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8 avril 2015 3 08 /04 /avril /2015 08:02
Existe-t-il une source de l’écriture ?

Source : vue du Doubs passion.

Existe-t-il une source de l’écriture, secrète, inapparente, qui nous dépasserait, venant de si loin qu’elle apparaîtrait à la manière d’un simple filet d’eau se perdant dans un lieu indéfinissable ? L’écriture, ce bel ornement du langage, peut-être celui par lequel il signifie avec le plus de profondeur. Car, malgré tout, si les déclamations orales ont bien constitué, dans le monde grec antique, les fondements de la « polis », cette cité reposant sur les échanges de l’agora, ce centre de rayonnement unique, l’écriture déposée sur un parchemin en fixe les règles immuables. Les religions l’ont bien compris qui ont inscrit leurs dogmes dans la Bible, la Torah, le Coran. Si le calame des musulmans est censé être le vecteur de la parole divine, c’est bien qu’une prééminence de l’écrit s’impose au simple bavardage des places publiques. Car de la rencontre des hommes, de leurs passions, résulte vite un échange fondé sur les rumeurs, les invectives parfois, les polémiques sans fin dans lesquelles s’enlisent les vertus dialogiques. Ainsi se développe la rhétorique au détriment de la dialectique censée nous faire découvrir l’être vrai des choses. Ainsi naît le sophisme et son corollaire : la perte du sens dans des joutes sans fin et sans autre objet réel que de triompher de son adversaire.

N’est-il pas étonnant, tout de même, de constater que Platon, le fondateur de toute la philosophie occidentale, ait choisi de fixer ses fameux dialogues dans la forme écrite alors qu’il était censé rapporter l’œuvre entièrement orale des discours de Socrate ? Si les dialogues prétendent se manifester avec la rigueur de la raison, et certes ils le font, la dialectique n’en procède pas moins à la production d’un écrit fortement structuré, à l’architectonique parfaite, ce que l’oral, dans sa nature spontanée, ne saurait atteindre. Si la dialectique peut se définir comme « art du dialogue », ceci elle ne peut s’y employer avec bonheur qu’à l’aune de l’écrit qui en précise le subtil enchaînement des pensées, la netteté, la perfection qui préside aux belles idées.

Mais quittons le monde platonicien pour en venir à des considérations plus humainement terrestres. Qu’une passion vous anime, en l’occurrence celle de l’écriture, vous en prenez acte comme du temps qu’il fait, sur lequel vous n’avez pas de prise. En effet, il ne dépend pas de vous que le climat soit clément ou bien que s’annoncent les frimas. Ce n’est pas le constat de ce qui se produit qui est important, uniquement ce qui, à travers lui, se dit d’une manière d’être et des lieux où elle s’origine. Mais d’où vient donc ce prurit qui ne s’atténue qu’à la mesure de ces pattes de mouche déposant leur mince chorégraphie sur la feuille vierge de toute trace ? Existe-t-il une naissance de ceci qui fait trace et brille du feu d’une braise ? Sans doute poser la question de cette manière conduit-il à procéder à sa propre fermeture. Le saumon saura-t-il jamais d’où il vient et ce qui le guide, depuis le vaste océan, jusqu’à ce lieu de ponte qui verra, à la fois, son ressourcement en même temps que sa disparition ? Connaître l’origine, traverser l’énigme, ceci ne s’accomplit-il qu’au prix d’une finitude ?

Mais il faut en arriver à l’expérience concrète et tâcher, sinon de dévoiler ce qui ne peut l’être, à savoir la source du langage, son lieu de jaillissement, du moins en décrire quelques unes de ses lignes d’apparition. Je dois avoir dix ans en ce printemps qui manifeste son impatience de floraison, de la même manière que je vis au rythme de mes propres fébrilités, l’écriture logée quelque part au creux de l’ombilic et qui demande à se déplier, à voir le jour. Car le bouton germinal n’entre dans la signification qu’à se déployer. Sinon, fantasmé, il se referme sur une mutité qui le reconduit à l’ombre du langage, ce non-savoir qui occulte toutes les ressources expressives et reconduit l’homme à une sorte de geôle. A l’école primaire, Monsieur Chaliès nous fait travailler intensivement « La lecture littéraire et le français » dans le manuel de Souché. Immense révélation de ce que la littérature peut apporter d’ouverture, de fascination, de rêves, de possibilités d’accomplissement. Lectures fiévreuses des grands auteurs, depuis la prose et les tableaux quasiment bibliques de Georges Sand dans « La Mare au Diable », jusqu’aux fresques lyriques de Chateaubriand dans « Le Génie du Christianisme », en passant par le langage utilitaire et rustique d’un Ernest Perrochon dans « La Parcelle 32 ». Beauté des textes pour l’enfant que je suis, qui découvre non seulement les fondements d’une esthétique mais l’outil, le médiateur pour dilater l’œil de l’imaginaire, l’alchimiste qui transformera le plomb du réel, sa naturelle densité, en or pour l’esprit, en platine pour la méditation, la contemplation. Déjà, sans doute, naissaient les prémices d’un immense intérêt pour le romantisme, l’idéalisme et sa plus belle déclinaison, le platonisme dont, encore aujourd’hui, la lecture demeure une délectation pour la connaissance.

