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23 août 2018 4 23 /08 /août /2018 10:22
Ces ailes qui tournent dans le vent

                  Photographie : Bérénice Loyer

 

 

***

 

 

   Sais-tu l’immense qui déploie sa courbe sous le vaste dôme du ciel ? Sais-tu le sentiment de solitude sans bords, sans attache, cette sorte de vertige qui plante son canif au centre de la chair et le monde vacille et nous vacillons dans le monde ? Sais-tu l’avancée sur le fil du rivage, personne n’y est présent, la vacuité  est effroi qui fait reculer les hommes, ils se terrent dans leurs termitières et serrent leurs poings sur l’étoupe du vide. Voici longtemps j’étais comme eux, en partance pour un rêve aux mailles si lâches, il n’avait de cesse de se poursuivre jusqu’à l’impossible. Peut-être, tout au bout, dans la confusion et l’air de laine, le visage d’une Amante, quelques rimes, des alexandrins en leur antique beauté. Vois-tu, c’est ainsi, aux hommes il faut cet empan de gloire au gré duquel leur navigation à l’aveugle prend sens soudain, une flamme dans l’étroit corridor de l’exister. Il faut une cible à atteindre, un but à fixer au futur, une borne sur laquelle reposer le regard,  fixer sa permanente lassitude.  

   Cette marche infinie que serait-elle sans cette brume diaphane qui se lève de l’eau et fait son argile claire sur le bandeau de la conscience ? Tout en haut, le ciel est dans sa teinte d’absolu, il vogue à une impensable altitude comme pour nous signifier le peu auquel nous nous confrontons que, toujours, nous pensons être la totalité des choses, leur continu ressourcement. La ligne d’horizon est si bas, elle ploie sous la loi invincible du jour. Quelques oiseaux de mer, mouettes, goélands, sternes, signes noir et blanc dans l’heure vacante, raient le lointain, virent sur l’aile, écrivent le premier poème de l’heure. Le silence est si grand, l’espace si lisse, le cœur si ouvert à recevoir une trace, à embrasser une empreinte que la moindre chose faisant signe serait déjà hiéroglyphe déchiffré, lettre d’encre apposant sa rumeur dans l’écrin de notre désir. Toujours nous sommes en attente de l’image belle, du symbole et de son double, de l’allégorie et de l’idée à laquelle elle nous convie.

   Le sol est une immense plaine blanche couleur de neige. Quelques sillons y déposent leur chemin ordonné, leurs points de fuite dans une convergence sans nom. Ces ailes qui tournent dans le vent, voici ce dont nous cherchions la présence sans bien le savoir. Elles battent l’air avec la régularité d’un métronome. Elles parlent aux hommes le langage de la lenteur, cette patience que, depuis toujours, ils semblent avoir oubliée, ce susurrement, cette voix assourdie  qui devrait être leur demeure et qu’ils n’entendent plus. Nul bruit cependant hormis cette scansion du temps, cette circularité, ce dessin si régulier, cette esquisse dont ils devraient faire leur emblème quotidien. Eloge de la douceur, de l’instant qui se dilate, tutoie soudain l’éternité pour peu que l’on soit attentif à ce qui a lieu hors de soi, non dans sa propre enceinte où repose la tyrannie de l’ego.

   Le haut fût blanc - ce menhir de métal - ; les ailes - ces voilures si fragiles ; le mouvement - cette variation d’horloge -, tout ceci agrandit l’espace, lui confère cette majesté sans laquelle il ne serait qu’un district sans importance, une terre oubliée quelque part dans le labyrinthe du monde. Ce n’est pas une éolienne qui nous est donnée à voir, mais Eole lui-même, qui déplie la sublime Rose des Vents. Jamais on ne se lasserait d’en répéter les noms, Alizé, Grain blanc, Nordet, Noroît, Suroît, Harmattan, Ponant, Simoun, Sirocco. Ils sont comme notre souffle, ne crois-tu pas ?, ils sont inépuisables, chauds, froids, secs, incisifs, ils disent nos états d’âme, nos inclinations successives, le feu de notre passion, la pluie de nos désillusions, la neige de nos désamours. C’est pourquoi nous leur devons attention. C’est pourquoi le Grand Sablier Blanc qui fait tourner ses grains de silice, il faut le voir tel l’Ami qui vous soutient, tel le sémaphore qui agite ses grands bras pour vous hisser au-dessus des flots, tel l’amer, là-bas, sur la côte de rochers, il vous indique la voie à suivre dans le sens d’un destin lumineux.

   Les hommes sont si démunis dans leurs casemates de ciment. Ils se regroupent en amas, tels des chenilles processionnaires. Ils dorment emmêlés, pareils à de jeunes oiseaux sans plumes ne connaissant pas encore l’heure de leur envol. Que ne s’égaillent-ils au hasard du rivage, en bandes joyeuses, en agapes dionysiaques, pampres en accroche-cœurs à la falaise de leurs fronts ? Que ne dansent-ils en écho à la Grande Dame Blanche qui ne tourne que pour eux, les invitant aux noces sublimes d’Alizé et de Grain blanc, de Noroît et de Suroît, dans la pleine possession de leur essence ? Rien, dans le vaste monde, de plus urgent que cette infinie mobilité. Elle est le témoin de ce que nous sommes : des Vivants qui, ici et là, cherchons le lieu de notre condition. L’être est mouvement. Bougeons avec lui, en lui. Me suivras-tu ?

  

 

 

 

 

 

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