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8 mai 2018 2 08 /05 /mai /2018 08:49
Egarée parmi les hommes

                     « Will finds the way »

                     Œuvre : Dongni Hou

 

 

 

***

 

(Version 2 sur une image déjà écrite)

 

 

***

 

 

  Oui elle nous émeut cette minuscule vie en partance pour soi. Où pourrait-elle donc se diriger sinon au lieu de sa propre patrie ? Que fait-elle ici, au cœur de la nuit, dans cette vêture si native qu’on la croirait tout juste sortie des limbes ? Pourrait-on être plus égarés, plus dénués qu’elle en cette flaque de matière noire qui refuse de dire son nom. Si obscur, si dense tout autour d’elle que l’on croirait avoir affaire au nul et non avenu en sa consternante dimension. C’est comme si le langage n’existait pas encore, que le poème était à naître, dissimulé en quelque coin secret de l’univers. La regarder simplement, cette Touchante Enfant, et déjà l’on habite son corps d’angoisse primordiale, archaïque.

   C’est un minuscule grain quelque part dans le vaste concert de l’univers, un secret qui pour l’instant ne saurait procéder à son intime dépliement, une voix serrée dans le tunnel de la gorge, une plainte si mutique qu’elle ressemblerait au sourd craquement des feuilles mortes dans la rigueur déjà automnale. A moins qu’il ne s’agisse des premiers signes du froid, des atteintes des frimas en leur commencement? Alors tout est gelé qui se réfugie dans des langues de glace, des étoiles de givre. On redoute la gelure, on anticipe la mort, on serre ses poings de chair dolente, on se fait minuscules tels la diatomée au creux de sa nacelle de perles, on évite de bouger. Se faire remarquer reviendrait à mettre en branle le combat immémorial du monde. Et l’on serait au risque de connaître une vérité, une terrible vérité.

 

Oui, LE COMBAT IMMEMORIAL DU MONDE

 

   Ouvrez donc vos oreilles aux couleuvrines partout dissimulées qui crachent leur poix visqueuse, boules ignées qui auraient tôt fait de vous reconduire au Néant dont vous provenez. Et ne faites donc pas les malins, pensant tout connaître des rouages complexes de la logique, des arcanes de la philosophie, de la magie des laborantins alchimistes. De la pierre d’or surgissant de la matière vile vous êtes bien loin. Regardez donc vos mains, vous les humains qui parcourez les chemins du Rien, elles ne sont que des battoirs de plomb qui vous disent, en termes métaphoriques, la lourde pesanteur du genre humain.

   Oui, c’est une vérité d’expérience, les hommes vivent sous le principe de la gravitation qui n’est que la mise en musique de la chute des corps. De leurs masses d’abord, lesquelles identiques à celles des risibles culbutos oscillant  sur leurs arrière-trains de façon si étrangement rythmique, ces masses donc, on les croirait éternelles. On peut toujours penser ceci, se rassurer à l’aune de sa fierté naturelle, en appeler au souverain principe de raison, faire des galipettes, des ronds de jambe et prendre ses singulières simagrées pour argent comptant. « Tu parles d’une rigolade », aurait dit mon Oncle qui ne croyait qu’à la bonne chère, à la pitance abondante et aux aventures amoureuses qui lui rendaient la vie douce telle une soie tout droit venue du fascinant Orient.

   Regardant le ciel criblé d’étoiles, lui le Viveur-d’immédiat et de contentement sans anicroche aurait tout juste pris le contrepied de ce bon Kant qui énonçait doctement :

   «Deux choses remplissent le cœur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. Ces deux choses, je les vois devant moi, et je les rattache immédiatement à la conscience ».  

   Eh bien, voyez-vous, pour mon Familier, la conscience c’était de la matière directement accessible, du comestible à proposer à ses papilles, du feu à allumer dans la cheminée pour y concocter quelque savoureuse grillade.

   Non je ne l’ai nullement oubliée la Petite Vie qui avance à tâtons sur le chemin ourdi de sombres manigances. Je l’ai d’autant moins reléguée aux calendes grecques que, pensant à elle, à son avancée parmi les ombres, j’ai, à l’instar de Kant, (mais non rationnellement, non intellectuellement), éprouvé cette profonde émotion, la vraie, la palpitante, celle qui serre le cardia, celle qui vous donne des arythmies, trempe vos mains de sueur, instille dans l’eau de votre corps, dans les marécages de votre lymphe, une brutale et bestiale envie de la porter au-dehors, toute cette énergie violemment contenue, pareille à la conscience qui serait devenue brusque raz-de-marée, irrépressible tsunami, qui déborderait le cadre de votre pensée, qui voudrait se dire en tant que la forme la plus aboutie de cette marche à l’aveugle, avec, au bout du bras, ce mince lumignon, cette si fragile étincelle que le moindre souffle de votre respiration pourrait réduire à néant tous ses vains efforts, ses infructueux sauts de puce afin de s’extraire de cet absurde qui, partout suinte et obombre les parois primitives de la grotte humaine.

   Le soir, avant de vous coucher, de confier votre destin à Hypnos, sortant sur l’aire lisse de votre balcon, inclinant votre nuque en direction du ciel, qu’y voyez-vous qui pourrait vous rassurer infiniment sur votre terrestre trajet ? Une pluie de comètes, une fulguration de météores, le sillage évanescent d’une nuée d’étoiles, les signes hiéroglyphiques des astres qui témoigneraient, pour vous, juste pour vous, de votre course parmi les vastes allées de l’exister ? Qu’y voyez-vous si ce n’est votre propre et inépuisable questionnement réverbéré par l’immense dôme glacé qui vous tient lieu de reposoir. Les étoiles vous fascinent. Les constellations vous appellent à entonner la belle et inépuisable Musique des Sphères. Andromède, Alpha du Centaure, Cassiopée, Couronne boréale et australe, Hydre mâle, Scorpion, Serpent, Microscope, Lyre, Lynx ne sont que vos propres yeux que vous avez lancés à la conquête de l’infini afin que cet infini vous rassure et vous dise les lignes de votre quadrature, ici, en tel lieu, en tel temps, de manière à ce que votre angoisse enfin arrimée n’erre sans cesse et vous fixe à demeure, vous attribue un foyer, vous fasse le don d’un point focal qui serait un baume pour votre âme, une sublime ambroisie pour votre esprit.

   Parlant de vous, parlant d’elle la Petite Perdue dans le corridor du monde, parlant de moi, parlant de tous les Existants nous ne faisons que brasser des volutes d’air qui se dissolvent à peine sorties de nos bouches serties d’angoisse. Car nous parlons POUR RIEN. Car nous ne proférons même pas pour nous puisque, condamnés par avance, nous ne pouvons propulser de chaînes de mots qu’à les projeter dans un puits sans fond dont même l’écho ne nous est pas perceptible. Déjà, du fond de sa conscience en voie d’efflorescence, la Petite Porteuse de Lumière tient au-devant d’elle le fanal qui dit la fermeture, l’occlusion à jamais, les cathédrales de ténèbres qui toujours nous cernent et nous reconduisent aux questions métaphysiques sans fin. « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », selon la célèbre formule de Leibniz. Elle qui avance dans l’épaisseur de la nuit, elle qui ne discerne RIEN  que sa minuscule lanterne, elle qui ne sait où elle va, elle qui demande à connaître mais ne connaît pas encore, elle fait la seule découverte qui soit : celle du NEANT.

  Léo Ferré disait : « A force d'en parler, le néant finit par avoir de la consistance », qu’on pourrait facilement parodier sous la forme « A force de le chercher, le néant finit par avoir de la présence ». Voyez-vous combien il est étrange de parler de Rien, de Disparition, de Finitude (avec des Majuscules s’il vous plaît !) alors que notre propos vise une toute Jeune Vie en train de s’épanouir. Mais c’est simple logique, simple principe biologique que d’énoncer un tel truisme. Toute graine porte en elle le germe de sa propre mort. C’est ceci et RIEN QUE CECI que nous dit cette belle image allégorique dont l’épilogue pourrait comporter l’énoncé lapidaire :

 

NE CHERCHE POINT TU NE TROUVERAS PAS

 

   Or, qu’est donc une quête sans objet sinon la rencontre du RIEN. Les chercheurs d’or de l’Ouest américain ne se munissaient de leur batée, de leur pelle et de leur courage qu’animés de la fièvre de l’or dont pas un seul instant ils ne doutaient qu’ils récolteraient les pépites de la gloire et de la richesse. De même l’amant sur la trace de son amante. L’action de chercher est toujours assortie d’un but, faute de quoi elle bascule dans le tragique du non-sens et s’annule à même son évocation. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître à nos yeux perclus de cécité, rien ne se donne jamais qu’au prix d’une perte. Que serait la valeur d’une quête, fût-elle amoureuse, artistique, intellectuelles, spirituelle dont on connaîtrait à l’avance les subtils arcanes ? Mais ce serait tout simplement donner à l’absurde ses lettres de noblesse. Se trouver immergé dans le lac de la nuit et, déjà, posséder le jour qui va suivre, en savoir la trame, non seulement ôte toute poésie à notre aventure terrestre mais la situe telle l’impossibilité de rêver, de s’agrandir de son propre imaginaire, de transcender le temps présent afin que quelque chose comme un futur se possibilise et vienne à nous selon les milliers de facettes de notre fantaisie, de notre invention, de notre ressource à créer du nouveau, à projeter des hypothèses. Ce qui rend notre mort à la fois gérable et intéressante consiste seulement dans le fait que cet événement est une pure hypothèse dont ni le jour ni l’heure ne nous sont familiers. Le seraient-ils et alors serait énoncée l’idée insoutenable de l’inadmissible, toute épée de Damoclès ne devenant possiblement réelle qu’à être le pur jouet d’une illusion.

   Le bonheur ne s’atteint jamais qu’à être le résultat émergeant du Néant, se hissant du Rien, se haussant une coudée au-dessus du Zéro. En serait-il autrement, le bonheur nous serait-il promis d’avance, tout entouré de faveurs, il ne serait qu’un vulgaire miroir ne reflétant que sa propre insuffisance. Il faut un effort, une douleur, parfois une souffrance de manière à ce qu’une joie se présente et illumine notre âme au sens le plus roturier du terme. Cet immense horizon qui débouche sur le plateau courbe de la mer, nous n’en tirons un réel plaisir qu’à l’aune de cette dune qui, jusqu’au dernier moment, en soustrayait à nos yeux la majestueuse présence. En serait-il de même pour la sublime Mort qui, jusqu’en notre dernière heure précédant notre trépas se réserverait pour l’ultime cérémonie ? Ne parle-t-on pas du « baiser de la Mort », bien évidemment  au second degré, avec la sérénité de ceux qui se pensent hors d’atteinte. Sans doute, mais notre dernière amante sera bien cette Noire Allégorie qui n’ôtera son voile que post-mortem. « Requiescant in pace », selon l’habituelle formule liturgique. « Le plus tard sera le mieux » aurait dit mon Oncle, dont tout le monde aura compris qu’il était un Adepte du Jardin d’Epicure et de ses friandises pendues comme des berlingots et des bêtises de Cambrai aux branches basses d’un terrestre Paradis.