Et, maintenant, il me faut parler de Touguy, ce genre de pré-adolescent dégingandé, mince comme le fil de fer mais disposant bizarrement d’un appétit pantagruélique, alors âgé lui aussi, d’une dizaine d’années, naïf invétéré, fonctionnant au rythme de sa candeur, toujours prêt à expérimenter tout ce qui veut bien s’inscrire dans l’horizon simple de sa vie. En réalité je suis l’instigateur des aventures dans lesquelles il me suit avec une belle constance. La source vers laquelle, bientôt, nous allons diriger nos pas est à quelques centaines de mètres du village de Beaulieu. En soi, elle n’est guère un mystère et le promeneur peut la longer sans même que son attention en soit alertée. Au-dessous du « Chemin du Ciel » - non, ce n’est pas une invention -, chemin bordé de noisetiers qui descend vers la rivière, se trouve une minuscule source enchâssée entre des pierres, parmi les touffes vertes du cresson. Sans doute une résurgence venant du plateau semé de bosquets qui la surplombe. C’est certainement dans la nature de la source que de nous interroger sur le lieu de sa provenance, sur son trajet souterrain, à l’ombre des regards, comme si les filets d’eau étaient l’âme, le principe premier qui animait la visibilité de l’eau surgissant en pleine lumière. A l’instar d’une connaissance que nos yeux feraient à seulement imaginer l’aventure de l’eau parmi les plages de glaise et la blancheur des racines.

J’ai emporté un bloc-notes avec un crayon et, maintenant, nous sommes devant la source - je ne me souviens pas que Touguy se soit muni de quoi que ce soit, à l’exception de son évidente curiosité -, dans le but d’écrire un poème. Comment, du reste, pourrait-il en être autrement alors que la nature renaît, qu’un nouveau cycle de création se présente, qu’éclatent les premiers bourgeons semés de larmes de résine ? Là, au milieu de cette nature accueillante, manière de conque largement ouverte sur le champ des significations multiples, comment ne pas ressentir l’émotion d’être, comment ne pas vouloir la traduire en mots, en actes, peut-être, simplement, en mouvements de l’âme, fussent-ils infinitésimaux ! A vrai dire je ne sais plus le contenu de cette poésie, son rythme, sa façon de s’ouvrir au monde. Ce que je sais, cependant, c’est la trace qu’elle a déposée en moi, là au creux le plus secret de l’être alors que l’existence commence tout juste à faire son grésillement de flamme. Premier poème, comme l’on dirait « Premier amour », songeant à Tourgueniev, à cette nouvelle mettant en exergue le trouble des amours inachevées. « Amour inachevées », tout comme la création, jamais portée à son terme, constamment recommencée - vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage -, création qui fait votre siège et ne vous laisse en repos que le temps de l’écriture pour vous surprendre la nuit, au milieu de votre sommeil, avec la persistance d’une nuée d’abeilles. Jamais on n’en a fini avec une passion, c’est, du reste sa raison d’être et comme le langage est, par définition infini, le trouble qui y est attaché suit la même pente. Bien évidemment, de cette séquence déjà lointaine, ne restent ni la trace du poème, ni la feuille qui lui a servi de point d’envol. Seulement le désir d’en savoir plus sur le monde. Seulement le feu qui couve longuement et demande à être nourri. Et, tout naturellement me viennent à l’esprit les délicieux et pertinents vers de Nicolas Boileau dans « L’Art poétique » :

« Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »

Souvent, j’aurai effacé ces mots qui se montraient rebelles. Ce qui, jamais ne se sera effacé, cette envie née, là, au bord de la source, ce lieu chargé de symboles qui fait signe vers le site de son origine !

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