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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:37

 

Honnies soient qui mâles y pensent (20)   

 

  Les retrouvailles à Paris furent célébrées au Pied de Cochon où s’étaient réunis, Ninon, Symphorien Lavergnolle, son épouse, le Cocher qui avait reconnu Monsieur le Comte lors de sa première sortie aux Halles - il avait été adopté, enfant, par la famille Beautrillac demeurant à Labastide Sainte-Engrâce, y avait passé sa jeunesse, admirant le Domaine de La Marline où il n’avait jamais pénétré, ne l’apercevant que du chemin conduisant à La Devinière, était ensuite « monté » à Paris pour y exercer la fonction de cocher, et avait juré au Pensionnaire du Grand Hôtel, sa parole valant de l’or, de ne jamais dévoiler à quiconque le penchant de son illustre passager pour les quartiers populaires - ; quelques auvergnats de passage à la Capitale complétaient la joyeuse troupe qui festoya jusqu’à l’aube autour de coupes de champagne et de galettes bretonnes que Segondine Lavergnolle avait confectionnées, fidèle en cela à son origine celtique.

  La petite chambre de la Rue du Pélican accueillit de nouveau les ébats du couple - on se reportera en arrière aux diverses figures de style, auxquelles, du reste, ils apportèrent quelques innovations - , accueillit aussi confidences et projets dont le contenu essentiel se résuma à constater la cruauté du Principe de réalité qui, s’il ne réduisait pas à néant le Principe de plaisir, le restreignait de façon importante, et ceci pour cinq années consécutives, durée du « bail » entre la Locataire de l’Hôtel du Midi, la Mère maquerelle et son Souteneur.

  « Faisant contre mauvaise fortune non cœur », les deux amants - car c’était bien de cela dont il s’agissait en effet, malgré, et peut être à cause des nombreuses contrariétés dont ils étaient l’objet - , résolurent de ne se rencontrer qu’épisodiquement; rarement Rue du Pélican afin de ne pas attirer l’attention sur une liaison qui, du fait du statut social du client attitré (bien qu’il le dissimulât), eût tôt fait d’attirer les soupçons de Grâce Nantercierre, « l’employeuse » habituelle de Ninon et de plusieurs autres des péripatéticiennes qui arpentaient les trottoirs des Halles, préférant plutôt l’arrière-cuisine du Pied de Cochon où la discrétion et l’amitié de l’Auvergnat se traduisirent par l’aménagement d’une alcôve munie d’un rideau, qui permettait au couple de recréer son intimité, tout entouré de l’odeur des choux, de la cochonnaille et de fûts de vin dont la pièce était encombrée. Les bruits de la salle où étaient servis les repas leur parvenaient, légèrement étouffés, et bien qu’ils ne pussent en percevoir les paroles et le contenu, le rythme, l’accent, l’ambiance, participaient au bonheur de leur retrouvaille, comme si l’assemblée des Auvergnats, ne le sachant pas, mais communiant intuitivement à leur union, l’eussent renforcée et protégée des menaces de la ville.

  Ainsi coulèrent une suite de jours heureux où les séparations, toujours trop longues, étaient ponctuées d’une correspondance assidue à laquelle le Postillon, tout acquis à la cause du couple « illégitime », bien qu’il ne connût pas celle qui s’adonnait régulièrement à ses talents d’épistolière, adhérait pleinement, allant même jusqu’à dissimuler les enveloppes au jasmin dans le trou d’un vénérable chêne situé à la croisée des chemins, lorsque le Comte, pour une raison quelconque, tardait à venir récupérer ses missives, le même trou servant d’ailleurs à accueillir les lettres que Monsieur le Comte y déposait, lorsque, pour une raison quelconque, le Postillon, malgré sa bonne volonté, ne pouvait conduire sa voiture de Poste à l’heure convenue pour la collecte du courrier à destination de la Sologne ou de contrées plus lointaines.

  La santé de Fénelon s’améliora sensiblement, son emphysème semblait au repos, tapi au fin fond de secrets alvéoles, cette accalmie témoignant de façon évidente de l’état de repos de celui qui abritait la sournoise maladie, de l’absence d’émotions - ou, du moins, ces dernières furent-elles contenues - et de projets optimistes utiles à soutenir son énergie, bien que leur réalisation dans le temps fût reportée aux calendes grecques.

  Occupé à inscrire de nouveaux adages sur les poutres de sa Librairie, à lire et à relire des livres dont il ne se séparait plus guère, ayant une inclination particulière, depuis sa rencontre avec Ninon, pour une littérature « légère » mais non moins érudite, dont les titres s’égrenaient parfois, au cours des longues nuits. Ainsi lut-il, identifiant souvent les héroïnes des romans à son amante, de grands classiques de la littérature érotique du XVIII° Siècle, dont il connaissait par cœur certains passages et qui  avaient pour noms : « Fanny Hill, la Fille de joie » de John Cleland; « Thérèse Philosophe » du Marquis Boyer d’Argens; « Point de lendemain » de Vivant Denon, Diplomate de son état; « Le doctorat impromptu » d’Andréa de Nerciat; « Vénus dans le cloître » de l’Abbé du Prat.

  Outre que ces œuvres lui plussent, débarrassant le libertinage des fausses pudeurs bourgeoises, les qualités de leurs auteurs, leur réputation, ne faisaient que confirmer la justesse de ses choix et finissaient même par donner une sorte d’absolution à sa vie extraconjugale et à l’infidélité qui en était la conséquence. Honorant peu son épouse, il s’étonnait parfois que celle-ci ne se plaignît point d’un manque d’égards à son endroit, semblant se satisfaire des rares plaisirs dont il la gratifiait, de plus en plus rarement, ses effusions en arrivant même, comme les rivières au plus fort de l’été, à un point d’étiage qui, parfois ne laissait pas de l’inquiéter.

 

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