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10 février 2013 7 10 /02 /février /2013 16:31

 

                                                                                                                    Texte à la mémoire de GILBERT.

 

En guise d'approche du "Chemin près de l'eau".

 

 

   Tout ce qui est relaté dans le texte qui suit est vrai, à quelques détails près. Ce chemin existe bien, de même que les trois moulins qui y sont évoqués et les personnages et animaux qui traversent le récit dans une manière d'incitation  à la rêverie, n'en sont pas moins des êtres concrets et doués d'existence.  La ville et le gros village, les paysages sont approchés, mais sous des noms qu'une fantaisie a bien voulu rendre presque irréels, légèrement flous, comme au travers d'une brume, cet élément diaphane jouant, pour nous, le rôle dévolu à tout imaginaire, tout espace dédié à un abord onirique des choses sinon à une inclination à une poétique.

  De plus, cette licence de l'écrit indiquant clairement aux lecteurs que s'opère un léger décalage par rapport au réel, peut parfois permettre l'introduction d'une dose indispensable de fiction, comme les épices relèvent les mets sans pour autant dénaturer leur vrai caractère. Donc, en possession de votre boîte à épices, suivez les bords herbeux  de l'Ouche, "le chemin près de l'eau" et confiez à votre imaginaire le soin de vous amener sur des rivages auxquels le réel ne saurait atteindre depuis son opacité naturelle. Il n'est de chemins en partance vers quelque Compostelle qu'à être remaniés par notre singularité. Ainsi le monde est-il constitué d'autant de fragments qu'il y a de consciences pour en rendre compte. Heureuse dimension du multiple et de la polysémie dont, le sachant ou à notre insu, nous sommes tous porteurs. Pour le plus grand bonheur des chemins qui parcourent la terre de leur sémantique ouverte !

 

 

 

Le chemin près de l'eau.

 

 

 

   Tous ces chemins dont nous avons, un jour ou l'autre, croisé l'existence, les avons-nous seulement aperçus à l'aune de ce qu'ils représentent ? De ce qu'ils signifient ? N'avons-nous jamais été que des marcheurs insouciants plus occupés d'eux-mêmes qu'attentifs à leur menue parole ? Car les chemins parlent, chantent, murmurent. Car les chemins sont un langage dont nous avons à nous saisir avant même que de commencer à en fouler le sol. C'est ainsi, nous ne progressons jamais sur les sentiers du monde qu'à les oublier à chacun de nos pas.

   Mais il faut sortir des généralités, des abstractions et commencer à marcher vers une direction où tout s'éclairera avec exactitude, authenticité. Alors seulement nous aurons oublié nos déambulations hasardeuses. Alors seulement nous aurons occulté les apparences qui transforment nos différents parcours en de subtils égarements.

   Considérons "Le chemin près de l'eau" dont nous sommes familiers, non seulement en raison de sa proximité mais en regard des affinités qui nous lient à son existence même. A partir de la mince passerelle qui enjambe l'Ouche, modeste ruisseau qui joue sa partition presque inapparente, engageons nous sur sa terre prolixe, mêlons nous à son sinueux déroulement, soyons herbe et poussière, feuille, brise d'air. Là seulement les choses nous assureront de leur être. Ne restons pas enclos dans une monade qui nous est si habituelle que nous ne voyons l'altérité, le différent, le hors-de-nous que par d'étroites meurtrières.

  Tout est là, immédiatement saisissable, préhensible, propice au déploiement des sens, aux translations de l'imaginaire, aux éclaboussures du rêve. Nous appliquant à marcher dans la juste mesure, nous sommes d'emblée auprès des choses, dans un rapport de familiarité, nous sommes comme envahis par la houle des eaux claires, submergés de clarté ouranienne, traversés de vent. Avec ce qui nous environne et toujours résiste dès l'instant où nous bandons, à son encontre, notre intellect, tendons notre raison, armons notre jugement critique, soyons plutôt dans une relation plénière, naturelle, pareillement à la lumière qui coule du ciel et fait son glacis sur la terre sans que le phénomène crée de division, de parcellisation. Tout uni dans une même respiration.

