne peut se soustraire à l’efflorescence sans fin de ses étonnants pouvoirs. Question de vie ou de mort. Ou bien le Génie est pur Génie, ou bien il s’écroule sur lui-même, telles les murailles de Jéricho s’effondrant sous le souffle des trompettes. On l’aura compris, par « vocation », le Génie est condamné à la folie. On ne tutoie impunément ni les excès de Dionysos, ni la grandeur prophétique d’un Zarathoustra, pas plus que l’on n’affronte la redoutable Volonté de Puissance (autant de manifestations de la transcendance) sans courir le risque de Soi. Nietzsche, tout comme Hölderlin qui vit « sous les orages du dieu » ; tout comme Lautréamont parfois métamorphosé en son propre bestiaire ; tout comme Artaud qui se perd dans la fumée du peyotl des Indiens Tarahumaras ; tout comme Vincent qui succombe sous les assauts des faucilles noires des corbeaux sous le ciel incendié d’été, tous ces Génies donc ont connu « La traversée des apparences » (pour utiliser le beau titre de Virginia Woolf qui, elle aussi, connaîtra la fin tragique du suicide). Car, aux « apparences », à cette lourde réalité matérielle, au principe de la « pesanteur », ils préfèrent le principe de la « grâce » (allusion au beau titre de Simone Veil), au divers du sensible, ils substituent l’unité de l’intelligible ; à la gaucherie de l’acte, ils substituent la finesse de l’Idée ; aux mailles étroites de la raison, ils privilégient la désinvolture, l’élégance, le brio de la Folie. Seulement ce brio clôture définitivement un itinéraire qui, pour avoir été chaotique, parfois à la limite d’une visibilité, n’en a pas moins ouvert d’immenses clairières aux hommes du commun, clairières au sein desquelles un Soleil s’est levé qui, jamais ne s’éteindra, pareil à ces Tournesols d’un jaune lumineux qu’un Vincent a légués aux hommes de Provence comme le signe d’un destin hors du commun.

   On ne conclut jamais quant aux quelques estimations que l’on destine aux Génies. Par définition ils sont hors de portée. Ils sont Universels, nous ne sommes que particuliers. Ici j’en reviens, Christine, à votre assertion : « je pense qu’une relation sincère et intime l’aurait protégé de son enfermement », ce que semblent contredire les thèses rapidement évoquées au cours de cet article. Nul, en effet, ne peut savoir, au motif que l’on ne refait pas l’Histoire, ce qu’eurent été les existences d’un Nietzsche ou d’un Rilke en compagnie de leur égérie, Lou-Andréas Salomé ; en quoi le destin d’un Hölderlin eût été métamorphosé si sa vie s’était déroulée dans la proximité étroite de Suzanne Gontard, le seul Amour qu’il ait connu. Au prix immense de leur désarroi, ces immenses Créateurs nous ont transmis les diamants de leurs pensées. Pouvaient-ils faire mieux ? Merci en tout cas pour vos belles remarques. Tout Génie est Génie malgré soi et, pourtant, paradoxe encore, sa volonté est infiniment tendue vers ce but qui est sa propre néantisation. De là la beauté infinie du Génie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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25 novembre 2023 6 25 /11 /novembre /2023 11:06
Concept ou Poésie ?

                        Source : La Grande Récré                                   Source : Lumni

 

***

 

   [Le texte ci-après se veut l’illustration d’un double dialogue, d’abord celui entrepris avec Christine Raison, lequel de nature métaphysique, portait essentiellement sur la notion de Dieu, interrogeait l’Invisible, la Lumière, par exemple. Le second dialogue est un échange entrepris avec Daniel Giguet, sorte de commentaire au second degré sur son propre commentaire tel que restitué ci-après. Le propos ne se veut nullement philosophique en toute rigueur, il souhaite seulement apporter un éclairage sur quelques points soulevés avec pertinence par un Philosophe.]

 

Daniel Giguet : Sur le débat entre Christine Raison et Jean-Paul Vialard...

 

   « Il faut commencer par une précision, la métaphysique interroge la complexité du simple et de l'immédiat pour s'ouvrir au fond sans fond. Et le Soi, comment le définir ? Comment concilier l'hypostase et le subalterne ? Ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que l'être qui fixe et fige, interroger la source de la vie vivante qui nous presse, nous pulse et nous impulse de créer ? A cette condition le dépassement me semble possible jusqu'à ce que la Terre s'appelle La Légère.

  Vous avez raison, l’art, la grande poésie nous élèvent, nous empêchent de mourir de la vérité. Et puis "soi plus que soi" revient à se libérer des rets anciens et franchir le pas en avant vers l'ailleurs. Nietzsche dirait volonté de puissance vers l'Übermensch". La création artistique, poïétique surtout ouvre sur l'appropriement (l'Ereignis) de ce qui vient en présence au monde.

  Votre analyse s'inscrit pleinement, avec aisance conceptuelle, dans le champ de l’Idéalisme absolu et de la subjectivité toute puissante.

   Et si nous sommes "des humains enracinés à la terre", nous sommes surtout les jouets de la technique toute puissante, planétaire et aux mains des financiers.  En ce sens nous sommes "humains trop humains" à l'heure vespérale où nous vivons "le crépuscule des idoles". Et même "l'Homme en tant qu'homme" n'a plus cours dans le Jeu du monde. Il est mort comme toutes les autres figures de l'être (la phusis par exemple). Seul demeure son dernier avatar : La Technique.

    Depuis Rimbaud, Nietzsche, Heidegger, le dépassement de la métaphysique est consommé ; et l’Histoire de l’Être a commencé de finir.

   Il ne s'agit pas de refouler mais de tenir le pas gagné pour effectuer le pas en avant.

   Votre article Jean Paul Vialard est brillant, d'une très grande culture très consistante, voire encyclopédique. Mais je pense que seule la poésie, et merci Christine Raison, pour votre poétique réaction, seule la poésie pensante peut nous projeter au-delà, en faisant l'expérience de la parole en son déploiement à partir de La Dite (Sage). D'ailleurs si « la langue est la maison de l’être », elle dit avant tout le vivre en flux, et cette prise échappe au concept.

   Votre article, vous l’assumez, se situe du côté de l'idéalisme hégélien avec une remarquable maîtrise. »

Je suis ravi d'avoir participé à cette discussion.

 

Daniel Giguet.

 

(NB : c’est moi qui souligne)

 

***

 

Mon commentaire sur ce commentaire

  

   Merci pour votre très brillant commentaire qui supposerait une suite. Peut-être pour bientôt. Volontiers je fais un pas de côté en dehors ou sur le bord de la Philosophie, préférant les "chemins de traverse" aux routes trop conceptuellement déterminées, malgré les apparences. Une manière, certes subjective de s'accorder au réel, mais que veut donc dire "objectivité", laquelle et à partir de quoi et de qui ? Les "thèses" que je développe au hasard de mes écrits sont volontiers iconoclastes et partent d'une considération toute personnelle d'une "vision du monde" pour employer le terme canonique. "Comment penser après Heidegger" énonce le titre d'un livre que je n'ai pas encore lu ? Comment penser après la Shoah ? Après les Lumières ? Après Parménide ? Après le Déluge ? Penser par Soi est certes une grande audace mais peut-être la seule qui, s'extrayant des canons de la mode, puisse présenter quelque valeur dans ce Monde dépourvu de boussole. Mais méditer plus avant serait risqué en cette heure crépusculaire. Il faut du temps aux chouettes pour prendre leur envol ! Et la nuit n'est guère loin. Merci en tout cas pour vos précieuses réflexions.

  

   Après cette réponse d’un « premier jet », il m’est apparu que la richesse de vos remarques supposait des réflexions plus étayées dont la suite voudrait donner une simple interprétation.

