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31 août 2020 1 31 /08 /août /2020 08:18
Le point phosphoreux.

J’ai posé pour DH.

Œuvre : André Maynet.

« CERTAINEMENT L'INSPIRATION EXISTE.

Et il y a un point phosphoreux où toute la réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée, - et par quoi ?? - un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles. »

Antonin Artaud in "L'ombilic des Limbes", Poésie, Gallimard.

Poser pour…

« J’ai posé pour DH ». Ici, sur cette surface dépouillée, nous avons un Modèle qui dit avoir « posé pour DH ». Avoir posé pour une Artiste donc. Mais que veut donc dire « poser pour » ? Est-ce simplement le fait d’être présente corporellement, anatomiquement devant le Peintre et demeurer en soi le temps que l’œuvre naisse et trouve sa forme, sa qualité apparitionnelle ? Le Modèle est-il assimilable à un simple objet, masque de plâtre, par exemple, qui servirait de support à une proposition plastique de l’ordre de la mimèsis des Antiques, à savoir la reproduction fidèle de ce qui se donne à voir ? Certes, cette Jeune Femme dans sa simplicité, son dénuement, pourrait faire penser à l’esquisse de terre blanche que constitue tout biscuit que ne recouvre aucun glacis, que ne modifie nulle couleur. Certes cette Simplicité pourrait être reproduite à l’identique, genre de fac-similé, de copie de l’original. Mais l’on sent bien ici que cette conception de restitution fidèle du réel paraît en porte-à-faux avec ce qu’est l’esthétique contemporaine qui, loin de se contenter d’une simple reproduction des formes en recherche la polyphonie, l’expression multiple, la chatoyante rhétorique. Si les Classiques s’adonnaient avec passion à calquer le moindre trait signifiant, le velouté de la peau, la courbe d’une joue, l’anse parfaite d’une hanche, l’harmonieuse flexion du pied sur le sol, une représentation exacte du donné immédiat d’une chose ou d’une personne, il en va différemment pour les Modernes qui ont subverti les formes pour en faire une matière souple, inconditionnée, exempte de contraintes, capable de vivre selon sa fantaisie, l’inspiration de l’instant, la pente d’un état d’âme, la coloration d’une conception du monde, ce monde singulier qui habite chacun et ne saurait se confondre avec nul autre. Créer de cette façon, soumettre le réel à quantité de torsions, d’angles, de perspectives, d’éclatements successifs, de fragments polychromes, voici la marque insigne d’une liberté en même temps qu’un surgissement de l’art dans ce qui en constitue l’essence, une autonomie souveraine, le tutoiement d’un absolu par lequel il parvient au sommet de ce que son langage a à dire.

Inspiration.

Je soulignai, à l’instant, le mot inspiration de manière à rejoindre le propos d’Artaud - ce génial inventeur de formes idéelles aussi bien que langagières, que scéniques -, Artaud qui la fait naitre, l’inspiration, d’un étrange et onirique point phosphoreux, autrement dit d’une ignition spirituelle, d’une flamme intellective, d’une combustion selon laquelle la création est appelée à paraître en ce qu’elle a de plus précieux, cet aérolithe mental qui flirte avec l’indicible, l’invisible dont toute œuvre d’art suppose l’incroyable monstration. Comment, alors, débouchant avec l’auteur de L’ombilic des limbes sur cette pierre philosophale brillant de son inépuisable énergie, ne pas faire place à la magie, à son pouvoir de transsubstantiation, sa capacité à quintessencier le modeste, l’inapparent, l’inaperçu et d’en donner une ébauche dont la mobilité, le sublime, la substance extra-spatio-temporelle constitue le propre même d’un chemin en direction d’une transcendance ? Comment ne pas se sentir attiré par cette cosmogonie individuelle qui nous constitue en propre, que l’action du génie créateur nous livre à la manière d’une révélation, vers cette autre cosmogonie dont la toile est le support, le centre d’irradiation, la source inépuisable de sens ? Car cela même qui apparaît maintenant sur la face du subjectile (voir, plus bas, les déclinaisons du Modèle tels que je les suppose au travers des représentations de Douni Hou dont il est ici question), ce n’est plus le Modèle incarné, vivant, existentiel, avec ses soucis et ses peines, ses joies et ses manques, ses prédicats singuliers qui en fixent l’inamovible quadrature comme une chose fixe, immuable, une étoile clouée au ciel d’une nécessité.

Métamorphose.

Bien au contraire. C’est ce qu’Artaud veut évoquer dans la belle langue qui est la sienne lorsqu’il fait signe en direction de la réalité (qui) se retrouve, mais changée, métamorphosée. Oui, métamorphosée car le chiffre de cet événement hors du commun, l’exceptionnelle mutabilité de la présence, cette tripartition temporelle passé-présent-futur trouvant à s’actualiser dans le procès même qui la porte au jour, la métamorphose donc est la matière façonnée par l’Artiste, portée à l’incandescence, cette imago terminale au travers de laquelle il donne site à l’immatérielle apparition, à la désocclusion du secret, mais en termes cryptés seulement accessibles à une interprétation, à une activité herméneutique car toute œuvre portée à son acmé est un texte sacré dont il convient de lire l’essence. Ce qui veut dire que se porter en tant que déchiffreur d’une oeuvre suppose le recul nécessaire, l’effort indispensable, la réflexion approfondie. L’art n’est pas une donnée immédiate de la conscience pour utiliser le lexique bergsonien, l’art bien au contraire est le fruit d’une longue élaboration, d’une maturation, d’une fécondation d’un germe initial dont il convient de moissonner le sens profond. L’épi ne lève jamais qu’au terme d’un long processus de croissance. Métaphoriquement il est l’égal d’une huile lourde, d’un pétrole métabolisé le long de milliers d’années, image d’une culture en devenir ne se révélant qu’au terme d’une infinie méditation.

Le Modèle dans deux œuvres de Douni Hou.

Vraiment, nous ne savons jamais comment une toile est née, le résultat de quelle alchimie elle est la figure, les raisons qui ont abouti à cette forme plutôt qu’à telle autre. Et l’Artiste lui-même a-t-il la connaissance des voies par lesquelles sa conscience, mais aussi son inconscient ont abouti à délivrer l’œuvre telle qu’elle est ? Processus si complexe qu’il nous dépasse comme il excède les possibilités d’analyse de son Créateur. Sans doute faut-il, à tout essai de représenter le monde, cette part d’obscurité, de mystère sans laquelle l’art ne serait pas art puisqu’il n’illustrerait que la réalité reconduite à ses propres fondements, cette terre compacte, cette argile sourde dont le ciel serait absent, dont la fécondation ne pourrait avoir lieu faute de distance, d’envol, de transition, de passage, tous phénomènes signant la présence d’une mutabilité des choses dont la métamorphose est le subtil opérateur.

Ainsi pouvons-nous facilement imaginer la fonction de convertisseur du génie créateur, lequel s’emparant d’une forme, ce Modèle par exemple, en donne une vision renouvelée, tremplin de ressourcement infini pour qui sait se confier à son écoute, entendre son chant souterrain.

Le point phosphoreux.

« Piqûre et coupure ».

Par quel hasard, quel stratagème, l’Artiste est-elle arrivée à faire de son Modèle cette figurante de cirque (le praticable du Monde ?) que des hallebardes cernent, découpant sa silhouette sur la planche qui la porte et semble la soumettre à un destin aveugle ? Image de la femme qu’elle est (qui : le Modèle, l’Artiste, la Femme-archétype ?), représentation intériorisée qui voudrait dire la soumission, le sacrifice librement consenti ou bien l’acceptation d’une tâche nourricière combien ingrate, ou bien encore simulacre, pure magie, illusion, tour de prestidigitateur ? Et la petite Funambule qui, sur le côté de l’image, semble en jouer le contrepoint, que nous dit-elle de celle qui, clouée sur son fond, vit son aporie existentielle avec la dévotion qui s’assimile à celle d’une sainte pour le moins assurée de sa curieuse servitude ? Que nous dit-elle : l’interprétation des deux images mises en abîme, passé d’enfant et présent d’adulte confondus ? Libre jeu insouciant de la petite danseuse que la donation verticale d’un genre de persécution porterait à notre connaissance avec le caractère de l’insupportable, le rejet de toute aliénation en constituant le logique épilogue ? Ici, l’art rejoint sa fonction subversive, aiguillonne notre inclination à la rébellion.

Le point phosphoreux.

« Petite cicatrice ».

Et ici, cette « petite cicatrice » mettant à nu le Modèle, en donnant une version de l’écorché de salle d’anatomie, en quoi cette œuvre concerne-t-elle encore le réel avec pertinence ? Mais poser la question sous cette forme c’est la destiner à une illisibilité qui provient de sa propre aporie. Cette image ne saurait nullement représenter le réel puisque, par définition, l’art n’est pas le réel mais, éventuellement sa transposition, sa conversion, son déplacement, sa paraphrase. Il n’y a jamais analogie lexicale ou sémantique, cohésion terme à terme entre l’art et le réel auquel il est supposé renvoyer. Ici, avec l’image, c’est un autre monde qui s’ouvre et nous livre son efflorescence. Combien le Modèle initial, existant d’âme et de chair, est loin de ce qui apparaît là, dans le cercle attentif des Voyeuses avec l’explication du Maître. Et encore une fois (voir un autre article sur l’œuvre de Douni Hou : « De la mouche à l’escargot : la finitude ».) le rapprochement ne peut manquer de se faire avec la célèbre Leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt.

Bien évidemment, à partir d’ici peuvent s’élaborer toutes les interprétations imaginables, depuis la psychanalytique jusqu’à l’esthétique en passant par la linguistique, la position du signifiant par rapport au signifié, posture structuraliste s’il en est. Cependant toute cette gymnastique intellectuelle ne nous éclaire nullement sur les rapports du Peintre et de son Modèle. Mieux vaudrait, dans cette intention, aller du côté de Picasso et de ses innombrables variations sur ce thème. Picasso, génial jongleur des formes, initiateur des multiples métamorphoses de l’art. La réponse est là, dans la manifestation des traces esthétiques en leur essence qui, non seulement s’adressent au Modèle, à l’Artiste qui en est l’habile médiateur, mais aussi à l’histoire de la société, à son évolution, au concept de mode et de modernité, toute une contextualisation par laquelle l’œuvre paraît comme ce qu’elle est, à savoir l’unique perception d’un instant situé dans une frise spatiale et temporelle que le génie nous offre comme la pépite qu’il révèle aux yeux de ceux qui cherchent un sens à l’existence.

C’est l’inaperçu et actif point phosphoreux artaudien qui a porté au paraître ce qui n’était qu’en réserve, attendant de rencontrer les hommes, les femmes que nous sommes, toujours pressés, impatients d’archiver dans les replis de la mémoire, les cataractes d’images qui s’y animent de leur effervescence multiple. Nous voulons voir DANS le réel têtu ce qui s’impatiente de se présenter à nous, qui n’est que l’écho de notre propre cosmogonie : l’art en son invisible présence toujours situé HORS du réel !

Invisible présence de l’Artiste.

Parlant de J’ai posé pour DH, en fait je n’ai guère évoqué que DH en rapport avec son Modèle, occultant Celui qui était à l’origine de l’œuvre : AM. Subtile dissolution, étrange transparence, reflet en miroir d’un Artiste reflétant un autre Artiste, reflétant un Modèle, reflétant les Voyeurs, reflétant l’Art. Conflagration de reflets. L’art est ceci, cette illusion si fascinante qu’elle déteint le réel et prend sa place comme la chose qui devient essentielle à nos yeux, nécessaire à notre entendement, précieuse à nos cœurs. Rien d’autre à lui substituer que LUI-MÊME !

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