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4 octobre 2015 7 04 /10 /octobre /2015 08:38
Voyage au-delà des rêves.

L A P L A N D - N O R W A Y - Study
Oeuvre : Gilles Molinier.

D’une certaine manière le rêve se saisit du réel, le réinvente, le métamorphose mais ne s’en exclut nullement. Il métabolise le vécu, introduit de la fantaisie, inocule de l’étrange et propose du monde une image déformée, du temps une scansion particulière. Du réel il est simplement une étonnante distorsion. De-ci, de-là, au hasard des confluences et des dérives, apparaissent toujours, un visage connu, une forme rencontrée, un lieu familier, une expérience éprouvée jadis. Comme si le fac-similé de ce qui paraît avait subi une solarisation, n’en demeurant que quelques nervures, des taches d’ombre, quelques rayons de clarté. Dans le cours de l’instant onirique, nous sommes nous-mêmes et nous ne sommes pas, nous nous absentons de nous mais nous reconnaissons, nous croisons des destins parallèles au nôtre que nous pourrions identifier mais qui, toujours, nous échappent. Le rêve est donc cette pierre de gypse du réel que notre inconscient travaille à la manière d’un acide, si bien que nous n’en saisissons pas l’origine, que nous n’en décryptons pas la silhouette selon laquelle il se présente à notre conscience dans les corridors de la vie ordinaire. Autrement dit, le rêve est toujours un fragment du réel qui disparaît sous les atours d’une nouveauté, se dissimule en revêtant un masque, comme si la fuite permanente constituait son essence.

Mais regardons cette belle photographie et laissons-là parler d’elle-même comme si elle naissait à mesure de son propre propos, si elle figurait au monde du sein même de ce qu’elle est, à savoir un pur surgissement, une perspective inaperçue de l’être, un continent si étonnant qu’il ne pourrait affirmer sa présence qu’en se soustrayant continuellement aux yeux des Existants, en s’effaçant en quelque sorte. Un au-delà du réel et du rêve dont l’imaginaire tisse ses plus belles toiles. Il faudrait un langage autre que celui, habituel, dont nous épuisons quotidiennement les ressources. Il faudrait des métaphores qui ne soient pas de simples images mais des concrétions intellectives, des jaillissements intuitifs, des stèles contemplatives regardées par le Ciel lui-même. Et, à défaut de ceci qui relève de la pure utopie, contentons-nous de poser devant nous ce qui illumine et irradie à la manière d’un Paradis perdu ou bien d’une Terre hallucinée. Nous sommes bien au-delà des hommes et des villes, bien au-dessus du septentrion où flottent les lumières et les banquises boréales, si près d’une vérité que le resplendissement est celui d’une lampe à arc, celui d’une irréelle beauté émanant de toutes choses. Au-dessus de nos fronts soucieux nous disposons l’étrave de notre main en visière afin que l’aveuglement ne soustraie pas à notre vue le prodige. Oui, le prodige. Comment tout ceci, le sol, l’eau, la montagne, le nuage, comment donc ceci peut-il tenir assemblé sans qu’un vent soudain ne vienne en détruire l’harmonie ? Il en est des choses belles comme des fragiles vases de céladon dont nous craignons qu’ils ne volent en éclats sous la seule poussée de notre regard. Ainsi le mur en papier qui abrite la cérémonie du thé. Ainsi la grâce du bonsaï qui pourrait disparaître dans l’instant même de sa révélation qui est hésitation, végétal torturé, résultante du caprice de l’homme. Ainsi l’estampe de l’ukiyo-é dont la simple parution tient du miracle. Toute la délicatesse d’un orientalisme entouré de mystère et teinté d’une clarté si irréelle qu’il semblerait ne pas exister, simple résultante de nos désirs les plus impérieux.

Là, devant nous, sur le sol traversé de rapides lueurs, la vasque d’un lac fait sa courbe nécessaire. Nous ne pourrions en faire abstraction qu’à l’aune d’une coupable irrésolution de l’âme ou bien à la hauteur d’une trahison du sentiment esthétique. Venue du plus haut du ciel, pareille aux rayons d’une spiritualité en acte, brasillement d’une pure lumière, le jour coule avec sa densité de plomb et de mercure. Tout ruisselle que les rives reprennent dans l’exacte courbe qui les révèle. Alors notre fascination est grande, alors notre vision s’ouvre jusqu’aux limites de l’originaire. Oui, nous assistons à une double naissance : celle du paysage sublime, la nôtre en retour qui est le sceau apposé à ce que, depuis toujours nous attendions, que nous n’osions nommer. La lumière ricoche, étincelle, fait sourdre ses gerbes de clarté depuis le miroir étincelant de l’eau. Comment dire la merveille avec l’outre vide de nos joues, la pliure modeste de nos lèvres, le massif de notre langue que le palais abrite afin que rien ne soit proféré qui entaille et disperse. La beauté a ceci de particulier qu’elle n’autorise nulle diversion, ne permet la moindre digression. Face à l’œuvre belle, l’homme est un menhir qui ne sent même plus en lui la force initiale du tellurisme. Tout est coi qui retourne au repos. Tout est soudé, retenu dans le mystère de la révélation. Oui, c’est d’une épiphanie dont il s’agit, donc de l’émergence du sacré. Solitude contre solitude. Il faut à l’homme ce sentiment unitaire, cette osmose avec le paysage. Rien ne s’ouvre qu’à cette exigence-là. Au loin, comme dans une ultime contraction de son essence, la montagne est presque abolie qui referme la scène. Au-dessus, les nuages paraissent cloués sur la toile du ciel, figés comme pour l’éternité. Car, ici, l’instant se dilate à le mesure de l’événement, le temps fait sa goutte immobile, sa moire souple à laquelle les yeux se confient avec l’assurance qu’enfin ils ont VU et que, peut-être, ils ne VERRONT PLUS !

Alors on se détache de ce qui nous happe et nous conduirait à la folie. La pure beauté est si insoutenable qu’elle charrie en elle les glaçons de notre propre débâcle. Il faut renoncer à voir davantage. Plus loin est la demeure du dieu, de l’éclair, du tonnerre, tous ces prédicats qui ne sont pas les attributs habituels des Vivants sur Terre. Alors on redescend vers des sols plus ordinaires, plus abordables, ceux qui se satisfont d’un regard commun, d’une prétention modeste, et n’exigent qu’un cheminement parmi les mottes et les sillons où courent les herbes sauvages. Telle est notre condition qu’elle nous reconduit toujours à notre site mortel. Les félicités éternelles ne sont pas les lauriers dont nous cernerons nos fronts. Il faut rentrer chez soi, poser son havresac dans un coin de la pièce. Les confins du monde sont, en même temps, les confins de la pensée. Les tutoyer, au moins une fois, est une offrande à nulle autre pareille. Cela nous le savons depuis des temps immémoriaux et feignons de l’oublier. Jamais la beauté ne s’oublie. Elle flotte, ici et là. Apprenons à tendre la main. Oui, ce geste de la préhension, de la capture est celui qui nous fait hommes et nous installe dans notre essence. Oui, dans notre essence. Nous ne pouvons nous en absenter.

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Published by Blanc Seing - dans Mydriase

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