Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 08:39

 

et

 Une naine blanche en orbite autour de Sirius (vue d’artiste).

Source : Wikipédia.

 

 

L'homme est une étoile au ciel du monde.

 

 "Ce qui le transporte là-haut, ce ne sont pas ses ailes : simplement, elles l'empêchent de tomber et tout l'art du constructeur est de trouver un profil qui les oblige à nuire aussi peu que possible à l'avancement. C'est l'âme! c'est cette idée à toute vitesse, c'est cette aspiration qui soulève une lourde carcasse jusqu'à lui faire oublier le poids, c'est le désir! Ce n'est pas la flèche qu'on décoche, c'est l'arrachement de l'homme à la matière, c'est la volonté qui a abouti, c'est l'intelligence en un long assemblement de moyens qui tout à coup a réussi l'éclair! Contact! Allume! C'est le coeur avec violence qui triomphe de la destinée, c'est l'homme dans une espèce de déchaînement intérieur qui a réussi à s'emporter lui-même, irrésistible! Il a enfourché l'étoile, cette étoile multiple dessinée à chaque page du présent périodique!"

 

Paul Claudel,

Poèmes mécaniques (extrait).

 

Cité par Sylvie Besson.

 

 

Dans le texte ci-après, on comprendra aisément que le poème de Paul Claudel n'est pas considéré dans son intention originelle, laquelle consistait à tirer une manière de transcendance poétique à partir de l'observation de la technique humaine. Il s'agit ici, de ne considérer que la signification de surface de l'extrait sans aucunement tenir compte du contexte auquel il réfère. Libre méditation qui, partant de la surface, voudrait cependant, se diriger vers quelque profondeur. L'acte de comprendre n'est que cela : désoperculer constamment le réel afin de lui faire rendre son jus. Sous la vitre têtue des apparences, souvent, toujours, y a-t-il bien plus à percevoir que ce qui, de prime abord, s'adresse à nous dans un langage, par essence, crypté !

 

 

Libre méditation sur un poème mécanique de Claudel. 

 

 

  C'est comme cela, l'homme, un jour, est sorti de son corps : chrysalide s'extrayant longuement de sa tunique de chanvre et de bitume. Cela s'éclairait devant lui, cela vibrait et ses yeux étaient des lampions habités de phosphènes. Cascades ruisselantes, cheveux diaphanes, pluies de quartz et rutilance de platine. Rien ne soudait plus les membres entre eux, bras et jambes flottaient infiniment dans l'azur, sans liens apparents, giclures dermiques à contre-jour du ciel. Et l'ombilic, l'ombilic qui girait à la vitesse des comètes, qui stridulait, forait l'espace de son dard et étoiles s'écartaient, se disposaient en rangs serrés pour faire place langage infiniment replié sur germe initial. Et les os claquaient toutes leurs dents ossuaires, et les clavicules faisaient leurs bruits-criquets et tarses jonglaient leurs osselets et thorax pliait ses tiges et ses rémiges en lancinantes oraisons. Partout crépitait la grande diaspora anthropologique, l'immense complainte, le hurlement ligamentaire, les claquements tendineux, les éclaboussures aponévrotiques. De l'homme, ou bien de ce qu'on prenait pour lui, son corps en charpie, il y en avait jusqu'aux confins étirés l'infini. Large flaque de sang pourpre, écarlate que, parfois, l'on confondait avec les aurores rouges du sang des peuples opprimés. C'était une clameur piégée entre ciel et terre, un multiple écho faisant ses effarements aigus, ses entrechats hautement mortifères. Le réseau des nerfs s'étoilait en étiques rhizomes, les vaisseaux s'attachaient les uns aux autres  longues résilles,  glandes glissaient glougloutaient glapissaient jus complexe, sexes gouttaient leurs désirs oblongs, sentiments s'étiolaient, ruisselaient en filaments guimauve, passions se dégonflaient, genres vésicules marines vidées hargne constitutive, outres dermiques étrécissaient, flancs jointifs, épaules limées d'ennui, de repentance, d'insuffisance à s'assumer en tant que réceptacles, c'était une longue procession asilaire, on entendait clochettes démentes, emboîtements fossiles, essais arraisonnements, tentatives copulation, fornication, mais il restait tellement peu de chair disponible, de conque disposée à, d'éperon tendu vers, de nidification possible tremplin ontologique, cela suintait partout, les émotions s'écroulaient en strates évasives, les gestes d'amour tournaient à vide, les tentatives d'annexion faisaient leurs vrilles urticantes, les essais de communication bourdonnaient une langue archaïque, l'essence de l'homme était un moteur à quatre temps, à mille temps, qui faisait ses sourdes explosions, gonflements occlusives, laminages constrictives, râpures fricatives, claquements labiales, massicots dentales, perditions, balbutiements, trilles abortives.

  Mais ce qui le transportait là-haut, l'homme-Ravaillac, l'homme-écartelé, l'homme-place-de-grève c'était l'âme, tout simplement l'âme et l'homme ne la savait pas cette sourde puissance qui l'habitait depuis nuit du corps, cette masse ténébreuse, compacte, cette silhouette zoo-anthropologique, cette morphologie bestiale à peine issue gangue de pierre, esprit encore gemmatique, pensée eau lourde, sentiments équarris au feu et au silex, amours taraudées de pulsions cavernicoles, ça bougeait infiniment au creux du ventre, ça faisait ses longues giclures qui emmaillotaient le cortex dans le filet étroit des élans tubéreux, des passions racinaires, des incubations sylvestres, c'était bouillonnement de sève, gonflements de lymphe, élévations de cairns, déraisonnements forme reptilienne, éruptions limbiques, jets affinitaires pareils à bombardements lapillis, ça bitumait et alambiquait, ça taraudait et pulsait, ça s'invaginait et demeurait dans la grotte humaine quelque part dans l'étroit des boyaux, dans le bistre de l'invisible, dans la renoncule du repli épigastrique. C'était comme de se regarder vivre dans  miroir glauque du néant, apercevoir sa silhouette-goéland informe sur face infiniment polie miroir anamorphique, pas avoir, de soi, image vraisemblable, esquisse constitutive tentative-être, pied dans existence. Juste pied, un-seul comme flamant rose en haut cage plumes et pour autant pas tomber dans fourches caudines mais équilibre aporétique, sur bord fosse thanatogène et perdition juste à-portée-main, comme pied-nez du rien, inconcevable, juste effervescence manière absolu.

  Mais cette aspiration qui soulève une lourde carcasse jusqu'à lui faire oublier le poids, c'est le désir ! Le désir de lui-même et la carcasse humaine est capable de prodiges. Celui, par exemple, de sortir de son corps, seul moyen de découvrir son esprit, de tester son âme, sa légèreté, son envol vers quelque transcendance : l'amour de soi, de l'autre, de l'art, de la nature, de la beauté qui, partout, ruisselle sur les pentes du monde; court à la surface polie des étangs, habite le creux des dunes, lisse l'eau de la lagune, lustre le ventre souple du galet, s'imprime dans l'anse lumineuse de la crique, se love dans l'amour au sein d'une chambre éclairée d'un demi-jour, alors que les Amants s'absentent des choses du monde; la beauté à fleur de peau, à pollen d'épiderme, à étamines de passion; il y a tant de beauté disponible, dans les yeux à facettes du caméléon, cette subtile métaphore d'une vérité qui se livrerait au regard, par fragments, facettes, éclats, l'intelligence de l'homme en assurant la magnifique synthèse; tant de beauté dans les cils de l'Amoureuse recourbés comme les pattes d'insectes, là où tombe l'Amant dans le bruit et la fureur; tant de beauté dans un poème de Mallarmé, dans un aphorisme de Nietzsche et aussi bien dans l'edelweiss qui butine le ciel de sa mousse blanche, dans la source claire qui fait couler ses filaments de cristal dans l'ombre bleue, dans le sourire de l'indienne à la peau de brique, au tilak pareil à la braise, aux rangs de bracelets d'argent qui enserrent les chevilles, vrilles de la terre à l'assaut de ce qui se dit en une liane infinie ouverte au chant des étoiles; tant de beauté disponible, clairière ouverte au regard fécond, à la conscience qui libère, à l'intellect qui déplie les horizons des possibles, aux affects qui tissent entre les hommes les liens irréductibles de leur essence, aux percepts bombardés de milliers de minces secrets à chaque seconde alors que dans l'encre nocturne les piquants d'oursin des étoiles grésillent leur poésie d'infini; tant à dire, à éprouver, à toucher, à voir, à ressentir. L'empan du sens est une corne d'abondance taillée à l'aune de l'universelle fusion de tout ce qui fait phénomène et rayonne et dont nous nous saisissons sans même en ressentir le don prodigieux.

