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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 09:33

 

Ligne : du chaos au cosmos.

 

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 Œuvre : Sibylle Schwartz.


 L'atelier de l'Artiste, il faut l'imaginer au lever du jour, seulement habité d'une lumière zénithale, bleutée, une verrière se disposant face à la clarté du nord. Une grappe de glycines se balance devant la vitre, le pépiement de quelques oiseaux est encore une simple hypothèse. Au début, c'est comme cela, une à peine émergence du néant. Des ombres encore denses, illisibles, flottent dans les angles de la pièce parmi l'éparpillement des toiles et des pinceaux. Les choses attendent d'être révélées et la nuit glisse son encre partout où peut s'accrocher sa persistante mémoire. Le rien est là dans sa subtile occlusion et nul événement ne paraîtra avant que le jour ne s'ouvre.

  Au début ce n'est qu'un mouvement suspendu, une hésitation au seuil de l'exister. Comment porter l'œuvre à sa profération première ? Comment faire de la mutité du monde quelque chose qui, bientôt prendra forme ? Car c'est toujours un mystère que celui d'une possible éclosion, car c'est toujours l'initiale d'une douleur que de tracer sur la feuille les signes qui vont déchirer la dimension virginale. L'espace est là qui attend d'être révélé, doucement allongé dans sa teinte d'ivoire et le papier est simple attente de la plume qui, bientôt l'aliènera. Car il n'y aura plus de liberté possible. Toute écriture est l'amorce d'un destin, toute trace porte en elle les stigmates d'une nécessite, l'impossible retour en-deçà du silence originel.

  La main, au-dessus du subjectile, se retient, comme le fait la lumière avant de porter à la révélation ce qui s'y abrite en creux. D'abord ce n'est qu'un crissement presque imperceptible qui parcourt la feuille, y dépose l'encre pareille à des griffures sur l'écorce de quelque subtil végétal. Ce sont de rapides traits, des croisements de lignes, des tourbillons ivres d'eux-mêmes, des spirales, des percussions, de brusques écartements - maintenant le rythme est entré dans la densité de l'exister -, des conjugaisons graphiques, des éclatements. Des collisions de graffitis, des irrésolutions, des manières de renoncements à habiter quelque esquisse signifiante. Nous regardons de près afin de recueillir ce qui pourrait l'être et la réponse est un bruit de fond pareil à celui de l'univers à son origine. Une soupe primordiale, une profusion dont le chaos lui-même serait la représentation la plus vraisemblable. Désorientés, nous le sommes et notre regard est sur le point de s'absenter. De renoncer à comprendre, c'est-à-dire de cesser de vouloir  organiser  ce qui se manifeste à défaut de vouloir se dire. Le vertige est si proche avec sa nullité à proférer quelque chose d'audible.

 

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 Alors nous prenons quelque recul, alors nous nous disposons à voir réellement ce qui surgit de nulle part et fait sa floraison à la manière dont un sablier révèle l'essence de la temporalité à seulement faire s'écouler les grains de silice dans l'isthme du verre. Nous aurions souhaité devenir traits nous-mêmes et nous mêler au libre parcours de l'encre, devenir fluides, simples fantaisies faisant dériver sur l'aire lisse les incisions d'une rapide connaissance. De cela il est question, de savoir une parcelle de vérité,  dans le tracé qui affirme sa progression avec l'assurance de parvenir au lisible, au déchiffrable. Maintenant la lumière est levée dans l'atelier et tout se dévoile avec exactitude, les liasses de feuilles, les pots de céramique contenant la forêt de crayons, le charbon des fusains, les mèches grises des estompes. A nouveau, alors que la vie étend partout ses multiples ramifications, nous portons notre regard sur ce que la main a déposé pareillement à une fiction sortant de l'ombre, à un mythe s'éclairant du plus loin du temps.

  Ces lignes qui ne nous apparaissaient qu'au titre d'une primitive confusion, voilà qu'elles s'éclairent, qu'elles se mettent à rayonner avec la force des comètes. Nous nous étions égarés dans de vagues abstractions, dans de nébuleuses idées qui nous portaient à croire à quelque gribouillis d'enfant, à quelque régression qui nous amènerait dans le domaine d'une proche affliction. Mais il n'en est rien. Bien au contraire. C'est de l'opposé du chaos dont nous prenons acte, ici et maintenant, sous la lampe à arc qu'est en son propre toute création. Un cosmos vient de naître sous nos yeux dont nous nous étions volontairement absentés. Une FEMME est là, posée devant nous dans sa somptueuse nudité et, si nous osions une impossible transgression de notre statut ontologique, alors nous deviendrions papier nous-mêmes, encre, dessin  et entrelacs avec Celle qui nous fait signe depuis sa niche éployée à l'accueil des efflorescences.

  Le pourrions-nous, et alors nous sortirions de notre aliénation native, celle qui nous contraint à demeurer scellés dans notre outre de peau, notre meute de muscles, nos confluences de sang. Car nous sommes esclaves. Car nous demeurons rivés à notre périphérie existentielle sans pouvoir nous affranchir de ce qui nous limite et nous enferme dans la chambre d'isolement. Comme les déments cloitrés dans leur camisole de force. Le drame de l'humain, notre singulière limitation découle de ce simple fait d'être dans le cercle de notre être sans pouvoir en franchir les frontières. Du moins le croyons-nous. Du moins le vivons-nous comme un enfermement absolu, lequel ne saurait souffrir d'exception. Toujours nous demeurons inclus en nous-mêmes, nous heurtant à notre cage d'os, à nos parois de téguments, à la conque serrée de notre dure-mère aussi longtemps que nous n'aurons pas perçu quelque clé à même de nous divertir de notre citadelle en forme de geôle. Nous nous débattons longuement, nous révoltons notre crypte et nos cris ne traversent même pas la minceur de notre fontanelle et le monde ne nous entend pas.

  L'image, avec ses lacis infinis, ses plis et replis, ses événements singuliers, ses froissements de papier, nous nous y abîmons dans une contemplation narcissique qui ne nous apprend rien, sinon notre invagination ombilicale, notre réduction à n'être que ce trait continu se perdant dans les touffeurs du dessin, comme le fauve se fond dans la savane sans être même conscient de sa différence; herbe parmi les herbes. Tant que nous persisterons à être cette insaisissable figure d'ennui faisant corps avec l'objet de sa vision, rien ne se produira que de fâcheux. Seulement quand nous aurons consenti à nous exhausser de notre destin herbeux, alors apparaîtront quelques significations accessibles. Ainsi se hausse l'acacia épineux au-dessus de la houle des graminées agitées par le vent.

  Dotés d'un autre regard, celui que confère aux yeux la dimension de l'art, nous cesserons de viser les contingences pour atteindre les cimaises et les œuvres qui s'y inscrivent. L'image, à nouveau, nous la porterons dans notre champ de vision, mais élargi, mais compréhensif. Ces lignes que nous prenions pour quelque dérive sans but, voici qu'elles consentent à nous dévoiler la réalité de leur existence. Elles jouent en mode dialectique, s'affrontant en un vigoureux polemos, une manière de lutte originelle dont l'être-art du dessin sort victorieux, en même temps que le Regardant assiste, émerveillé, à sa propre assomption vers un au-delà de la représentation ordinaire. Affectés communément d'une sorte de myopie, nous n'avions collé nos yeux au dessin qu'à y percevoir un destin limité à de simples collisions de lignes. Cependant, cette Existante est bien là qui, désormais, fera partie de notre galerie de portraits. Aussi vivante que nous, dans notre prétention à vivre, aussi réelle que l'arbre aux larges ramures, aussi tangible que le remous d'eau sous le frais des ombrages. 

  Assurés de notre propre figuration parmi les objets du monde, réceptifs à ce qui vient de se dire, là, dans le filigrane de la feuille, cette assurance de l'art de ne jamais nous laisser orphelins à nous-mêmes, nous nous serons accrus d'une certitude intime, nous aurons fait naître la Femme du sein du Rien, l'aurons déposée sur les fonts baptismaux à partir desquels elle rayonnera dans toutes les directions de l'espace. L'artiste, non seulement nous aurons rencontré son œuvre mais c'est son âme même que nous aurons porté à sa parution. L'art n'a pas d'autre secret que d'être cette révélation. Toujours !

 

 

 

 

 

 

 

   

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