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8 février 2017 3 08 /02 /février /2017 09:34
Recluse en ses désirs.

"Recluse à ses seuls désirs".

Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

   Recluse en ses désirs.

 

   Combien ce syntagme paraît figurer sous la figure déconcertante de l’oxymore ! « Recluse en ses désirs ». Comme si le désir avait à s’enclore dans l’étroitesse d’une geôle afin de trouver son accomplissement. Comme s’il devait se soustraire à nos yeux dont il occuperait toute la sphère afin de mieux concourir à notre perte, nous déposséder de ce que nous sommes. Il serait, en quelque sorte, cette figure inavouée du Mal dont nous chercherions la proximité de manière à en inverser le funeste destin, le retournant en Bien, en fortune du jour dont habiller nos dolentes existences.

   Pourtant nous nommons le désir dans son irrésistible surgissement et nous le voyons aussitôt éployer ses ailes dans le vaste azur. C'est-à-dire dans la positivité, l’ouverture, l’échange sans contrepartie qui serait fâcheuse, réductrice, castratrice. Nous disons « Recluse » et c’est la face inverse de ce même désir qui transparaît en filigrane. Comme si cette face rougeoyante, cette immatérielle et tyrannique tension du corps, de l’esprit, ne pouvaient se résoudre qu’à l’aune d’une aversion, d’une faute indépassable. Autodafé nécessaire de cet appétit de l’âme tout comme autrefois on brûlait de précieux ouvrages en Place de Grève. Mais pourquoi donc faut-il que ce sublime attrait trouve sa chute dans un jugement moral, sinon une condamnation définitive ? Le désir est ce par quoi nous avançons, faisons des projets, aimons, pratiquons le don, apportons l’offrande à ceux qui sont dépourvus de biens, d’amitié, d’objets que leurs yeux vides visent sans même les voir. Désirer une chose c’est la grandir au feu de nos inclinations et la porter bien au-delà de sa simple contingence.

 

   Que voyons-nous ?

 

   Le désir est-il apparent autrement qu’en raison de ses manifestations, le brillant du regard, les mains moites, les palpitations du cœur, l’irisation du sexe ? Là est bien le problème. Dès que nous nous exonérons de la matérialité, de l’objet en son évidente présence, dès que nous en appelons aux sentiments, à l’émotion, à la sensibilité, tout fond comme neige au soleil. Il ne demeure qu’une flaque aux contours flous, quelques scintillements, quelques phosphènes se dissolvant dans l’air. Donc le désir en son essence n’est nullement saisissable, seulement ces rapides phénomènes, ces brusques sauts de carpe, ces clignotements de lampe magique. Alors, à défaut d’apercevoir l’invisible il faut s’en remettre à ces cibles dont notre impatiente attente se pare comme de ses atours les plus précieux.

   Anthologie est debout sur la lame grise du sol. Triangle des jambes légèrement ouvert, évanescent bassin en forme de V, mains plaquées le long du corps, couronne de plumes en guise de châle, doux ovale de la tête qu’encadre le taillis des cheveux châtains alors que les yeux, la bouche, le nez semblent au repos dans une attitude méditative. Ici se laisse voir une esquisse infiniment hiératique qui semblerait en attente d’une révélation. Tout dans le dépouillement. Tout dans l’élévation du sentiment en direction d’une passion qui couve sous la cendre et ne se dissimule qu’à mieux surgir au plein d’une félicité. Mais d’où vient donc cette joie infiniment intériorisée ?

   Il suffit de prendre acte du rideau de scène. Y figurent, comme sur un ancien palimpseste les superpositions d’écritures, ces signes tangibles d’une pensée qu’ils font naître et qui les dépasse de l’ampleur de ses infinies significations. Le texte est illisible mais peu importe, c’est sa présence qui compte, elle qui dit la culture, la pensée, la poésie. Joie, donc ? Il suffit de prendre acte de la scène elle-même, d’y apercevoir les maroquins d’ouvrages anciens, d’imaginer les merveilles qui courent au fil des caractères, ce crépitement du sens qui jamais n’en finit de faire ses sublimes constellations. Et cet oiseau, qui est-il ? Est-il simplement un oiseau de passage qui se serait posé là, au hasard des vents, et scruterait de son œil de diamant les Voyeurs que nous sommes, tâchant de découvrir sur nos fronts soucieux l’éclair de quelque vérité ? Et ce boulet attaché à la cheville d’Anthologie, signifie-t-il privation de liberté, impossibilité de faire effraction sur la vaste plaine du monde ? Ou bien, au contraire, n’est-il que le symbole d’une volonté de figurer ici et maintenant si près de l’athanor lumineux des livres, si près de la chorégraphie des lettres, de leurs belles confluences ?

 

   Anthologie en son domaine.

 

   Ecriture.

 

   Elle, Hiératique aimait toutes les écritures, tous les graphismes qui traversaient la vie des hommes pour leur dire l’exception d’être sous l’immense bannière du ciel, tout contre les sillons d’argile et le peuple des arbres. Elle aimait les gravures rupestres, premiers balbutiement des Homo Sapiens qui ouvraient la voie aux manifestations de l’art. Passait des heures à tenter de déchiffrer les étranges pictogrammes. Se passionnait pour la belle géométrie des cunéiformes, leur incision dans la terre, leurs formes si précises, reflets de l’intelligence qui avaient présidé à leur apparition. Fascinée par l’écriture cursive du Livre des Morts, avec sa mystérieuse complexité, son illustration laissant voir la barque en papyrus que dirige une Egyptienne vêtue d’une tunique blanche, cheveux de jais coulant sur les épaules. Aiguisait son regard sur les idéogrammes chinois, y devinant les rapports de la calligraphie avec le réel. C’était comme une ivresse de se laisser aller au fil de ces enchevêtrements d’idées, de dériver au gré des confluences de la pensée dont ces empreintes étaient les révélateurs. Les biffer eût consisté à faire s’évanouir les nervures de la présence humaine, à jeter aux oubliettes l’infini métabolisme de la culture, le travail du temps qui perçait à même leur figuration.

 

   Livres.

 

   Intense occupation méditative lorsque, plongée dans quelque précieux ouvrage, elle oubliait le temps qui passait et ne songeait même plus aux murs qui la ceignaient. Ils n’étaient nullement la trace visible d’une privation de liberté, mais le contraire. Là, au creux de sa solitude, à l’écart des bruits et des rumeurs, elle se laissait aller aux rythmes des mots et des phrases, aux belles clartés du texte, aux idées qui flottaient, telles des oriflammes, haut dans le ciel de la conscience. Son étrange sobriquet « Anthologie », elle le devait aux milliers de passages qu’elle avait patiemment entourés au crayon, traçant de cette manière la quadrature de son exister en ce qu’elle avait de singulier, de saisissant, à la limite d’une irréalité. Elle laissait son imaginaire être fécondé par les plus belles pages de la littérature. Ainsi :

 

   « …les âmes n’ont plus la force de rien retenir ni par conséquent de rien comparer. Les impressions les traversent, fugitives et insaisissables ».

 

   Ces phrases de Benjamin Constant dans Polythéisme, elle en vivait de l’intérieur la marque profonde. En accord avec lui. Là où auraient dû se manifester les sensations les plus vives, sources d’une pure joie, ne se montraient, le plus souvent, que des impressions fugaces que le temps emportait vers le futur avant même que le présent ne les ait archivés en son sein, ne laissant à leur place qu’un filet d’eau dont le souvenir ne se graverait en aucune façon dans la mémoire. Comme une feuille envolée par le vent qui vogue à l’infini sans connaître la mesure de sa propre destinée.

 

   Ou bien encore :

 

   «Oiseaux du ciel, prêtez-moi chacun une plume, l’hirondelle comme l’aigle, le colibri comme l’oiseau roc, afin que je m’en fasse une paire d’ailes pour voler haut et vite par des régions inconnues, où je ne retrouve rien qui rappelle à mon souvenir la cité des vivants, où je puisse oublier que je suis moi, et vivre d’une vie étrange et nouvelle… plus loin que la dernière île du monde, par l’océan de glace, au-delà du pôle où tremble l’aurore boréale, dans l’impalpable royaume où s’envolent les divines créations des poètes et les types de la suprême beauté ».

 

   Elle prenait soin de souligner les passages dont elle tirait un bénéfice immédiat, comme si la pensée de Théophile Gauthier dans Mademoiselle de Maupin et sa propre pensée avaient soudain fusionné dans une même intense communion. Lisant ces lignes, combien elle se trouvait proche de l’acte de création du poète, combien elle en vivait les vives pulsations les troublantes affinités, combien elle en ressentait les ondes d’allégresse, les rythmes confinant à la liesse, la superbe élévation que rendait avec tant de justesse la métaphore volante des oiseaux. Et il y avait plus. Cette image n’était pas seulement une émanation terrestre, un peu de poudre jetée en l’air qui, bientôt, retomberait. Non, elle vibrait à la seule idée de sa résonance métaphysique, de sa vêture de magie, elle indiquait ces régions inconnues au travers desquelles une métamorphose de l’être devenait possible à la seule force de la radiance de la belle prose comme si, soustraite aux pesanteurs de toutes sortes, l’écho poétique atteignait des sommets dont, jamais, elle ne redescendrait.

   Être Anthologie, c’était cela, camper ses pieds bien à plat sur la plaque grise du sol, compas des jambes discrètement ouvert, couronne de plumes autour du cou tel un aigle en son aire, œil vigilant démêlant, du réel, le bon grain de l’ivraie, s’essayant à ne retenir que la plante vivace, la fleur remarquable, la corolle déployant sa beauté dans toutes les directions de l’espace. C’était cela et simplement cela qu’elle poursuivait le long des heures, penchée sur des parchemins, des anciens grimoires, des ouvrages aux feuilles semées de son, de traces de doigts, de griffures de crayon pour dire le juste, l’inestimable, l’irremplaçable d’une source vive faisant sa percée quelque part au centre du corps à la manière d’un bain de jouvence. Heures immatérielles. Espace sans trame. Inquiétude sans objet. Agitation du monde sans bruit comme s’il avait été placé à des lieues derrière l’épaisse paroi de quelque cloche de verre dont il aurait revêtu l’irréelle silhouette, inaccessible paysage d’Utopie aux confins de l’univers. On était bien, là, avec l’oiseau céleste ce gardien du boulet qui n’attachait pas mais libérait à la mesure de ce qu’il promettait, la profusion des signes magiques, la lecture silencieuse sous la lampe protectrice, l’immersion dans ce qui transcendait le manifeste pour le porter à ce que, toujours, il aurait dû être, cette lumineuse présence accrochée comme un cristal à la voûte du monde. Le luxe d’une étoile. Oui, d’une étoile.

 

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