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14 décembre 2012 5 14 /12 /décembre /2012 09:14

 

Fragments, Notules et Commentaires.

 

 

   Que saisit-on d'un livre, sinon quelques nervures, quelques lignes de fuite ? Peut-être, lire, n'est-ce jamais que cela, saisir une vastitude et n'en retenir que quelques émergences qui, pour nous, ont pu faire sens et s'imprimer à l'orée de notre conscience. Être en accord avec un texte c'est d'abord éprouver à son endroit des affinités électives, les recueillir et en faire le lieu d'une possible efflorescence.

  Fragments remarquables doublés, comme en écho à la proposition de l'Auteur, de commentaires façonnés par une vision subjective du monde car c'est d'abord en tant que sujet singulier que nous prenons acte des réflexions qui sont soumises à notre jugement.

  Suivent une série de Notules, brèves assertions de l'Ecrivain qui paraissent vouloir dire l'essentiel d'une parole dont, trop souvent, nous perdons le fil.

  Jamais il ne s'agit du résumé d'une œuvre, lequel ne fait qu'initier un inévitablement redoublement de l'écriture. Plutôt inciser les choses, y apposer une empreinte afin que ces dernières, les choses,  puissent s'ouvrir selon une inclination particulière.

 

 

 

Fragments, Notules et Commentaires.

 

Michel Onfray.

 

"Théorie du voyage"

Poétique de la géographie

Biblio-essais - Livre de Poche

 

   

     Quatrième de couverture.

 

 "Partir, emboîter le pas des bergers, c'est expérimenter un genre de panthéisme extrêmement païen et retrouver la trace des dieux anciens [...]. L'élection de la planète tout entière pour son périple vaut condamnation de ce qui ferme et asservit : le Travail, la Famille et la Patrie, du moins pour les entraves les plus visibles (...). Asocial, insociable, irrécupérable, le nomade ignore l'horloge et fonctionne au soleil ou aux étoiles, il s'instruit des constellations et de la course de l'astre dans le ciel, il n'a pas de montre, mais un œil d'animal exercé à distinguer les aubes, les aurores, les orages, les éclaircies, les crépuscules, les éclipses, les comètes, les scintillements stellaires, il sait lire la matière des nuages et déchiffrer leurs promesses, il interprète les vents et connaît leurs habitudes. Le caprice gouverne ses projets."

 

 

     Commentaires.

L'Existant de la postmodernité est toujours, bien qu'il en soit rarement informé avec clarté, à la recherche d'une manière de "Paradis perdu". Immergé à longueur de jours et d'années dans des tâches diverses, souvent harassantes, presque toujours  pourvues d'un sens non clairement perceptible, son désir est grand, bien qu'inavoué, de rejoindre par la pensée une arche temporelle archaïque où les choses se révélaient avec une manière de spontanéité, de candeur. Ainsi la vie pastorale, bucolique qui traversait, en filigrane, les œuvres s'abreuvant  à la source d'une nature généreuse au sein de laquelle pouvaient éclore, avec harmonie et simplicité, les bourgeons existentiels. Rousseau  participait de cette conception panthéiste au sein de laquelle le destin de l'homme reposait comme dans un écrin rassurant, de même que son disciple, Bernardin de Saint-Pierre, chantre d'un univers idyllique et nostalgique dont il s'émerveille :

     

"J’aime à me représenter ces premiers temps du monde, où les hommes voyageaient sur la terre avec leurs troupeaux, en mettant à contribution tout le règne végétal… Quel spectacle dut offrir la terre à ses premiers habitants, lorsque tout y était à sa place, et qu’elle n’avait point encore été dégradée par les travaux imprudents ou par les fureurs de l’homme!" 

 

 Et, au centre de ces paysages, comment ne pas s'émerveiller de la légendaire figure du nomade, de sa vie libre, de sa fusion parmi les éléments ?

  Le nomade est une eau qui, partout,  multiplie ses racines, étale ses rhizomes, répand ses filaments. Eau qui cascade et chante parmi les galets, ruisselle et rebondit sur la roche polie qui lui offre le tremplin propice  à son éploiement. Jamais une eau enclose qui se contenterait de la platitude de la lagune, de la géométrie du bassin, du cercle de la doline. Il lui faut le bondissement, la cascade, la résurgence, le jaillissement, le crépitement, la longue fuite de la pluie, son éclatement en une infinité de gouttes parcourant les lézardes du sol. En elle se loge, comme une faveur, la grâce du mouvement perpétuel, l'urgence à connaître de nouveaux territoires.

  Le nomade est air, pure translation du vent glissant sous le ventre des nuages, fluide épousant les courbures du ciel, rémige ouverte sur le dôme d'azur infini. Nulle halte dans la course bénie des dieux. Car le nomade, figure mouvante d'un éther insaisissable, tutoie l'empyrée comme la flèche la courbure de l'arc. Il est libre respiration, souffle invisible, brise accordée à un rythme séculaire semblable à la marche cadencée du dromadaire. Jamais d'apnée qui entraverait la course d'une voilure tendue aux confins de l'invisible ouranien. Jamais de pause faisant s'écrouler la Babel aérienne où naissent les langages pluriels des peuples migrateurs. Une seule voix portant l'étendue de la conscience jusqu'à l'extrême limite de sa dilatation, de sa plénitude. Une manière de vérité naissant de sa propre existence.

  Le nomade est terre, mais terre vierge, légère, pareille à la silice, aux minuscules fragments des dunes glissant sous le vent en faisant leur chant d'outre-terre, en essaimant leur complainte muette que seuls peuvent percevoir les bergers, les errants, les chercheurs d'infini. Terre balayée par les têtes souples des palmiers, parcourue du chant profond des secrètes oasis, abreuvée des sources qui se perdent parmi le silence de l'argile. Mais aussi terre sauvage, indomptée, mobile, steppe balayée par l'urgence de la liberté, là où les crinières des chevaux claquent sous la toile infiniment tendue du ciel. Mais aussi terre des hauts plateaux andins, amoncellement de cubes d'adobe et de pisé, constructions tellement aériennes, tellement traversées d'air et de lumière qu'elles semblent flotter au-dessus du réel avec l'insistance du songe, la mobilité des mirages. Mais encore terre des tourbières, terre  gonflée d'eau, gorgée de brouillard,  qui se confond avec la brume cotonneuse, comme aspirée par ses volutes d'écume. Terre impalpable à force d'évanescence, de légèreté, comme l'empreinte d'un départ toujours imminent, d'une fusion dans la nature aux mille ressources, aux mille effusions.

  Le nomade est feu. Ses yeux sont des braises forant la nuit, là où l'obscurité recèle encore sa part d'énigme, sa réserve inépuisable d'être. Sa langue, un foyer rubescent par où s'écoulent les mystérieux et volubiles dialectes de la connaissance. Sa peau un parchemin igné, une vivante mappemonde parcourue du signe des étoiles, de la brillante translation des comètes. Sa poitrine, une forge où fondent, comme dans un creuset, les peurs tapies au sein de la ténèbre. Son ventre un athanor livré à la sublime alchimie des incessants et toujours renouvelés nutriments dont ses rencontres sont la quotidienne mise en scène. Le nomade est scintillement, feu de Bengale, gerbes d'étincelles dont son erratique destin est la figure la plus visible.

  Il est l'héritier de l'espace agrandi, du temps étréci aux dimensions de son corps, de la nature logée dans le moindre recoin de sa chair, de l'histoire dont il dévide quotidiennement l'écheveau, tissant sa toile à mesure de ses amples respirations. L'art le visite sous les auspices des aubes singulières; de l'immense étoile blanche au zénith; des feux assombris du crépuscule; du gonflement de la nuit sous le dard des étoiles. Son langage est arc-en-ciel : palpitation de gorge bleue du caméléon, craquement des fissures de terre, raclement du seau dans la gorge des puits, déchirure du ciel sous la lame de l'éclair. Sa conscience palpite au rythme d'Altaïr et de Bételgeuse. Sa boussole est inscrite quelque part entre un balancement immémorial et une esthétique du lieu. Son destin, frappé au coin de l'errance, est d'être partout et nulle part, dans l'instant qui survient.  Ce qui, dans ses projets, - mais un vrai nomade, par définition ne saurait se mouvoir dans une souveraine anticipation - pourrait apparaître comme l'effet d'un caprice, ou d'une pure fantaisie n'est que l'ombre portée de ce qui, en lui, constitue son essence, à savoir l'exercice d'une pleine liberté. Pour nous, hommes sédentaires rivés à de bien aliénantes pierres angulaires, ceci est difficile à entrevoir, quand bien même, sous l'angle du seul concept, nous souhaiterions nous "mettre à la place de l'autre", ce nomade qui, ne possédant aucun lieu, par là même, les possède tous !

 

     Extrait page 9

 

  "Au commencement, bien avant tout geste, toute initiative et toute volonté délibérée de voyager, le corps travaille, à la manière des métaux sous la morsure du soleil. Dans l’évidence des éléments, il bouge, se dilate, se tend, se détend et modifie ses volumes. Toute généalogie se perd dans les eaux tièdes d’un liquide amniotique, ce bain stellaire primitif où scintillent les étoiles avec lesquelles, plus tard, se fabriquent des cartes du ciel, puis des topographies lumineuses où se pointe et repère l’étoile du berger — que mon père le premier m’apprit — parmi les constellations diverses. Le désir de voyage prend confusément sa source dans cette eau lustrale, tiède, il se nourrit bizarrement de cette nappe métaphysique et de cette ontologie germinative. On ne devient nomade impénitent qu’instruit dans sa chair aux heures du ventre maternel arrondi comme un globe, une mappemonde. Le reste développe un parchemin déjà écrit."

 

       Commentaires.

Le livre de Michel Onfray débute par cette ode magnifique, par l'évocation tout en finesse de cette statuaire humaine doucement lovée dans l'incision maternelle, genre de concrétion à nulle autre pareille s'alimentant aux eaux primordiales, afin qu'infusée par elles, commencent à s'étoiler au firmament de l'Existant les myriades de constellations que seront les infinies significations  de l'être-au-monde. Déjà, en filigrane, au-dessus de la fontanelle imaginaire, s'inscrivent  les premiers tracés qui diront à l'homme en devenir son appartenance à l'immense et toujours renouvelée cartographie anthropologique. Déjà, se dessinent à l'orée du front, les lignes de force de la Terre et du Ciel, tropiques et méridiens, planètes et nébuleuses, zénith et nadir, contrées boréales et  terres australes, toute une quadrature ontologique prenant déjà forme dans la magie des eaux lustrales.

   Cependant si ces topologies imaginaires peuvent se projeter sur l'arche ombilicale maternelle, elles ne s'y impriment à titre de mappemonde qu'à l'aune d'une métaphysique sous- jacente, non par rapport à une homologie formelle. Le dôme dont l'Existant amniotique reçoit le don s'apparente plus à un ténébreux mystère qu'à une pure physique dont il suffirait de tracer sur un planisphère les coordonnées géométriques. L'être-en-devenir est encore situé en-deçà de la terre, dans une dimension purement océanique, virginale, aux confins de l'origine dont il est, à son corps inconscient, l'image reflétée, le tremblement spéculaire.

  Si voyage il y a à partir du lieu amniotique - et gageons qu'il en soit ainsi - , il n'est encore qu'assemblage de fragments divers, morcellement, archipel dispersé parmi la multitude des eaux. La péninsule est encore loin qui assemblera en une unité lisible ses territoires épars. Les signes sont encore mêlés aux eaux premières, parole enclose dans sa gangue, babil hésitant, balbutiement avant que ne déferle le grand poème du monde. L'enveloppe maternelle est une peau tendue sur laquelle ricochent les bruits et les rumeurs de l'existence. Le somptueux langage en parcourt l'aire désirante, seule façon pour l'humain, de dire la singularité de son chiffre, de sa trace ouverte parmi les hiéroglyphes du vivant.

 

     Notules.

 

* "On ne choisit pas ses lieux de prédilection, on est requis par eux." (p 20)

* "Il existe toujours une géographie qui correspond à un tempérament. Reste à la trouver. (p 21)

* "...le désir de voyage se nourrit mieux de fantasmes littéraires que de propositions indigentes par trop de semblances avec une réalité sommaire." (p 23)

* "Entre le monde et soi, on intercalera prioritairement les mots." (p 23)

* "Le voyage commence dans une bibliothèque. Ou dans une librairie." (p 25)

* "Sur une carte, on effectue son premier voyage, le plus magique, certaineent, le plus mystérieux, sûrement." (p 26)

* "Certes l'atlas dit l'essentiel, mais pas tout. Il manque à son parti pris conceptuel une chair ajotée par la littérature et la poésie." (p 30)

* "Tout voyage voile et dévoile une réminiscence." (p 32)

* "En effaçant les calculs, les machines à mesurer le temps, les horloges (...) le corps va vers sa vérité profonde et viscérale, animale." (p41)

* "Mais si la solitude contraint effectivement à la certitude de vivre en permanence avec soi-même, le groupe, lui, empêche de ne jamais jouir de soi." (p 45)

* Il (le corps) se trouve moins englué dans le détail du journalier que soumis à l'épreuve phénoménologique : immergé dans le réel, il connaît par le jeu de l'intentionnalité et de la conscience, il expérimente l'être contraint à surgir comme événement et le néant où se trouvent relégués les déchets de la décision."

* " (...) il existe une demi-mesure : elle suppose un art de voyager inspiré par le perspectivisme nietzschéen : pas de vérités absolues, mais des vérités relatives, pas de mètre étalon idéologique, métaphysique ou ontologique pour mesurer les autres civilisations (...) " (p 60)

* "On sait depuis Montaigne que «nous appelons barbarie ce qui n'est pas de notre fait » (...)" (p61)

* "La compréhension d'un pays ne s'obtient pas en vertu d'un long investissement temporel mais selon l'ordre irrationnel et instinctif, parfois bref et fulgurant, de la pure subjectivité immergée dans l'aléatoire désiré." (p 63 - 64)

* "L'oeil instinctif de l'artiste vaut mieux que l'intelligence cérébrale des laborieux concepts." (p64)

* " (...) le nomade-artiste pratique ce qu'en des catégories spinozistes on pourrait appeler la connaissance du troisième genre, celle qui se nourrit d'intuitions et de la pénétration immédiate de l'essence des choses." (p 65)

* "On ne se sépare pas de son être, qui nous habite et nous hante à la manière d'une ombre inséparable." (p67)

* "De Stevenson à Lacarrière, il existe toujours de farouches défenseurs de la mesure du temps au pas animal ou humain, et tant mieux." (p 77)

* "Soi, voilà la grande affaire du voyage. Soi et rien d'autre." (p 81)

* "Au centre du voyage, on ne repère rien d'autre que le moi. Montaigne fournit un exemple explicite de cet égotisme du nomade : à Lucques ou à Rome, à Lorette et à Venise, à Augsbourg ou à Constance, le philosophe reste au centre de lui-même, en insistance impossible à déraciner." (p 85)

* "Loin d'être une thérapie, le voyage définit une ontologie, un art de l'être, une poétique de soi." (p 85 - 86)

* "Pour son essence, l'être du monde procède de l'être qui le regarde." (p86)

* "Aller d'un point à un autre (...) relève moins de l'expérience historique ou géographique quantifiable (...) que de l'expérience ontologique et métaphysique mesurable par les philosophes, les poètes et les artistes." (p90)

* " (...) les retrouvailles avec le domicile donnent un sens, son sens, au nomadisme (...) L'alternance de départs et de retours permet une véritable définition de l'habiter cher à Heidegger." (p 94)

* "L'enracinement justifie le nomadisme, et vice versa." (p 101)

* "Désormais le réel apparaît sous sa seule modalité présente, dans l'instant pur, sans racines ni prolongements." (p 107)

* "En fait l'expérience procède du vieux rêve mallarméen : faire aboutir le réel à du texte, transformer la vie en expériences à même de déboucher dans un livre." (p 110)

* (...) enfanter une poétique d'un genre présocratique ou bachelardien : (...) en appeler à une rhétorique des éléments, à une métaphysique de la terre et du feu, à une ontologie de l'air et de l'éther, à une logique des matières et des flux, en un mot, à une esthétique." (p 114)

* "car le poème du monde appelle sans cesse des propositions de déchiffrements."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

   

 

 

 

 

 

 

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