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14 juin 2013 5 14 /06 /juin /2013 09:02

 

    Ici, vous verrez comment la Philosophie peut venir à vous d'une étrange manière. Par le rangement par exemple. Devenir Philosophe ne passe pas nécessairement par un savoir élaboré que quelque Université estampillerait, tant et si bien, qu'aucune autre voie ne serait plus possible. Car, s'initier au système des catégories aristotéliciennespeut aussi bien surgir, à l'improviste, parmi les armoires métalliques et les menus tiroirs dans lesquels trouvent place "tout naturellement" - bien qu'un brin de logique et d'esprit de déduction soit de mise - , ressorts et suspensions dont la Manu n'est jamais à court, Magasiniers et autres factotums étant mal payés pour le savoir. Jules en premier, bien entendu !

 

  Et, pour ma part, si vous voulez bien le croire, l'entièreté de ma personne était mobilisée dans mon boulot : les jambes tout au long du marathon qui consistait à longer les grandes armoires métalliques, à louvoyer entre ses hauts rayonnages, à se perdre même parfois dans le labyrinthe de ses couloirs et dédales; la tête aussi était à la fête, si on peut dire, occupée en permanence à démêler l'écheveau compact des milliers de pièces qui constituaient mon ordinaire : longerons, ressorts, suspensions, essieux, fusées, roues, cylindres, culasses, soupapes, delcos et autres pompes à huile. Souvent mon activité se poursuivait la nuit, m'entraînant dans une sorte de vie somnambulique, manière de zombie soumis, comme Chaplin, dans les "Temps Modernes" aux lois implacables du taylorisme, et il n'était pas rare que je m'éveille en proie aux affres du rangement, ne sachant plus très bien lesquels des cardans ou des différentiels devaient trouver refuge dans tel ou tel compartiment.

  Cependant mon activité ne vint pas au bout de ma raison, laquelle, de proche en proche, se mit progressivement à s'intéresser au "principe des catégories". Dès cet instant, mes rangements ne furent plus guidés que par les notions qui y étaient afférentes. Ainsi toutes les pièces ne pouvaient recevoir d'affectation que selon des critères de temps, de lieu, de quantité, de qualité, de relation, de modalité. Soumis à l'empire du rationnel et de la logique, je faisais mes premiers pas dans les arcanes de la Philosophie, sans m'en rendre vraiment compte, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose à son insu. Oh, une bien modeste philosophie qui n'avait de rapport à l'existentialisme que dans la mesure où mon vécu y était en question. Je ne pouvais encore prétendre en pénétrer l'essence et Kierkegaard n'était, pour moi, qu'un vague nom aux étranges consonances nordiques.

  Donc la nature de mon activité m'avait installé dans un genre d'ambiguïté, un pied dans la pratique, un autre dans la théorie, c'est à dire dans la "contemplation", et c'est pour cette raison que mes copains me considéraient comme un territoire un peu à part, une Principauté, peut être, ou mieux une Confédération de type helvétique, neutre et autonome, située au centre de l'Europe sans cependant en faire réellement partie.

  Mais je crains de devenir tellement ennuyeux avec mes considérations sur mon propre ego, que mon ego va finir par se lasser lui-même de son narcissisme aigu. Je vais vous dire, en fait, tout ce laïus sur la philosophie, les catégories, etc..., c'est juste pour situer un peu les choses. En réalité, avec mes Potes, on est comme l'eau et la terre, on s'absorbe mutuellement et c'est sans doute nos différences qui nous rapprochent le mieux. D'ailleurs, vous en supporteriez beaucoup, vous, des types qui vous ressemblent comme vos propres jumeaux; vous aimeriez vous balader en ville, flâner un peu dans les magasins pour vous changer les idées, alors qu'au détour de chaque gondole vous tomberiez sur votre propre effigie, alors que sur les boîtes de pâtes et de riz, les conserves de cassoulet ou de tripes à la mode de Caen vous ne découvriez que votre propre icône ? Mais ce serait l'Enfer, vraiment et Sartre avait beau dire dans "Huis clos", "L'enfer c'est les autres", en réalité l'enfer c'est nous et seulement nous et d'ailleurs faut pas être Aristote lui-même pour comprendre que, pour l'Autre, nous sommes aussi ce fameux Autre, et y aurait pas pire situation que d'être seul sur une île et bien sûr on aurait pas de miroir mais l'eau tout autour elle oublierait pas de nous la renvoyer notre propre image en forme de finitude, de solitude, de négritude.

  Oui, je sais, vous allez dire le Jules il le cultive son art de la formule, il joue sur les mots, les désinences et les suffixes du genre "...tude", on peut en trouver des brouettes, on peut s'en gargariser, on peut en faire des guirlandes de mots du genre "complétude", "hébétude", "lassitude", "certitude", "plénitude", "servitude" et même, des fois, on cherche dans les dicos, les encyclopédies, et le petit suffixe en forme de "tude", on le trouve nulle part avec la vraie explication qui va avec. Y a pas à dire, c'est vaste le savoir, y a toujours un recoin qu'on n'a pas exploré, et alors il te reste plus qu'à faire marcher ta machine à penser et à y mouliner ton petit suffixe en forme d'énigme, mais vraiment de petite énigme, d'énigme microscopique parce que la réponse tu l'as vite, elle t'est donnée presque avant la question, c'est de l'ordre de l'évidence : la "finitude" c'est l'état de ce qui est fini; la "solitude", l'état de ce qui est solitaire; la "négritude" l'état de ce qui est nègre; la "complétude", l'état, l'état, l'état...enfin, pour moi, c'est un genre d'intuition et, par définition, on peut guère aller contre, sinon c'est plus du tout une intuition, c'est de la logique, de la démonstration, c'est de la ruse qui sort tout droit du "principe de raison" et, à partir de là, t'es complètement dépossédé de ta manière à toi, qui t'est propre de voir le monde, selon telle ou telle de ses coutures, selon telle inclinaison particulière, sous telle lumière, etc...

 

 

 

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