Soudain Il sait qu’Il doit quitter cette pièce, qu’Il doit faire provision de
cigarettes, qu’Il doit s’immiscer entre deux urgences, celle du départ, celle
du retour.
Il le fait. Il descend l’escalier. Il est dans la rue, dans le bureau de tabac. Il
achète un paquet de Bridge.
De nouveau dans la rue, l’air pur, transparent comme à La Salina. C’est une
ivresse qui s’empare de Lui. Il marche vite, traverse le porche, cherche
fébrilement le briquet, allume une cigarette, s’engage dans l’escalier. Par une
croisée ouverte parvient la rumeur de l’Océan, de la Mer. Il ne sait plus très
bien. Cris aigus des mouettes ou peut-être des sternes, comme une longue
déchirure surgissant de la toile du ciel.
ll pousse la porte de la grande pièce. La lumière a baissé. Les murs couleur de
cendre ne renvoient plus qu’une clarté sourde.
Il porte la cigarette à ses lèvres, aspire une grande bouffée qu’Il rejette dans la
lumière grise. Il s’assoit sur l’unique chaise, penche la nuque vers l’arrière
comme Il aimait le faire autrefois à La Salina. De fines colonnes de fumée
tissent dans l’air une trame légère.
Il lui parle. Il lui demande de raconter encore l’instant magique de La Salina, la
lumière sur le village blanc, la sagesse des vieux hommes vêtus de noir, leurs
palabres sous le vieil olivier, les joueurs de cartes de l’Amistat derrière les
grandes baies vitrées qui ouvrent sur le port, sur la mer, sur l’horizon infini.
Il écoute de tout son corps, de toutes les fibres de sa peau la parole qui
n’advient pas. Il sait maintenant qu’Elle a repris possession de son langage, que
ses paroles sont scellées dans sa chair, qu’Il n’entendra plus les mots magiques
résonner dans les ruelles de La Salina. L’ombre avance dans la pièce. Il écrase la
braise, le filtre couleur de brique. Quelques volutes de fumée planent encore
entre les murs gris, pareilles à des poussières, à d’infimes corpuscules.
Il se tourne vers le centre de la pièce. Il n’y a plus de souffle maintenant, plus
de douleur, seulement quelque chose qui ressemble à une absence.
Retrait des veinules bleues dans les mains marmoréennes, silence des lèvres
closes, blancheur des draps couleur de neige.
Il se lève. Il ouvre la porte. La lumière est pure, belle, semblable à un mirage.
La lumière l’appelle, elle s’ouvre et trace les rives du chemin vers La Salina. Il
sait qu’il n’y a pas d’autre alternative, pas d’autre issue que celle d’une fuite
éternelle. Dans la pièce couleur de nuit, dans le déclin du jour, au pli secret de
l'ombre, Elle a trouvé son dernier repos, son voyage immobile