  Mais c'est l'arrachement de l'homme à la matière, c'est la volonté qui a façonné tout cette immense arche de la connaissance, cette démesure du savoir, cette vibration de notre être au contact de cette "effervescente réalité" (Pierre Reverdy) qui nous fait être hommes, femmes, dans une manière de démesure. L'âme c'est cela, c'est une ivresse, une infinie giration des choses, une coruscation qui nous conduit à la cécité en même temps qu'elle nous ouvre à l'incandescence des significations et peu importent les connotations religieuses, philosophiques, métaphysiques, spirituelles, les animismes, artificialismes, les cosmologies, les rites, les superstitions, le peyotl, la mescaline, la noire idole, l'addiction à soi, la vénération de l'autre, les cierges, les encens, les considérations néoplatoniciennes, les Lumières, Jacques le Fataliste, les encyclopédistes, l'humanisme, Rousseau et Les Confessions, Rabelais et le Quart-Livre, les floculations artaudiennes, les absinthes baudelairiennes, les utopies, le cubisme, l'hermaphrodisme floral, le "chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison" de l'univers maldororien, tout ce qui focalise, éclaire, puis ouvre et dilate et disperse à l'infini les graines de ce qui nous fonde ici et maintenant, cette sublime impression de présence à soi-même, aux autres, aux choses, tout ceci a égale valeur ontologique. Nous venons de si loin, de cette sorte d'étoupe fuligineuse, de cette densité à nulle autre pareille, de cette compacité sans faille qu'il nous faut consentir, un jour, à entailler de la lame de notre lucidité. Alors, dès que la bogue commence à s'ouvrir, libérant la pulpe longtemps contenue, que se dispersent dans la lumière les millions de graines en attente de germination, plus rien ne peut enrayer le mouvement, car l'âme est cette intense faculté de s'opposer à la ténèbre afin que se dispose, à sa place, la plénitude de la nuit, sa capacité d'accueil de la poésie, sa force à initier l'étonnement philosophique, sa disposition à percer tout ce qui dresse son mur d'incompréhension et alors, le domaine immense de la métaphysique déploie ses membranes et alors la pensée se met en branle pour ne jamais plus s'arrêter. Car on ne peut arrêter une pensée, comme on le ferait d'une balle ou bien prévenir la chute d'un arbre incliné vers le sol.

  C'est l'intelligence en un long assemblement de moyens qui tout à coup a réussi l'éclair! Contact! Allume! Si belle métaphore que celle de la lumière pour dire le règne de l'intelligence, son pouvoir de dissolution de tous les obscurantismes, d'abolition des professions de foi, d'éradication des pétitions de principe. Car l'intelligence est comme l'oiseau dans le ciel libre, dans la contrée infinie des mirages, dans l'espace agrandi de l'imaginaire, dans la polyphonie du langage, immense Babel aux étages multiples qui résonnent de la belle signifiance humaine. Penser est un vertige, une progression de funambule au-dessus de l'abîme, une turgescence tendue vers un infini acte d'amour, une tension des viscères mentaux, une dilatation de la fontanelle imaginaire. Penser est une crosse de fougère imprimant dans l'azur le dôme fécondant du concept, penser est une liberté bandant son arc dans ce beau geste de l'archer dont le tir courbe, tout d'anticipation et de finesse, écrit  dans l'air l'allégorie d'une volonté d'où la cible sera fécondée, d'où naîtra l'éclair embrasant la dimension ouranienne, là où habitent les dieux, où chantent les muses. Penser est tout cela qui résonne d'un éclat singulier parmi les errements de tous ordres. Penser est cet éclair, cet espèce de déchaînement intérieur par lequel la vie sombrement végétative, lagunaire, plombée, celée, soudain est comme saisie d'un embrasement, métamorphosée en existence, en plénitude. Alors l'homme a enfourché l'étoile, cette étoile multiple dessinée à chaque page du présent, cette étoile dont le sillage dessine le chemin de la belle aventure humaine.

 

[NB : Les passages écrits en graphies rouge, sont les reprises des phrases ou expressions de Paul Claudel.]

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher