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22 janvier 2014 3 22 /01 /janvier /2014 09:54

 

 

L'énigme du monde.

 

l-edm1.JPG 

Mise en images : Blanc-Seing.

Source : Google images.

  

  Inlassablement, Hombre parcourait les immenses corridors de la terre. Aussi bien les vastes plaines que les hauts plateaux abandonnés au vent, que les rivages où battait le flux immémorial de la mer. Et, parfois, mais plus rarement, il sillonnait la glace miroitante des avenues et fréquentait les cours d'immeubles, les places qu'habitaient les fourmis humaines. Son destin semblait être celui de déambuler parmi le vaste monde, d'en noter les impressions, d'en radiographier les pulsations, d'en éprouver la chair dense, pléthorique, exposée aux événements multiples. Hombre vivait de cela et uniquement de cela. Il était un genre de sismographe enregistrant la moindre vibration, la plus infime éruption, la plus insignifiante coulée de lave. Son corps était le réceptacle vivant sur lequel se déposaient les traces de l'exister et ceci suffisait à son bonheur. Il n'avait nul besoin de consigner ses impressions dans quelque registre, son anatomie ayant tout prévu en matière d'archivage.

  Ses mains étaient les réceptrices des mouvements, aussi bien de la Nature que de ceux de ses CoreligionnairesSa tête collationnait les pensées. Dans l'ouverture de ses bras se réfugiaient les malheurs du monde. Dans le tronc de ses jambes la marche en avant de l'humanité. Dans ses poumonsle vent des humeurs. Dans son cœur la plénitude des sentiments, mais aussi les détresses. Dans ses viscères le métabolisme du vivant. Dans le pieu de son sexe les aventures de la généalogie.

Ainsi vivait-il au rythme des marées, des migrations des peuples, des œuvres humaines, des grandes diasporas, ainsi existait-il dans le feu des passions, dans l'infinie courbe du monde occupée à girer autour d'elle-même dans un mouvement qui lui semblait proche de l'ivresse. Pour Hombre, l'existant était une pure évidence, une manière de faveur qui avait été faite à l'univers depuis l'origine des temps. Tout n'était qu'enchaînement de causes et de conséquences, mécanique parfaite et il suffisait d'aller à l'estuaire, de remonter le fleuve jusqu'à la source pour en connaître la subtile origine, cette pluie bienfaisante et donatrice de vie, laquelle venait du nuage, lequel résultait de l'évaporation des masses liquides, lesquelles venaient d'où elles voulaient. Peu lui chaulait de savoir quelle en était l'explication.La Présence de tout ce qui vivait lui importait plus que la raison de cette dernière, que le principe fondateur et peut-être ultime, fût-il de nature céleste, fût-il Dieu lui-même. Car Hombre ne s'affiliait à aucune croyance particulière, si ce n'était celle, immédiate, directement préhensible de cette "phusis" des Anciens grecs, de cette physique donc, l'homme était partie prenante au même titre que l'arbre, l'oiseau ou bien le modeste éphémère. Tout pour lui s'inscrivait dans l'ordre de la Nature dont il recevait l'empreinte à la manière d'un panthéiste heureux. Si les choses n'étaient pas divines au sens strictement religieux, du moins étaient-elles vénérées dans l'ordre du sacré, l'Homme dominant ce bel édifice de sa présence purement verticale. On l'aura deviné, le Déambulant cherchait, dans la moindre parcelle de vie, dans la plus infime étincelle, sans doute une justification du monde et, conséquemment, la sienne. Obnubilé par la densité de la matière, par sa consistance fermée et opaque, il en était venu à s'oublier lui-même, à se distraire de ce grand carrousel auquel il participait sans en avoir une conscience bien établie. Il ne tenait nul journal et l'introspection ne faisait pas partie de son quotidien. Il se confiait au souffle du vent, à l'ornière du chemin, au lent dépliement de la chrysalide, à la fuite du nuage contre le toit du ciel, aux paroles, faits et gestes de ses semblables.

  Seulement, à errer ainsi au hasard de ses pérégrinations, à inventorier dans son globe de chair l'entièreté des événements qui s'y imprimaient chaque jour, la coupe était pleine et, maintenant, le tout du monde ricochait sur sa peau avec la violence d'une sombre polémique. Son corps outragé était devenu le lieu d'une insupportable géhenne, l'espace étroit et incompréhensible d'une violente coruscation, l'aire mutilée par laquelle le non-sens venait le visiter  avec l'assiduité que met le taon à faire votre siège dans les forêts d'automne. Hombre était pris dans une sombre geôle dont il devenait urgent qu'il pût s'extraire afin de ne pas s'exposer à une immédiate finitude. Les millions de signes qu'il avait archivés au plein de ses artères, au mitan de ses cartilages, sur la toile infiniment tendue de ses aponévroses, voici qu'ils faisaient surface, comme une résurgence qui s'annonce après un long parcours souterrain, s'écoulaient par l'orifice des narines, sourdaient parmi la cire des oreilles, déglutissaient leur bile épaisse sur le massif de la langue; les milliers de ponctuations, de points de suspension, d'interrogation s'enroulaient, telles de ténébreuses lianes autour du cou comme s'il se fût agi d'un tronc recouvert de mousse; les centaines d'interjections, d'exclamations, faisaient leur somptueux toboggan sur la forêt de poils de la poitrine, certains s'accrochaient à la corniche étroite de l'ombilic, puis se laissaient choir sur l'éperon du sexe, finissant par se dissoudre dans le désordre des soies pubiennes. Tout ainsi s'écoulait vers l'aval du corps, dans une logique qui semblait irréversible, donc d'autant plus inquiétante qu'Hombre n'en pouvait percevoir l'intention finale, sinon celle d'un absurde en acte, genre de boule de Sisyphe qui se fût travestie en une infinité de fragments non reconnaissables mais tout autant destructeurs malgré leur forme de nanisme.

  Alors que sa silhouette menaçait à tout moment de disparaître sous cette avalanche de menues apories successives, Hombre, dans un ultime effort de volonté, parvint à s'extraire un instant de cette glu qui le piégeait comme la résine le fait du coléoptère que l'on destine au plaisir de la collection. Il lui fallait mettre le monde à l'épreuve, en tester le degré de réalité, en éprouver la chair luxuriante - en même temps qu'il soumettrait la sienne, cette chair constitutive de son humanité,  au feu de la vérité, celle-ci fût-elle tranchante comme le silex -, et il se mit à répéter quelques gestes dont il était familier depuis son enfance, lesquels, toujours, l'avaient assuré d'être Vivant parmi les Vivants. D'abord, il se mit à crier aux collines, aux dunes de sable, enfin aux montagnes et plus particulièrement à leurs cirques dont il savait la forme destinée à restituer la voix, cette nervure de l'essence humaine. Il disposa ses mains en cornet et, faisant face aux larges parois de basalte qui s'élançaient vers le ciel, lança un long cri qu'il modula sous l'espèce de quelques figures sonores, faisant varier les parois de son résonateur buccal. Un instant, il attendit que le son revint à ses oreilles. Il savait, par expérience que, parfois, ce phénomène était long à se produire. Il lança derechef une longue trille en direction des falaises de pierre : "É…cho; ééchoooo; éééchooooo…". Rien ne se passa. L'écho s'était perdu, quelque part, peut-être absorbé par une faille inaperçue. Hombre ne manqua  d'être troublé par cette absence qui lui paraissait, pour le moins, revêtir le caractère de l'étrange. Mais, Hombre n'était pas homme à lancer aussi vite le manche après la cognée et, poursuivant son chemin, se mit en devoir de faire un nouvel essai. Il fit face à la boule blanche du soleil, lequel, situé à mi-distance du nadir et du zénith était dans l'inclinaison optimale pour faire s'allonger longuement l'ombre portée de toute chose, eût-elle l'épaisseur du doute ou bien le ténu de l'indécision. Or, Hombre, pourvu d'une taille longiligne mais de haute stature - on se le représentera assez bien en ayant à l'esprit la gravure de Don Quichotte-, ne pouvait ignorer que son ombre, infiniment supérieure à sa taille réelle, s'imprimerait sur le sol de poussière avec la grâce que met le cerf-volant à animer le sol de sa traîne infinie pareille à une précieuse arabesque. Quand, se retournant, Hombre commença à s'apercevoir que nulle trace ne maculait ni l'herbe, ni les graminées qui dansaient innocemment dans le vent, sa sueur commença à faire deux longues rigoles de part et d'autre de sa colonne vertébrale et des rythmes de frissons se répandirent au creux des reins comme un vent mauvais. Sans doute, n'était-il pas encore suffisamment alerté de ce qui se passait juste une coudée au-dessous de la ligne de flottaison des choses et, obstiné de nature, il se résolut à faire rendre raison à tout ce qui venait à son encontre. Savoir l'origine de ce qui, ici et là, courait sur les chemins du monde, voilà ce qu'il était nécessaire d'entreprendre jusqu'à épuisement de ses forces. Questionner, accuser, mettre au pied du mur, se confronter à, rendre grâce de, questionner, s'enquérir, telle était la mission dont Hombre se pensait le légataire universel, l'Existant-tout-désigné avant que le terme de sa propre vie ne soit atteint. Mais pour faire rendre raison, c'était de provocation dont il fallait s'armer, afin que l'existence, acculée à son destin, consentît à parler haut et fort.

  Avisant une souche qui obstruait son chemin et voulant connaître l'identité du fauteur de trouble, donc cette raison qui se dissimulait dans l'entêtement du bois, il dégaina un violent coup de pied en direction de l'obstacle, proférant de concert : "C'est la faute à Voltaire." Mais rien ne se manifesta qu'une contusion subséquente et des douleurs évanouies aussi vite qu'apparues. Quant à la souche, atteinte d'une soudaine invisibilité, elle venait de s'absenter de la scène. C'est alors qu'il vit un chemineau qui venait vers lui avec l'air menaçant de celui qui en veut à votre bourse. Il lui jeta à la figure, comme si l'insulte était définitive et empreinte d'un acide mortel : "C'est la faute à Rousseau". Non seulement le Flâneur ne lui répondit point, mais il disparut du champ de vision d'Hombre, ne laissant même pas sur son passage l'empreinte qu'il eût dû laisser dans la boue fraîche et non moins réjouissante à une vue exercée à dénicher la beauté des choses partout où elle se dissimulait. La raison du Questionnant commençait à vaciller, comme commençait à se dissoudre toute sorte d'explication logique qui, habituellement, accompagnait tout phénomène affecté de visibilité. Sur la crête d'une dune éclairée par le soleil, quelques existences humaines apparaissaient comme sur le fond d'un théâtre d'ombres et s'évanouissaient dans un poudroiement se sable sans qu'on pût en deviner le motif ou bien le sombre dessin. Tout ceci était on ne peut plus étrange, atteint d'un bizarre surréalisme, peut-être d'un caractère fantastique dont les rouages demeuraient infiniment mystérieux. Mais, bientôt, ce fut la silhouette d'Hombre qui changea de dimension pour devenir simple projection d'une ligne sur la surface claire du sol. A demi-conscient de l'événement qui se saisissait de lui et voulant attribuer au souverain langage le souhait de conclure cette bien confondante aventure, Hombre saisit un bâton de craie qui traînait à terre et, sur un carré de ciment providentiel, se mit en devoir d'écrire son nom. Les mots lui paraissaient procéder d'une telle essentialité qu'il les pensait absolument inaltérables. D'une main naine mais qui se voulait sûre, le Petit Humain traça sur la pierre grise, cela qui le constituait anthropologiquement, à savoir ce nom qui lui appartenait en totalité, dont il était le seul possesseur, dont le règne était infini autant que singulier, affecté à une existence particulière parmi le grand déluge existentiel inondant le monde de ses milliers de bras, de jambes, de bouches, de mouvements, de gesticulations de tous ordres :

 

HOMBRE

 

  Son patronyme, il avait pris soin de l'écrire avec des Majuscules, afin que ceci pût affirmer la majesté de sa nomination et, prenant un peu de recul, afin de pouvoir juger l'effet de sa calligraphie, il s'aperçut bientôt que la première lettre s'était égaillée dans la nature, on ne sait où, comme saisie d'un inexplicable caprice. Donc il était simplement devenu :

 

OMBRE

 

et, bien évidemment, sans qu'il fût Champollion lui-même, ce genre de hiéroglyphe qu'était devenu son nom laissait deviner aisément la lourde symbolique qui, désormais l'habitait. D'Hombre à Ombre, il y avait le même écart ontologique qu'entre un Existant bien doué de raisons de vivre et Celui déjà happé par une proche finitude, dont le crépuscule s'annonçant n'était que la figure de proue. Cette nouvelle frappe du destin, il devait la faire sienne, l'intégrer à ce tremblement métaphysique qu'il était soudain devenu, à cette manière de perdition ne disant son nom qu'à titre d'une incomplétude. Mais le pire était sans doute à venir. Les lettres semblaient douées d'intentions, sinon maléfiques, du moins de projets aussi inquiétants qu'illisibles. Elles dansaient une singulière gigue, un menuet entièrement saisi d'effroi. Tantôt se mélangeaient - et alors c'était un phénomène de dépersonnalisation qui s'emparait del'Existant :

 

BOMER

 

Ou bien une lettre surgissait à l'improviste, venue d'on ne sait où, et alors le sens de L'Existant en était métamorphosé :

 

SOMBRE

 

Ici, l'on ne pouvait plus douter que l'Existant ne fût tombé dans de sales draps, si sales que, sans doute,la Mort rôdait en quelque couloir inaperçu : derrière l'épaule de la Dune mangeuse de vies, dissimulée sous les traits d'une inoffensive souche ou bien d'un chemineau figurant l'inquiétante silhouette deThanatos lui-même. Mais, cette apparition de l'Ombre immédiatement suivie de celle, jouissive en diable (tant pis pour les lettres manquantes !) du dieu de l'Amour lui-même :

 

EROS

 

Dans quelque recoin de sa mémoire, bien que celle-ci devînt défaillante depuis que l'Existant semblait régresser vers une condition plus qu'hypothétique, l'antique lutte d'Éros contre Thanatos, donc de la Vie contre son ennemi héréditaire, la Mort, cette lutte se reproduisait donc et il en était la victime apparemment toute désignée.

 

ROSE

 

Cette dernière anagramme, métamorphosant EROS en ROSE lui paraissait être du plus mauvais goût qui se pût concevoir, même si la couleur favorite de l'Amour était mise en relation, d'une façon plutôt logique, avec Eros qui en portait les éternels et indéfectibles attributs.

 

OSER

 

Enfin, fallait-il que les lettres soient prises de folie pour "oser" de telles substitutions de son patronyme, lequel devenait, maintenant, franchement incompréhensible et, sans doute, ne manquerait de disparaître dans un proche horizon. La prémonition d'Hombre - ou de ce qui en restait -, n'était pas une chose vaine et, par soustractions successives, la figure qu'il présentait au monde devenait si mince, inapparente qu'on finirait, sans doute, par l'oublier.

 

OSE

OS

O

 

Voici ce qu'il était devenu, cette simple voyelle dont la forme même, énigmatique, faisait davantage sens vers le mime d'un étonnement, d'une sidération, d'une perte proche dont une bouche devenait l'effigie à défaut qu'un corps doué d'entièreté fût commis à paraître. Hombre, en effet, était ce simple cercle tournant sur lui-même, cette manière de circonférence vide, cette aire de néantisation vers laquelle tout l'univers semblait destiné à s'engouffrer, aussi bien les Autres humains que les quadrupèdes, les montagnes crénelées, les fleuves étincelants, les arbres aux larges couronnes, les langues de feu, les maisons des humains, leurs véhicules prétentieux et toutes choses faisant sur la Planète ses voltes inutiles.

 

HOMBRE … OMBRE … OMBR … OMB … OM … O … O … … … o … .

 

était devenu cette sorte d'inconséquence infinitésimale, cette animalcule perdue dans l'immense soupe cosmique, sorte d'antiparticule, d'antimatière signant la fin de tout, à commencer par lui, . . . ce point d'infini, cette dernière aberration de l'essence humaine, cette ultime ponctuation de l'immense fable qu'avait toujours été le Monde, son incroyable prétention à exister, donc à sortir du Néant, à transcender l'Absolu en direction de l'Être, cette vaste blague, cette pantomime, cette commedia dell'arte, cette bouffonnerie par laquelle, un jour, un (.) , un seul minuscule (.) avait naïvement cru pouvoir devenir

 

o … o … O … O … … OM … OMB … OMBR … OMBRE … HOMBRE

 

   Mais reprenons, au début, à l'origine, Hombre n'était qu'un minuscule point (. ) sur la toile de fond

de l'univers, un imperceptible (.) qui flottait dans un non-espace, un non-temps et les choses étaient réduites à n'être rien que cette inconséquence sans début ni fin. Alors, il s'était dilaté autant qu'il avait pu, introduisant en lui ce qui lui manquait afin de parvenir à la dimension propre de l'exister, à savoir, de la distance, du décalage, de l'écart, de la disparité, de la distinction, de la divergence, de l'inégal, de la variété, de la différence, en résumé de L'ALTÉRITÉ. De telle manière que, devenant cercle, il faisait apparaître ce qui était lui et ce qui était non-lui. Il instaurait donc un lien de signifiant à signifié; il établissait les conditions mêmes du SENS, donc de la compréhension, de l'interprétation et de ce qui en constituait le fondement : le sublime langage.

  Mais il faut avoir recours au schéma afin que le propos s'éclaire, en même temps qu'Hombre se constituera sous la forme d'un  Existant "en chair et en os". Au début, l'EGO tournait à vide à l'intérieur d'une sphère close :

 

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em3.JPG

 

 

Puis, le cercle se substituant à la sphère, fit apparaître ce qui lui était extérieur, l'ALTER, d'abord comme élément séparé, dans un simple rapport de contiguïté :

 

em4

 

Puis la fusion des contraires ou "Coincidentia oppositorum ", réalisa le passage de l'un dans l'autre, c'est-à-dire le début de la constitution du sens qui est toujours passage d'un Signifiant (Moi) à un Signifié (L'Autre) :

 

em5.JPG

 

 

Dès cet instant, les oppositions totalisantes définissant la quadrature existentielle de l'Être, donc les orients selon lesquels pouvait se réaliser son empreinte sur le monde, mettant en relation ce qui, depuis toujours, ne semblait être contradictoire qu'à être conceptualisé dans des champs autarciques, manières de monades leibniziennes "sans portes, ni fenêtres".

  Le point devenant cercle ouvrait le sens des choses et leur mutuel échange parvenant à l'unité du tout, seule façon de rendre l'univers pensable et cohérent. Les jonctions s'établissaient dans une osmose douée d'intelligibilité :

 

 

 

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C'est cela même qu'Hombre avait vécu dans un processus d'involution le faisant passer, lui et les choses alentour, par le chas d'une aiguille. Cette rétrocession jusqu'à l'antre primitif, en tant qu'infime point perdu dans le vaste univers, il l'avait vécue jusqu'à "l'in-signifiance", à la non-reconnaissance de sa propre essence. Conscient de cette aporie le conduisant à n'être plus  qu'une pure abstraction privée d'altérité, donc de monde sur lequel pouvoir édifier un SENS et, tout d'abord un LANGAGE, il devait reprendre appui su cette forme minimale du point, en faire la condition même d'un tremplin ontologique qui le conduise à la dignité de l'existence. C'est simplement en direction de ceci, cette prise de conscience d'une ALTÉRITÉ qui nous constitue de fond en comble que cette minuscule fable était destinée. VOUSMOIALTEREGO, ne sommes que des points en attente de devenir cercles. Nos mutuelles affinités nous y conduisent. C'est pour cette raison que nous sommes HommesFemmes et souhaitons le demeurer aussi longtemps que possible. En dernière analyse, nous ne sommes Tous,Toutes, que ces lieux de passage, ces miroirs qui reflétons le monde à qui nous donnons lieu en même temps qu'il nous amène à notre propre parution. Jeu infini de miroirs se reflétant dans un infini de miroirs, ainsi en abyme jusqu'aux confins extrêmes du temps , de l'espace, points de suspension, tant que dure l'éclaircie. A notre insu ou bien le sachant, nous sommes au centre d'une cosmologie où se jouent, sur le mode de la réverbération, l'écho infini, l'ombre toujours portée au-delà d'elle-même, le mondeles hommesles femmesles oiseauxles nuagesla lunele soleilles arbresla mer et plein d'autres beautés dont nous ne prenons acte qu'en les regardant, donc en les créant. Il n'y a rien en dehors de notre regard que la solitude infinie des sidérations universelles !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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21 janvier 2014 2 21 /01 /janvier /2014 11:49

 

­­­­­­­Tout silence est un cri.

 

tseuc.JPG 

Œuvre : Barbara Kroll.

Technique mixte sur papier.

 

 

  Tout silence est un cri.  En attente d'être proféré. Le silence vrai, profond, absolu n'existe pas. Existerait-il et alors, c'est nous qui n'apparaîtrions pas, qui demeurerions scellés dans quelque inconnu inatteignable. Le silence, s'il parvenait à son essence, ne véhiculerait qu'effroi et perdition. Imaginons, un seul instant, que les bruits qui parcourent la Terre de leur museau chafouin s'évanouissent et nous serions perdus, entièrement voués aux gémonies. L'insoutenable nous saisirait à la gorge et les meutes de grondements sourds frapperaient de leurs gongs mortifères l'aire sidérée de notre cochlée. Car ce serait la Terre elle-même qui, libérée des agitations de la grande marée humaine, surgirait dans notre boîte d'os avec la même furie qu'une marée d'équinoxe. Nos osselets ne seraient que charpie sonore, l'enclume délivrerait ses percussions de métal, l'étrier ferait ses vibrations répercutées contre le cuir lacéré de la dure-mère.

  La Terre s'invaginerait en nous par tous les orifices disponibles, bouche, oreilles, sexe, faille rectale. Nous serions gagnés de l'intérieur, colonisés. Ces bruits de la Terre que l'agitation perpétuelle des hommes occulte, ces bruits donc s'étaleraient partout, dans l'immense territoire anthropologique livré à son soudain démembrement. Nous entendrions le long glissement des racines contre la tunique étroite du limon. Nous entendrions les cataractes de lave faire leur sourd bouillonnement tout contre l'écorce du globe, les écroulements blancs des majestueux icebergs et l'immense houle de glace consécutive, les rugissements solaires de l'étoile blanche plantée au milieu du zénith, les plaintes blafardes de la lune, le crissement des étoiles, la longue déchirure des nuages aux ventres lourds, le craquement des failles sismiques, le long raclement de l'eau au profond des abysses, l'écroulement des roches millénaires sous les assauts de l'érosion, le mugissement du vent sur les arêtes vives du monde. Une pure frayeur envahissant toutes les géométries libres du sensible.

  Mais tout ceci ne serait rien ou seulement une simple fiction s'imprimant sur les circonvolutions de notre imaginaire. Le silence de la Terre, ou bien son envers, le déchaînement dionysiaque des forces telluriques ne peut jamais être qu'une simple mythologie géologique. Mais ce qui est bien réel et plus préoccupant c'est le silence des hommes, leurs murmures éteints, leurs renoncements à paraître dans l'ordre de la parole. Pour l'accomplissement de son destin, la Terre dispose de l'empan immémorial de l'univers; l'homme seulement de sa frontière de peau : un temps étroit, des jours comptés comme des gouttes, un ruissellement que, bientôt, la poussière effacera. Dans la demeure exacte de l'exister, Celui-qui-paraît s'imprime sur le visage des choses à la mesure de son langage. Il n'y a guère d'autre secret afin de déployer la vérité partout présente qui ne fait face qu'à être convoquée dans des mots. Les mots comme concrétion ultime pour l'homme afin de témoigner. Ceci est une apodicticité lorsqu'on a éprouvé la puissance du poème, la force de la déclamation, le subtil vibrato de la voix. Seulement la parole est la chose du monde la plus répandue et la moins bien partagée. Sur les vastes agoras des cités, il y a les bavards, ceux qui parlent sans cesse, dressant autour d'eux de vivantes et polyphoniques tours de Babel, puis il y a ceux qui vivent à l'ombre de cette forteresse, que l'on n'entend pas, ils sont de mutiques rhizomes tapissant la glaise de leur hémiplégie native. Comme si, de toute éternité, leur langage s'était sédimenté, avait reflué à l'intérieur de leur tunique de chair mais, à leur insu, mais contraints au silence par l'hostilité des autres hommes ou bien, seulement, leur lourde indifférence.

  Ils sont légion les Condamnés-au-mutisme : les habitants des savanes où le bétail ne laisse plus voir que la radiographie de la misère; Ceux des slums promis à n'être que d'éternels apatrides; Ceux des favellas qui, depuis leurs villages de tôle et de carton, ne voient que les plages des Riches et la luxuriance du monde; Ceuxenfants, qui travaillent à façonner des cubes d'argile pour des maisons qu'ils n'habiteront jamais; Celles qui sont soumises à la loi d'airain de la domination du Mâle, encagées, violentées, livrées à la sordide prostitution; Celles qui travaillent dans les ateliers insalubres, surpeuplés, pour un salaire de misère alors que leurs tortionnaires les regardent à peine du haut de leur insupportable profit; Ceux qui, dans les sombres boyaux des mines extraient l'étain destiné aux loisirs des NantisCelles que des employeurs indélicats réduisent à l'esclavage, parquent comme des bêtes dans les réduits de somptueuses villas; Ceuxles Sans-logis qui dorment sur les plages de galets, face aux palaces étincelants de la morgue humaine; CeuxCelles qui, en raison des hasards de la naissance se retrouvent à l'ubac du monde, dans l'obscurité et la misère, alors qu'une minorité bien-pensante se situe à l'adret, sur le versant continûment ensoleillé, là où le langage fait son entêtant bourdonnement d'abeille, souvent de simples bavardages inconscients de leur propre fatuité.

 

 

  Mais un jour viendra, il n'est pas loin, il s'annonce, il fait ses préparatifs et surgira au ciel du monde comme la tornade s'enroule autour des palmiers échevelés et les aspire dans l'immense maelstrom de son œil dévastateur. Car le silence des Opprimés n'est qu'une halte, une pause avant que ne déferle le grand tsunami. Les mots ne meurent jamais. Dans l'enceinte des têtes ravagées, ils font leurs pelotes, ils bandent leurs arcs, ils enduisent la pointe de leurs flèches de curare, ils gonflent et dilatent la conque d'os, soufflent dans les poitrines pareils à des vents fous. Ils cherchent un orifice par lequel faire phénomène sur la grande scène du monde, l'immense pantomime dont les humains sont les piètres et consentantes marionnettes. Et alors quand ils ont atteint la sombre violence du désespoir, ils sortent du corps avec la furie qui sied aux grandes tragédies : ils déchirent le bandeau blanc qui obture leurs yeux; ils surgissent de la bouche occluse en lacérant les lèvres et c'est un badigeon écarlate qui macule le bas de leur visage; ils vibrent au bout des doigts avec des brillances de lumière à arc; ils s'évadent des lourdes poitrines, semant leur laitance acide, sulfureuse; ils jaillissent de l'ombilic en filets de bile verte; ils s'évadent de l'antre du sexe et répandent au sol des généalogies de vies avortées; ils sourdent des boulets des genoux avec des relents de poudrières; ils bondissent avec des rugissements d'osselets de la pliure des métatarses. Alors, bien évidemment, les victimes se comptent par millions. Partout sur la Terre, dans les rues des villes, au bord des océans, sur les plateaux d'herbe, dans les plaines où souffle le vent, les ruisseaux d'hémoglobine, les cataractes de chair, les lambeaux de peaux font leurs inutiles drapeaux de prière, leurs offrandes étiques, leurs libations stériles en direction de dieux qui n'existent plus. Les hommes, se prenant pour ces inatteignables icônes, ont retourné contre eux une longue patience qui s'est métamorphosée en pure folie. Bientôt le déluge de sang se retirera de la conscience des hommesLa Terre boira l'inconséquence humaine jusqu'à la dernière goutte et, comme la mémoire des Existants est, depuis toujours, livrée aux assauts de l'amnésie, les Riches regagneront leurs demeures armoriées, les Pauvres leurs caniveaux désolés. Ainsi va le monde. Tantôt bavard, tantôt silencieux, mais toujours étrangement sourd aux plaintes qui montent de l'ombre et qui, jamais ne voient le jour ! 

 

 

  

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 09:52

 

La terre : une pensée ductile.

 

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 Jurga Sculpteur.

 

 

    "La terre". Dire ceci et déjà nous sommes au-delà de nous-mêmes dans une pensée en train de se constituer. Sans doute une pensée primitive comme peut l'être un sentiment originel. Diffus, si loin dans le temps. Mais intimement présent. La terre comme genèse. Sans doute une pure fiction, mais peu importent les fondements, c'est notre ressenti qui, seul, compte. Donc l'origine comme simple glaise que l'eau vient porter à sa plénitude. Puisqu'aussi bien, il ne saurait y avoir terre sans eau. Terre seule, et ce n'est que fissure et, bientôt, poussière. Eau seule et la fuite liquide est éternelle. Donc confluence de l'eau et de la terre afin que, du geste démiurgique initial, puisse surgir la merveille anthropologique. TousToutes, nous sommes imprégnés, sinon de cette foi, du moins de ce puissant archétype qui parcourt l'humain depuis la nuit des temps. Donc nous sommes eauterre; donc nous sommes océaniques et terrestres, indissolublement. Ceci comme une vérité qui parcourt notre anatomie à bas bruit, tout juste une hésitation au-dessous du niveau de la conscience. Notre chair est une terre. Notre sang, nos cellules charrient cette eau millénaire. Comme une source dont nous devrions constamment nous abreuver afin de ne pas déserter nos propres racines.

  Si la terre revêt immédiatement un caractère spatial - nous pouvons la modeler à l'infini sous de multiples esquisses qu'il nous sera loisible de  renouveler selon notre propre fantaisie -, en elle peut également se lire la projection d'une temporalité. Mouillée elle est identique à l'instant  dont elle peut revêtir la forme fugace. Sèche, elle commence à s'inscrire dans la durée mais avec un caractère encore éphémère. Cuite au four, elle devient quasiment séculaire sinon millénaire, à la limite de l'intemporel. Enfin, émaillée, c'est rien de moins que le caractère de l'éternité qui se fonde en elle. Tout ceci, cette dimension de la terre à signifier d'une manière polyphonique, dans des déclinaisons aussi diverses, peu de matériaux peuvent y prétendre, lesquels semblent affectés d'une rigidité native. Ils semblent, par nature, immuables, ce qui les circonscrit à une signifiance d'autant plus étroite. Or, si comme il a été dit plus haut, nous soutenons la thèse de notre appartenance à une genèse, comment faire l'économie d'un parallèle de l'homme avec le matériau sublime qui l'a porté à la parution. Comment ne pas voir dans la temporalité de la terre, avec ses quatre âges successifs la métaphore du cheminement humain? Enfance, jeunesse, âge mûr, vieillesse. Bien évidemment, les esprits épris d'une juste rationalité allègueront le défaut, chez l'homme, d'une possible éternité. Sans doute auront-ils raison. Mais à réintégrer l'œuvre d'art dans la dynamique humaine, l'on rétablit en même temps le caractère universel et éternel qui en constitue l'essence. Immortel, l'art nous lègue depuis des millénaires des œuvres qui, jamais ne s'effaceront. Témoins les merveilleuses lampes à huile, coupes, amphores, jarres et autres figurines de l'époque hellénistique, par exemple. 

   Mais, maintenant,  il nous faut nous disposer à regarder adéquatement une œuvre contemporaine que nous désignerons comme "Le Penseur". Comment, en effet, faire l'économie de l'œuvre de Rodin -l'Artiste y pensait-elle lors de sa création ? -, alors que les affinités sont évidentes.

 

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Le Penseur.

Rodin.

Source : Les expositions

et événements parisiens.

 

 C'est moins la figure qui nous questionnera ici, que la matière dans laquelle chaque œuvre a été exécutée. Commençons par Rodin. L'œuvre impressionne par la rigidité de sa posture, par le caractère d'airain qu'elle dégage - rappelons qu'elle est coulée dans le bronze -,  par l'austérité dont elle est porteuse. Ici, l'on est à la limite de l'idée de forme, sans doute dans la catégorie des Intelligibles ou formes platoniciennes immuables, intangibles, identiques à elles-mêmes, et, surtout, indépendantes de la pensée. Pour une juste représentation de cette dernière, la pensée, l'on pourra se questionner sur le paradoxe. Quant à la station temporelle, Rodin, par son choix d'une matière si exacte, en reste à l'éternité, à défaut de convoquer l'instant, la durée relative ou le caractère millénaire. Manière de fixité dont le Voyeur de l'œuvre ne peut qu'être atteint lui-même. Or, l'essence de l'homme, essentiellement temporelle, ne saurait s'affranchir de l'une quelconque de ses composantes.

  Et, maintenant, comment percevons-nous le traitement contemporain de cette même pensée ? La matière est chaude, souple, modelée dans cette pâte primitive dont on devine encore la somptueuse douceur, l'obéissance au doigt, la souveraine plasticité, la ductilité à nulle autre pareille. La trace de l'Artiste y est présente. Nous pouvons encore y déceler ses hésitations, ses doutes, ses irrésolutions, mais aussi bien ses décisions, ses impératifs et l'imposition d'une volonté mesurée imprimant ses mouvements à la matière. Mais, ici, il existe comme un consentement du matériau à figurer selon telle ou telle esquisse. La céramique est  vivante, douée d'une âme si visible qu'on la toucherait du doigt comme on le ferait d'un insecte fragile. L'émotion est là, dans la vacance du regard - la pensée porte toujours au loin celui qui s'y adonne, mais non dans une attitude anonyme, abstraite, déréalisée. La pensée est du réel porté à l'incandescence, du pur cristal faisant sa vibration. La pensée, on la voit. Ici sur le modelé du visage, la pliure des cheveux sous le tourment intérieur, la tension de la nuque tout entière portée vers l'objet de sa contemplation. La pensée on perçoit ses linéaments subtils sur la falaise oblique du front, ses circonvolutions dans les mains faisant retour vers la conscience. La pensée est cela qui nous parle un langage intérieur depuis un extérieur qui l'annonce dans une manière de donation si proche de l'évidence que nous en ressentons les vives éclaboussures, le flux et le reflux, le bourgeonnement infini. C'est cela la forme : l'entrée dans un sens immédiatement perceptible, lequel ne nécessite ni savante propédeutique, ni allégeance à quelque savoir crypté. Ici, la pensée est charnelle, a la consistance d'une pulpe à laquelle s'abreuver longuement. Voyeurs de l'œuvre, nous devenons instantanément cette Pensée qui pense l'œuvre qui, elle-même est pensée. C'est comme un cercle herméneutique qui s'instaure dans lequel nous nous immergeons et sommes des Penseurs. La seule chose qui soit possible face à ce qui, identiquement au symbole "donne à penser" selon la belle expression de Paul Ricoeur. Nous avons eu affaire à une "terre pensante" que nous n'oublierons pas, pas plus qu'elle, ne nous oubliera. Il en est ainsi de toute chose pourvue d'une âme. Assurément ici, l'enjeu était de telle nature !

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 09:51

 

Un lieu où réfugier la peur.

 

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 Œuvre de Marc Bourlier.

 

 (Cette mince histoire en forme d'allégorie, voudrait attirer l'attention sur ces œuvres qui, pour paraître modestes, n'en sont pas moins grandes. C'est bien leur simplicité émouvante qui les rend attachantes. L'art n'est jamais mesurable à sa forme achevée, pas plus qu'à la matière dans laquelle il trouve son accomplissement. Or, si l'a priori était tel, que seule  la matière noble créerait  les conditions de son émergence, l'or des Incas - pour précieux qu'il est -, supplanterait toutes les magnifiques totems sacrificiels africains enduits de sang , bouillies et autres bières communielles, alors que le rite est porté à la vertu d'une cosmologie voulant dire l'ordre du monde. Ici, peut-être, avec ces minuscules Totems de bois, un culte est-il rendu à quelque ancêtre primitif, peut-être cet Arbre millénaire - image archétypique du Temps - , qui lui donna vie en des flux  temporels si éloignés que nous les qualifions "d'immémoriaux". La tentative d'animer ces fétiches revient, en se remémorant leur bien étrange itinéraire, à les doter de l'esprit qui en parcourait les fibres élémentaires pour, aujourd'hui, en retrouver quelques signes. Il ne saurait y avoir guère de définition plus éclairante de ce qu'est, précisément, une signification : la liaison entre un signifiant et un signifié. Du signifiant-Bois au signifié-Esprit qui en constituait le fondement, comme le ciel est au fondement du nuage.)

 

 

    Les Petites Figurines de bois vivaient à l'origine sur l'Île d'Utopie, entourées d'une mer aussi bleue que le céladon, avec quelques reflets verts pareils aux feuilles des nénuphars. Ils étaient de simples planches usées par le vent et le frottement du sable, des écorces tombées au sol, des tenons et mortaises désassemblées par les hasards du destin. Ils vivaient leur vie à l'ombre des palmiers et se mettaient au soleil quand la brise se levait afin de rafraîchir les fibres de leur chair. Ils n'avaient guère d'autre occupation que de méditer, de longues heures durant, comptant les grains de silice et les plumes des goélands qui faisaient dans l'air leur tumulte d'écume. Les plus sages d'entre eux s'adonnaient à l'exercice de la pensée, les plus frivoles à soulever les écailles qui tenaient lieu de jupes, ce dont leurs Compagnes sylvestres ne s'offusquaient point car il ne s'agissait que d'un jeu puéril. Donc sans autre conséquence que celle d'un pur divertissement. L'Île était peuplée de tout un joyeux carrousel d'Habitants pas plus hauts que trois noix de coco. Leur peau était couleur de terre et leurs yeux brillants comme la porcelaine. La plupart des Îliens s'occupaient à la pêche et à la sculpture du bois qui parsemait les plages de corail.  C'est ainsi que ces Petites Dérisions flottées, que la mer rejetait sur la côte étaient devenues, au fil du temps, ces étranges Figurines en tous points semblables à de gentilles marionnettes, trois chutes de bois leur tenant lieu de nez et d'oreilles, alors que trois trous figuraient les yeux et la bouche. Leurs corps étaient uniment droits, comme s'ils s'étaient érigés en haut d'un manche à balai. Autant dire leur apparence commune, dépouillée, faisant plus dans la sobriété que dans l'exubérance. Chacun, sur l'Île, s'accordait à leur reconnaître une beauté ordinaire, sans aucune fioriture, ce qui semblait confirmer l'idée d'une inclination à vivre dans la modestie et de se contenter du sort commun qui est le signe des âmes simples.

  Tout aurait pu durer ainsi jusqu'à la fin des temps si, un jour, n'avait débarqué sur l'Île, une sorte de Robinson Crusoé, cheveux en cascade, barbe hirsute, bonnet à poils, genre d'aventurier à la peau boucanée et au verbe haut. Pour direct et ouvert qu'il était, il n'en semait pas moins une manière de zizanie parmi le peuple des Cocophiles et celui des Boisés. Car cet homme étrange venu de quelque péninsule lointaine - son embarcation munie d'une voile était des plus étonnantes qui fût, avec sa tête de mort et son croisement ossuaire -,  et les histoires qu'il distillait à longueur de journée fascinaient tellement les Petits Personnages qu'on les eût dit atteints de quelque catalepsie. Eux qui avaient coutume de flotter entre deux eaux, de cabrioler sur la crête des vagues, voici qu'ils demeuraient, des heures entières prostrés sur leur monticule de bois comme si d'invasives échardes les avaient cloués sur une étrange cimaise.

  Ils ne s'animaient guère qu'à l'aune des raconteries de l'Aventurier, lequel prétendait que sa Péninsule était le lieu de tous les plaisirs, qu'on y vivait heureux à simplement y respirer l'air et à flâner dans les rues, là où étaient les boutiques bariolées et la foule des badaudsLes Petites Figurines ne comprenaient pas exactement ce que Robinson leur racontait et, c'est bien cette part d'étrangeté qui les saisissait au mitan du bois, les métamorphosant en de vibrants désirs. Un soir de pleine lune, alors que tout le monde flottait dans des rêves célestes, les Boisés montèrent à bord de l'embarcation et, tant bien que mal, firent gonfler la voile qui, déjà, les emmenait vers le Pays des songes. Ils devaient en revenir, mais en revenir vraiment au sens propre, bien  avant que Mathusalem n'atteigne ses 970 ans, mais ceci est une autre histoire. Donc ils naviguèrent au milieu des vagues bleues et des crêtes blanches. Ils croisèrent des dauphins et des bancs de poissons argentés. Ils longèrent des cargos au ventre dodu et échouèrent au pied d'une immense colline de sable, semée, par endroits, de pins à la majestueuse corolle. Ils mirent bâton à terre, firent quelques pas d'unijambistes et, se grattant le liteau se dirent qu'ils avaient bien fait de quitter cette Île où le temps était aussi immobile qu'un mirage au milieu du désert.

   Ils prirent un peu de repos et s'allongèrent sur la plage afin de dégourdir leurs fibres. Une douce chaleur commençait à s'insinuer dans leurs veines lorsqu'ils entendirent, venant du haut de la dune, des bruits de voix. Ils demeurèrent là où ils étaient, curieux de voir à quoi ressemblaient les IndigènesLes Boisés étaient restés assemblés car ils étaient animés d'un instinct grégaire, lequel abritait une chaude amitié et une naturelle disposition à aider son prochain. Bientôt la plage fut envahie d'une bande de joyeux fêtards qui semblaient tout droit sortis de quelque boîte de Pandore. Chacun semblait avoir été investi d'une mission que les Petits Îliens ne pouvaient guère comprendre, eux qui avaient toujours vécu au contact d'une nature immédiate et généreuse qui ne connaissait aucune sophistication. Les Nouveaux Venus, découvrant le Petit Peuple, n'avaient de cesse d'en explorer les étranges facettes. L'un d'entre eux, du bout de son pied chaussé de cuir, envoya quelques Fragments de Bois en direction de l'eau, alors qu'un autre s'ingéniait à agrandir les trous des yeux et de la bouche à l'aide d'un poinçon et qu'un dernier, du bout de sa cigarette commençait à faire brunir la croûte qui menaçait de s'enflammer. Des Curieux et Curieuses sortis d'on ne sait où parcouraient la vaste plaine luisante tapant dans tout ce qu'ils rencontraient : bogue d'oursin, os de seiche, cordages usés, débris de troncs. Décidemment, c'était une bien étrange occupation que celle de ces Déambulants qui semblaient animés d'une rage à l'encontre des choses, fussent-elles les plus inoffensives. Parfois, certains approchaient des Petites Effigies un genre d'œil cyclopéen qui les fixait avec insolence, bientôt suivi d'un éclair aveuglant. Invariablement cette action étrange était-elle suivie d'une bruyante exclamation, comme s'il se fût agi d'un exploit.

  Bientôt les Venus-de-l'Île furent parcourus de bleus et de frissons, d'ecchymoses et de contusions et leurs corps menaçaient de rompre sous les assauts des meutes urbaines. Bientôt la folie mondaine des Hommes-ordinaires mettrait en danger la moindre Petite Eminence Boisée ou bien de branche lisse qui s'aventurerait hors du terrier originel, cette Île qu'ils avaient désertée, croyant trouver dans un ailleurs prometteur les délices qu'ils venaient de délaisser pour un paradis factice. Celui d'une terre où de bizarres comportements trouvaient leur site, où la brusquerie tenait lieu de civilité, l'outrecuidance supplantait toute forme de rencontre. Décidemment, ces Humains qui battaient le sable de leurs empreintes grossières étaient aussi peu fréquentables que l'est le pic-vert pour une famille de vermisseaux ! Il fallait agir sans délai. Il fallait retrouver la conque primitive, celle qui, entourée des Trois-Pieds-de-Coco, leur avait donné la grâce d'exister, l'aisance à être sous des cieux qui n'avaient rien de provisoire alors qu'ici, sous ce monticule de sable fréquenté de Bizarres, ne s'annonçait que l'étroitesse du jour et la mesure de l'ombre compacte, muette, donatrice de mort.   

  D'une vieille tôle qu'abritait une cabane de planches ils firent une embarcation, se blottissant autant qu'ils le pouvaient dans ce cercle étroit qui ressemblait tellement à la félicité de leur Île. Longtemps, de leurs souffles arrondis, ils simulèrent une hypothétique voile sur laquelle ils appuyèrent leur vent subtil afin que pût être atteinte Utopie dont ils sentait le ressac trembler dans l'âme même de ce bois qui les constituait.

 

  Lecteurs, Lectrices qui vous penchez sur leur touchante histoire, lorsque, sur la plage vous trouverez un de leurs minces et modeste coreligionnaires posez-le au creux de votre main, modelez-le en forme d'Ebauche boisée avec trois trous et trois bouts de volige pour le visage, une éclisse droite pour le corps et confiez-le à l'eau limpide. Soyez alors assurés qu'il cinglera vers cette terre originelle qui mit au monde ses semblables pour le bonheur de vos yeux. Car ces modestes Silhouettes, sans doute par une juste intuition, savent établir le profil d'une vérité. Celle-ci qu'ils découvrent toujours auprès de Ceux, Celles qui leur prêtent attention avec tout le respect que l'on doit au Modeste, au Simple, cette si belle effigie de la parution sur Terre  

 

 

 

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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 09:13

 

Au-delà des êtres périssables.

 

addep 

 Caspar David Friedrich 

L’Abbaye dans un bois (1809)

Source : Wikipédia.

 


 

(Écriture à 4 mains - Le texte en graphies rouges est celui de Senancour - Le texte en graphies noires est le mien. NB : Petit essai, au travers du temps, de développer quelques thèmes qui traversent l'Histoire.)

 

 

 "Ma situation est douce, et je mène une triste vie. Je suis ici on ne peut mieux ; libre, tranquille, bien portant, sans affaires, indifférent sur l’avenir dont je n’attends rien, et perdant sans peine le passé dont je n’ai pas joui. Mais il est en moi une inquiétude qui ne me quittera pas ; c’est un besoin que je ne connais pas, qui me commande, qui m’absorbe, qui m’emporte au delà des êtres périssables..."

 

Etienne de Senancour.

Oberman

                                  LETTRE XVIII.  (Extrait).                            

 

 

"Ma situation est douce, et je mène une triste vie.  Mais comment l'existence peut-elle associer douceur et tristesse si ce n'est par la vacuité de tous les instants qu'elle introduit en notre âme alors même qu'une paix semblait nous être acquise ? Ici, dans ce Manoir retiré du monde - les champs alentours sont l'idée même d'un lent océan -, alors que nul bruit ne me parvient que celui de quelques oiseaux nichant dans les cèdres centenaires, comment cette lassitude de l'esprit à se mouvoir peut-elle se manifester ? C'est une bien grande usure du corps que de le sentir incapable d'imposer sa loi à une volonté défaillante. Mais sans doute, s'agit-il moins de volonté que d'une décision du destin à mon encontre. C'est comme une sombre menace qui envahirait l'azur, répandant en son sein de bien funestes nuages. Et pourtant, qui passerait en cet endroit retiré du monde, disponible à la rumeur du vent, au chant de la source, aux sourds craquements de la glèbe en retirerait aussitôt un sentiment de plénitude. Penchant de tout homme à s'immerger dans ce qui l'accueille avec bonté et ne semble rien demander en retour.

  Je suis ici on ne peut mieux et, souvent, au cours de mes rêveries, je me surprends à penser à ces merveilleuses "Charmettes" du bon Rousseau, à cette "maison blanche avec des contrevents verts…une couverture de chaume" et quoique ma demeure ait des volets couleurs d'argile et un toit en tuileaux, je me sens quelque affinité avec le logis que souhaitait le Citoyen Genevois. A moins que mon inclination à aimer ce décor rustique n'ait pour fondement, davantage l'amour du Philosophe que le style de sa demeure qu'il souhaitait campagnard afin d'être en accord avec lui-même.

  … libre, tranquille, bien portant, sans affaires; libre en effet, mais au sens de l'absence de contraintes, non en raison d'un choix que ma conscience m'aurait dicté. Tout, ici, coule uniment sous la couleur éternelle du ciel, sous le glissement infini des nuages. Comme si rien, jamais, ne devait plus entraver le cours des choses. De l'insaisissable à portée de la main, de l'inatteignable à profusion, de l'invisible couché sous la lame distraite des yeux. Que ne puis-je saisir ces instants pareils au galop de l'alezan dans les prairies semées de vent ? Que ne puis-je devenir souple crinière et m'accoupler à l'air, entendre ses murmures, connaître ses secrets ? Certes ma santé est suffisante et hormis quelques douleurs vite effacées, l'indolence est mon ordinaire. A tel point que certaines parties de mon corps sont des isthmes attachés au continent de l'âme par une terre à peine perceptible, un simple filament oublieux de lui-même. Quant à mes affaires, elles se résument à peu de choses et mon souci serait plutôt de n'en pas avoir, livré à la mesure incontinente des jours, à leur bavardage subtil mais cerné, toujours, d'une impalpable inquiétude.

  … indifférent sur l’avenir dont je n’attends rien d'autre qu'une suite anonyme des heures, une fuite à jamais des secondes. Le plus clair de mon temps confié à mes livres dont l'inventaire toujours recommencé est pareil à ce qui fuit derrière l'horizon et que, jamais, nous ne rattrapons. Jadis, les maroquins sombres, les dos luisants marqués au fer me tenaient lieu de projet. A seulement en regarder l'ordonnance au milieu des chaudes boiseries, mon bonheur était assuré. Et puis, parfois, un titre attirait-il mon attention et je n'avais de cesse d'en relire des passages cent fois lus. Maintenant les lettres défilent sous mes yeux hagards comme la rivière poursuit sa course liquide sous le couvert des arbres, dans une manière d'égarement de soi.

  … et perdant sans peine le passé dont je n’ai pas joui. Ce passé qui n'est plus qu'un lointain écho, une veine d'argile se perdant au profond de la terre. Ce passé que, tous les jours, je rejoins par les vertus du songe, par les ruines qu'il ne manque pas d'évoquer, dont la vieille Abbaye non loin du Manoir est la mortelle image. Pourquoi donc les choses ne demeurent-elles pas telles qu'en elles-mêmes ? Pourquoi cette impermanence qui étreint le corps, vide l'esprit, emplit la pensée d'une passion aussi envahissante que vaine ? Mais que pourrions-nous retirer à faire surgir des nuits anciennes quelque souvenir dont, aujourd'hui, la lumière vacillante éclairerait notre cheminement ? Ces temps sont fossilisés au même titre que ces pierres usées qui n'ont plus rien à nous dire. Aussi pathétiques que ces arbres lançant contre le ciel les lézardes noires de leurs branches. Il faut nous résoudre, nous aussi, dans quelque repli de notre âme, à accueillir les prémices de cette mort à laquelle nous pensons continûment, mais dont personne ne veut nommer la faux définitive. Car les choses sont sans retour et nos yeux se portent au ciel, à sa vacillante lumière, plutôt que de chercher à apercevoir les fondations, les racines qui s'égarent dans les ombres denses du sol. Nous ne jouissons du temps qu'à le voir fuir, nous échapper puisque telle est son essence à jamais occluse. Là est bien cette réalité que nous assignons au silence, que nous destinons aux oubliettes de l'entendement. Mais à quoi bon s'indigner puisque notre condition est mortelle et que nous ne vivons qu'à défaut  de ne pas encore mourir ?

  … Mais il est en moi une inquiétude qui ne me quittera pas, depuis toujours je l'éprouve sans en bien saisir la silhouette. Depuis toujours elle m'habite et fait ses ramifications, enserre ma poitrine dans un réseau serré de mailles, étrécit mon souffle à la taille du doute fin comme la lame.  …c’est un besoin que je ne connais pas, qui me commande, qui m’absorbe, et contre lequel il ne me servirait à rien de m'élever. S'insurgerait-on contre la fuite du vent, la lumière des étoiles, la cascade chutant sur les rochers  dans une myriade de gouttes étincelantes ? Il en est du destin de l'homme comme du cours des fleuves; parfois nous les contraignons en édifiant des barrages à leur encontre, mais l'aval les appelle qui, toujours, les gagne à son territoire, la mer où vivent les majestueuses vagues. Et la mer est toujours inquiétude : sous la face brillante qui réfléchit le ciel, est l'abysse impénétrable habité de poissons aveugles. Au fond de moi, en quelque habitable obscur, depuis les lointains de l'enfance, je sens palpiter cette eau de lagune triste, cette immobilité immémoriale qui me rattache, par-delà ma conscience, aux forces primitives qui m'habitent, comme elles vacillent en  tout homme, mais dont il se dissimule l'existence. Je la sens là, aux aguets, cette invincible force, cette puissance démiurgique, ce tourbillon infini … qui m’emporte au delà des êtres périssables..., qui a pour nom "NÉANT". C'est par lui que j'existe, c'est par lui que je meurs. Comme les ruines de l'Abbaye qui s'écroulent pour retourner à leur origine, ce sol dont elles ne s'élèvent que l'espace de paraître à la manière d'un symbole dressé devant la conscience des vivants.

 

 

 

 

 

 

 

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 09:31

 

La lame étroite du Rien.

 

 LLÉDR

 

Eneas Fog

 

 (Sur une page de Milou Margot).

 

 

"El líquido amniótico
y la laguna Estigia.
Entre dos aguas,
nada."

Antonio Rivero Taravillo

 

EL HOMBRE

 

 

   L'eau d'abord.

 

 C'est tout juste un point à l'horizon du monde, un germe en attente de voir, une oreille disposée à des échos si lointains qu'on les dirait issus du songe. C'est à peine une aube et la lumière est celle des gemmes, lente à se mouvoir, pareille à une résine. Les mouvements sont si doux, faibles oscillations, pure poésie disant le lieu originel, la conque donatrice de forme. Hombre est là, dans sa nacelle liquide, non encore issu de lui-même, seulement un pli avant que ne s'ouvre le sillon du sens. Il y a un langage, ou plutôt l'amorce d'une comptine et, au travers du dôme étoilé - un cosmos est en train de naître -, les sons font leur susurrement, leurs glissures souples, leur alunissement amniotique. C'est si bien cela qui sort du silence avec tout juste ce qu'il faut de voix, de présence pour dire l'effigie de l'homme, sa découverte étonnée dans si peu de temps, son immersion dans la grande marée battant les cinq continents de ses flux éternels. Alors, dans sa niche ontologique, Hombre, non encore parvenu au dépliement de la pensée, se love infiniment au creux de cette doline subtile qui féconde la moindre de ses reptations. Comme recueilli sur l'événement à venir. Pas encore homme, tellement semblable à l'hésitation animale à paraître sur la scène de l'exister. Pattes repliées sur la bosse du ventre, tête aussi lourde qu'une boule de glaise, plaine du dos doucement incurvée, long cordon faisant sa vrille aux confins de la Planète-Mère. Le museau est si fin, à peine fendu par l'ébauche de la bouche, et les yeux ne sont encore que deux minuscules points aveugles inconscients de la clarté nocturne de l'antre qui l'abrite. Une manière de pré-conscience heureuse d'elle-même. C'est si rassurant cette position d'attente par laquelle le monde s'annonce dans les lointains. Un peu comme un Marin sur son embarcation perçoit la terre enveloppée de brume sans en bien reconnaître les formes. Une promesse d'accueil, la survenue d'un port entre les pierres grises du quai, la ruelle à gravir, le seuil de la demeure, la table dressée, un feu dans l'âtre et des bras qui serrent pour contenir l'exil.

 

   La terre ensuite.

 

  Alors est la terre ferme qui rassure et mutile, donne et reçoit, abrite et exige. Car la terre, à l'opposé de l'eau, demande son dû, réclame son lot de sueur. La griffe, il faut la planter au cœur de l'humus, y introduire la semence, attendre le soleil, le cycle des saisons afin que le déploiement ait lieu qui nourrira les hommes. La terre est dure, la terre est inhospitalière et Hombre doit panser ses plaies, ôter de son visage les échardes du soleil, lisser son épiderme tailladé des morsures des ronces. La terre est aride, parcourue d'immenses lézardes qui boivent les pleurs des Existants. Car exister sur terre, sous la plaque dure du ciel, juste au-dessus de la poussière prolixe, sous l'assaut des maladies est toujours une redoutable épreuve. L'eau est loin qui disait l'origine, la douceur de vivre, l'Eden avec ses arbres aux fruits denses, ses cascades vives, ses guirlandes de fleurs comme des sourires venus de l'azur, ses étoiles d'herbe attendant la pause des Premiers Venus. Cela paraît si loin cette île qu'Hombre n'avait connu qu'à la manière d'un chiot nouveau-né, avec la bave faisant ses filets de cristal, les pattes leurs moulinets naïfs et primesautiers. Simple boule en attente d'un devenir tellement illisible. L'eau maternelle faisait sa cloison immatérielle, son duvet, sa percussion d'écume et Hombre, depuis son épidermique comète n'en ressentait que le battement assourdi, l'espèce de balancement lié au rythme naturel des choses.

  Mais, un jour, les eaux ont rompu la poche céleste, le déluge a eu lieu, livrant Hombre au monde hérissé de piquants où roulent les bogues des oursins. Il lui faut nager, longtemps, avant de trouver l'autre rive, la liquide, la terminale qui le sauvera de sa terrestre aventure. Mais il lui faut nager à sec, sur la terre, en rampant comme le ver,  contracter ses anneaux, puis s'étirer longuement avec les mottes qui déchirent le ventre. Car, ce que traverse Hombre, à la force de ses convulsions, de ses pathétiques contorsions, n'est autre chose que le RIEN, lequel s'étend toujours entre deux océans équivalents. Océan de l'avant-vie; Océan de l'après-vie. Mais cela, avant même de surgir dans la matière opaque du monde, Hombre ne le savait pas, ne pouvait le savoir. Ses ancêtres, comme lui, un jour, avaient déboulé, tête la première, dans la grande marée tellurique, avaient usé leurs membres jusqu'au moignon. Car l'essence de la Terre est de faire disparaître ce qui lui est confié. Une éthique de l'usure, une morale du délitement, un principe de l'effacement. Nul ne peut y échapper, sauf les fleuves et rivières lorsque, par bonheur, ils ne s'assèchent pas dans quelque faille mortelle. Hombre, tout comme ses semblables, dispose d'un corps que le temps - métaphoriquement la Terre -, use consciencieusement jusqu'à épuisement du sens. Bientôt, parmi les allées du monde, ne subsistent plus que d'infimes monticules pareils à de la cendre que le vent disperse aux quatre horizons de la destinée humaine.

 

 

   L'eau enfin.

 

  Rendu à une manière de forme originelle - la cendre est si proche de l'eau, de son parcours échevelé -, Hombre embarque pour le Styx, ultime voyage qui le mènera au travers des courants de la Haine, des rivières de flammes de la Passion, des fleuves du Chagrin, du torrent des Lamentations, du ruisseau de l'Oubli vers les marais du monde chtonien, les seuls à même de prendre en considération la condition aquatique dont la Nature l'avait pourvu mais dont, par une coupable inconséquence, il avait voulu s'affranchir afin de goûter aux joies terrestres. Mais ces joies ne sont pas à destination de l'homme, seulement réservées aux  arbres aux larges et profondes racines, aux reptations de la lave, aux gemmes brillant dans les veines sombres du limon, aux reflets métalliques qui sourdent de la nuit  immémoriale de la matière. La terre est trop primitive pour recevoir la chair de l'homme et la faire prospérer. La chair de l'homme est océanique, c'est-à-dire ouverte à la poésie et aux choses de l'âme, aux principes subtils.  C'est pour cette seule et unique raison que Styx, l'Océanide, fille d'Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (La Nuit) vient toujours reprendre son dû, cet Hombre (L'Ombre) que l'homme est toujours à défaut de pouvoir demeurer longtemps dans la lumière. Hombre est cet intervalle entre deux infinis, deux libertés d'égale valeur, l'Océan amniotique originel par lequel il surgit au plein jour, l'Océan final dont il fait sa dernière demeure. Son passage sur Terre n'est que cet éclair  pareil au Rien, cette temporalité dont il est tissé mais qui, toujours lui échappe, qui s'appelle existence, dont l'étymologie essaie de l'arracher à ce Néant constitutif, sans toutefois pouvoir y parvenir. Le destin de l'homme est donc tragique à n'être que cette brève illumination. Mais la beauté est toujours un vif éclat qui ne dure pas, comme l'aube ne paraît qu'à laisser l'aurore lui succéder dans une gloire de clarté. C'est l'éphémère de la vie,  que le Poète a voulu traduire en une formule aussi belle qu'elliptique. Nous pouvons la formuler de la manière suivante :

 

"Liquide amniotique et Styx.

Le Rien entre les deux."

 

"El líquido amniótico
y la laguna Estigia.
Entre dos aguas,
nada."

 

  Il n'y a pas d'autre vérité que celle-ci, d'un battement de l'Homme entre deux rives d'eau. La Terre métaphorisant la dramaturgie par laquelle nous sommes au monde alors que nous ne cessons de nous en absenter. Notre liberté ultime est à ce prix. Il nous faut y consentir !

 

 

 

 

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15 janvier 2014 3 15 /01 /janvier /2014 10:45

 

Une inquiétude heureuse du savoir.

 

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 Livre écrit en Araméen (Serto Syriaque) du monastère

      de Sainte-Catherine, Mont Sinaï - XIe siècle


Source : Antikforever.com.

 

(NB : Pour ceux qui connaissent, les noms de certains lieux ont volontairement été changés.) 

 

 

 

    "Une inquiétude heureuse du savoir". Sans doute le titre constitue-t-il, en lui-même, une manière d'intrigue. Et ceci en raison de l'oxymore qu'induit la proximité de deux mots naturellement antagonistes : "inquiétude" et "heureuse". En effet comment un souci pourrait-il faire signe vers la notion de bonheur ? Ici, l'explication ne sera pas d'ordre langagier, la référence trouvant sa justification dans une posture existentielle. C'est d'un homme dont il faut parler qui s'adonnait au savoir avec une juste "inquiétude" - comment peut-on aborder le domaine complexe des langues sémitiques sans cette part de soi constamment préoccupée par la mise à jour de l'araméen biblique, donc du fondement des langues? -, mais ceci, ces recherches passionnées, il les faisait avec un joie toute empreinte d'émerveillement. Aborder à des rivages si originels ne peut évidemment s'accomplir qu'à l'aune d'un engagement qui transcende la catégorie du réel.

  Donc cet homme, IT (je ne le désignerai que par ses initiales, pour de simples raisons d'universalité. De cette manière empreinte d'abstraction il rejoindra la communauté des savants qui usent leurs yeux sur des tablettes cunéiformes et autres papyrus phéniciens), donc IT faisait partie de ce qu'il faut bien nommer une "élite intellectuelle", (terme qu'il aurait sans doute récusé !), pratiquant grec, latin, syriaque, araméen, hébreu comme d'autres parlent breton ou bien auvergnat. Doué d'une prodigieuse mémoire, d'une intelligence polyphonique, il multipliait les diplômes sans en tirer une quelconque vanité car, d'extraction modeste, il était simple avant tout et promenait parmi les rédacteurs de la Grande Encyclopédie aussi bien son accent gascon que sa brillante érudition. Physionomie ouverte, large front dégarni, sourire illuminant le visage; pour l'adolescent que j'étais, la moindre de ses apparitions était un pur bonheur. Bonheur de l'écouter parler, d'associer à chacun de ses gestes, aussi bien fumer sa pipe en écume de mer, que manifester un tic respiratoire ou lever les yeux au plafond comme s'il méditait quelque belle idée, d'associer donc l'image de l'exception à ce qui, pour lui, constituait un quotidien qui ne l'étonnait guère. Tout  faisait donc sens jusqu'à l'excès. Pour moi, il demeure une figure élevée, un pôle éthique, une référence existentielle, un modèle dont s'inspirer lorsque les nuages assombrissent le ciel de leurs tortueuses contingences. Mais, afin de mieux cerner cette personnalité charismatique, il faut l'évoquer en quelques lieux significatifs.

  IT, je le revois à Beaulieu, un soir d'automne, après le dîner, un livre sous le bras, s'apprêtant à rejoindre sa chambre. L'interrogeant sur l'objet de sa lecture, il me montre "Les Antimémoires" de Malraux. Son air gourmand, comme celui d'un enfant attendant de manger sa friandise, en dit long sur le plaisir anticipateur. Ce même plaisir qui déjà, à cette époque de la fin de l'adolescence, m'habite au seuil de chaque entrée dans une nouvelle œuvre. Cette joie si simple et complexe à la fois, je la dois à mon ancien Maître d'Ecole, au vieux "Souché" qui contenait de si précieuses pépites littéraires. Ensuite au seul Professeur de Lettres qui m'ait donné envie d'approfondir les textes, Michel de B. qui figurera, lui aussi, en bonne lace sur la cimaise de "Figures". C'est comme un réseau d'affinités qui se tisse entre élèves et maîtres, entre chercheurs d'absolu qui vivent de la même passion. Les mailles en sont si serrées que, jamais, elles ne se distendront, tissant entre les hommes les multiples et infinies connivences de la beauté. Ainsi, presque à son insu, se constitue un espace où exister pleinement. C'est comme un écho, une aire de réverbération où se multiplient les phénomènes dont, parfois, on oublie l'origine. Pour moi, les Fondateurs sont toujours là, infiniment présents, infiniment précieux.

  Dans les "Antimémoires", je ne sais ce qui l'intéressait, de Malraux lui-même, de son témoignage sur l'époque. En tout cas je ne doute guère qu'il se soit passionné pour une des phrases qui y figurait, laquelle est devenue un classique du genre : «Ce qui m'intéresse dans un homme quelconque, c'est la condition humaine». Or, c'est cette même condition humaine sur laquelle il se penchait quotidiennement, cherchant dans la Bible les fondements sur lesquels elle reposait.

  IT, je le revois à Baronne dans sa grande maison, me confiant la garde de son bureau-bibliothèque alors qu'il part pour la journée donner des cours à ses Etudiants. Alors que ma Mère et Tante B. évoquaient leurs souvenirs communs dans la cuisine, la seule pièce à vivre en dehors du territoire d'IT, je passai la journée dans ce bureau  entièrement occupé par des milliers de livres. Non seulement les rayonnages étaient investis, mais également un grand coffre métallique qui comptait de nombreux ouvrages bilingues en langue sémitique. Une pure joie que d'être entouré, une journée durant, de telles merveilles. J'avais emporté avec moi un sujet de dissertation, une phrase d'un auteur classique sur le bonheur. Avant de partir, IT m'avait chaudement recommandé de faire quelques recherches dans "Panorama des idées contemporaines" de Gaëtan Picon, source inépuisable d'informations. La dissertation, sans doute inspirée par le cadre littéraire, dévoila une profondeur inhabituelle. Je n'étais guère loin de penser que les murs avaient des pouvoirs cachés !   

  Là, dans cette pièce calme, avec juste ce qu'il faut de clarté pour que les pensées trouvent matière à fleurir, le ruban du fleuve faisant son étirement  de mercure dans les lointains de la plaine, là était le lieu où construire une réelle et pénétrante nervure existentielle. Bien des émotions, des ravissements, des sentiments de plénitude ressentis dans l'intimité des bibliothèques - dans les salles boisées et feutrées de rouge de la BNF, ou bien dans la ruche claire ouverte sur la ville de la BPI -, ont trouvé, leur tremplin signifiant, à tel point que le seul mot de "bibliothèque" se métamorphose, instantanément, en mystérieux sésame capable d'ouvrir bien des mystères. Quelques années plus tard, IT aménageant à Paris dans un appartement aux dimensions modestes, avait réduit sa bibliothèque à l'essentiel, autant dire une peau de chagrin par rapport à l'immense collection de Baronne. Je n'ai jamais osé lui demander ce qu'étaient devenus les milliers d'ouvrages de son bureau. Peut-être les avait-il confiés à quelque ami lettré. Je dois avouer que j'ai eu bien du mal à faire le deuil de ce lieu pareil à l'image réalisée de l'utopie et aux trésors inestimables qui s'y déployaient à profusion !

  IT, je le revois enfin à Paris, d'abord du temps de mon service militaire, ensuite au cours de mes années d'études. Nous n'étions pas si éloignés, lui à République, moi à Bastille et nos rencontres furent fréquentes pendant cette période. Souvenir d'une journée passée à flâner dans Paris, cette merveilleuse ville dont il connaissait si bien les secrets. Visite de la Sainte-Chapelle. Il en admirait l'élégance, les immenses vitraux et, surtout, ces magnifiques piliers torsadés, véritable prouesse artistique aussi bien qu'architecturale. Puis un long détour par le Quartier Latin et la Montagne Sainte-Geneviève. Ici, c'est moins le Panthéon qui retient son attention que l'immense navire de pierre de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, sa façade ornée de hautes fenêtres à arcades, son bandeau de pierre portant, sous des frises, les patronymes d'une partie de ce que l'humanité a produit de savants et de lettrés de tous horizons.  C'est dans cet impressionnant édifice renfermant plus d'un million de volumes qu'il vient travailler très régulièrement, glanant dans l'immense documentation les informations qu'il utilisera pour écrire ses articles. Ce qui est visible, ce jour-là, face à ce magnifique symbole de la culture, c'est sa fascination pour tout ce qui est imprimés, manuscrits, livres anciens, langues cryptées.  L'expérience d'une passion. Comme si "Sainte-Ginette", comme il l'appelle familièrement - cette appellation semble être du cru des potaches qui la fréquentent-, était l'Amante dont il sublimait son quotidien. Merveille de l'intellection quand elle est portée à son acmé !

  Puis, sans transition, après les hauteurs de "La Montagne", le prosaïque du Paris populaire. Les Halles; le quartier de Saint-Denis, réputé pour ses prostituées dont chaque porte cochère, le soir venu, abrite une ou plusieurs de ces Dames de compagnie. Petite anecdote - dont du reste il raffole -, il me livre l'origine du nom de la Rue du Pélican. Cette rue, autrefois intensivement fréquentée par des Demoiselles de "petite vertu", s'appelait "Rue du Poil au con", nom qui par altérations phonétiques successives, était devenue "Rue du Pélican". Où la culture ne fait qu'une, qu'elle concerne Sainte Ginette ou bien les Saintes de la Rue Saint-Denis ! Fin de soirée dans un bar de quartier où nous "dînons" le plus simplement du monde de casse-croûtes qu'accompagnent quelques ballons de Beaujolais. Comme un retour sur des terres originelles. Ces terres qui, parfois, produisent des cuvées de haute volée ! Semblable à l'éditeur de la Grande Encyclopédie à laquelle il participait activement, il avait "semé à tous vents", les graines du savoir à ceux qui voulaient bien s'en emparer. Sans doute quelques unes ont-elles germé. Le plus grand plaisir qu'il eût éprouvé de son vivant eût été de le constater. Jamais la culture ne se perd lorsqu'elle emprunte, en vue de sa diffusion, de si nobles esprits !

 

 

 

  

 

 

 

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13 janvier 2014 1 13 /01 /janvier /2014 09:40

Un graphisme de l'ambiguïté.

 

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Œuvre : Sibylle Schwartz. 

 

  Ayant face à soi l'objet esthétique, la ligne en l'occurrence, ou bien nous essayons d'en pénétrer la signification, ou bien nous nous en détournons et alors nous serons dans le souci, et alors nous serons dans la préoccupation. Car, cette ligne sinueuse qui nous aura fascinés l'espace d'un instant continuera à faire ses trajets, à notre insu, quelque part dans notre inconscient. Mais d'abord arrêtons-nous à la ligne, à sa belle et infinie sinuosité. Si nous ne projetons  que de la regarder, elle, faisant abstraction de l'espace tout autour, alors ne restera que son tracé noir, lequel sera identique à la fermeture de toute parole qui aurait pu énoncer quelque chose à son sujet. Identiquement à l'obscurité du poème, laquelle demeure toujours hors d'atteinte, sans saisie possible, sans faille par où faire effraction. Et maintenant, faisons simplement l'inverse, entrons à l'intérieur de la ligne pour n'y retrouver que l'aire blanche pareille à une neige. Ici s'installera le silence et nulle autre chose qui aurait pu porter un sens. Bien évidemment, ces deux situations limites ne sont évoqués qu'à tenter de mieux comprendre l'essence de la ligne.   

  Donc, à ne considérer qu'elle, la ligne,  dans son cheminement graphique ou bien à seulement  voir l'aire qu'elle contient, rien ne s'éclaire. C'est alors de leur mutuelle relation,  ligne>>><<<blanc que se produira l'événement pictural. Faisant le trajet continu de la ligne au blanc, du blanc à la ligne dans une sorte de jeu alternatif, nos yeux ne font que prendre acte de leur constante dialectique, de la tension qui les lie et les maintient chacune dans leur être. Mais la solution ne réside pas dans cette opposition chromatique, sans plus. C'est ailleurs que dans le Noir et le Blanc, considérés comme entités séparées, qu'il est nécessaire d'interroger. C'est leur fusion dans le Gris qu'il faut chercher à saisir adéquatement. L'intellect procédant toujours par synthèse, c'est la teinte intermédiaire qui s'illustre toujours comme thème central du regard. Le Gris est la teinte du milieu, celle qui assure le passage du jour à la nuit, qui dit en cendre la perte du feu, en brouillard la lumière atténuée. Espace de médiation, support d'une transitivité, figure du messagerle Gris est cette teinte qui symbolise les deux registres auxquels elle appartient, le Noirle Blanc pour la thèse qui nous occupe. Cette couleur neutre, centrale, porte donc en elle les racines génétiques qui l'ont mise à jour, à savoir les tonalités opposées qui en constituent l'origine. C'est pour cette raison que le Gris symbolise une première figure de l'ambiguïté, comme l'androgyne est le miroir des principes masculin et féminin qui l'animent. Mais, si le Gris est un premier trait disant la polysémie de l'image, il n'en épuise pas le sens.

  Maintenant, c'est sur la ligne elle-même qu'il faut porter son attention, donc sur le Noir, mais sur un noir délié, faisant ses trajets sur l'ivoire de la feuille et ceci, d'une manière qui ne saurait être considérée comme contingente, gratuite. Si la main qui tient la plume semble tracer sur le subjectile un pur hasard, c'est seulement parce que nous nous évinçons d'emblée les motivations inconscientes qui s'y dissimulent, aussi bien que les figures archétypales qui en constituent la trame. Ici, ce qui est à considérer comme un redoublement de la signification, faisant signe, lui aussi vers une possible équivocité, ce sont surtout les collisions de lignes, leurs enchevêtrements, leurs nœuds, leurs entêtements à se positionner à tel ou tel autre endroit du corps. La figure représentée, à la limite de l'illisibilité ou bien de la confusion se perd dans les linéaments multiples d'une confondante polysémieLe Mont de Vénus est comme brouillé - mais est-ce nous qui le constituons ainsi ? -, perdu dans les mailles d'un sombre buisson, les fuseaux des doigts sont pris d'étranges vibrations, d'inexactitudes dont le réel s'offusque, les visages se perdent dans la forêt de l'indicible, l'épiphanie humaine se dissolvant sous l'itération du trait à signifier ce qui, de l'homme, de la femme, ne se peut représenter qu'à l'aune d'une perte. Comme si tout essai de faire surgir quelque  épiphanie était voué à l'échec avant même d'avoir pu se constituer en phénomène accessible au Regardant. Ici, nous sommes dans l'amphibologie picturale, tout trait s'actualisant pouvant faire l'objet d'interprétations plurielles dont aucune ne pourrait en excéder une autre. Mais dont aucune ne serait totalement porteuse d'un sens indéfectible. Et le trait est si brouillé qu'il semble s'extraire de l'empan commun de la perception pour acquérir une manière de statut autonome auquel nous n'aurions plus accès, l'ambiguïté native se métamorphosant en simple aporie. Nous ne pouvons plus rien proférer de sensé à propos de la figure qui nous fait "face". L'énigme est là, au sein d'une indépassable mutité.

  Enfin, il nous reste à considérer l'étonnante superposition des visages par lesquels nous sommes ramenés à n'émettre à leur sujet que de simples conjectures, d'étranges hypothèses. Nous évoquions la dimension archétypale de l'œuvre, la figuration de la face nous en propose une lecture singulière. Mais de quels visages s'agit-il donc pour que nous demeurions sur le seuil, dans l'indécision, le doute, nous dirions presque l'imposture, tellement le message se voile dans l'indétermination. Figure tutélaire du Père ? Figure du Fils placé sous la protection d'une Mère originelle ? Figure de l'Aimé(e) se fondant dans celle de l'Amante ? Couple fondateur : Adam inclus dans Eve ? Figures mythiques de Tristan et Yseult tendrement enlacés ? Double représentant le Jumeau Céleste ? Image narcissique assistant au redoublement de l'ego ? Matérialisation d'un indicible - l'âme , dont le trait voudrait dire la complexité à porter au-devant de la conscience ? Apparition de l'Ombre comme Double du romantisme allemand ? Quelle que soit l'esquisse proposée nous demeurons en retrait, dans le questionnement, lequel semble indépassable. L'ambiguïté menace de réduire au silence tout essai de formulation puisque, aussi bien, nous sommes toujours dans les marges, dans des vérités approchées, dans le tremblement de l'illusion. Et si, du reste, l'Art pouvait se définir comme le contraire de "la mimèsis" grecque, laquelle proclamait la seule validité d'imitation du réel, si l'Art donc était le domaine de la pure illusion, alors nous serions ici en présence d'une figure achevée de la représentation picturale . Il nous reste à regarder cette proposition à nouveau, à l'orée du sommeil. Cette femme allongée, dont une réverbération gît à ses côtés, ne serait-elle, tout simplement, l'image même du songe ? Il nous reste à l'expérimenter !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12 janvier 2014 7 12 /01 /janvier /2014 09:45

 

Au plus près de la mer.

 

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Port d'Agde.  

Source : cabotages.fr.

 

 

   La mer. C'était cela qui comptait dans sa vie. La mer ouverte sur le large horizon et la liberté qui pointait son nez juste devant la proue de la barque bleue et blanche. Le grand espace des vagues, le vent, le vol espiègle des mouettes qui venaient demander leur pitance. Et le soleil qui fécondait le tout de son grand œil vermeil. Comment rêver d'un plus grand bonheur que de se retrouver seul, au milieu du bleu, face à une manière d'absolu dont la mer a toujours été la sublime métaphore, comment dire la joie simple lorsqu'on a été marin sa vie durant ?

  Maintenant, il est tard et l'existence n'a guère plus de secrets pour "Jo" Joseph -, ce marin reconverti aux joies d'une pêche confidentielle. Juste pour la consommation du couple, le reste sera vendu au marché. La retraite depuis de longues années. La vie se déclinant selon deux modes : le farniente sur les Allées bordées de platanes où se trouve le Bar familial, la pêche pour l'occupation, pour communier aussi avec l'élément liquide qui a été le compagnon de toujours.

  "Jo" - on ne l'appelait plus que par ce diminutif -, je le vois toujours, comme s'il était encore présent. Assis à côté de la table ronde en faux marbre, casquette usée, larges lunettes d'ébonite dont une branche est réparée avec du sparadrap, yeux couleur châtaigne, rieurs, parfois un brin larmoyants - sans doute une fragilité oculaire : avait-il trop regardé la plaque étincelante de l'eau ? -, ample pull-over, pantalons de velours. Devant le "Bar des Allées", les journées durant, il faisait presque figure de cariatide, tellement sa présence se fondait dans le paysage, se noyait dans  le mur de façade. Sirotant volontiers son petit "Casa" qu'il buvait avec juste un trait d'eau, histoire d'en troubler l'anis, un jaune étincelant habitait les flancs du verre pareil à un soleil. Toujours du tabac à rouler dans une feuille de "Job", une éternelle cigarette habitant sa lippe.

  Il se satisfaisait de cette vie simple qui consistait à laisser venir à lui ce qui voulait bien se présenter : allées et venues des passants, spectacle haut en couleurs des joueurs de boules, touristes déambulant dans les rues de la vieille ville. Les Allées, alors, n'étaient pas le parking qu'elles sont devenues aujourd'hui et, sur le coup de midi, rares n'étaient pas les grillades au feu de bois, lesquelles répandaient sur le chemin de poussière une entêtante mais sympathique odeur de sardines. Ces sardines que "Jo" nous avait appris à manger, mes parents et moi, en deux coups d'incisives, seule l'arête survivant à la manducation. Voilà pour le plus clair des journées, comme une parenthèse qu'encadrait, matin et soir, la sortie en mer. On n'est vraiment marin qu'à confier son épiderme à l'eau et au vent, le reste n'est que pure distraction. Le soir, quand le soleil commençait à décliner, "Jo" se préparait à partir en mer afin d'y poser les filets qu'il irait relever le lendemain dès les premiers feux de l'aurore.

  Mais, maintenant, c'est de cela dont il me faut parler, ces sorties en mer aussi inoubliables que fondatrices d'une expérience pour l'à peine adolescent que j'étais. C'est un matin du mois d'août. Fin de la nuit avec le calme sur Les Allées. Pas un seul bruit sauf, bientôt, venant de la chambre contiguë, le grincement d'un volet poussé sur le ciel couleur d'encre. Geste immémorial de ce vieux Marin pressentant, à seulement humer la qualité de l'air, ce que sera le temps, peut-être la valeur de la pêche. C'est si riche l'intuition lorsqu'elle s'est alimentée à des pratiques mille fois vécues, métabolisées jusqu'au tréfonds de la conscience ! De la petit chambre que j'occupe, j'attends le cœur battant. C'est une telle excitation que de s'ouvrir au grand large. Entendez au maritime, aussi bien qu'à l'existentiel.

  Avec "Jo", en tête à tête, nous déjeunons d'un frugal repas; les agapes seront pour plus tard ! Nous descendons la rue vers le port alors que les maisons de lave noire émergent à peine de la nuit, seule la cimaise des toits se détourant d'une ligne aussi hésitante que fragile. A notre droite, une niche creusée dans la roche, avec une assise ménagée pour faire halte. Une inscription la surmonte : "Banc pour s'asseoir". Je me demande à quoi peut bien servir un banc sinon à cela. Peut-être à graver dans la mémoire un si modeste événement. Bientôt le port, son alignement de barques de dimensions modestes que les pêcheurs amateurs utilisent pour aller faire un tour en mer. "Jo" soulève la trappe qui donne accès au moteur. Un bruit sourd, régulier, pareil à celui d'un lent battement de cœur envahit le quai, réverbéré par les falaises des maisons situées sur l'autre rive. Nous nous éloignons lentement de la flottille restée à l'amarre. Bientôt  l'Hérault s'élargit, nappe d'eau lisse que vient effleurer la première clarté. C'est alors un sentiment de pure découverte, d'ouverture à une poésie de l'aube qui, sans doute, depuis lors, est venue conforter une disposition à accueillir ce qui peut ressembler à une origine. Il y a tellement de silence, tellement de recueillement alors que toute existence semble encore attachée aux rives de la nuit proche.

  Nous ne parlons pas, sans doute dans une identique inclination de l'âme à accueillir ce qui s'annonce."Jo" doit forcément revivre, même atténués, les nombreux départs sur la Grande Bleue, alors que le sentiment auquel j'assiste est celui d'un voyage initiatique. A l'évidence, davantage dans l'ordre du poème que dans celui de l'aventure. A l'arrière de la barque, les sillons d'eau tracent un chemin lumineux dont les ondes meurent dans l'agitation des roselières. Tout est si calme, comme un chant qui se perdrait dans la simple rumeur du ciel. Les oiseaux n'ont pas encore commencé à sillonner l'air de leurs vols rapides. La nappe d'eau s'élargit sans cesse dans son chemin vers l'aval, l'estuaire que, bientôt, nous rejoindrons. Mais, avant de quitter la rivière, il est temps de lancer quelques lignes que nous tendons sur de longues cannes de bambou pareilles aux balanciers des funambules. "Jo" jette régulièrement des petites boules d'appât qui se dispersent en une nuée de grains de sable. Bientôt des maquereaux luisants, ventres d'argent, dos bleus rayés de noir s'annoncent au bout des crins de nylon. Nous décrivons de larges cercles sur l'eau afin de circonscrire la banc. Au fond de la barque, s'éclairent dans l'ombre encore dense, les écailles aux reflets métalliques. Dans mon âme encore teintée de naïveté, ces prises miraculeuses surgiront dans plus d'un de mes rêves. "Jo" s'étonne de mon propre étonnement et sa joie simple se lit aux commissures des yeux, à la clarté du regard. C'est comme un rite de passage, une entrée au-delà des années vers les ravissements de l'âge adulte. On ne mesure jamais assez combien ces émotions façonnent une future esthétique, ouvrent à une compréhension juste du monde. Dans l'instant de l'apparition, c'est seulement un débordement de soi, une déliaison de ce qui contraignait, circonscrivait à une aire étroite, c'est le progrès d'une amplitude interne. L'appel de la liberté ne s'instaure guère autrement que de cette manière d'abord métaphorique des choses, d'entrée dans leur chair souple, inventive. Toute "aventure" de cet ordre se relie à la découverte de l'essence propre d'un lieu et lorsque le soleil émergeant au-dessus de l'horizon courbe fait son apparition, c'est comme une naissance à soi dont l'éblouissement, jamais ne retombe.

  Maintenant la lumière est levée et son ascension diagonale éclaire le paysage marin d'une belle traînée pareille à la cendre. Nous franchissons la limite de l'estuaire et de la mer. Bientôt les feux de signalisation deviennent de simples sémaphores plantés à l'entrée d'un goulet conduisant à la ville, aux hommes qui, ici, sont si rares qu'on croirait à leur désertion. Au loin, le Fort de Brescou fait sa découpe noire, surmontée de son feu blanc et rouge.  Il n'y a aucune houle et l'eau est un immense plateau de mercure gonflant devant l'étrave bleue. Au loin, les bouées orange, les triangles carmins  qui signalent les filets posés la veille.  A la proue, jambes battant au-dessus de l'écume, des gerbes scintillantes, des ruissellements de gouttes, je suis si près de cette merveille que plus rien ne compte. L'espace s'est réduit à la taille d'une barque; le temps a fondu dans l'instant qui vacille. Entre "Jo" et moi, plus que des paroles, ce sont plutôt des manières d'assentiments, de remous intérieurs, de battements à l'unisson. Comme deux vagues déferlant de concert sur un sable commun. Il y a  peu besoin de mots lorsque le silence est si dense, plein d'un sens se révélant dans une sereine évidence. Les filets dansent au gré des flots et des remous imprimés par la coque de bois. "Jo" arrête le ronronnement du moteur et c'est alors que nous parviennent les rumeurs de l'eau, ses clapotis, son agitation incessante, pareille aux oscillations d'un grand animal marin. Îliens au milieu de l'étendue liquide, rien n'émerge que cette solitude partagée à deux, cette complicité, les filets où s'allument les prises dont "Jo" énumère les noms au fur et à mesure que la récolte dévoile ses secrets. La pêche a été suffisamment bonne pour une activité considérée comme un loisir, plus qu'à l'aune d'une source de revenus. Le temps est venu, maintenant de faire une pause.

  La mer est une plaque parcourue de mille mouvements, mille vibrations. Infiniment vivante alors que, depuis le rivage, on la croît assoupie pour une éternité. Une brise légère s'est levée qui apporte une bienfaisante fraîcheur. Le soleil est haut dans le ciel, roulant son disque blanc. Sous le ponton de planches est un panier d'osier dont "Jo" se saisit, ouvrant le couvercle. Ses yeux rieurs disent le contentement de la halte, ici, sur l'étendue immense seulement parcourue du vol des mouettes. Bientôt les reliefs d'un repas régénérateur : fromage, saucisson, pommes, pain à la croûte dorée, bouteille de rosé sur laquelle scintillent des gouttes  pareilles à une ondée. Nous sommes tout simplement heureux de communier autour de ce modeste repas. Nous buvons le verre de l'amitié et je comprends là ce qu'une chaude fraternité entre les hommes veut dire, son caractère précieux. Tout dans l'humilité, la connivence, le retour à une humanité native sachant se satisfaire de peu. Longtemps, en moi, ces images graviteront, pareilles à de précieuses pépites. Marques indélébiles de la rencontre, symbolisme exact de la pêche destinée à nourrir les hommes, à les divertir du quotidien. Nous parlons de tout et de rien, mais surtout de cette révélation d'être, entre ciel et mer, pareils à des Robinson découvrant les merveilles de leur île.

 

  Nous prenons le chemin du retour au bruit scandé du moteur, au rythme de ses syncopes tellement semblables au temps  qui passe. Des gens déambulent sur les jetées. Des cris, des paroles viennent jusqu'à nous, hachées par les coupures du vent. Nous remontons la Rivière et lançons quelques dernières lignes. Juste histoire de saisir un ou deux loups. Sur le quai de pierre noire nous apercevons la silhouette de Gervaise, la femme de "Jo" qui a confié la garde de son Bar à ses habitués, le temps d'aller vendre le surplus de poissons au marché. "Jo" met de côté les prises qui serviront à alimenter la grillade. Nous remontons la rue en pente, dépassons le bâtiment de la mairie. De la cathédrale nous parviennent les sons de cloche annonçant l'angélus de midi. Déjà, sur Les Allées, les sarments de vigne sont disposés qui, tout à l'heure piqueront les yeux alors que les hommes se disposeront à passer à table. Demain, peut-être, ou bien plus tard, une autre sortie en mer prendra place que la mémoire archivera comme une pierre au bord du chemin dresse son mince symbole aux yeux du promeneur ébloui. Il n'y a guère d'autre mystère que celui-ci ! 

  

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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 09:08

 

Passion insulaire.

 

pi.JPG 

Barbara Kroll.

Acrylique sur panneau.

  

  De prime abord, cela surgit de la nuit comme une évidence. Deux formes identifiables sans que nous puissions, un seul instant, douter de leur réalité. Posés là, devant nous, nous avons deux corps nous disant le long poème de l'Amour. Il suffirait de s'y laisser aller sans la moindre retenue et, alors, nous serions dans une compréhension immédiate de cela qui se joue et se propose cependant comme une énigme à déchiffrer. Car, si le projet semble n'avoir nul besoin d'une propédeutique pour nous parler avec clarté, il n'en demeure pas moins que nous sommes retenus, comme en suspens, au bord du geste plastique. Nous projetons notre regard sur l'image et, aussitôt, notre vue ricoche, retourne à son origine, c'est-à-dire quelque part dans la complexité de notre conscience.

  D'une manière décisive, le colloque singulier qui est proféré, dans l'intime, entre les deux Figures nous demeure inaccessible. Dyade confiée à elle-même dans le plus pur mystère qui soit. Et, d'affûter nos pupilles en forme de diamants, de chercher à forer la paroi qui résiste, ne nous servirait à rien. C'est la nature du binôme singulier des Amants que de se voiler afin que l'essentiel ne puisse être accessible qu'aux seuls protagonistes de la scène. Ici, il s'agit de théâtre, ici, il s'agit de dramaturgie. A savoir la création d'un monde dont sont inévitablement exclus ceux qui ne participent pas, en quelque manière, à la partition qui se joue dans un espace-temps unique ne trouvant jamais d'équivalence à l'extérieur de sa propre sphère.

   Si nous ne pouvons douter qu'à la source de la proposition graphique se trouvent deux anatomies de chair et de sang, traversées de flux divers, de sensations, de perceptions, de dérives sentimentales et oniriques, l'abstraction qui en est restituée les éloigne de nous, les situe sur une espèce de piédestal hors d'atteinte. Il n'y a plus de chair à vif, plus de palpitation épidermique, plus de langage articulé nous disant l'exception d'un destin, son cheminement sur les rives de l'exister. Nous sommes simplement reconduits à nous-mêmes, dans notre massif de muscles, notre cage d'os, l'exiguïté de notre tunique de peau. Pour le dire métaphoriquement, nous, les Voyeurs apparaissons dans le genre d'outres gonflées sous les coups de boutoir de la nécessité, alors que nos Questionnants sont d'identiques outres vivant de l'intérieur les flux et remous qui les animent. Et nous ne pouvons faire l'économie de l'utopie insulaire, laquelle serait symboliquement le meilleur moyen d'accéder à la pensée que le langage voudrait atteindre mais qui, toujours, échoue à rendre compte des situations limites, puisqu'aussi bien, c'est d'un genre d'absolu dont nous parlons. L'évènement de la passion transcende inévitablement toute connaissance, tout savoir. Le domaine des affects est si particulier qu'il ne saurait faire l'objet d'une analyse objective, comme nous pourrions la conduire  à propos d'une plante dont on décrirait, par exemple, les stades de sa métamorphose. La Nature, si elle demeure souvent celée dans quelque phénomène difficilement saisissable, n'oppose jamais le même refus que dresse à notre encontre l'incandescence des sentiments. C'est de cela dont nous essayons de parler, d'ignition, de combustion spontanée que l'intellect pourrait prétendre approcher au moyen de la sublime intuition, mais cette dernière, en raison de son caractère ineffable se voile à mesure qu'elle se dévoile.

  Maintenant, ce que nous désignons sous le vocable générique de "passion", s'adresse aussi bien aux expériences de la connaissance, de la spiritualité, de l'art. C'est immanquablement d'insaisissable dont il s'agit puisque ces essais de l'entendement humain de se dépasser en direction de ce qui est autre, l'Aimél'Aiméel'Esprit, l'Êtrel'Oeuvre demandent que soit pratiqué un saut en dehors de la raison. Les Amantsle chef-d'œuvrele mystère du savoir sont d'emblés situés au cœur de cette île que nous entourons de nos flots pressés à défaut de pouvoir en franchir l'énigmatique et lumineuse enceinte. C'est pour cette seule et unique raison d'un hors-de-portée, aussi bien de la main que des yeux, que toutes ces déclinaisons du sublime nous interpellent si fort. Le sachant ou non, c'est à cette perpétuelle recherche de la trace signifiante, du signe révélateur que nous nous employons, faisant ceci ou bien cela. Mais, chacun à sa manière, cultivant son jardin selon les affinités qui s'adressent à lui, parcourt infiniment l'horizon de sa peau en direction de la peau du monde.

   Notre corps est, à la fois, cet immense espace existentiel qui nous porte au-devant de nous vers le futur qui nous attend, en même temps qu'il constitue une sombre et compacte geôle à l'intérieur de laquelle nous nous débattons avec effroi. Le sens vrai d'une liberté possible est ce passage de nous-mêmes en direction de ce qui n'est pas nous mais  tisse des liens ouverts à notre propre compréhension. Il est toujours question d'un subtil balancement, d'une oscillation dont les polarités nous originent à notre condition même, comme le nycthémère fait procéder le jour de la nuit, la nuit du jour. Il s'agit d'une dialectique tellement constitutive que nous vivons en son sein, sans bien en percevoir l'essence plénière. D'une immanence vers une transcendance; d'une transcendance vers une immanence. C'est ceci que profère le couple d'Amants de la peinture, les immémoriaux Adam et Ève, en mode crypté, que nous devinons le plus souvent à demi-mots, dont nous savons nous exonérer dans les affairements nous distrayant de notre être, alors que, toujours, une Île nous appelle à pénétrer en son sein ! 

 

 

 

 

 

 

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