  

   *** « Le dépassement de la métaphysique est consommé », dites-vous et « l’Être a commencé de finir. » Du point de vue de l’histoire de la philosophie votre assertion se vérifie avec la constatation, pour ceux qui s’intéressent à cette belle discipline, d’être soudain devenus orphelins. En effet il semble que le sol se dérobe sous nos pieds et que le fameux « thaumazein », l’étonnement philosophique, ait épuisé ses ressources après des millénaires de « bons et loyaux services ». Certes, le Gestell, l’Arraisonnement auquel vous faites allusion, l’aliénation du Dasein en l’Homme par la toute puissante Technique sont des réalités dont, chaque jour, nous ressentons les vives entailles au sein même de notre chair. Logique du devenir si l’on veut s’exprimer selon Hegel. L’on pourrait écrire à la suite, au regard d’une évidente analogie, les trois propositions suivantes : 

 

Fin de la métaphysique = Fin de l’Homme = Fin de la Terre

  

   Bien évidemment, c’est la loi de l’exister que de porter en soi, à la fois sa propre origine, à la fois sa propre fin, l’une et l’autre jouant en mode dialectique. Coalescence de l’une et de l’autre. En même temps ce caractère aporétique se trouve largement confirmé par la présence d’une invisible mais efficace tautologie qui pourrait substituer à

 

« Fin de la Métaphysique » : « Fin = Fin »,

 

   la même règle pouvant s’appliquer à l’Homme, à la Terre. Métaphysique, Homme, Terre, sont éminemment mortels, c’est même ce qui tisse, en creux, le motif de leur essence. Deux formules prosaïques pourraient servir d’utiles métaphores :

 

« Le ver est dans le fruit »

« Les dés sont jetés ».

 

   Et ceci pourrait se confirmer selon les mots de Heidegger : « La mode est ce qui est toujours déjà dépassé avant d’avoir vu le jour », tout comme la Métaphysique, tout comme l’Homme, tout comme la Terre, sont toujours déjà absents à même leur présence. Notre siècle si peu versé dans la pratique du questionnement, qu’il s’agisse de l’essence de l’Homme, de l’essence de la Phusis en sa définition simple et immédiate en tant que Nature, l’Homme donc se préoccupe peu de ces interrogations qu’il juge « subalternes », si bien que, la plupart du temps, il en fait l’économie. Oui, la fin est inscrite dans le commencement, les événements actuels, les soubresauts de l’Histoire en témoignent à l’envi.

  Supposons réglé le compte de la Métaphysique, avec tout de même une réserve qui ne se voudrait nullement adventice au motif que l’on ne peut mettre entre parenthèses quelques millénaires de pensée humaine et que, dans une perspective hégélienne, si la philosophie contemporaine est ce qu’elle est, un simple devenir dans le mouvement général de l’Histoire, elle prend appui sur cela même qui en constitue l’origine, l’Immuabilité parménidienne, le Flux héraclitéen de la Phusis, l’Aléthéia comme premier mouvement de la vérité et, si « Le Vrai est le Tout », corrélativement, chaque philosophie est vraie selon le moment de son énonciation, vérité à laquelle se substitue une vérité qui était encore inaperçue. Le fait est bien connu que l’histoire de la philosophie n’est qu’une suite de parricides, Platon tuant Parménide ; Aristote tuant Platon ; Kant tuant Descartes ; Hegel tuant Kant, etc…

   Dans son essai « Le Change Heidegger », Catherine Malabou décrit excellement cette « dette » vis-à-vis de la Métaphysique ou du moins la filiation que nous devons reconnaître qui porte jusqu’à nous l’essentiel des pensées avant-courrières, nul n’en doute, des méditations contemporaines. Aujourd’hui, quoique certains s’en défendent, notre point de vue sur les choses, le monde, l’être, l’esprit, la raison, ne peuvent faire l’économie ni de Kant, ni de Schelling, ni de Husserl. Le lait que nous buvons, nous les modernes Rémus et Romulus, vient en droite ligne des mamelles de cette Louve-Mère qui, un jour, décida de notre vie au prix de son action de nourrissage. Certes, notre inconsistance naturelle a oublié les ferments lactiques de l’origine, mais eux ne nous ont nullement oubliés qui métabolisent et font croître la flore de nos pensées. Les frondaisons modernes et post-modernes de la pensée ne sont que les feuilles mortes de demain. Donc, les mots de Catherine Malabou :

  

   « L’autre pensée ne peut laisser, sans autre forme de procès, la métaphysique « derrière elle, elle doit tout au contraire la « porter » avec elle », ce qui signifie encore « la saisir d’abord en son essence et laisser jouer celle-ci, transformée, dans la vérité de l’être » On sait que la fin de la métaphysique ne signifie pas que l’on en ait fini avec elle. L’autre pensée, en un sens, comprend la métaphysique, « elle renferme en elle, métamorphosée, la question directrice ».

  

   On ne saurait guère être plus clair sur le destin de cette fameuse « science suprême » qui, encore jusqu’à nous aujourd’hui, projette ses belles lumières.

  

   *** Ensuite, vous mettez en parallèle, à juste titre les deux philosophies également admirables de Heidegger et de Hegel. Puis vous mettez en lumière, avec raison également « l’Idéalisme absolu et la subjectivité toute puissante » qui guident mon modeste « parcours philosophique ». En effet, mais il convient d’ajouter à ce tropisme en direction du « Savoir Absolu », une égale fascination aussi bien pour « l’Ereignis » dont j’ai essayé de saisir quelques fugues, quelques harmoniques dans l’étonnant ouvrage que sont les « Beiträge zur Philosophie », pensée proprement abyssale, dont, sans doute, je n’ai approché que l’écume au travers d’un essai relatif à cette œuvre majeure du Penseur de Messkirch.

   Mon article intitulé « Concept ou Poésie ? », dit assez cette originaire indécision, cet étrange flottement entre l’Ontologique et le Logique. Je suis, en quelque sorte, dans cette irrésolution du Dasein à assumer son destin, dans cette zone de faible visibilité, là où se devine la « Clairière de l’Ouvert », là où, également, bourdonne la rumeur du « On inauthentique », plus préoccupé de son sort mondain que des visions d’un Être insaisissable en son essence. Longtemps j’ai frayé ma voie dans le sillon heideggérien, butinant ici une idée, là une notion, dans cette pensée fourmillante, chatoyante, proprement inouïe, déroutante si bien qu’encore on n’en a nullement tiré tous les « enseignements » ou plutôt, exploré tous les chemins. Mais une égale fascination pour le Concept m’attire en direction du Penseur d’Iéna, lui aussi admirable au titre de ce vaste système dont il a déployé avec génie toutes les ressources.

   Parvenu à ce point de mes remarques, il convient de savoir ce qui, en dehors de mes singulières affinités (lieu s’il en est d’une inclination à la subjectivité), se donne comme mesure logique de ces choix qui paraissent contradictoires (dialectiques ?). Le problème qui ne manque de surgir du rapprochement de ces deux Penseurs ne peut que s’énoncer en termes d’Identité et de Différence. Ici, je cède la parole à Susanna Lindberg, auteur de « Entre Heidegger et Hegel – Éclosion et vie de l’être », manuel qui pose clairement les enjeux décisifs de ces « visions du monde » (Heidegger récuserait cette dernière formule) :

 

    « Afin de situer la chose partagée par Hegel et Heidegger et les séparant aussitôt, il faut discerner leurs pensées dans leurs différences. Par exemple, il est possible de commencer par le principe selon lequel la différence entre Hegel et Heidegger est la différence entre la pensée et l’être. Mais chacun a aussi adopté la parole de Parménide, « le même est en effet penser aussi bien qu’être », et nous verrons dans ce livre comment, plus le lecteur analyse l’écart entre la pensée selon Hegel et l’être selon Heidegger, moins leur différence apparaît, jusqu’à ce qu’elle semble ne plus tenir qu’au vocabulaire : l’un parle au nom de la pensée, l’autre au nom de l’être. Incapables d’identifier la mêmeté et la différence de la chose de la pensée, nous sommes cependant confrontés à deux discours incomparables, l’un se développant dans le rythme de l’effectivité de la vie et de l’esprit, et l’autre rimant avec l’apparaître, la mort et l’être, chacun puisant son unique sens dans un dire strictement singulier et irréductible à son homologue. Afin de rendre le conflit audible, il ne suffit donc pas de fixer son regard sur la chose même-et-autre, mais il faut articuler les propos des deux penseurs chacun selon son propre dire. »   (NB : c’est moi qui souligne)

  

   Ici se laisse lire avec netteté le paradoxe qui, à la fois, lie et sépare deux grandes pensées. Si, à chaque fois, c’est bien l’Homme qui est au centre du débat, aussi bien ne peut-il y avoir que convergence des intentions. Certes, mais Hegel n’étant point Heidegger, et l’inverse, chacun investit la question selon une façon qui lui est propre. Vraisemblablement, selon mon point de vue, question d’inclinations singulières, d’affinités (thème récurrent qui hante ma pensée depuis déjà bien longtemps), de choix intimement personnels car, fût-on le plus grand des philosophes l’on n’en est pas moins homme. Confronter ces deux hautes figures, revient à mettre en regard, deux styles ou deux rhétoriques différentes, mais aussi deux conceptions intellectuelles qui s’affrontent, la seule « unité » possible étant celle du Génie face à la démesure qui l’habite. 

    *** Vous dites, à juste titre : « interroger la source de la vie vivante qui nous presse, nous pulse et nous impulse de créer (…) seule la poésie pensante peut nous projeter au-delà, en faisant l'expérience de la parole en son déploiement à partir de La Dite (Sage). D'ailleurs si « la langue est la maison de l’être », elle dit avant tout le vivre en flux, et cette prise échappe au concept. »  (NB : c’est moi qui souligne)

 

   Si je vous suis dans l’ensemble de vos réflexions, je ne m’en écarte pas moins en ce qui concerne la fin de votre proposition : « et cette prise échappe au concept»

   Je crois qu’il n’y a pas de césure franche dans le cercle de la pensée entre une poésie qui serait de nature imaginative et un concept qui se fonderait exclusivement dans l’ordre de la raison. Le concept n’exclut pas la poésie, pas plus que la poésie n’évince le concept. Si une dialectique s’installe entre ces deux termes, un nécessaire mouvement de synthèse en relie les supposés opposés. L’activité unifiante de la raison ne saurait longuement supporter en soi cette division, cette fragmentation. Et ici je convoque Heidegger dans « Nietzsche I » :

  

   « C’est Kant qui, pour la première fois, a proprement discerné le caractère poétifiant de la raison, et qui l’a médité dans la doctrine de l’imagination transcendantale. La conception de l’essence de la raison absolue, développée dans la métaphysique de l’idéalisme allemand par Fichte, Schelling, Hegel, se fonde totalement sur la compréhension kantienne de l ’essence de la raison, en tant que ‘force’ imaginative, poétifiante. »

  

   « l ’essence de la raison, en tant que ‘force’ imaginative, poétifiante » : la formule est forte en même temps que dépourvue de quelque ambiguïté que ce soit, donc il nous faut réunir, opérer la jonction, réaliser la fameuse coïncidence des opposés, si cependant, l’opposition est bien effective et ne résulte uniquement d’un processus intellectuel de division. Vous-même, évoquant une « poésie pensante » paraissez rejoindre la posture heideggérienne, « poésie pensante » pouvant trouver son homologie dans l’expression de « poésie conceptuelle ». Si la poésie revendique la pensée, elle ne peut nullement faire impasse quant au concept. Que certaines poésies inclinent davantage vers la sensibilité d’un romantisme, d’une touche bucolique, d’un ton lyrique n’enlève rien au problème, au simple motif qu’une poésie totalement privée de concept est totalement inenvisageable, sous peine de verser dans le non-sens absolu. Même les tentatives surréalistes conservent une nervure de raison qui nous les rend accessibles et les tentatives « d’écriture automatique » ne viennent pas de nulle part, elles se fondent, plus ou moins, sur des paradigmes rationnels qui, certes, passent, la plupart du temps, inaperçus.

   Et, du reste, que l’activité pensante soit incluse dans la poésie (Comme Bonnefoy, comme chez André du Bouchet), ou qu’elle soit projection du concept du penseur dans l’analyse d’une poésie, revient au même, il y a toujours, face au langage poétique, une activité de l’esprit qui lui donne corps et relève d’une fonction de l’entendement à son sujet. Dans le chapitre intitulé « Hölderlin et l’essence de la poésie », Alain Boutot précise dans son « Que sais-je ? » :

 

    « Au seuil d’une de ses conférences sur Hölderlin intitulée « Terre et Ciel de Hölderlin », ayant pour point de départ l’hymne : « Grèce », Heidegger précise les lois de son dialogue avec le poète. Å travers le commentaire de cet hymne, on pourrait chercher « à présenter, dit-il, les idées de Hölderlin sur la terre et le ciel. Ce dessein serait tout à fait justifié. Peut-être aurait-il même pour résultat une contribution aux recherches hölderliniennes. En comparaison de cela, la conférence qui va suivre se propose autre chose, quelque chose de provisoire et d’avant-coureur : quelque chose où il s’agit et où il y va de la pensée…Il s’agit de risquer une tentative, celle de changer de ton : passer de notre représentation habituelle, parce que simple – à une épreuve pensante. »

   Certes, nous comprenons bien ici que « l’épreuve pensante » est celle du Philosophe et non celle du Poète. Cependant, s’il y a « épreuve pensante », c’est bien parce que la poésie recèle en son fond les prémisses qui font signe vers l’intellect, l’analyse du corpus fondée en raison, la proposition de thèses ne demeurant seulement de vagues hypothèses, des intuitions floues émises au hasard. Dit autrement, si une poésie consent à s’ouvrir au concept, c’est qu’elle contient en elle, peut-être au plus profond, peut-être de façon cryptée, du conceptualisable. Le plus souvent, l’expression poétique, selon son côté exotérique (la forme), dissimule son côté ésotérique (son fond) que toute activité herméneutique (ce travail d’archéologue) est chargée de porter au jour sous la lumière de la raison. Car l’exploration critique est bien de cet ordre, porter au réflexif ce qui n’était, en un premier abord, qu’intuitionné, approché à l’aune de simples hypothèses. Cette coalescence de la poésie et de la prose pensante, Jean-Louis Vieillard-Baron dans « Hölderlin : langage philosophique et langage poétique », s’en fait l’écho :

    

   « De tous ces préliminaires, et sans entrer dans les problèmes de périodisation du travail de Hölderlin, il résulte que poésie et philosophie, étant enfants de la Beauté, autrement dit du principe suprême, sont appelés à se féconder mutuellement. »

  

   Cette mutualité, cette marche de concert, je vais chercher à l’approfondir au travers de l’œuvre de Philippe Jaccottet, au travers de citations successives établies par Jean-Claude Pinson dans son ouvrage « Habiter en poète » :

 

    « Comme celle d’Yves Bonnefoy, la poésie de Philippe Jaccottet comporte une dimension spéculative qui la fait voisine de la philosophie. »

   Et encore, à propos de l’Auteur de « La Semaison », il « mêle étroitement la part réflexive et la part poétique, entrecroisant le motif mélodique de l’expérience de la beauté et la basse continue de la réflexion de notre condition mortelle. »

   Sa poésie : « elle est une poésie « pensante » plutôt que philosophique. »

   « Il est à la fois un poète qui ne renonce pas à s’inscrire dans le sillage de l’élan spéculatif propre au premier romantisme allemand et un poète critique qui jamais n’oublie la finitude et veille à ne pas céder à l’illusion lyrique. »

   Et encore : « L’œuvre de Jaccottet comme celle d’Yves Bonnefoy (…) déploie un éthos qui relève de ce qu’on a défini comme le régime « quasi spéculatif » de la poésie. Bonnefoy et Jaccottet, dans l’ordre poétique, se situent bien en effet, comme Kant, dans l’entre-deux où s’arc-boutent la lucidité critique et l’élan maintenu vers « ce que nous voudrions encore appeler le Plus haut»

  

   Ici, une incise mérite d’être posée. « Poésie pensante » : combien cette formule, à bien y réfléchir, est paradoxale, ambiguë ! Ou bien l’on se situe en dehors du registre dialectique et c’est aussitôt la contradiction, l’oxymore qui surgissent, ou bien l’on se réfère au mode dialectique et l’on obtient « Poésie » comme thèse, « Pensante » comme antithèse, la jonction des deux venant réaliser la synthèse, l’unité d’une seule et même réalité. Par définition, je crois que toute poésie, en son fond, que ce soit avec plus ou moins de visibilité, sécrète les spores d’une pensée autour de laquelle s’organise la manière poétique.

