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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 10:49
Affinités.

« Illusion secrète ».

avec Douni Hou.

Œuvre : André Maynet.

Monde-d’en-haut. (La conscience).

C’était toujours pareil, on n’en avait jamais fini avec le réel dont on épuisait les charmes à mesure de leur découverte. On se levait dans une rumeur de brume solaire. On sortait dans la rue avec, dans la lunule des yeux, les étoiles du rêve. On marchait en titubant comme de pathétiques culbutos et il s’en serait fallu de peu qu’on ne chute. Vers l’avant et sa mort prochaine. Vers l’arrière et la densité de la mémoire, ses éclaboussures, cette existence passée qui s’effilochait entre les mailles grises du cortex. On n’était assuré de rien. Ni du monde qui se détricotait infiniment. Ni des autres, ces turbulences blanches dans le doute matinal. Ni de soi dont l’inconsistance faisait penser à ces amas de boules cotonneuses fixées à la tête des pins. Le monde-d’en-haut qu’éclairaient les feux de la conscience, c’était cette fuite continuelle, cette citadelle de brique et de plâtre, cette complexité de ruelles, cet emmêlement de caniveaux, ces volées d’escaliers à la Piranèse, ces échelles de cordes par lesquelles s’extraire de la foule et s’assurer d’un possible cheminement. Mais, en soi, dans quelque circonvolution complexe, peut-être dans la spirale de la cochlée ou dans la graine serrée de l’ombilic l’on percevait une manière de contraction de l’espace comme s’il n’existait plus de lieu où paraître vraiment. Etrangeté, miroirs de l’illusion dans quoi tout se perdait, se diluait. La vue se dédoublait, les doigts devenaient gourds, les oreilles s’emplissaient de cire, le massif de la langue bougeait avec hébétude dans la caverne de la bouche. Certes on ne se résolvait pas à capituler, on tendait les bras en direction de ce qui n’était pas soi, on palpait, on supputait d’autres vies que la sienne. Par exemple on voyait les lèvres pulpeuses d’une jeune fille, on lançait ses doigts en sa direction afin de s’assurer de sa présence. Mais, soudain il ne restait plus entre pouce et index qu’une purée sanguinolente couleur de fraise mûre. Ou bien l’on se rendait dans la pièce en demi-ton d’un musée. On se dissimulait dans une encoignure, juste à la limite de la lumière zénithale et du sol de béton gris et on se disposait à observer un tableau de Giorgio de Chirico, Mélancolie et mystère d’une rue. Une fillette d’ombre y faisait rouler un cerceau. Une roulotte vide avec ses portes ouvertes qui béaient sur le néant. Plus loin, dans la perspective de la rue encadrée par des rythmes d’arcades abstraites, une ombre encore, mais plus inquiétante, signant l’absence de celui qui était à son origine. Puis un ciel d’orage, plombé vert-de-gris avec des teintes d’aquarium. Alors, comme hypnotisé, on s’approchait du tableau, de sa toile magique, on osait le geste sacrilège, le geste iconoclaste celui de se confronter à la transparence de l’art, à sa fragilité de verre.

On se retrouvait au-delà, derrière le subjectile, on était ombre soi-même, cette fuyante fillette, cet homme de suie, cette suite d’arches claires et de fenêtres vides, cette roulotte au seuil si mystérieux d’où coulait une rivière d’ombre. On avait franchi l’écran du possible. On se tournait vers le monde, loin là-bas vers la résille de lumière qui tremblait dans les salles du musée. Tout était devenu illisible. Les visiteurs, simples spectres déambulant dans les catacombes des pièces. Les gardiens dont seule la vêture subsistait, outre gonflée d’ennui. Seules les toiles vivaient et dialoguaient entre elles, en silence. Le monde réel, c’était ceci qui vivait à l’abri des hauts murs des musées, qui se dissimulait à la vue, qui proférait à voix basse. Mélopée métaphysique disant aux hommes de bonne volonté la nécessité de sortir de leur commedia dell’arte, de laisser chuter leurs masques de mimes, de se reconnaître pour des personnages de fiction. Car il n’y avait que ceci à comprendre : la vibration de verre de la toile d’araignée, le vol du phalène sur le miroir de l’eau, le voile de brume sur la lagune teintée d’absence. Les hommes réputés vrais, les femmes aux hanches désirées, tout ceci n’était que poudre aux yeux et utopies, fantasmes majuscules et tours de magie auquel on feignait de croire.

Monde-d’en-bas . (Le rêve).

Affinité a plongé dans cette mystérieuse et luxueuse pellicule d’eau qui la porte à notre regard avec l’évidence des choses vraies. Les anneaux de lumière sur l’aile du papillon, la ligne courbe de l’horizon, la fuite du vent sur les plateaux andins. Certes le galbe de son beau corps d’ivoire, jamais nous ne le saisirons mais il nous appartient en quelque manière, comme nous échoit un objet rare dans la discrétion de l’aube. Une jambe est levée, un pied tendu qui tutoie l’orgueilleuse citadelle des hommes. Ce curieux assemblage de vanités épidermiques, de toilettes sophistiquées, de conduites si codifiées qu’elles font penser aux sculptures figées du musée Grévin. Puis le compas des deux jambes s’ouvre sur ce bleu profond, cette nuit préliminaire au rêve. Oui, au rêve, cette seule réalité avec l’art, avec l’imaginaire. Mais, individus aux yeux soudés par les larmes d’envie, occultés par les rayons d’une gloire obséquieuse, quand donc cesserez-vous de vous voiler la face, quand déchirerez-vous la nuée de brouillard qui vous tient soudés à votre rocher, telles des patelles sous les coups de boutoir de l’eau ? Mais regardez donc combien la Plongeuse rayonne d’une pure candeur, combien son attitude est naturelle, autrement dit portée par l’arc élevé de la joie. Ici, tout est en harmonie. Ici tout concourt à dire l’immédiateté de ce qui paraît à la façon d’une floraison. Le linge blanc qui flotte autour du corps est une écume, une glaçure infiniment soudée à celle qui la porte, genre de couverte qui fait d’une céramique cet objet rare qu’on dispose dans le secret d’une alcôve. La tête est si effacée, la coiffe en chignon si touchante, évocatrice d’une forme à laisser deviner, ce visage que prolonge un masque afin que le regard protégé puisse jouir de cela qui va se manifester à la manière dont éclot un bourgeon dans l’air fécondé de rosée. Ce qui se donne là, tout au bout de l’anse douce des bras, cette poterie indéfinissable, cette jarre décorée d’arabesques bleues est tout simplement la métaphore par laquelle trouver sa propre vérité-réalité. Car ici les deux, vérité et réalité, fusionnent en une seule et unique apparence. Celle-ci n’est nullement tissée des faux semblants que nous tendent les humains, de leurs tours de passe-passe, de leurs pirouettes, de leurs miroirs aux alouettes. La seule vérité-réalité c’est lorsque l’inconscient se recueille dans ses affinités mêmes, au sein de cette amphore douée de belles virtualités, animée du flux d’une éthique-esthétique et qu’apparaît cette certitude d’être au plus près de cette « illusion secrète » qui est la nôtre. Car toute certitude intime portée à son acmé résulte de cette mystérieuse alchimie, de cette confluence de soi à soi. Alors nul espace qui autoriserait la fuite, permettrait la dérobade. Nageuse est là qui fait corps avec cet élément qui sans doute la dépasse infiniment mais qui, en même temps la révèle à son être profond. Seul le rêve, l’inconscient sont capables de ce prodige. Car ici tout se déploie avec une belle amplitude. Si le réel est bien ce que l’on envisage en totalité, genre de position immuable avec quoi l’on s’entend, que seules nos affinités avec les choses synthétisent, alors le rêve en est la voie royale, le seul chemin d’accomplissement. Nageuse en est le porte-emblème, la subtile révélation.

Au-dessus de l’eau, dans l’éclair de la conscience, toute chose se fragmente et occupe une position nullement interchangeable. Le ciel est à sa place, tout en haut de la vision, les nuages y flottent comme de gros amas de coton, les oiseaux en traversent le miroir éblouissant sans toutefois s’y confondre. La ligne d’horizon est un fil bien net qui sépare l’air de l’eau. L’océan est un gonflement de vagues et de bulles qui possèdent leur vie autonome. Dans tout cela, nulle participation d’un élément à un autre. Nulle fusion qui autoriserait le goéland à être A LA FOIS, ce cumulus dans la nuée d’orage, cet éclair zébrant l’espace, cet arbre qui penche au-dessus du rivage. Dans le monde clos et rigoureux de la conscience, chaque chose à sa place. Chacun y joue à titre singulier, chacun dans son autarcie comme si l’univers était un immense puzzle ou bien un kaléidoscope aux mille fragments, aux mille couleurs. C’est bien la tâche de la conscience que de lire le monde à l’aune de la raison-raisonnante et d’en délivrer cette image constructiviste, ce savant assemblage que nous prenons pour le réel. Mais, en définitive, nous n’en percevons successivement (et non simultanément) que des pluralités d’esquisses qui non seulement ne l’accomplissent pas mais n’en livrent que des écailles, des éclisses, des pièces à l’infini dont nous sommes incapables d’appréhender le coefficient d’existence. De là le vertige. De là l’incompréhension. De là l’aporie constitutive de la condition humaine.

Seuls l’art, l’imaginaire, le rêve.

Mais limitons notre propos à ce rêve dans lequel, à sa suite, nous nous portons en direction d’Affinité dans sa dérive songeuse. Regardez ici combien tout est lié, uni, combien tout est en osmose. Un seul cosmos dans lequel lire le tout du monde. Rêvons donc avec cette Visiteuse des eaux de l’endormissement, des fluides qui parcourent l’en-dessous de la ligne de flottaison, à savoir lorsque nous nous abandonnons avec confiance aux séductions du pouvoir onirique. Si le monde du dessus nous apparaissait comme une surface infiniment divisible, ici tout joue avec tout et c’est comme une mélodie aquatique qui baigne tous nos sens dans un même émerveillement. Rêvons donc. Flottons donc dans l’image, libérons son pouvoir de connaître (ou mieux de « co-naître »), c'est-à-dire ne naître de concert avec elle, d’en éprouver la chair vive, d’en sentir la force à nulle autre pareille. Infini pouvoir de la représentation lorsqu’elle se charge de symbolisme, que coule en elle toute la sémantique dont se saisit notre intelligence afin que la moindre parcelle d’ombre soit éclairée, que l’aube devienne cette belle annonciatrice de lumière que la nuit a préparée depuis ses membranes de suie que nous quittons à regret dans le poudroiement du jour.

La ville des hommes s’est abîmée dans les eaux profondes. On aperçoit ses murailles lie de vin, ses briques illisibles, ses tours, ses échauguettes, ses barbacanes, tous ses artifices qui la font tenir debout mais que nous réaménageons au gré de notre fantaisie. Voyez les hommes qui courent sur les remparts. Voyez les belles en habit qui vont à la fête. Entendez le galop des chevaux caparaçonnés de toiles vives, détourés de lumineuses oriflammes. Sentez combien le feu est vif, joyeux dans l’âtre où l’on va faire cuire le gibier et festoyer jusqu’à l’aube. Incroyable et immense ville d’Ys, Kêr Izel, la Ville basse, la ville sous la mer, cette cité dont la légende dit qu’elle était liée à Paris. Mais écoutez l’eau battre, c’est celle qui frappe les quais de l’Île Saint-Louis. On y voit Baudelaire, ses cheveux rares sur un front qui se dégarnit, les yeux noirs et profonds, le col blanc, la lavallière de soie, la vêture qui se perd dans une brume grise. Mais, est-ce Aragon qu’on devine « Toujours quand aux matins obscènes / Entre les jambes de la Seine / Comme une noyée aux yeux fous / De la brume de vos poèmes / L’Île Saint-Louis se lève blême / Baudelaire je pense à vous ». Et nous pensons à cette noyée aux yeux fous, à Plongeuse, à la flamme qu’elle tresse dans l’eau, à ce vase qui joue là comme son réel le plus immédiat, le plus accessible. Mais voyons avec elle cette magnifique amphore, ce stamnos à figure rouge du V° siècle avant Jésus-Christ, ce récipient qui servait au transport du vin et nous voici très loin dans le temps du côté de la Grèce antique, nous apercevons Ulysse attaché au mât de son navire, nous entendons le chant des sirènes, nous les percevons telles qu’Homère les a décrites, mi-femmes, mi-oiseaux et, parfois, l’outre s’emplit du vent qu’Eole retient avant que la navigation ne reprenne son cours. Qu’Ulysse ne déroule son épopée vers Ithaque.

Oui, voilà où le rêve nous a conduits l’espace d’un instant : hors de l’espace donc dans tous les espaces ; hors du temps donc dans l’extase triplement temporelle du passé-présent-futur ; hors des hommes donc avec tous les hommes, leurs belles complexités, leurs chants polyphoniques, leurs figures diaprées continuellement changeantes. Là où le rêve nous a emmenés n’est rien de moins que le lieu de tous les lieux, le temps de tous les temps, les formes de toutes les formes, à savoir cette mystérieuse métamorphose qui nous a atteints depuis notre naissance et nous accompagnera jusqu’à notre dernière pirouette. Ceci, seul le rêve, l’imaginaire, l’art en sont capables pour la seule raison qu’ils sont libres de voguer à leur guise dans cette mer de l’inconscient riche de toutes les virtualités, site de tous les prodiges, tremplin de tous les possibles. En leurs puissances respectives, tout s’y abolit, couleurs et formes, mais aussi tout s’y ressource et se dote des vertus de ce qui, illimité, traverse tous les horizons. Et c’est parce que nous ne pouvons qu’être en totale affinité avec ce que le rêve nous donne à voir (y compris avec le tragique ou l’étrange ou encore le pur métaphysique ou le fantastique ou le merveilleux) que le réel y vient à notre encontre avec cette charge infinie de sens. Avec Plongeuse, soyons cette Ophélie au clair de Lune, tête ceinte de fleurs, chevelure telle une onde, ne consentant à la noyade qu’à mieux renaitre à ce que nous sommes, des êtres de désir qui ne rêvent que de complétude. Or il ne tient qu’à nous de nous soustraire à nos manques. Rêvons ! Nous n’avons rien de mieux à faire.

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