  Donc, longeons le ruisseau. Il a plu ces jours derniers. Rideaux permanents d'eau d'où s'élevait une brume diaphane. Tout, soudain, s'était ressourcé, avait retrouvé vie, se disposant à la croissance infinie. L'hiver, s'occultant, laissait place au renouveau et, approchant notre oreille des troncs des peupliers, nous entendions le trajet de la sève, son bouillonnement dans les bourgeons prêts à éclore, dans les pellicules des feuilles vert amande qui, bientôt, feraient leur doux écoulement sous la vitre du ciel. Et les saules, leurs chatons se balançaient sous l'effet des effluves de l'air, pareils à de petits cônes de givre. Il y avait comme un mystère entretenu par l'écorce, le rameau, les pédoncules mais le lexique sylvestre consentait à nous en livrer les premières mesures, les rythmes contenus, et déjà, l'ordonnancement selon une joyeuse sémantique. Etonnement que cette complicité du végétal à rayonner, à déflorer ce qui, habituellement, demeurait dans la crypte compacte du réel. Le printemps est une ivresse. Souvent contenue, inapparente, silencieuse. Il suffit d'un jour de chaleur pour que tout bascule, qu'éclatent les grappes des lilas, que s'ouvrent jusqu'à la démesure les fleurs gonflés de suc des glycines, que s'éparpillent dans les lames d'air mille fragrances en réserve, impatientes de livrer au plein jour leurs subtiles ramifications. 

  Mais avant ce déchaînement dionysiaque auquel nul n'échappe, il faut s'immiscer sous la peau des arbres, tout près de l'aubier virginal, là où bat le cœur du vivant, là où s'assemblent en une infinité de minces ruisselets les dépliements futurs chargés de nous révéler, dans une physiologie verte, chlorophyllienne, le temps fécond du cycle des saisons. Cependant, jamais nous ne le percevrons mieux qu'à accorder notre propre cadence à celle qui habite l'herbe, la fleur, les quantités de fourmillements courant à même l'humus, l'eau, les nervures de l'exister, leurs souples  gestations. Le bruit de l'eau, non seulement nous le longeons, nous le percevons avec ses rumeurs proches de la cascade, - le cours de l'Ouche est sec, nerveux, propice aux brusques montées que suit un presque assèchement - mais il nous envahit, il fait son rayonnement depuis l'intérieur, il pousse ses doigts pressés dans les circonvolutions de la cochlée, il gonfle nos alvéoles, se perd sous l'arc dilaté du diaphragme. Il est dans notre sang, il vibre, fait ses confluences carmin, ses résilles rapides juste en-dessous de notre peau. 

  Le chemin est indissociable, ici, de son double liquide. Entre la glaise et l'onde, une manière de gémellité, de réverbération, l'une appelant l'autre, l'une désirant l'autre, l'une étant l'autre jusqu'à la démesure : des sœurs siamoises soudées par l'ombilic, ce lieu à nul autre pareil venu dire aux choses leur appartenance aux immensités océaniques, là où l'air est si fluide qu'il se même à la vague, là où le socle de la terre est constamment frappé, bousculé, remué jusqu'en son tréfonds par les masses de l'origine, magnificence des lourdeurs abyssales toujours prêtes à dire le fondement des choses. Et le ruisseau, la terre modeste, le chemin inapparent n'échappent pas à ce grand rythme du monde, ils en sont partie intégrante, ils y participent, à leur manière de microcosme que le macrocosme rejette et appelle en même temps. Du moins cette mouvance infinie, cette polémique entre les éléments est-elle plus l'effet d'une inclination de l'homme à scinder, à catégoriser, plutôt que de chercher à percevoir l'immense harmonie qui fait de l'univers une simple coque de noix repliée sur ses cerneaux dont, bien évidemment, nous sommes partie prenante.

  Microcosme, macrocosme. Résonance de ces mots comme s'ils étaient logés quelque part dans un inatteignable, un absolu dont nous serions irrémédiablement exclus. Et pourtant tout ceci devient perceptible dès que nous appliquons à ces notions "éthérées" la contrainte de l'expérience immédiate. Observant un bousier affairé à pousser sa boule aux dimensions de mappemonde, par rapport à sa taille, nous percevons vite combien la démesure est ici présente. Mais, au moins, la théorie s'inscrit dans une vision réelle des choses. Nous disposons d'une échelle, nous jouissons d'un moyen de comparaison de l'infiniment petit opposé à l'infiniment grand. Bien sûr tout ceci n'est que jeu sur de simples métaphores.

 

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