   Mais je voudrais clore cet article en mettant en regard deux textes : l’un de Martin Heidegger  extrait de « Sur le commencement »le dire poétique du Philosophe, traversé de multiples métaphores, perce de façon évidente sous le concept ; ensuite l’autre de Hegel, deniers mots de « La phénoménologie de l’esprit »le dire hautement conceptuel trouve sa fin dans un dire poétique lyrique, même si les mots sont empruntés à Schiller. En une certaine façon, ces deux grands esprits se relient au travers du temps et de la pensée à la faveur d’un chiasme, lequel ne devient perceptible que si on lui prête attention.

  

   Heidegger : « Où le cours de la pensée de l’histoire de l’estre a-t-il mené dans sa première nécessité ?

   Au bord d’une béance dont l’à-pic s’est ouvert en tant que « fin » de la métaphysique, dont la portée sans pont fait signe de l’autre côté, en direction du sommet qu’est l’autre commencement de la fondamentation de l’estre.

   La pensée de l’histoire de l’estre entreprend la préparation de l’initial en l’autre commencement ; c’est faire le saut en lui. Une telle pensée prépare un dire poétique qui a déjà eu lieu dans les Hymnes de Hölderlin ; c’est-à-dire qui se déploie de manière vraiment initiale. »

                                                                                                    [GA 70 – 155-156]

 

   Hegel - « Le but, [qui est] le Savoir Absolu [ou le Sage auteur de la Science], c’est-à-dire l’Esprit qui se sait-ou-se-connaît en tant qu’Esprit, - [le but] a pour chemin [qui mène] à lui le Souvenir-intériorisant des Esprits [historiques], tels qu’ils existent en eux-mêmes et accomplissent l’organisation de leur royaume. Leur conservation dans l’aspect de leur existence-empirique libre-ou-autonome, qui apparaît-ou-se-révèle sous la forme de la contingence, est l’Histoire [c’est-à-dire la science historique vulgaire qui se contente de raconter les événements]. Et quant à leur conservation dans l’aspect de leur organisation comprise-conceptuellement, - c’est la Science du Savoir apparaissant [c’est-à-dire la Philosophie de l’Esprit]. Les deux [prises] ensemble [l’histoire-chronique et la Phénoménologie de l’Esprit, c’est-à-dire] l’Histoire comprise-conceptuellement, forment le Souvenir-intériorisant et le calvaire de l’Esprit Absolu, la Réalité-objective, la Vérité [ou Réalité-révélée] et la Certitude [-subjective] de son trône, sans lequel il serait l’entité-solitaire privée-de-vie. [Et c’est] seulement –

 

du calice de ce Royaume-des-Esprits

que monte vers lui l’écume de son infinité. »

 

   Certes, je le reconnais volontiers, de ce morceau de bravoure, de ce geste héroïque de l’écriture (mais l’ensemble de la Phénoménologie de l’Esprit est de « ce tonneau-là »), extraire un trait poétique, aussi mince fût-il, relève de la gageure et ce, d’autant plus que l’effleurement lyrique provient du poème « Freundschaft » de Schiller. Je dirai donc qu’il s’agit, tout simplement d’une « amitié » poétique, Hegel tellement pris pas la nécessité du Concept ne ménageant que « la portion congrue » à ceci même qui pourrait faire chuter l’Esprit hors de lui. Cependant la citation n’est nullement fortuite au regard de ces deux vers qui viennent conclure une œuvre touffue, fourmillante, déployante de mille et un concepts dont chacun mérite qu’on fasse halte auprès de lui longuement.

   Plus d’un Philosophe et non des moindres a vécu cette conclusion telle une redoutable énigme. Å tel point que Jean-François Marquet dans ses leçons sur la « Phénoménologie », se risque à une hypothèse venant en droite ligne de son ancien maître J. D’Hondt :

  

« On peut se demander ce que viennent faire là ces deux vers. Que vient faire là « ce calice du royaume des esprits » à partir duquel « écume sa propre infinité » ? (… J. D’Hondt avait une opinion là-dessus, à savoir que ce calice du règne des esprits était une coupe de champagne. »

 

La poésie des bulles au secours de l’aridité du concept ?

  

   Mais plus sérieusement et pour apporter un peu de compréhension à un extrait qui nous met en demeure d’en pénétrer le sens, ce qui n’est rien moins qu’un travail de longue haleine, je citerai, pour finir, les remarques éclairantes de Jean-François Kervégan à propos de ce discours qui, pour beaucoup, à commencer par moi, risquerait fort de demeurer « crypté ». Souvent il faut des Passeurs. Pour le moins, ces précisions ont le mérite de la clarté.

  

   « Ce que Hegel nomme énigmatiquement « l’histoire conçue » est la conjonction de ces deux histoires qui, ensemble, constituent la genèse, idéelle et réelle à la fois, du savoir pur, de l’espace de la spéculation philosophique qui, bien qu’elle abolisse l’historicité et la temporalité, conserve la mémoire de cette double histoire qui est la sienne. L’Er-Innerung, le « re-souvenur » est « l’intériorisation » de cette histoire, au sens où, à la fois, il l’efface et la pense. « L’histoire conçue » (grâce au travail du concept) est à la fois la « mémoire [Erinnerung] » et le calvaire de l’esprit absolu, parce que ce dernier n’oublie rien de son passé (l’histoire de la conscience, l’histoire du monde) en même temps qu’il abolit ce passé, le sacrifie sur l’autel du savoir pur, qui n’est pur que grâce à ce travail de mémoire et d’oubli. »

  

   Et, de la même manière que Heidegger convoquait à des fins de compréhension le lexique poétique de « l’à-pic », du « pont », du « sommet », du « saut », Hegel, lui aussi, de façon pourtant quasi-spéculative mais au sens de « speculum », de « miroir », fait se refléter dans l’aridité du concept, ce « trône », ce « calice », cette « écume », comme si le réel, décidemment indivisible, se donnait dans l’entièreté de son être qui, parfois, se nomme « Phusis », « Logos », « Aléthéia », ces mots magiques doués de poésie et de sens.

  

   Alors, que conclure au terme de ce long article, si ce n’est que Concept et Poésie ont les mêmes droits du point de vue du sens, les mêmes implications quant au retentissement qu’ils ne manqueront de faire naître dans la conscience du Lecteur : une émotion esthétique identique à écouter le rythme, le balancement du poème, à pénétrer dans les subtils arcanes d’une pensée complexe. Le tout confluant en une unité qui est peut-être le prétexte à détourner la vision, l’espace de quelques vers, l’espace de quelques méditations, de la finitude, laquelle n’est ni poétique, ni l’objet de quelque réflexion, de l’ordre de la nécessité seulement. Et sans partage !

  

   Merci infiniment, en tout cas, Daniel Giguet de m’avoir « mis au pied du mur » pour employer une métaphore populaire. J’y ai trouvé, dans l’intervalle et la beauté des pierres, autant de motifs de réflexion que d’occasions d’émerveillement. Conjonction sublime, au sein du réel, de la Pensée et de ce qui pourrait apparaître comme son autre, mais qui n’en est que sa doublure, sa réverbération, cette Poésie sans laquelle les arbres d’automne qui viennent à nous, ne nous montreraient que leur nudité, ayant oublié les chatoiements de leurs frondaisons. Ce que nous avons à être, en tant qu’Hommes, des sources vives que vient féconder l’exactitude de notre esprit. Oui, nous sommes, tel Janus, des figures à double face, l’une appelant l’autre, l’autre appelant l’une, dans une étrange communauté siamoise.

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

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11 novembre 2023 6 11 /11 /novembre /2023 10:42
Du divin et d’autres postures de l’Être

« Lumière pulsée »

Source : Sanodev

 

***

 

    [Ce qui va suivre est un dialogue entrepris avec Christine Raison. Il est de nature métaphysique, c’est-à-dire, qu’essentiellement, il interroge l’Invisible, la Lumière, par exemple.]

 

*

Mon texte à l’origine du questionnement :

 

« Å la recherche de son être »

 

   « Dans le travail de création, c’est le Soi qui est totalement engagé et rien ne serait pire que de l’hypostasier, le réduire à l’exercice d’une fonction subalterne. Cependant qu’on n’aille pas imaginer quelque stature divine qui tracerait son aura tout autour de Celui-qui-crée. Celui-qui-crée, est, comme vous, comme moi, à la recherche de son être et sa conscience est entièrement tendue vers cet effort de dépassement de Soi qui est la condition même de l’atteinte d’une possible complétude. Or rien d’autre que le geste artistique n’est plus à même de répondre à une telle quête. La reproduction à l’infini d’une pratique qui, par bien des côtés, semble confiner à l’obsession confirme, s’il en était besoin, cette décision permanente d’être-Soi-plus-que-Soi. Aussi, lorsqu’on se penche sur l’œuvre finie de tel ou tel Artiste, nous avons l’impression que ce dernier, sous la conduite de son génie, n’a fait que tracer ce chemin lumineux qui, de toute éternité n’attendait qu’un geste, une main, un regard pour en actualiser la forme. »

 

*

 

 

Le commentaire de Christine Raison :

 

« Une petite interrogation

Pas de stature divine, non.

Les mains sont celles de l’artiste.

Quand il creuse la lumière,

il reçoit par son travail éthique,

la lumière du monde.

Tout est flux.

Le Divin, n’est-ce pas

nos propres énergies

mêlées d’ombre, de suie

qui retrouvent la source

de toute lumière ? »

 

*

 

Mon commentaire sur le commentaire de Christine

 

   La réflexion que je poursuivais dans mon texte était celle qui consistait à extraire du travail de l’Artiste, du Créateur, l’essence même qui le conduisait à se dépasser dans son œuvre, ce dépassement constituant le fondement originel de son action. En quelque manière, l’Artiste s’extrayant de la matière sur laquelle il exerce son art afin de n’en conserver que l’esprit, lequel laisse deviner sa diaphanéité, son allégie, sous la métaphore du « chemin lumineux » en lequel, inscrivant son âme, Celui-qui-crée se rend semblable au Démiurge dont Platon nous fait l’offrande dans sa recherche cosmologique du « Timée ». Cette image volontairement floue du Démiurge, puisque s’enlevant des ombres mêmes du Mythe, il convient d’en donner, sinon une description exacte (ce qui le ferait chuter dans l’exister), du moins d’en tenter la vision approximative, telle que décrite dans l’Encyclopédie Imago Mundi :

   « Toutefois, comme la divinité doit être considérée non seulement en elle-même, mais dans ses rapports avec les choses, cette seconde considération amena l'esprit à l'idée d'un Démiurge, sorte de dédoublement de Dieu, et qui, comme un ouvrier, accomplit la besogne d'organiser le monde. […] Tel est le Démiurge du Timée : c'est l'amour (éros), disait Platon ; d'autres diront l'intelligence (noûs), ou bien l'âme du monde. C'est encore Dieu, ou plutôt un Dieu, inférieur cependant à la pure essence de la divinité, et qui se souille, semble-t-il, par son contact avec la matière. »

    D’emblée, après ces quelques lignes anticipatrices de la « réalité » divine, nous percevons combien cette notion recèle de pluralité, d’images en abyme, d’échos lointains, de confusions possibles, d’égarements pour qui cherche à en percer l’insondable mystère. Évoquant Dieu selon son immense polysémie, de qui parlons-nous vraiment : de l’Ouvrier, de l’Amour, de l’Intelligence, d’un Dieu inférieur (que l’étonnant oxymore viendrait réduire à néant), de l’âme du Monde, d’une Essence se perdant dans les mailles inextricables d’une substance indéfinie, sans contours réels ? Comment ne nullement s’apercevoir, Christine, que le « nom de Dieu », tel un pratique fourre-tout, permet toutes les indéterminations, toutes les fuites parfois, tous les évitements, certes, mais aussi pose le terreau sur lequel prospère, profitant du fluctuant, de l’imprécis, du nébuleux, prospère donc la certitude du dogme et, partant, toutes les dérives mortifères incluses dans ses plis maléfiques. Les « Puissants » de ce Monde le savent bien, eux qui pratiquent à merveille l’art du flou, de la dissimulation, eux qui utilisent « la langue de bois » afin de mieux enfumer les Sujets consentants que nous sommes, le plus souvent à notre insu. Mais refermons la parenthèse mondaine pour revenir à de plus « célestes » considérations.

   Rien de surprenant cependant que les termes de la Métaphysique, ne soient que des vêtures de brume, des oripeaux flottant, telles de hautes bannières, en des altitudes que nos yeux ne peuvent atteindre et c’est simplement un poudroiement qui nous rencontre.  Lequel d’entre nous, en effet, se risquerait à donner une définition précise de notions telles que celles de l’Infini, de l’Éternité, de la Forme, de l’Idée, de la Liberté, de la Vérité ? Avec le recul nécessaire à toute compréhension suffisamment étayée, qu’apercevons-nous à l’horizon de ces Mots Majuscules, si ce n’est qu’ils sont bâtis sur du sable dont le moindre flux pourrait saper la prétention à exister, à rayonner ?  Et, constatation faite de cette quasi impossibilité, pouvons-nous pour autant en faire l’économie ou bien en reléguer l’image dans des oubliettes sans fond, en faire de simples négativités proches d’un non-sens ? Bien évidemment, non. Croire ceci reviendrait à biffer d’un seul et unique trait la majeure partie de la conscience humaine qui, comme chacun sait, tel l’iceberg, recèle en sa partie immergée la majeure partie d’une vérité qui nous demeure inaccessible.

    Ainsi, les philosophes ou prétendus tels qui, enfourchant leur destrier, combattent au nom d’un dogme socialo-marxiste un autre dogme, à savoir le religieux, se fourvoient en leur principe même. Un dogme ne se peut détruire à l’aune d’un dogme qui lui est équivalent. Seule la Raison (cette grande orpheline de nos « Temps Modernes »), le pourrait. Seules les Lumières, celles du XVIII° siècle qui les abritent et leur confèrent puissance de rayonnement, seraient à même d’envisager correctement le problème, c’est-à-dire de « trier le bon grain de l’ivraie » au motif qu’en toutes choses, Amour, Religion, Infini, il y a du « bon grain », il y a de « l’ivraie ». Notre siècle si profondément enfoui, précisément « dans le siècle », vous me l’accorderez, Christine, a oublié les vertus de la justesse de raisonnement et de l’objectivité, ceci est assez confondant pour ne nullement mériter de plus ample développement.

   Mais, parfois, certains Philosophes, tentant de résoudre la quadrature du cercle, s’aventurent dans un domaine que nous pourrions qualifier de « méta-religieux », conservant l’esprit de la Religion dans son aspect étymologique de « religāre » (« relier », « rattacher »),  animés du souci de lancer au-devant d’eux une clarté (une Lumière selon vos mots, Christine), créant de toutes pièces le néologisme de « spiritualité sans dieu », tel André Comte-Sponville ou bien « l’humanisation du divin »,  selon l’expression de Luc Ferry. Comte-Sponville se réfère au « Sentiment océanique » tel que décrit par Romain Rolland, une sorte de mysticisme et d’enthousiasme laïcs ; Ferry pointant le doigt en direction d’un « nouvel humanisme » prenant appui sur les soi-disant ressources d’une considération nouvelle de la bioéthique, allant jusqu’à prôner le recours technique au « Transhumanisme » qui constitue, à mon sens, une erreur fondamentale et ouvre la perspective navrante d’une déconstruction de l’humanisme tel qu’hérité des belles perspectives esthético-intellectuelles de la Renaissance.

   Dans le fond, ce qui est à penser de ces tentatives, certes louables, au moins dans le cas de Comte-Sponville, c’est qu’il ne s’agit là que « d’emplâtres sur une jambe de bois » pour utiliser une expression imagée. En toute objectivité rien ne peut remplacer les « Confessions » d’un saint Augustin et ses merveilleuses méditations sur « L’Éternité et le temps » ; pas plus que nous ne pourrions faire l’impasse sur « Les sermons » de Maître Eckart ; pas plus que ranger au placard « Les visions » d’Hildegarde de Bingen ; pas plus que renoncer à lire les pages exemplaires de Jean de la Croix dans « La nuit obscure » ; pas plus qu’ignorer ce morceau d’anthologie littéraire aussi bien que religieuse contenues dans le fameux « Mémorial » de Pascal, pas plus que de nous détourner des mots quasiment magiques déposés par Angelus Silesius dans « Psaume » :

« Un rien

nous étions, nous sommes, nous

resterons, en fleur :

la rose de rien, de

personne. »

 

   La liste pourrait être déployée à l’infini, tant le génie humain crée de sublime et de transcendant lorsque, attisé par la foi, stimulé par la culture, métamorphosé par la beauté, il se dépasse, c’est ce que veut signifier mon expression : « être-Soi-plus-que-Soi » utilisée plus haut, ce qui veut dire :  être humain, entièrement humain, et, en même temps, être pollinisé, être fécondé par le principe même de l’Altérité, cet Autre (minéral, végétal, animal, humain), ce Grand Tout qui est le Cosmos même auquel, nous en tant que Chaos primitif, demandons le prodige de nous amener à une possible complétude, de nous placer face à l’Absolu, face à l’Infini, face à l’Éternité, toutes passions dont nous sommes envahis, toutes puissances que nous voudrions connaître, nullement afin d’exciper de notre Condition, mais pour y déployer la totalité de notre Être.

   Et l’attitude ici décrite n’est rien moins que « religieuse » au sens de « religāre », de poser, à partir de Soi, des points de repère, des amers, des orients qui ont pour nom « Absolu », « Infini », ne leur accordant nulle présence réelle, seulement mais fondamentalement, essentiellement, attribuant à leur statut d’Idée, d’Archétype, d’Unité, de Principe, la valeur fondatrice d’une présence humaine souhaitant, parfois, en des moments privilégiés, méditation, contemplation, création, se soustraire au particulier, au contingent, de manière à se laisser ensemencer par cet Universel qui nous requiert comme l’un des siens, comme ces sublimes Essences que nous révèlent la Littérature, l’Art, la Philosophie. Car, en elles, ces pures Essences, quelle est donc la force qui les anime :

Dieu,

le Langage,

le Concept ?

  

   Comment savoir ? Jamais nous n’avons accès à l’Origine, à la Graine, seulement à la Plante en ses prédicats existentiels.

   Certes les pistes multiplement explorées d’une « nouvelle spiritualité », certes les expériences de « développement personnel », certes les allégeances à la manière d’exister « New Age », certes l’appel du Bouddhisme, le Chemin du Tao, la voie de l’Animisme, les pratiques chamaniques, certes l’étude de textes Ésotériques, l’Écologie « mystique » constituent  autant de façons d’exprimer son Soi, à la nécessaire condition qu’elle ne demeurent liées à des phénomènes de mode et se mettent à explorer de façon exigeante le seul sol qui soit accessible à l’humain, le Sien, tâchant de le porter aux limites extrêmes auxquelles notre intelligence, notre imaginaire puissent légitiment prétendre. Je crois, Christine, que, de toute urgence aujourd’hui, il faut mener un combat contre toutes les tentatives de cybernétiser l’Humain, de le robotiser, de vouloir inscrire ses pas dans les ornières funestes d’une réification, d’un durcissement ontologique de ses conduites, qu’il est nécessaire de l’extraire de ces formules faciles, toutes faites, ces pseudo-spiritualités qui l’aliènent, bien plutôt que de les libérer, Adeptes naïfs que des « Gourous dans le siècle » placent sous la fascination de leur regard et qu’ils dirigent à leur guise, les orientant là où leur volonté veut les amener, à savoir à plier sous les « fourches caudines » de théories plus fumeuses les unes que les autres. Partout, il devient indispensable de réintroduire du rationnel. Å l’heure actuelle, les Réseaux dits Sociaux sont de navrants exemples de la manipulation mentale. Les côtoyer, certes, mais à la lumière de la lucidité !

   Mais reprenons. Seule analogie possible : L’Homme en tant qu’Homme, nullement L’Homme en tant que Machine. Certes, de la pratique du Yoga, de celle du « Seul trait de pinceau », donc du geste calligraphique, certes de la contemplation d’icônes (à condition qu’elles ne soient pas médiatiques), certes de la danse circulaire du Derviche Tourneur, plus d’un attend-il le dévoilement d’un secret qui le transformerait en un genre d’Être éthéré. Seulement nous ne sommes pas des Saddhus indiens, nous ne sommes pas des Adeptes du pays du Soleil Levant, nous ne sommes pas des Soufis avançant sur le Voie Mevlevi, laquelle raffinant notre goût, nous ouvrirait toutes grandes les portes d’une immuable félicité. Nous sommes des Humains enracinés à la terre, ce que le terme « humus », de la même famille qu’homme rend visible sans qu’il soit nécessaire de fournir un effort de compréhension.

   Occidentaux nous sommes, issus de la belle culture Grecque, terre de naissance et d’expansion de la Philosophie. Irrémédiablement, même si nous n’en sommes pas conscients, cette haute et belle discipline de la Métaphysique, « Reine des Sciences », nous habite de l’intérieur, à la manière dont notre chair structure notre être.  En nous s’écoulent ses eaux, en nous brillent ses feux, en nous se déploie son incroyable arborescence. Bien qu’existants (qui donc pourrait nous retirer cette faveur, sinon la Mort en personne ?), bien que réels selon notre apparence, sans doute la Métaphysique est-elle le fondement sur lequel nous reposons, certes depuis la plus lointaine Antiquité, depuis le « Poème » de Parménide, depuis le bel énoncé de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Ici, dans cette formulation qui pourrait paraître naïve, nous sentons que nous touchons à l’essentiel, que nous butons sur la question fondamentale de l’Être et du Néant, au-delà de laquelle rien ne signifie plus qu’a minima. C’est sur cette base instable mais cardinale que nous édifions notre savoir, que nous fondons nos sensations et perceptions, que nous fixons notre psyché, que nous donnons site à notre entendement. Comme Monsieur Jourdain faisant de la prose, nous philosophons sans le savoir, nous sécrétons de la Métaphysique sans le savoir. Tout notre être en est transi. Tout notre être est requis à la tâche de nous comprendre nous-mêmes et ainsi, de proche en proche de comprendre l’Autre (parfois le Tout Autre), de comprendre le monde en sa multiple et constante effusion.

  

Et, ici, il nous faut revenir aux termes mêmes de votre belle interrogation :

 

« Le Divin, n’est-ce pas

nos propres énergies

mêlées d’ombre, de suie

qui retrouvent la source

de toute lumière ? »

 

   Nous donnerons volontiers au Divin des valeurs plus générales, telles celles de Sacré, de Déité, de Principe, simplement de manière à nous extraire de son arrière-plan religieux. Etudier une notion, c’est toujours la mettre à distance de Soi, dans la « lumière » de son intelligence. Commençons par percevoir la pluralité de valeurs de ce terme cardinal au travers de sa dimension étymologique :

 

« Étymol. et Hist. « clarté, jour » ; « le sens de la vue » ;

 « lucidité » lumière de cire « bougie » ;

« flambeau, lampe » ;

« personne d'un mérite éminent

dans un certain domaine » ;

« éclaircissement, connaissance des choses » ;

les lumières (de qqn) ;

les lumières d'un siècle éclairé ;  

« ouverture dans le canon d'une arme à feu » ; 

Du lat. luminaria « lumière »,

plur. neutre de luminare « astre »,

« qui produit de la lumière »

devenu fém.; le sens de « fenêtre ».

 

   Nous voyons combien le maquis des significations est emmêlé, pluriel, touchant des domaines d’une extrême variété, ce caractère fondant l’immense richesse de la langue. Si nous voulons ranger, sous l’autorité des catégories, les différentes orientations de ce mot « lumineux », voici ce qu’il en ressort :

   Sens naturel : « clarté du jour », « astre ».

   Sens relatif à l’objet en général : « bougie », « flambeau », « lampe ».

   Sens d’un espace de jeu : « ouverture dans le canon d’une arme à feu ».

   Sens ouvert sur la sensation : « sens de la vue ».

   Sens concernant les qualités humaines : « lucidité », « mérite éminent ».

   Sens relié à l’activité conceptuelle : « éclaircissement, connaissance des choses », « les lumières de quelqu’un », « les lumières d’un siècle éclairé ».

   C’est ce dernier sens appliqué à la fonction épistémologique humaine qui me paraît le plus productif, celui sur lequel, de façon éminente, nous devons focaliser notre attention. Nous sommes essentiellement des êtres de connaissance et, d’une façon qui est coalescente à cette réalité-là, des êtres interrogatifs. Puis, dans la liste des définitions, nous retiendrons d’abord celle relative à la Philosophie des Lumières :    

   « HIST. DES IDÉES. Philosophie des lumières. Idéologie soutenue par des philosophes du dix-huitième siècle qui prônaient le progrès indéfini de la raison naturelle dûment affranchie de toute tradition religieuse. »

   Ensuite celle en direction de la pensée théologique :

   « THÉOL. Attribut de Dieu en tant que source de toute vérité. Lumière éternelle, incréée, surnaturelle : marcher, se tenir dans la lumière. Dieu éclaire ceux qui pensent souvent à lui, et qui lèvent les yeux vers lui. L'idée de Dieu est une lumière, une lumière qui guide, qui réjouit ; la prière en est l'aliment (Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 123) »

   Enfin, nous attribuerons au mot « Lumière » l’exceptionnel rayonnement qui vient en droite ligne de l’injonction divine du « Fiat Lux » :

   « Fiat lux est une locution latine présente au début de la Genèse. Il s'agit de la première parole de Dieu, ordre donné lorsqu'il a créé la lumière le premier jour de la création du monde, traduisible en français par « que la lumière soit ». La phrase complète est Fiat lux et facta est lux : « Que la lumière soit, et la lumière fut ». Cette phrase qui connaît un grand succès à partir du xviiie siècle peut évoquer une invention ou une découverte. » (Wikipédia)

   Oui, comprendre une notion quelle qu’elle soit exige un réel travail, un travail de la logique et de la raison. Bien évidemment, le chemin du concept est toujours ardu et c’est bien cette difficulté-là qui en auréole toute la valeur, lui confère une aura sans équivalent. Joie de comprendre qui est, analogiquement, joie de SE comprendre. Lorsque nous prononçons le mot « Lumière », il ne vient jamais seul comme s’il n’était connoté que de quelque singularité, toujours, avec lui, il charrie toutes ces portées signifiantes, présentes, mais aussi passées. Toujours les mots sont lestés de cette pesanteur qui est leur infinie puissance. Seulement, en vertu du principe des Affinités, en vertu du principe des particularités qui se donnent à nous, nous n’en retenons jamais que quelques points saillants, quelques éclairages singuliers, ceci se nomme « subjectivité » et ceci est indépassable, vous le savez bien, au motif que ce que je perçois m’est intiment familier et que ce que vous retenez du réel, Christine, ne peut qu’être le facsimilé de l’image que vous destinez aux autres, au monde. Peu de mots sont autant connotés que ces mots princeps autour desquels girent mille et une expériences personnelles foncièrement irremplaçables. Alors, si, évoquant la « Lumière », c’est d’abord le « Fiat Lux » qui s’adressera à vous, alors qu’à moi se présentera la dualité Esprit/Raison, nous n’aurons, l’un et l’autre, nulle justification à fournir, car ces subites intuitions nous dépassent et s’imposent à nous selon la guise qui leur convient.

   Une précision s’impose quant à l’usage que je fais de quelques mots cardinaux. En lieu et place du terme « spiritualité », ce mot employé abusivement de nos jours, lequel entremêle sans aucune liaison logique, aussi bien des pratiques orientales méditatives que des modes comportementales occidentales mâtinées de spiritisme, sinon d’animisme, de religion sylvestre, de procédures chamaniques, d’écologie radicale, j’utilise donc le simple terme d’« Esprit », en sa valeur générale de « Principe de la pensée et de la réflexion » et essentiellement en son expression hégélienne : « Dans la philosophie, l’esprit se connaît lui-même comme sujet et comme substance : le sujet qui se pense lui-même et pense le monde, se confond avec la substance du monde. » (Atlas de Philosophie). Et cet Esprit trouve son fondement dans la Raison qui n’est autre que le Réel lui-même : « Ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel » (« Principes de la philosophie du droit »).

   Ici, le terrain spéculatif est-il clairement balisé, ce qui évitera bien des approximations ou des assimilations abusives. Bien évidemment à cet Esprit/Raison, s’oppose frontalement l’Intuition, démarche intellectuelle qui était née du rejet d’une référence jugée abusive au rationnel par le Siècle des Lumières. Å la logique imparable de la Raison répondait, au sein du mouvement Romantique, le surgissement de l’enthousiasme, le déploiement sans limite du Sentiment, lesquels ne pouvaient trouver leur sens, d’après les Exaltés, les Imaginatifs, qu’à l’aune d’une compréhension immédiate des choses, prodige dont était auréolée l’Intuition. Mais, selon la belle leçon hégélienne, le mouvement de l’Histoire est dialectique, le Blanc se substituant au Noir, que, plus tard, le Noir vient à nouveau remplacer. La Raison était donc décrétée inutile, l’Intuition la seule démarche possible afin de s’adonner à la tâche de connaître. La Vérité d’un jour est l’erreur du lendemain. Mérite encore du Penseur d’Iéna que de nous avoir fait toucher du doigt que la Vérité ultime n’est ni dans la Raison, ni dans l’Intuition, prises à part, nullement dans le fragment, mais dans la Totalité du Réel. Question de position dans la fluctuation et la mouvementation continue de l’Histoire, Héraclite et son « flux » ne sont jamais très loin.

   Cependant, que le Vrai du concept soit la résultante de la relation Raison/Intuition ne nous met nullement en position du fléau de la balance penchant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. En vertu du Principe des Affinités déjà évoqué, toujours nous inclinons en direction de ce qui nous attire et, peut-être même nous fascine. Vous aurez aisément compris, Christine que mes polarités insignes se donnent sous le vocable double Esprit/Raison, ne rejetant nullement pour autant la soi-disant spontanéité de l’Intuition. Toutefois, à propos de cette dernière, je crois qu’il faut se garder d’une conception naïve et paresseuse de l’Intuition qui voudrait que le Savoir se livre d’emblée à notre conscience « sans autre forme de procès ». C’est une erreur fondamentale de croire à une familiarité instantanée de ce qui a visage d’altérité. Toute prise en compte de cette altérité, tout recueil en soi d’une vérité qui se dissimulerait dans les plis multiples du Monde nécessite une longue exploration, une patiente recherche.

