Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 mars 2015 3 04 /03 /mars /2015 10:05
Pensive, le soir.

Edward Hopper - Automat -1927.

Source : Wikipédia.

Octobre s’éternisait dans des teintes de rouille. Des brumes flottaient à ras du sol et, le soir, la lumière grésillait à peine le long du rivage. Une manière de perdition dont il était difficile de s’extraire. L’hôtel comptait peu d’âmes, quelques exilés en mal de nostalgie ou bien d’étranges vacanciers hors du temps. La fenêtre de ma chambre donnait sur la lagune que cernait un chapelet de galets gris. C’était si tentant de demeurer là, dans ces heures sans consistance et de simplement regarder les vagues, au loin, faire leurs oscillations de lave. Une durée géologique qui ramenait à un vécu originel se perdant dans les plis de la mémoire. J’avais apporté quelques livres dont je tournais les pages plutôt que je ne les lisais. Inutiles et éphémères papillons se dissipant dans l’inconsistance du jour.

La journée a été longue à errer le long des flaques d’eau, à laisser le regard planer au-dessus des flots. Le crépuscule est tombé comme une soudaine chape de plomb et les passants s’y sont dilués dans les mailles d’une bure serrée. Je me suis assis à ma table habituelle, un journal à la main afin de dissiper cet ennui qui collait à la peau. Je ne vous ai pas aperçue tout de suite, isolée que vous étiez dans cette partie déserte du restaurant. Vous sembliez à mille lieues de cette ville d’eau et plus loin encore de vous-même, égarée en quelque endroit mystérieux. Vous buviez un café par petites gorgées. Aviez-vous peur de vous brûler ou bien était-ce une façon de prolonger l’instant en éternité ? « Oiseau de passage », voici ce qui surgissait en moi, vous regardant dans votre étrange posture. Vous n’aviez ôté ni votre capeline abricot, ni votre manteau couleur d’eau dont le col de fourrure accentuait le sérieux. Vous jambes étaient croisées dans un geste d’intime pudeur, votre regard absent pris dans la glu de quelque rêve. Et le cercle blanc de la table paraissait une fascination à laquelle vous ne pouviez vous soustraire. Aviez-vous au moins aperçu, sur le plat-bord de la baie vitrée, cette coupe de fruits semblable à une nature morte de Cézanne ? Les opalines du plafonnier dont la double rangée fuyait à l’horizon éclairaient-elles votre âme en quelque manière ? Ou bien étiez-vous au-delà, dans une étrange contrée dont on ne revenait pas ?

Longuement je vous ai observée alors que je n’existais pas. Pas plus que ce qui vous entourait dans la pure distraction. J’ai plié mon journal, suis monté dans ma chambre. La lune faisait sa traînée blanche sur l’éparpillement de la grève. Je fumais lentement, regardant les volutes dessiner leurs fuites souples. Oui, c’était bien votre silhouette qui s’imprimait sur la vitre de l’eau, là, au milieu des galets lissés de lumière. Vous avanciez vers la mer avec de lentes ondulations, pareille à un flux. Votre cape verte se distinguait si peu de la phosphorescence ambiante et votre capeline était une manière de braise éteinte. Etiez-vous une Ophélie à la recherche d’elle-même ? Une dissolution du jour dans le tissu de la nuit. J’ai tiré les rideaux sur la baie vitrée. J’ai éteint la lumière. Vous n’étiez plus, déjà, que cette ombre en partance que les étoiles ne voyaient même plus. Etiez-vous une Ophélie ?

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher