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26 février 2015 4 26 /02 /février /2015 11:16
Le Godin de la Primaire.

Source : Ecole de Biziat

 

 

   C’était un bonheur de se réveiller le matin avec, en tête, l’idée d’être le premier à l’école et de s’y trouver dans son propre royaume. Je passais par le petit réfectoire - deux tables, quatre bancs de bois -, la cantinière y préparait déjà le repas de midi. La salle de classe était encore endormie et le jour y entrait avec parcimonie, allumant, de-ci de-là, ses taches cendrées. Le silence n’était nullement troublé dans le village si paisible qu’il aurait pu s’endormir sans que personne ne s’en rendît vraiment compte. Je gagnais le bûcher dans la petite cour où se trouvaient les cabinets à la turque, deux loges étroites avec des portes élevées du sol : l’air s’y infiltrait avec une belle ardeur.

D’abord, je décendrais le foyer, puis enfournais papier et bûchettes, craquai une allumette. Bientôt le feu crépitait et, fasciné, je regardais les flammes faire leur pandémonium. Il y avait un genre de secrète jouissance à jouer dans l’antre d’une puissance démoniaque. Le feu était déjà ce mystérieux élément qui introduisait au monde étrange des adultes. Être « de service » supposait donc une manière de délégation de pouvoir : par ce simple geste je devenais le « bras armé » du maître, sa légitimité à régner entre les quatre murs de la citadelle scolaire.

Bientôt, de l’autre côté de la porte vitrée qui communiquait avec la cour de récréation, quelques éclats de voix, quelques raclements de godillots, la voix affirmée de Monsieur Chaliès qui prenait possession de sa forteresse. Je jetais un dernier coup d’œil à mon territoire d’un instant. Le feu crépitait derrière son écran de plexiglas et jetait sur les murs les images fantômes des grilles qui l’entouraient comme pour le protéger d’une destruction ou bien d’un possible vol. Peut-être Prométhée veillait-il dans l’ombre, prêt à s’en saisir ? Sans doute le « savoir divin » rôdait-il quelque part, attendant de se donner en offrande à quelques têtes studieuses. Sur le tableau noir, en lettres calligraphiées, le titre de la leçon de morale :

« Dépensez chaque jour un sou de moins que ce que vous gagnez. »

Sur le mur, à côte de l’estrade, la grande carte Vidal-Lablache avec ses départements aux couleurs pastel, un brin surannées, ses fleuves pareils à des veines parcourant un grand corps. La journée d’école pouvait commencer.

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