   Exigence d’un genre de chorégraphie intellectuelle, laquelle en fonction de la loi des analogies et des différences, de la mise en abyme des causes et des conséquences, des liaisons logiques et des contraintes et oppositions naturelles des objets qui se posent devant notre réflexion, cette connaissance donc ne s’acquiert qu’au terme d’une laborieuse mais fructueuse propédeutique, qu’au motif de prémisses sûrement mûries. Autrement dit, la valeur de l’Intuition ne pourra recevoir sa confirmation qu’en aval d’un travail de l’Esprit sur la matière qu’elle s’est proposée d’aborder, qu’à l’issue du processus structurant de la Raison, seule à même de trier, de sélectionner, de classer la forêt luxuriante des sèmes entremêlés, des idées fourmillantes qui y sont inscrites en germe.  Ici se dit l’effort, ici se dit le laborieux travail de toute entreprise dialectique, exploration complexe de ce qui vient à nous, le plus souvent sous le chiffre de l’énigme.

   Mais reprenons votre propos, n’en retenant que le contenu « énergétique », de « puissance en acte », si vous préférez, de manière à nous affranchir de ce « divin » que vous citez, qui risquerait de connoter de façon trop impérieuse la nature même de notre réflexion commune :

« nos propres énergies

mêlées d’ombre, de suie

qui retrouvent la source

de toute lumière. »

 

   Votre expression, outre qu’elle est esthétiquement très réussie, joue sur des oppositions primaires qui sont faciles à repérer : valeurs positives de « énergies », « source », « lumière », contre laquelle viennent buter de sombres desseins, les ondes négatives de « ombre », « suie ». Dit d’une autre manière : l’Ombre jouant dialectiquement avec la Lumière. Coïncidence des opposés, cette « coïncendentia oppositorum », théorie de l’école pythagoricienne reprise à la fin du Moyen Âge par Nicolas de Cues, théologien et philosophe, dans son essai « De la docte ignorance » (1440). Autrement dit de l’Universel venant, comme toujours, rencontrer du particulier. Si l’on voulait inscrire cette vérité du réel sous la forme d’une métaphore, alors on pourrait avoir recours à celle de la Ligne d’horizon qui délimite le Ciel de Lumière au-dessus, alors que le dessous serait l’Océan des abysses, là où végète une Ombre sans doute maléfique. Cette partition en deux de la Réalité humaine structure d’une façon quasi exemplaire notre psyché dans l’ordre d’une troublante analogie :

 

notre Inconscient refuge des Ténèbres,

notre Conscient, ouverture à la Lumière.

 

   Cependant sans verser dans l’ornière facile d’un manichéisme qui placerait le Bien dans la sphère céleste, le Mal dans les fosses océaniques, la décision de nous y retrouver parmi la complexité, en sollicitant ces deux versant d’un Adret lumineux habité d’Esprit et de Raison, auquel s’opposerait un Ubac traversé par les flux de l’Irrationnel, de l’Absurde, cette décision nous offre un schéma interprétatif qui place au centre du jeu la lutte immémoriale de deux Principes Antagonistes qui, sans nul doute, sont le terreau sur lequel s’est bâtie la Dialectique, cette science maîtresse de la spéculation philosophique.

   Y aurait-il meilleur terrain pour asseoir l’édifice d’une pensée nullement fondée sur un humus hasardeux, incertain, mais établie sur une sorte de Nécessité Logique innervant toute présence humaine dès lors que la Conscience (« Instinct divin » de Rousseau), suffisamment sortie de sa nuit primitive, s’éveille aux premières clartés du jour. Dès lors le chemin sera long, au travers des figures historiques de l’Esprit, à partir de ses reptations premières chez les Hominidés, pour parvenir, en de multiples strates successives millénaires, aux ressources du Génie Humain, cette incarnation de l’Esprit Absolu qui donnera naissance, en son versant esthétique à l’Art, en son versant divin à la Religion, en son versant conceptuel à la Philosophie, laquelle culminera de sa haute stature les faits et gestes d’une Humanité parvenue enfin au faîte de ses possibilités.

   Pour ma part, je pense que ce parcours de la Conscience Humaine, se hissant dialectiquement plus haut et plus loin que Soi (ce qui est la définition même de la Transcendance), afin de s’arracher à sa glèbe matérielle (ce qui est la définition même de l’Immanence) constitue à l’évidence l’une des voies « royales » qui s’offre à l’horizon de Tout Homme, à condition cependant que sa Conscience, fouettée par la Lucidité, ouvre une clairière Lumineuse, Infinie, Absolue, antidote à tous les obscurantismes, à touts les finitudes, à tous les relativismes qui obèrent une vue juste des choses. Voyez-vous, Christine, bien que je n’invalide nul choix humain au titre d’une nécessaire liberté individuelle, bien que n’étant nullement opposé ni aux Religions, ni aux croyances multiples qui parcourent le vaste Monde, en ce qui me concerne j’ai fait le choix de la voie Philosophique telle que magistralement définie par le Génie de Hegel dans ce chef-d’œuvre absolu qu’est « La Phénoménologie de l’esprit ». Au terme de l’étude de cet Idéalisme fondamental surgit cette « Lumière » à laquelle vous semblez faire référence. Il semble bien qu’il y ait là, sur le plan strictement conceptuel, un plan absolument indépassable, ce que nous précise cette remarque tirée de « L’Atlas de philosophie » :

   « Å ce dernier stade de conscience, la phénoménologie, en tant qu’elle est expression de la métamorphose de la conscience de soi jusqu’au savoir absolu, engendre une forme de connaissance qui possède l’absolu par soi-même. »

   De la Conscience médiatisée par ses propres possibilités jusqu’au Savoir Absolu, le parcours est superbement Lumineux. Qu’il soit éclairé par Dieu, par l’Esprit/Raison, ceci ne dépend nullement de nous et le problème sera éternellement reporté « aux calendes grecques », ici, comme par un « miracle » justement humain, voici que les Grecs surgissent à nouveau, eux, ces Antiques qui avaient une vision si claire des choses, eux qui croyaient aux dieux multiples, mi-déités, mi-Hommes, qui, depuis l’Olympe méditaient peut-être la formule énigmatique d'Héraclite :

   « Le temps (aiôn) est un enfant qui joue. La royauté de l'enfant » invite à s'interroger sur le rapport du philosophe au jeu, du divin et du ludique, du hasard et de la chance, et à développer une réflexion interdisciplinaire. » (Wikipédia).

   Méditons ceci : avant tout nous sommes des enfants temporels qui jouons tout le temps qui nous est accordé sur cette Terre. Mais qui donc nous l’accorde ?  

 

Dieu ?

L’Esprit ?

La Raison ?

 

   Cette interrogation demeurera ouverte, du moins pour nous, atteints de finitude, autant de temps que, pour nous, la Lumière brillera ! Je crois que nous pouvons conclure sur cet accord qui sonne telle une apodicticité ! Merci Christine d’avoir ouvert la porte du Dialogue, seul moyen de se confronter à toute Altérité et d’y découvrir des Vérités qui sont ultimement universelles dès lors que nous envisageons la Totalité du réel en lequel elles s’inscrivent. Toute position de Soi est un moment de l’Histoire, un moment nécessaire. Mais Hegel dirait bien mieux que moi. Mettons tout ceci au repos. Souvent ai-je eu l’occasion de citer ces paroles de Nietzsche, ce Penseur accompli de la Métaphysique :

 

« Ce sont les paroles les moins tapageuses

qui suscitent la tempête et les pensées

qui mènent le monde viennent

sur des pattes de colombe. »

 

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