   L’habile représentation de Dongni Hou nous livre cette Esseulée au mitan d’un noir de suie, portant avec toute la grâce que requiert la fleur de l’âge, ce minuscule diamant qu’est toute lumière, en robe de nonne ou bien de communiante, infiniment fragile, perdue dans cet immense chaudron nocturne qui résonne de tous les bruits d’une humanité aux abois, de tous les drames humains qui essaiment leurs rictus aux quatre horizons de la Terre, genre de noviciat ne pouvant se terminer que par la découverte effrayante du loup tapi dans la meute de buissons, repas assuré pour quelques jours. Mais où est donc Mère-Grand ? Mais où sont donc la galette et le petit pot de beurre ? Bientôt la charmante Petite Innocence tirera la chevillette, la bobinette cherra et le loup la mangera. De Perrault à Dongni Hou, toujours la même histoire éternellement recommencée. C’est toujours le Loup qui dévore la Fillette. C’est toujours la Mort qui boulotte la Vie. « C’est juste pour de rire », aurait dit mon Oncle, lequel avait plus d’un tour dans son sac, l’on s’en sera douté !

   « Au moins tu rigoles, au plus t’es triste », tel aurait été son épilogue, lui qui tutoyait volontiers le calembour provençal et son infatigable logique. Que sa philosophie cousue de bon sens repose en paix. Puissions-nous en saisir une once afin que, rassurés sur notre infinitésimale importance, le fait de nous absenter définitivement ne nous apparaisse qu’à la façon de l’ultime pirouette, du dernier saut comique faits sur une scène de théâtre, peut-être celle des « Trois Baudets » ou bien des « Deux Ânes ». Comme ces gentils équidés nous nous entêtons à avancer, tête basse, engoncés dans nos certitudes, ignorant le ravin qui, par delà la colline semée d’herbe verte, nous tend ses bras et ne rêve que de nous conduire dans la suite nuptiale ménagée à notre intention. Savons-nous, au moins, qui sera l’Epousée ? Nous avons tant de hâte à en rejoindre l’éprouvante volupté ! Tant de hâte !

 

 

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7 mai 2018 1 07 /05 /mai /2018 08:31
Trouver le chemin

               « Will finds the way »

               Œuvre : Dongni Hou

 

 

***

 

 

Qui est-elle l’Esseulée

Perdue dans la toile endeuillée de la nuit

Qui est-elle

Le sait-elle au moins

Car jamais l’on ne connaît

Ses propres contours

L’on ne saisit la ramure de son esprit

Il fait si sombre dans les avenues venteuses

De l’exister

Le ciel a bu ses étoiles

Les montagnes sont couchées

Dans leurs massifs de pierre

Les océans au loin flottent

Dans leurs rumeurs marines

Au-dessus des abysses où dorment

Les grands poissons aveugles

 

*

 

Y a-t-il quelqu’un sur Terre

Qui saurait l’étrange de cette navigation

 À vue

L’on n’entend même plus le bruit

De sa propre respiration

Parfois cela fait comme un bruissement d’insecte

Le gonflement de carton d’une chrysalide

Puis tout retombe dans un mortel ennui

La Fille

La Petite Fille

L’Exilée Majuscule

Dans sa robe de communiante

L’Egarée si touchante

Vers quels horizons vogue-t-elle

Quel destin l’appelle donc

HORS de soi

 

*

 

Oui HORS

Car IL FAUT SORTIR

De sa monade

De sa ruche au riche pollen

De sa lumière de nectar

Du moins nous le dit-on

Parfois avec véhémence

Comme s’il y avait danger à la fréquentation

 De son propre territoire

Donc faire éclater ses murs de mâchefer

Etre au plein jour de soi

Dans l’immémoriale clarté de l’être pur

Du devenir en sa plus efficiente réalité

 

*

 

Le REEL le REEL c’est ceci qui nous vise

Comme l’on viserait un condamné à mort

Comme l’on viserait la gorge épanouie d’une Belle

La corolle de porcelaine d’une rose

Autrement dit d’inatteignables contrées

Le réel est une imposture

Il est toujours où on ne l’attend pas

Jamais où on le souhaite

 

*

 

Tout autour de la Petite Créature

 Qui se nomme Fille

Le lac de la nuit a étendu ses ailes

Reconduisant la minuscule forme

 À son plus touchant effacement

Effacement oui car

Tout toujours se gomme

Tout toujours subit l’érosion

Tout toujours endure les morsures

De la solitude

Les violences  du Mal

Qui sinue

Ici et là

Parmi les milliers de pattes du peuple hagard

Du peuple qui se rassure de sa consistance

De chenille processionnaire

Mais une patte n’est jamais

Qu’une patte

Non le millier d’autres qui s’agitent

Chacune pour son compte

Chacune jusqu’à son propre délitement

Il ne demeurera en dernière instance

Qu’un monticule indistinct

Une flaque

Un marigot

Que les crocodiles du Temps

Viendront dépecer

De leurs dagues blanches

Puis ils iront dormir sur la rive

Au creux de leurs rêves de sauriens

 

*

 

De SAURIENS

De SORS RIEN

Vois-tu Petite Vie en constate expansion

Parfois faut-il procéder simplement par homophonie

Afin que les choses s’éclairent

Tu ne SORS DE RIEN

Surtout pas de toi

En toi tu demeures

Le monde est autiste

Tu es autiste

Je suis autiste

Nous sommes autistes

Et ainsi à l’infini de l’exister

Chacun vit pour soi en soi à l’intérieur de soi

(Oui je sais les thuriféraires

Les moralistes à la petite semaine

Les bourgeois amateurs

D’une infusion de moraline

Les bien-pensants

Les tartuffes

Les calotins

Tous les ci-devant nommés

Qui ne vivent que d’aumônes

Et de prêchi-prêcha

Pesteront contre tant de mépris

du Genre Humain

« Voyez l’Autre existe

Voyez comment il vient roucouler

 Et manger dans votre main

Le pain de la générosité »

« Mon-cul la générosité vitupère Zazie

Y a que des intéressés

Des profiteurs

Des opportunistes

Y frappent à ta porte

Quand ils sont dans le  besoin

Et te la claquent au nez leur porte

Dès qu’ils ont leur aise

Leur fauteuil au coin du feu

Un gentil petit magot à la banque

Ou planqué sous l’oreiller »

 

*

 

Et du reste nul besoin de convoquer

La Petite Poupée du Queneau

La délurée de la langue

La diseuse de vérité arsenicale

Il n’y a nulle communication

 Sauf quelques comiques allégeances

À ce qu’on nomme avec une emphase certaine

ALTERITE

« Altérité-mon-cul eût dit Zazie

Proférant en ceci l’une des plus ultimes vérités

Qui se puisse jamais atteindre

Sur cette Planète au Bleu qui vire à l’arc-en-ciel

An boueux

Au jaune de chrome

Au dégénéré

Tant les hommes s’en moquent

De la gentille balle

Qui roule sous leurs pieds

 

*

 

Sais-tu gentille Chercheuse de Vérité

Il n’y a guère que ceci qui vaille

Sur cette coquille de noix

Qui vogue vers l’infini

Avec sa charge de badauds

Tu es pareille au bon Diogène

Qui criait à l’encan

Lumignon au bout des doigts

« Je cherche l’homme

Je cherche l’homme »

Or l’homme-en-soi

L’homme pur cristal

De lui-même

L’homme porté par

Sa propre transcendance

Toujours sombre dans la première

Immanence venue

Le corsage d’une Belle

Le lucre au bout d’une juteuse activité

Le jeu qui fait tourner ses boules d’ivoire

Et ses roulettes dans les Casinos

Qui sont la seule réalité

Qui nous soit accessible

LA SEULE

Nous sommes des matières

Fascinées de matérialité

Nous sommes  matérialistes jusqu’au bout

De notre logique la plus exacte

Nous sommes des paquets d’atomes

Cherchant d’autres paquets d’atomes

Afin que forniquant de concert

Nous puissions renouveler

L’engeance claudicante

En vue de sa possible éternité

 

*

 

Mais revenons au Casino

En sommes-nous jamais partis

Avançant dans la nuit de l’être

On dilapide ses jetons

Impair  Passe et Manque

Trois P’tits tours et puis s’en vont

On joue jusqu’au bout de la nuit

Celle oui pas tellement réjouissante

Du bon Céline

Le Voyage en Aporie

D’où jamais l’on ne revient

On laisse des bouts de soi partout

Pourtant on se croit entiers

Mais on est en charpie

Du reste comment pourrait-on en ressortir

De l’excursion à Cythère

Qu’est censé être tout séjour sur Terre

L’AMOUR est un piège Majuscule

Un jeu de Mantes Religieuses

Il est si bon de manduquer l’Autre

D’en disséquer la substantifique moelle

Tout ceci ce sublime entendement

Qui porte aux nues

Luxe Calme et Volupté

Ne se donne jamais qu’au prix

De l’absurde à payer

En monnaie de singe

En argent de dupes

En pièces sonnantes et

TREBUCHANTES

 

*

 

Alors sais-tu gentille Petite Apparition

Lorsqu’on a bu toutes les ambroisies du monde

Touché les atours multiples

Et bariolés de ces Dames

Flirté avec les Beaux Arts

Admiré les paysages en carton-pâte

Qu’on nous tend au coin de chaque rue

De simples miroirs aux alouettes

De la roupie de sansonnet

Eh bien vois-tu on ouvre

La porte dérobée

Il y en a une dans chaque Casino

Même à Las Vegas il paraît

On enjambe le bastingage

Et HOP tête la première sur les rochers

Qui vous tendent leurs gentils moignons

Certes c’est pas bien ragoûtant tout ça

Mais y aura bien un gentil piranha

Aux dents finement aiguisés

Qui vous découpera telle une dentelle

Des Dames du Temps Jadis

 

*

 

Alors Petite Fille disciple

de Diogène-l’Onaniste

Lequel n’en faisait qu’à sa tête

N’en faisait qu’à son sexe

Toujours SEUL parmi ce peuple d’Intouchables

Petite Fée Magique tu pourras moucher

La flamme de ta lanterne

Il fera tout noir comme

Dans la gorge du Néant

Nul n’y verra goutte

Pas la plus petite faille par où glisser

Le bout de sa sclérotique

Pas le moindre recoin dont les pupilles

Pourraient faire leur rapide gloire

Il n’y a rien

Définitivement rien

Le NOIR seulement

Qui appelle la lumière

Mais la lumière est aphone

Elle n’a plus de VOIX

Plus de VOIE

Pour venir jusqu’à nous

Puisque reconduits au NEANT

Nous n’existons pas

Bye-bye Diogène

Tu peux éteindre ta lampe

L’homme n’existe pas

L’homme n’existe

L’homme

L’homm

L’hom

L’ho

L’h

L

 

*

 

 

 

 

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20 décembre 2017 3 20 /12 /décembre /2017 14:55
Tout est brume qui vient à nous

                 Photographie : Blanc-Seing

 

***

 

 

Tout est brume qui vient à nous

 

Si illisibles sont les contrées

D’où nous venons

Elles nous parlent

De si étrange manière

Elles nous hèlent depuis

Le fond douloureux du temps

Elles clignotent et s’effacent

Pareilles aux éphémères

Dans la brume solaire

Parfois une voix se laisse saisir

Qui vacille dans les lointains

Une voix amie

Nous y attachons une image

Nous y fixons un souvenir

Nous y cherchons

Une signification

Le pli d’une diction

Disant le rare et l’advenu

 

*

 

Ce qui un jour dressa notre effigie

En pleine lumière

Y inscrivit le chiffre de la joie

Mais qui donc était là

Dans sa simplicité

Qui nous faisait l’offrande

De sa présence

Aujourd’hui la brume

Est dense

Qui voile la mémoire

Eparpille aux mille vents

La feuillaison de ce qui fut

Pourtant nul évanouissement

N’a eu lieu

C’est là encore

Posé au centre du corps

C’est plus qu’une étincelle

Braise vive qui brasille

Et nous met au supplice

Nous incline sans délai

À percer la source

De cet étrange remuement

La source vive

À défaut de laquelle

Nous ne serons jamais

Qu’un exilé

Un chemineau

Fouetté de vent

Un voyageur

Sans boussole

 

***

 

Tout est brume qui vient à nous

 

Parfois nous nous retournons

Nous fixons ce qui a été

Avec l’aiguille acérée

De la lucidité

Oui il y a bien

Une faible lueur

Là-bas

Au bout d’un long tunnel

Sombre

Oui une germination de clarté

Un bourgeon déjà éclos

Un bourgeon déjà fermé

Car tout s’esquisse à même

L’œuvre achevée

Car tout se donne

À la façon d’un fusain

Qu’estompe le geste du destin

Cette fulguration qui nous étreint

Plante sa dague au plein de l’esprit

Nous en mourons de ne rien connaître

L’arche de l’exister est si vaste

Nous n’en percevons que

L’immense cercle azuré

Le rapide arc-en-ciel

Tout est dissous

En si peu

Tout

 

***

 

Tout est brume qui vient à nous

 

Les mains vides

S’esseulent

Les yeux infertiles

S’épuisent

En vaines larmes

A quoi bon questionner

Ce qui jamais ne répondra

Le ciel est vide

De signes

Sauf ces congères

De freux noirs

Qui dérivent  dans la banquise

De l’air

On n’en voit que la perdition d’ébène

Dans le pli du rien

Qui trace ses cercles d’ennui

 

*

 

Deux arbres sont là

Plantés dans le ressentiment

Du jour

Deux formes qui nous disent

Le lieu de l’impossible rencontre

Les troncs sont séparés

Qui se divisent

Dans le creux immémorial

De l’espace

Au loin des oiseaux chantent

Mais leurs cris demeurent

Un mystère

Mais leur mystère

Est une vive inquiétude

Pourquoi n’apercevons-nous

Jamais ce à quoi nous rêvons

Ce que nous désirons

Qui rougeoie devant

Le continent dévasté

De notre visage

Pourquoi

La brume

Qui vient à nous

Est si dense

Si drue

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17 décembre 2017 7 17 /12 /décembre /2017 10:51
Au plein de la stupeur

 

STUPORE

Œuvre : Livia Alessandrini

 

 

***

 

 

Ils sont là les Masques Antiques

 

Ceux  dont la Présence irradie

Qui viennent à nous

Dans la plus haute surrection

Ils nous disent la gloire d’être

La tâche sublime du Héros

L’agora où souffle

La puissance de l’Être

Le Temple où habite le Dieu

La Parole du Poème

En sa Vérité première

 

*

 

Ils sont là les Masques Antiques

 

Ils viennent à nous

Ils nous interrogent

Du fond de leur destin

Ils veulent nous forcer à connaître

Ce qu’exister veut dire

Sous la lame vibrante du Ciel

Sur la Terre que le feu des Enfers

Ronge de son implacable acide

 

*

Ils veulent de nos yeux

Déciller la coupable courbure

Ils veulent forer profond

Dans le tissu vacant de l’âme

Faire surgir la force

De faire face

De se dresser

Dans sa condition d’Homme

 

*

Mais regardez donc au centre

Dans la convergence haute du sens

Regardez ce Masque sidéré

Yeux grand ouverts

Sur le vide originel

Il demeure SEUL

 Parmi la multitude

Dont la stupeur différée

Ne l’ait encore plongé

Dans un étrange sommeil

 

*

Demeure là en pleine ouverture

Sous le regard d’airain de Zeus

Le provoque-t-il

Le craint-il

Est-il l’UNIQUE qui ose

Toiser l’Olympe

En attirer les foudres

En allumer l’Eclair

En subir le mortel assaut

 

*

On ne regarde nullement un Dieu

Comme un simple Mortel

Une diversion parmi

Les confluences mondaines

On le regarde et on s’expose

Au sort tragique d’Œdipe

Celui à qui le Prophète

Dit le réel en sa cruauté

« Tu es le meurtrier

Que tu recherches »

Et alors on enfonce

Au profond  de ses yeux

Les épingles d’or

De Jocaste l’Aimée

En son innocence pure

 

*

On tâche de s’absoudre

Du parricide

De l’incestueux

Tout ceci qu’on n’a

Nullement voulu

Que seul le Destin a fomenté

A l’encontre avec la même minutie

Que mettait Pénélope

À tisser et détisser les fils invisibles

Qui la privaient d’Ulysse

 

*

Et on erre longuement

Sur des chemins sans autre issue

Que la Mort

On a franchi les portes du possible

On est en déshérence de soi

En perte que seul un sacrifice

Pourra laver

D’une conduite certes involontaire

Mais offense aux Dieux

Qui veillent à l’étrange parcours

De l’Homme

A ses sauts de Charybde en Scylla

 

*

Ils sont là les Masques Antiques

 

Ceux qui signent l’Absence

Disent la mortelle amplitude

Le silence enclos dans les lèvres de pierre

Le rictus aboli dans sa gangue d’argile

En son naufrage de carton éteint

 

*

Mais voyez tout autour

Pareil à un maelstrom

Ces Faces défigurées

Ces visages de cendre

Ils viennent de l’Enfer de Dante

Les Cercles se referment

Sur les Semeurs de scandales

Et ceux qui ourdissent des schismes

Sur les inglorieux et ceux qui outrepassent

Les imprescriptibles lois humaines

Sur tous ceux qui sortent de l’Ordre

Du Cosmos bien agencé

 

*

Leurs yeux sont clos

Leurs bouches muettes

Leurs corps dispersés

Au vent cruel

Qui souffle depuis l’Achéron

Où Charron le Nocher

Fils des Ténèbres et de Nuit

Sur sa barque funéraire transporte

Les âmes des défunts

À l’ultime séjour

Là où être n’est plus

Qu’une brume illisible

Dans le Temps qui agonise

 

*

Du masque ouvert

Aux masques fermés

Se joue toute l’amplitude

De la tragédie

Naissance en attente de la Mort

Mort qui réclame son dû

Jamais nous ne naissons

Gratuitement

L’obole est toujours à verser

Qui attend dans l’Ombre

Dans l’Ombre

Qui éteint la Lumière

Vive étincelle

Promise à sa fin

Plus rien que cela

A l’aube des temps

Que cela

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 10:02
Blessure de l’être.

                      « Thérapie ».

                 Œuvre : Dongni Hou.

 

 

 

   Tempera d’air léger.

    

   Ce ne saurait être qu’un grand bonheur de se laisser porter par cette vision vénitienne, de flotter au rythme souple d’une tempera toute de terre et d’air léger, de nuances approchées, de sentiments faisant leur palme balsamique dans la venue du jour à sa propre contrée. D’abord on ne voit que cela, le jeu singulier d’une subtile harmonie, l’abrasement de ce qui, trop affirmé, viendrait nous offenser, peut-être réduire notre prétention à exister à néant. Il est si heureux de se confier à la souplesse d’une belle lumière, à cette effervescence native du fond en son à peine insistance, à ce qui, ici, dans l’effleurement, vient nous dire la justesse de notre présence auprès de cette autre manifestation certes peinte, certes symbolique mais si proche dans son éloignement et c’est comme si elle était un peu nous, une partie de notre corps, un fragment de nos pensées, une ouverture qui jamais ne refermerait son invitation de source vive.

 

   Lois iniques du destin.

 

   Mais voici que la clarté de notre esprit, la certitude de notre conscience viennent soudain à se troubler, telle une eau limpide mêlée de feuilles et de limon qui, bientôt, ne sera guère reconnaissable qu’à son cours vers l’aval du temps, non en tant que son essence véritable, cette irrépressible force de la nature qui croît et pousse vers l’avant la pointe de sa feuillée. Mais d’où vient donc cette métamorphose, d’où surgit le doute qui fait ses gerbes d’alluvions au gré desquelles notre être se dissout, semblant désormais ne s’en remettre qu’aux lois iniques du destin ? Pourquoi faut-il donc que le bleu du ciel se macule de gris, que la robe immaculée du pur sang s’éclabousse de traces, que l’étoile de sang rouge surgisse à même l’énergie noire du taureau ? Conflit des couleurs, polychromie du désastre, violent expressionnisme de ce qui, parfois, ne peut être parlé, seulement mis en exergue par la puissance de l’art, ce Verbe infini dont on ne cueille jamais que quelques étincelles, quelques gerbes dans le sombre qui pullule et fait son bruit d’abysse. Jamais de vérité pure à l’indéfectible parure, jamais de plaine lisse sans le hérissement des touffes de chardons qui en griffent la surface. Jamais de peau unie que ne viennent ternir le trajet d’une flétrissure, l’ornière d’une ride. Vie en son éternel battement qui donne ici, retire là, sans que nous puissions rien faire pour en détourner le cours résolu, l’irrévocable décision. Ainsi est le factuel qui tresse ses lianes à notre insu, dont le corset bien ajusté se nomme « contingence », cet invisible qui fomente ses basses œuvres de préférence dans notre dos. Comme un envers des choses prenant assise dans le retrait, puis la dague du surgissement planté dans le vif de la chair. Echec et mat !

 

   Voiles discrets de la nuit.

 

  Cette image peinte est de cette nature qu’elle s’offre dans la prodigalité et s’absente de nous dans ce même mouvement de donation. Se retire sur la pointe des pieds, profère une sourde cantilène dont ne demeure visible qu’un halo de faible lumière. Tout autour, tout se retire dans l’ombre et se vêt des voiles discrets de la nuit.

   * Dans la lumière nous voyons la boule châtain des cheveux, l’éminence d’un discret chignon, le visage de soie doucement incliné, la grâce du cou si semblable à la pente d’une poésie, l’angle brun des bras pareil au sillon d’automne, l’à peine insistance de l’abdomen, la dépression où s’abrite l’amande du sexe, la double colline des fesses, la fuite des jambes vers l’illisible du tableau.

   * Dans l’ombre nous voyons les branches du stéthoscope, sa courbe, son embout pareil à un objet de mystère, peut-être commis à quelque rituel. Nous voyons aussi, dans le presque effacement de la vision ce qui, de prime abord, ne paraît être qu’un objet, peut-être une illisible excroissance du sol, quelque chose en tout cas qui ne pourrait nullement perturber la sémantique de la toile. La nôtre, surtout, qui nous penchons sur l’œuvre avec le désir de nous y rencontrer nous-mêmes dans le cercle d’une joie, dans l’ellipse d’une éclaircie du monde. Sans doute, cet oiseau mort, nous n’avions pas voulu le voir, le porter à un genre de savoir tragique.

   Toute mort est définitive et identiquement questionnante, depuis la feuille jusqu’à l’humain en passant par l’objet déchu. La force de la mort, c’est bien ceci, étrange, déconcertant, dérangeant, que sa perception, toujours nous révulse, nous met hors de nous et nous oblige à l’annuler afin de donner droit à la vie, seule compagne fréquentable, seule issue devant s’annoncer en tant que notre possible et non la sagaie d’une démesure qui moissonnerait nos oublieuses et distraites têtes. Le deuil est toujours là avec ses noires membranes et nous, humains indociles, nous cabrons et ruons souvent, sans bien savoir pourquoi, dans quel but, contre quel ennemi. Pourtant notre chair le sait si notre esprit s’en détourne. L’existence déroule son tapis sur des cités mortes, d’antiques sculptures, des Babel dont nous ne pouvons plus  entendre les voix, des peuples dont nous n’avons même plus le souvenir, des œuvres occultées par la rumeur dense des siècles.

 

 * Dans la lumière l’effervescence du jour, le dépliement de la rencontre, les belles circonvolutions de l’amour, les fulgurances de l’esprit, les délibérations généreuses de l’humanisme, l’exactitude ouvrante des Lumières avec, à la proue de l’être, le fanal de la Raison.

 

  * Dans l’ombre toutes les goules et les démons, les gargouilles déversant leur poix et leur arsenic, dans l’ombre  les arraisonnements de la libre venue à soi, les faux-fuyants, les marches de travers, les crocs en jambe, les meurtrières armées, les couleuvrines avec leurs boulets contondants par où le drame fait ses efflorescences, le mal ses insurrections et ses incisions en forme de finitude. Alors les humains courbés sous la pluie d’une incompréhension sidérante, alors les Quidams ne se reconnaissant plus eux-mêmes dans les rouages de leur propre histoire et se donnent à voir telles des âmes errantes en quête d’un lieu sûr où trouver repos et assise afin que le mot de la vie puisse enfin trouver son sens. 

 

  * Dans l’ombre est toujours l’avancée périlleuse de la condition d’Existant. Dans l’ombre toujours d’invisibles mains qui saisissent au garrot et veulent rabattre vers le sol de poussière la prétention de tout ce qui vit à déployer le régime d’une liberté. Comment quiconque pourrait-il donc être libre alors que le palimpseste de la vie n’est que ratures et surcharges, écritures multiples et leur effacement, hiéroglyphes ne livrant de leur énigme que quelques jambages, quelques boucles, manière de morse infranchissable et nous demeurons en-deçà de la barrière, de ce côté-ci de la limite. Demeurer sans possibilité aucune de franchissement n’est que stationner dans l’aire dévastée d’une incompréhension dont le nom le plus radical est celui de « Néant ». Avec une Majuscule s’entend puisque ce non-être ne saurait être posé là devant soi, tel ce miroir dans lequel nous apparaissons, tel ce livre dont les signes clignotent et nous appellent comme l’un des leurs.

   Car, à bien y regarder, nous ne sommes que signes, mais signes en leur incomplétude. Toujours nous fait défaut un signe voisin (l’Autre), un signe identique (la perception de notre propre altérité à nous-mêmes : « Je est un autre » rimbaldien qui dit magnifiquement en peu de mots la césure de notre être, la recherche d’une dyade primitive dont nous sommes en deuil depuis bien avant que la mémoire n’existe), signes arrachés au passé, que l’avenir aimante, alors que le temps présent ne se nourrit que d’une pluie d’instants qui ne parviennent jamais à produire le miracle d’une fontaine à laquelle nous pourrions étancher la soif de notre propre angoisse.

 

   Signe mortel de l’angoisse.

    

   Le signe mortel est lâché, celui qui fait son bruit de rhombe au-dessus de nos têtes, ce bruit de silex taillé qui depuis des temps lointainement antiquaires menace de détruire ceux que nous sommes quand bien même nous nous ingénierions à en éviter les définitives entailles. Et de cet évitement qui n’en est pas un nous avons tiré un nombre de postures infinies qui se nomment indifféremment, démence, névrose, bipolarité, mania, dépression, mélancolie, schizophrénie. Oui, schizophrénie puisque jamais nos deux rives, naissance et mort, ne sont à notre disposition comme le seraient deux objets gigognes s’emboîtant avec une belle logique. La synthèse de nos polarités, l’originelle et la finissante, l’existence nous dénie le droit d’en réaliser la mesure totalisante. Enorme imposture dont nous ne revenons jamais : notre entièreté passe certes par notre naissance dont nous acceptons le décret, mais aussi par notre mort qui s’éclipse par la faille d’un illisible horizon.

   De ceci, de cette constatation en forme de nihilisme accomplissant chaque jour ses forfaits, jamais nous ne revenons. Afin de combler la faille immensément ouverte nous emplissons le vide, son insupportable béance à l’aune de ces maladies qui ne sont que des morts successives, des manières de vaccins que nous nous inoculons pour nous prévenir d’attaques sournoises. Cette attitude que l’on pourrait qualifier d’illucide est la condition de possibilité de toute progression en avant de notre motif de chair et de sang, cette effigie qui bat tel un drapeau de prière dans le vent qui nous traverse et nous remet aux hasards de ses confluences.

  

   Atteindre du plein de son essence.

 

   Comment prétendre mieux connaître le Soi qui est en jeu que le Soi lui-même, le lieu de sa provenance, le site de son séjour, le cheminement par lequel il se destine à la place qui sera la sienne qui est unique, inimitable, sans possibilité de duplication, hautement singulière, que seul l’être en question peut atteindre du plein de son essence. Toute thérapie est auto-thérapie, parcours au plus près de qui l’on est, événement ici et là, dans le vivant qui fait signe, qui fait sens (parfois aussi non-sens), non figure universelle, Idée, Esprit, Volonté de Puissance ou l’on ne sait quel avatar, quelle pantomime, fût-elle sublime, qui voudrait en occuper, en lieu et place, l’incontournable figure. Soi seul redevable de Soi. Soi s’abreuvant à sa propre source. L’eau qui s’en échappe, fût-elle, un jour tarie, quel autre Sourcier que celui qui lui a donné forme pourrait en écrire l’insaisissable advenue à soi ? Il faut beaucoup de naïveté, un brin d’orgueil, un sens pour le moins atténué de la réalité pour opérer ce retournement, lequel fait du Thérapeute l’oracle infaillible grâce auquel le Patient (le bien nommé !) pourrait, par le miracle d’une entremise extra-ordinaire (qui s’exonèrerait des catégories mondaines fondatrices d’un exister sur Terre), recouvrer, sinon l’entièreté de son être, du moins restaurer la fluence d’une eau qui, un instant, s’est retenue quelque part dans la conque chiffrée d’un espace à proprement parler in-humain.

  

   Entreprise éthique.

 

   Or s’assurer de son humanité est une entreprise éthique dont le propre est bien de concerner et ceci très exclusivement le Sujet dont le destin le met en demeure d’affronter une question, de tenter de la résoudre, de dépasser ses propres apories afin que, assuré d’emprunter le seul et droit chemin de la Vérité, il pût à nouveau s’enquérir de nobles actions qui porteront aux Autres, au Monde la parution d’un visage humain, rien qu’humain. Nulle diversion, nul ricochet, nulle dérobade, nulle partie de billard à bandes multiples. Sortir d’une thérapie n’est jamais que recouvrer son propre itinéraire, non celui d’un gourou, d’un maître à penser, d’un directeur de conscience. La solitude, par l’abîme dont elle suppose le tutoiement, sans secours aucun, est la marche escarpée à franchir, la seule, afin que quelque chose s’éclaire qui s’était assombri.

  

   S’assurer de soi.

  

   On dira, sans doute, la témérité de celui qui se veut pour seul guide, on dira la paranoïa agissante, on dira la recherche d’un but qui, jamais ne sera atteint. « Ne néglige jamais la main secourable que te tend l’Autre ». Ceci on le profèrera, assurés d’être dans le juste dire, dans l’équilibre, sinon dans la logique imparable qui fait de chaque conduite estimée en raison la seule issue possible. Certes, l’Autre, ceci est une nécessité à l’horizon de chaque homme, mais d’abord il faudra s’assurer de soi, se porter à l’extrême pointe de son être, épuiser tous les possibles de ce qui nous habite comme sa réalité la plus effective. Autrement dit vivre l’altérité en soi. Comment ceci est-il possible ? Simplement à la mesure de toute étrangeté qui se fait  jour dès le moment où l’on questionne. Regardez donc votre visage dans le miroir. Sondez vos yeux, ce gouffre sans fond. Interrogez votre langage, ce monde si vaste qu’il ne se laissera jamais appréhender. Affrontez votre corps, cette masse abyssale que vous n’approcherez qu’à la manière d’un continent inexploré : jamais vous ne pourrez, de vif œil, prendre acte de votre dos, mystérieuse géographie que seul un Autre, précisément, pourra déchiffrer ou bien la face lisse d’une psyché ( la bien nommée !), vous délivrer une image. Jamais de correspondance de soi à soi qui serait l’accusé de réception de l’entièreté de votre nature.

   

   Soi = Soi se connaissant.

 

   Mais s’il vous faut des artifices (le miroir), des médiateurs (les Autres) vous et vous seul pouvez vous porter devant votre conscience afin qu’éclairée, elle puisse témoigner de votre présence et provoquer le rayonnement qui vous fait être hommes sur la Terre, sous le Ciel, parmi la grande marée humaine et les dieux trop tôt disparus. Pour dire l’entièreté de cette « monstruosité » ou bien de cette « gloire », c’est selon et, quelque part, les contraires finissent par coïncider, il faudrait avoir recours à la figure de la tautologie : Soi = Soi se connaissant, laquelle malgré son air de pétition de principe est affirmation d’un fondement indémontrable mais dont l’évidence frappe les yeux, le cœur, la raison. Ramenée à son absoluité : Soi = Soi annulerait l’Autre tout en le supposant inclus à même la biffure qui l’exile de l’exiguïté d’une telle assertion.

  

   Soi et langage de l’être.

 

   Mais revenons à la peinture. Thérapie en son voile léger, en sa citadelle intérieure sonde l’abîme qui vient à son encontre, ce Soi écartelé entre  ce rayon de pure lumière qui la nimbe d’une éternité alors que, dans l’ombre, la sombre dépouille de l’oiseau la guette comme une proie bientôt disponible, l’éclat de l’instant dans son constant évanouissement. Sise entre deux égales contradictions : l’éblouissement de la lumière, les mors avides du Néant, où donc demeurerait-il un site possible pour un Thérapeute, où donc si ce n’est dans ce Soi que cerne une origine, que limite une finitude ? Où donc ? Seul le Soi est à même de tenir le langage de l’être que nous sommes dans l’absolu d’une grâce qui nous est donnée en propre comme cette volte infinie que nous faisons autour de nous. Peut-être ne sommes-nous que des Derviches Tourneurs au centre de cette immense corolle blanche toujours en quête de cette pureté qui nous exilerait du monde et nous ôterait la ténèbre du souci, l’instigatrice du mal et la nervure de l’angoisse. Or ceci, ce sentiment intime, cette réponse au tragique de l’exister nous sommes seuls en notre for intérieur à pouvoir en rencontrer l’expérience et à en vivre l’irréfragable loi. SEULS !

 

  

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26 septembre 2017 2 26 /09 /septembre /2017 09:05
Cette désertion du jour (1° partie)

   Cette désertion du jour.

 

   Avait-on jamais dit cette constance

Des objets à être

Des choses à signifier

Des hommes à faire leur halo de présence sur les chemins du monde

Alors qu’à l’évidence ne paraissait qu’une énigme souffreteuse

Une triste parution de tout ce qui était

Sous le ciel

Sur la Terre

Dans les demeures

Que clouaient de sinistres lueurs

 

   Avait-on jamais dit cette confondante désolation

Dont jamais nul ne se sauverait

Sauf à inventer une fiction

A écrire une fable

A composer une comptine pour enfants

Hommes-Enfants

Femmes-Enfants

Enfants-Enfants

Comme si de toute réalité ne devait jamais subsister

Que cette empreinte de puérilité

Cette innocence plénière

Cette fleur de jouvence qui attirerait jusqu’au plein de sa corolle

Dans cette incertitude écumeuse

Dans cette touffeur maligne

Dans ce piège odorant

Où se perdent les songes

Où se naufragent les utopies

Où s’éclipsent les tentations

D’entretenir le moindre espoir

De prolonger la partie et d’en connaître enfin

Les somptueux arcanes

Mais la fin de quoi

Pourquoi

  

   Cette désertion du jour.

 

   Alors constatant ceci

Cette fuite des choses au-delà de l’horizon

Cette perte du jour dans le tissu serré de l’heure

Cette obligation de n’être à soi que dans la démesure, l’évitement, l’esquive

Alors constatant ceci

L’irrémédiable pesanteur

L’étau ligaturant les tempes

Les forceps clouant les efflorescences du langage

Ta voix s’élevait dans le vent solitaire

S’en prenait à l’indifférence du peuple sylvestre

A la mutité de cette neige

De ce tapis sourd dans lequel se perdaient

La persistance de tes yeux

La forge essoufflée de ton désir

Ta volonté dissoute dans un bien étrange acide

 

   Cette désertion du jour.

 

   Tu en sentais les vibrations

Au fond de ta gorge

Dans les sombres vallées de ton corps

Autant dire la forêt de ton sexe

Tu en éprouvais les reptations serpentines

Bien au-delà de cela même qui eût été compréhensible

Savoir l’immédiateté de l’univers à signifier

Tu en disais secrètement la faille ouverte

Je pensais alors à tes abîmes vertigineux

Par lesquels se maintenait mon étonnante sustentation

Un pied au-dessus de la Mort

Je pensais à tes douces collines

Ces perles gonflées de tes seins

Cette amande généreuse

De ton sexe

Cette pluie bienfaisante qui en inondait la canopée à l’instant magique de

La jouissance

Cet éclat solaire

Cette irradiation

Cette explosion de grenade carminée

Dans la nuit de

L’angoisse

 

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 08:47
Affliction rouge.

Détail d'une oeuvre de

Dongni Hou :

« Sanglot silencieux ».

 

 

 

 

   Homme de peu de conscience.

 

   Voici ce qui pourrait apparaître à l’horizon d’un mythe réinterprété. Un homme est accroupi au sol, dans la posture de la désolation, alors qu’une pluie de gravats s’étend autour de lui, l’emprisonnant dans cette geôle pierreuse. L’homme en question n’est autre que l’infortuné Sisyphe qui semble avoir renoncé à faire rouler son rocher, continuellement, jusqu’au sommet de la montagne. Epuisement de la volonté de puissance qui semble avoir changé de camp. D’humaine qu’elle était, cette volonté semble être, maintenant, le prédicat le plus visible des choses : de la montagne qui fait obstacle avec sa couleur ténébreuse d’Hadès, du ciel qui fait écran à la mesure même de sa teinte de sanguine, genre d’incompréhensible brasier, de signe cosmique venant mettre un terme aux agissements de cet homme de peu de conscience.

  

   Ombre du châtiment.

 

   On n’affronte pas les dieux, Zeus au premier chef,  sans qu’une vigoureuse admonestation ne s’ensuive a minima et, a maxima, une condamnation à demeurer éternellement prisonnier de sa propre inconséquence. Châtiment comme prix à payer. Combien cette attitude d’un Sisyphe assis au centre de sa désolation est plus tragique que celle qui consistait à pousser, selon l’image de la tradition, son innommable caillou, inlassablement, du bas en haut de la colline avec l’espoir qu’il demeurerait peut-être au sommet, au hasard d’une hypothétique anfractuosité, restituant à l’Inconscient la liberté qu’il avait sacrifiée à la mesure de son geste imprudent. Tant que la chose à pousser était mobile, s’inscrivant dans cette transitivité, la lumière d’un possible espoir pouvait encore faire phénomène.

 

   Forme la plus nihiliste.

 

  Ici et maintenant, cloué au sol, Sisyphe a consumé ce qui lui restait, sinon de libre décision, du moins d’un ressort à bander, d’un tremplin à solliciter afin de s’exonérer, un instant seulement, de cette condition qui n’était humaine qu’à l’aune  d’une gesticulation mécanique pareille aux soubresauts d’un automate. Elle ne s’affiliait, en réalité, cette buée de dessein, qu’à la posture de l’animal  dépourvu d’un monde, au sens d’un défaut de projet à soutenir.

    La volontaire dégradation du mythe ici accompli a seulement valeur propédeutique qui nous amènera à saisir la désolation qui habite un tel état. La forme la plus nihiliste de l’exister est atteinte. Tout espoir est balayé de jamais pouvoir atteindre le sommet de la colline, d’y déposer son fardeau, toute tentative de faire parler la raison devient mutique, toute démarche en direction de la liberté est un essor qui manque d’élan et s’effondre sous le poids de son inconsistance. Enfermement quasi-autistique qui dit l’impossibilité d’être là, sur cette terre, en ce lieu, en ce corps.  

 

Affliction rouge.

Sisyphe, par Franz von Stuck, 1920.

Source : Wikipédia.

 

 

   Et maintenant, venons-en à la forte symbolique qui repose en l’œuvre de Dongni Hou. Pour notre part nous y voyons une étroite analogie avec la situation tragique d’un Sisyphe qui aurait décidé d’abandonner son combat, de laisser le champ libre à l’inévitable pesanteur du destin. Similitude des postures qui détermine une identique confluence des situations existentielles.

  

   Être-Racine ; Être-Mur : le même.

 

 Cette oeuvre, à l’accent étrangement contemporain, nous laisse entrevoir l’épuisement, en termes d’essence, de la nature humaine comme si son seul horizon se heurtait au mur écarlate du plus vertical des nihilismes qui soit. En fait il n’y aurait plus que ce lourd sentiment d’exister, cette pâte compacte qui fait dire à Roquentin dans « La Nausée » : « Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c'était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans l'existence ». Et encore : "J’étais la racine du marronnier...perdu en elle, rien d’autre qu’elle." Et pour parodier l’auteur de « L’Être et le Néant », nous pourrions formuler l’assertion suivante, donnant la parole au Sujet du tableau : « J’étais le mur rouge…perdu en lui, rien d’autre que lui ». Sujet se dissolvant à même la chose qui lui fait face, réification de la mesure anthropologique : objet face à un autre objet comme deux chiens de faïence s’observeraient du fond de leur regard vide de sens. Rien ne s’y imprimant que l’esquisse du nul et non advenu.

 

   LES DETERMINANTS DU NIHILISME ACCOMPLI.

 

   Pour percevoir ces déterminants il suffit de se livrer à une description phénoménologique qui appellera les « choses mêmes », à savoir dévoilera leur vérité.

 

   * Mur violemment écarlate en son austère et imparable verticalité. Il est un écran contre lequel briser l’avenue ténébreuse d’un destin qui ne se saisit plus que sous les espèces de l’aliénation. Jamais un mur violemment dressé dans l’espace n’est ouverture. Jamais une racine enfouie dans la surdi-mutité de la terre ne prononcera de langage déployant le site d’une clairière, l’aire d’une présence. C’est d’impossibilité dont il s’agit ici, de dernier terme avant la finitude. Toutes les portes sont fermées. La citadelle-femme est assiégée, les meurtrières occluses par lesquelles on voyait se dessiner les figures tangibles et vivantes du réel. 

 

  * Et le rouge de la toile, cette braise qui dépasse la passion pour mieux la faire se consumer jusqu’au point de non-retour de l’extinction. Un rouge identique teinte les processions funéraires en Asie. Un rouge qui fait se lever les forces démoniaques et infernales. Si « l’enfer est pavé de bonnes intentions » il est surtout pavé du rouge des flammes. Un rouge stigmatisant le vice de la « grande prostituée de Babylone », cette mise à mort du corps de la péripatéticienne, geste d’immolation que profère la fureur noire du Minotaure. Le rouge du sang des victimes, des sacrifiés, le rouge de la violence qui, précisément, « voit rouge ». Le rouge de l’interdit : « au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » ou le rouge comme dernière station avant que la mort ne sévisse. Rouge contre lequel vient buter le corps de la femme, ce brasier qui en rencontre un autre qui va le réduire à néant, l’annihiler, l’incendier comme pour une cérémonie de crémation. Les bûchers de Vârânasî, au bord du Gange, ne sont guère éloignés alors que la lumière inonde les gradins de pierre et que les corps se dissolvent dans la fumée et l’odeur âcre de la nécessité.

 

   * Ce corps qui est vu de dos est entièrement soumis à la possession du Voyeur, celui-ci fût-il doué des meilleures intentions qui se puissent imaginer. Alors, encore une fois, il nous faut recourir à l’analyse sartrienne faisant du regard de l’autre cet objet aliénant le Sujet qui est visé. Et le Sujet est d’autant plus sous l’emprise de cette vue dépouillant jusqu’à sa conscience même puisqu’il ne peut, de dos, s’y soustraire. Position du condamné à mort face au peloton d’exécution dont, yeux bandés, il ne peut supporter le sordide visage. Sans doute les commis de la mort doivent avoir de bien étranges rictus. On ne tue pas gratuitement, comme cela, pour passer le temps !

 

   * Ce corps qui est voûté, pareil à une anatomie pliant sous les fourches caudines d’un exister si pléthorique qu’il est en train de succomber à la surpuissance de l’être, à sa violence interne, à sa décision d’avoir le dernier mot. La vie est « un long fleuve tranquille » à seulement en dérober la charge dramatique, à en évincer l’exigence d’une dette à payer, à reconnaître dans la suite des jours le coup de dés du destin qui, parfois, s’acharne sur sa victime au point de la dépecer, de la priver de son essence. A terme il ne demeure que des lambeaux sans demeure, précisément, sans habitation possible. Autrement dit « habiter poétiquement sur terre » est bien une exception que cette Condamnée ne pourrait affirmer qu’aux yeux des insouciants et des benêts. Les Eveillés, eux, ont compris l’enjeu de la condition mortelle et ils en préméditent la sombre venue dont ils pensent qu’elle les sauvera, provisoirement, du déluge.

 

   * Ce corps qui est partiel, comment correctement s’en emparer si ce n’est à la manière d’un objet en partance, dont la géographie entière ne nous est nullement accessible ? Perte en soi en direction d’une inévitable chute - fait-elle signe vers la faute originelle ? - ou bien, coalescente à la structure du devenir, est-elle seulement à considérer tel le processus qui nous concerne dès notre naissance ? Pour lequel il ne saurait y avoir aucune pause, aucune rémission. La temporalité est sans pitié qui nivelle tout, aussi bien les collines en leur continuelle érosion, aussi bien l’homme dans sa propension à rejoindre le sol natal dont il provient, cette terre qui le hèle du fond de sa réserve comme si, de cet ultime ajointement pouvait résulter la plénitude d’un sens. Et sans doute en est-il ainsi, quoi que nous fassions, notre rébellion fût-elle amplement légitimée. Nous ne sommes entièrement réalisés qu’absents du monde qui demande des comptes et reste les mains vides.

 

  * Ce corps qui est osseux, qui laisse déjà deviner le squelette définitif, celui sur lequel les anthropologues se pencheront avec attention, brosse de martre en main, loupe à l’œil, pince extrayant les signes d’un passage. Passage long au regard de l’échelle humaine. Court dans la vision totalisante des civilisations qui, au final, se résolvent en des sédimentations ossuaires qui sont l’emblème de milliers de vivants ayant essaimé le long de leurs parcours, qui les spores de la beauté, qui ceux de l’immédiate satisfaction des choses, qui encore la gloire éphémère des anatomies lustrées par les illusoires attentions de la cosmétique. En dernier ressort, un os valant un autre os, un astragale un tibia ou un péroné. « La seule justice » diront certains. Mais quelle justice y a-t-il à mourir alors que l’inventaire est à peine entamé des connaissances dont nous aurions pu faire notre justification à durer ?

 

   Les déterminants du nihilisme accompli, les ultimes instances de la métaphysique se présentent à nous sur le mode de l’étrangeté apparitionnelle, du lexique de la complainte, de l’aide à figurer au monde autrement qu’à l’aune de la disparition, de l’absence, de la biffure définitive. Mur dressé en son inconcevable fermeture ; Rouge qui fait sa brûlure pareille aux flammes de l’enfer ; Dos qui est l’envers du visage à connaître en tant qu’épiphanie humaine ; Corps voûté faisant signe vers une voûte qui ne supporterait plus la charge de son édifice ; Corps partiel, autrement dit scotomisation de la présence à soi, à l’autre ; Corps dans sa sédimentation ossuaire identique à l’avant-goût d’une connaissance de ce que serait l’être au-delà de l’être.

 

  Penseurs tragiques.  

  

  Ceci fait inévitablement penser aux penseurs tragiques de notre temps : Nietzsche, Kierkegaard, Schopenhauer, Cioran, mais aussi aux paroles de l’Ecclésiaste. Ceci ne veut pas nécessairement dire qu’un goût morbide anime les lecteurs qui essaient de sonder les pensées de ces philosophes. Tel Montaigne il est toujours temps de préméditer la mort afin que, la connaissant d’une façon approchée, certes tout intellectuelle, elle nous effraie moins, même si c’est au prix d’un renoncement partiel à l’essence du stoïcisme.

   Il existe une esthétique de la mort comme il existe une esthétique de la vie. Mais ici il convient de ne pas faire de contresens. Nulle mort n’est belle. Nulle mort n’est esthétique au sens qui est conféré à ce mot par les familiers des Beaux-arts. Ici, il convient de prendre « esthétique » à la racine, au sens étymologique grec de : « qui a la faculté de sentir; sensible, perceptible ». Car si l’on perçoit bien la vie, y compris dans sa figure « d’inquiétante étrangeté », on perçoit d’une façon approchée le phénomène de la mort à la mesure du vide qu’elle creuse, du désarroi qui en habite la contrée, du sentiment de perte qui y est irrémédiablement attaché.

   Notre posture par rapport à ces questions « insondablement » métaphysiques (ceci est une redondance) s’inscrit dans un comportement, une attitude éthique, un ressenti philosophique lesquels, en dernière analyse, s’alimentent à notre vécu empirique. Pour cette raison des vécus phénoménaux souvent résolument antinomiques, nul ne peut prétendre expliquer quoi que ce soit, à plus forte raison juger telle ou telle posture sur ce qui, par nature, nous dépasse de toute la hauteur d’un insondable, d’un inintelligible, souvent d’une incompréhension qui referme sur elle-même sa bogue d’ennui infini.  

 

   « Le charme des penseurs tristes ».

 

   Mais il s’agit maintenant d’évacuer cette lourde atmosphère spéculative en faisant fond sur de plus réjouissantes perspectives. Si la peinture de Dongni reprend à son compte des thèmes récurrents de la pensée contemporaine et notamment la dimension désespérée, nihiliste, l’empreinte violemment absurde de l’existence, il convient d’alléger le débat, de le porter sur les fonts baptismaux d’une ironie, laquelle, bien évidemment, ne saurait faire l’impasse quant aux problèmes fondamentaux, prendre une nécessaire distance cependant. Pour ce faire nous allons faire appel à quelques réflexions tirées du livre de Frédéric Schiffer, « Le charme des penseurs tristes » :

 

   « Concernant, donc, la philosophie, quand, à l’occasion, je demande à un amateur quel livre de sagesse (ici il convient de réaliser une synonymie entre « sagesse et esthétique », c’est moi qui souligne), il conserverait sur lui en cas de passage à vide […] jamais personne ne me répond : L’Ecclésiaste, ou les « Maximes » de La Rochefoucauld, ou encore « Le Précis de décomposition » de Cioran - à plus forte raison « Le Bréviaire du chaos » de Caraco. […]

   De fait, des pages où l’on ressasse que « tout est vanité », où l’on souligne que l’amour, « si on le juge par la plupart de ses effets, ressemble plus à la haine qu’à l’amitié », où l’on ricane du fait que les hommes sont « des charognes verticales dont la seule activité se réduit à penser qu’ils cesseront d’être », et où l’on recommande le suicide « comme marque de politesse », n’ont guère vocation à regonfler le moral des âmes, même les moins douillettes. Ce à quoi je rétorque que c’est une marque de philistinisme de n’en pas goûter le charme ».

 

   Remède à l’affliction.

 

   Donc, en dernière analyse, ne souhaitant nullement nous faire taxer de philistins, ces béotiens ayant un goût peu marqué pour les arts et la littérature, selon la définition classique qui leur convient, nous regarderons d’un œil attendri et complice le Sujet de cette belle toile, fût-il désespéré, mais aussi bien ce beau syllogisme de l’amertume du très pince sans rire Emil Cioran : « Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter ». Pour notre part, à cette éructation inattendue autant que triviale, nous préférerions son chant mélodieux, sa voix fût-elle voilée par l’émotion. Oui, l’émotion cette corde sensible qui, tantôt, nous incline du côté de la simple romance, tantôt de l’adagio ou de la  symphonie fantastique, parfois du rire qui résonne comme naturel antidote à toute affliction. Ainsi chemine la vie qui bat son plein. Buvons-la jusqu’à la lie !

  

 

 

 

 

 

  

  

  

 

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2 septembre 2017 6 02 /09 /septembre /2017 08:34
Tissées de silence.

« 31 Août »

 Œuvre : André Maynet

***

 

« Voir un visage revient à dire en silence son énigme invisible. »

 

Jean-Luc Marion

*

 

 Variation sur une parole de sagesse

 

« Voir un corps revient à dire en silence son énigme invisible ».

*

 

    Jean-Luc Marion nous pardonnera cette liberté prise quant à au contenu de sa belle phrase. Corps, visage, quelle différence en réalité dans la mesure prise  du silence, dans l’appréciation de l’invisibilité, de l’énigme qui les parcourt comme un frisson fait lever sur une peau sensible les milliers de picots de l’émotion ? Certes le visage contient en soi, dans sa complexité, dans sa polyphonie les nervures selon lesquelles connaître le vertige des sens. Un visage, ça parle. Un visage, ça écoute. Un visage, ça voit. Un visage ça goûte. Confluence des percepts qui viennent à notre rencontre afin que l’altérité ne demeure un hiéroglyphe scellé sur son secret. Les sens sont faits pour découvrir l’autre en nous. Le différent. Parfois le différend car il n’est jamais garanti que ce qui nous visite entre en nous avec la grâce requise à la réception de la chose inattendue, peut-être souhaitée, en tout cas lieu d’un étonnement, parfois d’un saisissement. Nous sommes toujours surprise ne connaissant nullement le terme des hôtes qui gravitent à notre entour.

 

    Teinte de feuille d’automne 

  

   Surprise et même y aurait-il ravissement, nous demeurons au seuil d’une terre sans nom, exilés, interdits de n’en pouvoir posséder qu’un infime territoire, un versant, une crête, une ligne courant dans le fond d’une vallée. Ce luxe de l’épiphanie humaine, cette face qui illumine de son parcours radieux les chemins du monde, qu’en retenons-nous, qu’en fixons-nous dans les capricieuses volutes de notre mémoire ? Un visage connu, aimé, vient-il tout juste de s’absenter et, déjà, nous sommes dans l’angoisse de l’avoir perdu. Le front de l’aimée était-il bombé ? Ses yeux, couleur noisette ou bien mordorés, teinte de feuille d’automne ? L’arc de Cupidon était-il régulier ? Les pommettes rehaussées à la façon d’une Reine de Nubie ? Son menton effacé ou bien affirmé ? Et cette fossette dans le pli de la joue, a-t-elle au moins existé ou est-ce notre imaginaire qui l’a déposée là, sur la peau nacrée afin  que nous attachions à un détail, comme à un môle,  notre errante souvenance ?

 

  Du bassin, la vasque d’amour

 

  Et son corps, comment s’inscrit-il dans la crypte de nos souvenirs ? N’est-il pas encore plus fuyant que l’inaccessible visage ? Des mains que conservons-nous sinon la force d’une étreinte ? Des bras le geste d’un enveloppement ? Des hanches la lumière dans le jour qui décline ? Du bassin la vasque d’amour qui oscille et bat la mesure? Des jambes le parcours jusqu’à notre digue étroite ? Des pieds l’impatience à être dans le sillage que nous traçons pour ne demeurer orphelins dans la contrée insulaire ? Nous voyons bien que le corps est ce roc, ce massif silencieux, cette excroissance dont nous ne saisissons jamais que le désir, l’ambroisie de la volupté, la perdurance d’une félicité. Toute chair s’immole à même son invisibilité. Toute chair est, par essence, effacement. Ne serait-elle ceci et alors nous demeurerions attachés à sa forme matérielle et jamais au poème qui l’habite, au langage discret qui l’anime depuis l’intérieur, cette sombre caverne qui bruit de toutes les rumeurs de l’exister. C’est pourquoi nous sommes toujours en manque de ses mots, de sa mystérieuse sémantique, de ses codes chiffrés. Alors nous cherchons.

 

    Un ballet baroque

 

   Car il faut bien se fixer quelque part, lancer des amarres, trouver une anse où abriter son fragile esquif. C’est toujours d’un parcours de chemineau dont il s’agit. Avec ses pas hésitants, ses esquives, ses soubresauts, parfois ses culs-de-sac, ses impasses où plus rien ne brille que, précisément, le silence majuscule avec ses bruits de rhombe lancé dans le tumulte de l’air, avec ses ricochets, ses phosphorescences faisant leur traînée de feu dans l’avenue nocturne du destin. Alors nous tendons l’oreille, nous espérons le recueil, dans sa conque, d’une fugue, d’un menuet enjoué, d’un ballet baroque qui nous sauvera du naufrage. Oui, car nous sommes des êtres en péril qui ne pensent leur salut qu’à l’aune du bruit, du mouvement, de l’agitation, des grimaces éloquentes et colorées des carnavals.

 

    Des rutilances de poivre

 

   « 31 Août », le titre de cette image comme pour résonner en écho avec ce qui vient de se montrer. L’été a eu lieu avec ses déhanchements, ses odeurs boucanées d’huile solaire, ses terrasses en bord de mer où vibrait l’odeur entêtante des grappes des bougainvillées, ses orchestres habillés de cuivre et de cymbales, ses concerts de voix qui couraient jusqu’au fond des plus étroites venelles. Partout la vie coulait à flots, partout sévissait la grande marée dionysiaque des humeurs festives. Ici des liqueurs vertes dans des verres cernés de brume, là des mets odorants, épicés, des effluves de safran et de cannelle, des rutilances de poivre, des éclats de fleurs de sel. On buvait. On riait. On pleurait parfois, mais d’ivresse, mais de bonheur, mais d’un contentement qui paraissait n’avoir pas de fin.  On oubliait qu’on avait un visage. On oubliait qu’on avait un corps. On ne se souvenait plus des tresses de silence qui, autrefois, dans le frimas d’hiver, s’enlaçaient à nos humeurs chagrines. Ce qu’on voulait, c’était la démesure, l’amplitude, l’éploiement de la vie en ses corolles luxuriantes, en ses bulles irisées, ses broderies polyphoniques.

 

   1° Septembre ou la déclivité apollinienne

 

   « Porcelaines Blanches » sont dressées en leur éphémère silhouette. Trois figures préfigurant la venue de l’automne, bientôt le règne de l’hiver et ses généreux frimas. Nul ne peut savoir la nature de leurs corps, la dispensation ouverte de leur visage en l’été qui les a traversées. Leurs lèvres s’étaient-elles gonflées sous la caresse solaire ? Leurs aréoles avaient-elles bruni tels des tessons d’argile au contact du désir plénier qui faisait ses doux rugissements dans l’air tissé d’ardeurs multiples ? Leur ombilic s’était-il orné des tatouages qui étaient les signes avant-coureurs du plaisir, les pliures selon lesquelles connaître l’intime de leur féminité dans le creux d’un fondement ? Leurs sexes discrets s’étaient-ils ouverts à l’incandescence du jour ? Les billes de leurs genoux avaient-elles rencontré le sablier du temps, tutoyé le bonheur de vivre dans l’arche immense de la contrée ouverte ? Leurs corps avaient-ils parlé le langage du débordement, avaient-ils proféré le lexique de la sublime joie, avaient-ils marqué les césures s’inscrivant entre les heures pleines et les heures creuses ? Avaient-ils été le creuset d’une fable, le chant d’une comptine, peut-être le tremplin d’un hymne traversant l’éther de son flamboiement, la corolle exultant de leurs flux, de leurs reflux, de leurs marées intérieures, cette sourde complainte affleurant aux rives luxuriantes de l’exister en son exception ? Comment tous ces corps avaient-ils traversé l’isthme rapide de leur destin ? Comment ?

 

   Faire rugir le corps ?

 

   Septembre dans son habit de cuivre et de bronze - les feuilles des chênes rouvres ne tarderaient à se colorer de rouille, à chuter sur le sol de carton -, Septembre donc avait arasé les ardeurs, tamisé la lumière, poncé les angles aigus des mois dispendieux. Voici venu le règne de l’économie, du feu au coin de l’âtre, de l’air qui étrécit les doigts lors des brumes matinales. Tout revient à tout dans une ultime modestie avant que l’hiver n’entaille de sa lame tranchante la chair tendre de l’âme. A quoi bon se rebeller ? Les saisons sont ainsi faites qu’elles s’emboîtent à la manière d’un ingénieux puzzle. Une prodigalité cédant la place à une exubérance, laquelle s’abîme dans la chute de la lumière, puis la nuit vient qui reprend dans son linceul toutes les paroles du monde devenues, soudain, superflues, sinon inutiles. Pourquoi faire rugir le corps puisque nul écho ne lui répondra. Hiver est latence, fermeture, repos avant le grand ressourcement. Pourquoi darder les braises de sa poitrine que la bise vient d’éteindre ? Pourquoi disloquer son pli libidineux puisque les bourgeons commis à les habiter se sont fermés au crépuscule du jour ? Pourquoi faire de son territoire annexé par la perte de l’heure le lieu d’un bavardage alors que tout disparaît dans la bogue de la non-profération, que tout se scelle dans les rets étroits d’un mutisme ?

 

   Qui fait silence

 

   La saison est enfuie qui parlait, la saison est venue qui fait silence. De l’une à l’autre l’écart de cette belle dialectique qui ne se lève qu’à faire surgir le sens du non-sens, le jour de la nuit, le désir de la continence, la lumière de l’ombre. C’est ainsi, il faut demeurer en silence, aussi bien le visage en son énigme que le corps en son secret. Sans doute même en leur mystère car rien ne se dit jamais des choses indicibles. Ceci est une tautologie. C’est pourquoi, le plus souvent, nous parlons à tort et à travers. Ceci est notre humaine condition. Aussi bien le dire que le non-dire. Ici est le lieu du retrait de la parole face à ces « Divinités Blanches » qui demandent la paix et l’occultation de tout désir. Or parler est déjà désirer le monde à l’aune de notre nomination. Nommer est saisir et porter dans la présence. Nous appellerons le silence et nulle autre chose qui l’offenserait. Toute beauté est silence ! Comment dire encore après cela ? Rien d’autre que la finitude qui en est le point d’orgue. Oui, à partir de ceci : point d’orgue ! Le silence.

 

 

 

 

  

 

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22 juillet 2017 6 22 /07 /juillet /2017 14:06
Temporelle.

                   Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

   Ceci-cela : le temps.

 

   Serrer les poings, faire de son abdomen un miroir concave, arquer son corps à la manière d’une voile et ceci échappe qui fuit toujours vers l’amont ou bien l’aval, constamment en déshérence de soi. Chercher à amarrer sa nuit au bois du lit, s’évertuer à enclore l’aube dans le pli des yeux, s’appliquer à assujettir le jour sur la falaise du front, aspirer à retenir le crépuscule dans l’anse des hanches et cela glisse infiniment dans l’espace libre que parcourt le vent de sa crinière indomptée. Captiver la lumière rasant le sol, fixer la tache d’ombre au contour de l’arbre, sauvegarder le clair-obscur à la cimaise d’une toile et ceci, cela n’est qu’une vapeur à l’horizon du monde. Une danse éphémère qui dévoile son chant léger sur la courbe infinie des choses. Ceci-cela : le temps en son éternelle présence qui ne se montre jamais qu’à n’être plus ce qu’il est dans son avoir-été, qu’à n’être pas encore dans son à-venir que la mémoire efface de son zèle assidu.

 

   Parution blanche.

 

   Temporelle était cette manière d’absence à soi, de nudité, de dénuement, de parution blanche dans la trame serrée de l’exister. Elle était si menue qu’un rayon de clarté eût pu la traverser, imprimant sa fragile silhouette sur un mur couleur de craie, la laissant dans un silence cotonneux, la déposant, en quelque sorte, hors d’elle-même, dans la lisière de l’inconnaissance. C’est tout juste si le buisson des cheveux faisait sa faible rumeur - cette teinte de réminiscence ancienne -, si le cou paraissait, si les épaules brillaient du luxe de la chair, si le bassin s’ourlait de cette flamme qu’on eût pensé y trouver, si le sexe signalait le doux renflement de sa bogue, si les jambes se donnaient comme ces deux colonnes soutenant l’armature de cette étrange cariatide.

 

     Cette seconde qui s’égoutte.

 

    Comme son nom semblait l’indiquer, Temporelle était en quête de cette illisible réalité dont on parlait toujours comme d’une fée ou d’une magicienne, cette journée qui s’écoule, cette heure qui tressaille au creux de l’âme, cette seconde qui s’égoutte telle les larmes d’un glacier. Si Temporelle, pas plus que le quidam qui attend sur le quai de la gare le train-allégorie qui l’emmènera dans la rainure de son destin, si Temporelle donc ne pouvait prétendre emprisonner l’instant dans une cage de verre, elle se sustentait de précieuses provendes qui avaient nom musique, peinture, à savoir l’art en son ineffable mais haute empreinte. C’est dans le lieu inconditionné et multiple des œuvres qu’elle trouvait à se connaître en tant que traversée de temps, ce langage qui nous construit à la manière d’une fable ou bien d’un conte avec son début, son milieu, sa fin, toutes séquences entrelacées avec le surgissement des évènements.

 

   Rythme somptueux des saisons.

 

   Ce qui lui parlait le plus le poème du temps, c’était le rythme somptueux des saisons, leur ample déploiement, leurs contrastes, leurs constantes dialectiques qui les signalaient telles de souples harmonies, presque des enchantements. Combien d’amplitude, de divergences mais aussi de connexions significatives entre la docile palme du printemps, la rudesse de l’été, l’inclination mélancolique de l’automne, la chute hivernale dans son abîme de néant, sa gelure de tout ce qui prétendait s’exhausser de soi. Comme une trace de finitude mais avec, toujours, dans la feuille givrée, dans le germe abrité dans l’humus l’espoir d’une renaissance, d’un temps de ressourcement.

 

   L’adagio automnal.

 

   Le plus souvent elle se saisissait de son violon et, des heures durant, faisait vibrer les « Quatre saisons » de Vivaldi. Elle butinait au son enlevé de l’allegro printanier ; elle faisait se soulever les hautes vagues du presto estival ; elle se laissait dériver doucement aux notes longues de l’adagio automnal ; elle se confiait à la plainte languissante  du largo hivernal. C’était alors comme d’être traversée par le chant des oiseaux, le clapotis de la fontaine, l’haleine du zéphyr. C’était se livrer entière au ciel balafré de blancheur, aux nuages tonnants, aux percussions de la grêle, c’était voir de ses yeux encensés d’orage la chute des épis, l’accablement des tiges sur ce qui, bientôt, brillerait du soleil du chaume.

 

    Sablier léger de l’air.

 

   C’était abandonner la symphonie des cigales, renoncer aux virevoltes de la danse, emplir ses poumons du sablier léger de l’air, se livrer sans atermoiement au sommeil que zébraient les rêves de leurs lueurs de météores. C’était livrer sa chair aux incisions de la neige étincelante, confier le velouté de son épiderme aux morsures du vent, courir à perdre haleine sur les congères nues, animer ses dents des claquements de la froidure. Chaque mince événement, chaque vibration du vivant étaient la trace indélébile, en soi, de cette cadence ininterrompue du jour qui faisait palpiter le cœur, mettait l’imaginaire au diapason du fleuve, de la goutte de pluie, du filet de fumée se perdant dans les tresses immobiles de l’éther.

 

   Vivre en tant que Temporelle voulait dire ceci :

 

   Dire le Printemps  faisant son éclosion originelle, là, au milieu du Paradis. On était tantôt Eve dans sa nudité innocente, tantôt Adam dans sa neuve virilité. On était la scansion du temps en son empreinte primitive, cet à peine ébruitement des choses dans le paysage infiniment maternel. On était entouré d’arbres aux frondaisons immenses dont chaque feuille était une seconde en suspens, un œil regardant les premiers pas de l’humain dans la contrée qui allait se déployer en destin. A long terme, mortel, mais nul ne le savait encore, le péché n’avait pas été commis qui pétrifiait le temps, le rendait minéral, cette dureté de silex contre laquelle l’homme, dorénavant, érigerait l’acier de sa volonté.

 

  Dire l’été avec son champ de blé rutilant, ses arbres répandant une douce fraîcheur, une montagne au loin coiffée d’une tresse de nuages, de riches demeures plantées sur une colline. Dire la misère de Ruth, la générosité de Booz qui  l’autorise à glaner quelques épis puis la prendra pour épouse dont il aura un fils qui aura un fils et ainsi de suite, installant  le temps généalogique, christique, qui sera le temps des hommes et des femmes sous le ciel souvent aveuglé de clarté. 

 

   Dire l’automne avec les envoyés de Moïse de retour de Canaan, la Terre Promise, dont ils rapportent les fruits pour attester la fertilité de ce sol mythique. Dire le chant biblique qui se dévoile dans toute l’ampleur de son mystère, cette magnifique lumière dorée qui s’épand sur falaises et collines à la façon d’un fabuleux nectar. La grappe de raisin est démesurée qui dit à la fois le sang du Christ, mais aussi la petitesse de l’homme à l’aune de la majesté divine. Dire surtout le ciel immense qui magnifie la nature, la porte au chevet d’une éternité, d’un temps immensément long qui sera la mesure à laquelle les Existants seront désormais confrontés. L’infiniment petit au regard de l’infiniment grand.

 

   Dire l’Hiver, le sens tragique qu’il inspire comme si le Déluge frappait de nullité toute parution au monde. Ciel couleur de cuivre sombre que zèbre une nuée blafarde. Lune voilée. Arbres à peine apparents dans la lumière si basse, comme venue d’une crypte. Dire la stupeur des naufragés que l’onde menace d’engloutir à tout moment. Temps de conclusion douloureuse, temps de finitude par lequel se dit la fragilité de toute vie. Temps qui tremble, saisi de son propre vertige comme s’il procédait à sa propre perte.

 

   En mode de peinture.

 

  Disant ceci, ces dernières quatre saisons de Temporelle c’était simplement dire les merveilleux tableaux de Nicolas Poussin sur le thème du temps qui passe. Car, si la saison est bien quelque chose de concret, de visible, de palpable, elle porte surtout en son sein la dimension ontologique qui est, en premier lieu, tissée de temporalité. Notre être ne devient qu’emporté hors de soi en direction de cet hiver que précèdent l’automne, l’été, le printemps en leur sublime donation. Temporelle dans le clair-obscur de sa nudité est cette ineffable langueur du temps qui nous saisit, nous transit et cependant nous invite à la gloire d’exister. Nous sommes un saisonnement  qui avance vers l’inconnu. Oui, l’inconnu, mais qui avance !

 

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 14:27
Imago Mundi.

               Chrysalide de début d'été.

                Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

   Brève note liminaire.

 

   Ici se montrera le processus de la métamorphose portant en lui les diverses strates du temps, les différentes effectuations des corps, leur parcellisation en voie de totalisation. Chaque étape - chenille, chrysalide, imago -, est une station sur le chemin de l’être, lequel n’est entièrement réalisé qu’en vertu de la finitude qui lui est promise de tous temps. Alors un nouveau cycle s’instaure montrant l’événement extraordinaire d’une vie prenant essor d’une mort. Infini cycle d’une présence/absence, éternel retour du même dont nous ne sommes qu’une des brèves actualisations. L’évolution du papillon se laisse entendre comme clignotements successifs de la présence au monde.

   Si l’on reporte ce calque à la genèse de la Terre, la première de ses représentations, l’Imago Mundi babylonienne s’interprète en tant que parenthèse particulière de son histoire, simple chrysalide attendant de trouver sa complétude. Géographie en constante transformation qui fait varier sa morphologie, ses frontières, ses paysages. Jamais terminée en elle-même, toujours en voie de mutation, ce qui est la loi de tout organisme vivant.

   Imago Mundi se superposant dans une manière d’homologie signifiante avec notre propre réalité hautement métamorphique, ce Monde en attente de constitution qui est le nôtre. Sans doute la subtile dynamique de la modification inscrite dans le passage d’un état à un autre est-elle le phénomène le mieux à même de nous révéler en tant qu’être-devenant-mortel. Et nous ne le sommes qu’au travers de ces médiations successives qui nous portent constamment de l’en-deçà vers l’au-delà de notre conscience. Simple cheminement existentiel parmi un immense carrousel d’images.

 

   Des « considérations inactuelles ».

 

   Contempler cette image pourrait durer une infinité de temps et nous n’en percevrions nullement la discrète parole. Car, ce qu’elle porte en elle ne s’épuise ni dans le présent, ni dans un possible futur. Cette image appartient au passé tel que nous le rejoignons, parfois, dans la sublime architecture des songes. Tâcher d’en deviner les lignes de force dans une visée immédiate ne ferait que nous égarer nous-mêmes dans des considérations inactuelles. Il en est ainsi des choses visibles qui disparaissent souvent à même leur secret, nous laissant les mains vides et le cœur en souffrance. A commencer par nous qui ne sommes qu’une présence/absence puisque nous figurons ici tout en étant ailleurs. Les gens nous considèrent telles des choses achevées alors que certains de nos fragments flottent, épars, parmi les glaces d’autrefois, dérivent le long de nos rives intérieures et nous débordent bien au-delà de notre périphérie puisque nous rêvons de futur, de projets, de réalisations dont nous attendons, le plus souvent, l’atteinte d’une forme d’émerveillement. Et, d’ordinaire, nous demeurons cois, en suspens dans quelque dentelle inaccessible du temps.

 

   Son nom d’Imago Mundi.

 

   Si nous appliquons aux autres et singulièrement à cette brève Effigie le même canevas dans l’ordre de la connaissance, alors nous nous apercevons que, loin d’être entièrement rassemblée en soi, cette En-voie-de-devenir s’attache aux jours anciens par mille souvenirs, aux jours futurs en raison de mille flèches qu’elle décoche, myriade de plans sur la comète dont elle est l’émettrice. Autrement dit, c’est dans un geste éminemment dynamique que nous pourrons nous emparer de son être dans un genre d’approche qui dépasse le flou des pures supputations. L’Artiste nous la propose sous le titre de Chrysalide de début d'été. Or, qu’est-ce qu’une chrysalide sinon un progrès ontologique dont nous ne saisissons, dans l’instant, qu’une des facettes selon lesquelles son apparaître la destine à être connue ? Elle est un degré sur une échelle, une graduation sur un instrument de mesure, une brisure de lumière colorée dans le mouvant spectacle du kaléidoscope anthropologique. Elle est une image arrêtée sur l’écran de notre conscience, le simple mot d’une phrase, la brève illumination d’un processus.

Imago Mundi.

             Imago Mundi.

          Source : Bylogos.

 

 

   Pour cela même et pour bien d’autres raisons, Imago Mundi (son autre nom) est pure venue à soi d’un émerveillement toujours renouvelé. Elle est cet événement inscrit dans la première argile où se dessinent les signes et les repères de sa propre géographie, où émergent les méridiens des sentiments, où s’irise dans un genre de confusion originelle la carte de Tendre qu’elle nous tend comme son image la plus probable. Elle est cette idée babylonienne qui tremble dans le lointain, tette une pierre première recueillant les sèmes ineffables de l’exister. Entre la chenille et le papillon venu à soi dans le pur paraître, en instance d’être vraiment, toujours cette faille en arrière des choses, cette brume au devant qui porte le nom de futur, ne se dévoile jamais que dans la vision trouble des approximations. Identique à cette évocation de la Terre d’inspiration cosmologique - cette préhension singulière du monde -, encore cernée de la néantisation d’un chaos perceptible mais s’ouvrant déjà sur une perception approchée et manifeste du réel. Magnifique métaphore de ce que la culture des hommes invente au fur et à mesure de son cheminement dans l’orbe du savoir.

   Ici, il y a stricte équivalence entre cette image d’un monde en train de se façonner et l’image d’une présence qui se montre à l’intersection particulière d’un espace et d’un temps, cette Nymphe qui s’approche de nous dans un genre de battement d’ailes. Comme s’il y avait danger à demeurer ici, dans cette forme inachevée du présent, alors que le sens fait signe vers l’ancien et également l’avenir, s’habillant du mystère de l’exister en sa confondante évanescence. Apercevoir un être dans le cycle de sa croissance, c’est toujours en saisir l’incroyable tissu d’ombre et de buée. Il ne demeure dans les mains que quelques gouttes imperceptibles, dans les yeux qu’un passage tel le vol rapide de la sterne, dans la conscience la fuite d’un vent que nous ne pouvons nommer faute d’un langage adéquat.

 

   Hiver ou la venue du doute à soi.

 

   C’est, disons, dans un hiver de glace et de frimas. Tout est poudré de blanc et ne sortent des chaumières que les filets gris des fumées que le ciel efface de sa lame translucide. Y a-t-il quelqu’un sur Terre dans l’immense désolation qui court d’un bout à l’autre des étendues polaires ? Y a-t-il au moins l’étincelle d’une pensée qui se lève dans la nuit des corps ? Il fait si sombre dans l’univers engourdi des consciences ! Si sombre et tout pourrait aussi bien retourner dans l’œil aveugle d’un puits originel que nul n’en serait alerté. Si difficile d’exister sous cette chape de plomb, dans la venue du doute à soi, cette dague plantée dans l’âme, qui travaille les chairs et mutile l’outre glorieuse de la peau.

   Douter, c’est cela, se vider de son sang et perdre cette belle pulsation intérieure par laquelle on se sent immergé dans le vaste courant du monde. On devient blanc, infiniment, transparent telle une baudruche et on flotte sans but au milieu des caprices et des turbulences de l’air, autant dire au hasard, autant dire crucifiés par le destin. Soudain tout espoir est perdu de naître définitivement à soi. Faute à l’hiver, cette métaphore du temps immobile, faute au gel, cette image de la volonté cernée de mâles fureurs. Le froid est partout qui farde les tempes, métamorphose la langue en congère, soude le plexus, étrécit les alvéoles, bride l’amande du sexe, ligature les boulets des genoux, entoure les chevilles des chaînes de l’aliénation. Plus rien ne fait signe que cette immobilité éternelle, ce silence qui plane à la façon d’un mortel oiseau de proie. Du fond de la froidure nous sommes démunis car nous n’apercevons même pas cela qui pourrait exister et assurer notre propre présence d’un reflet en miroir.

 

   Venue du plus lointain du blanc.

 

   Cette fable hivernale n’était qu’un écho naissant de notre rencontre avec le fond de l’image. Tout y est blanc comme une première neige. Tout y est virginal et oublieux du monde. Tout y est identique à l’atmosphère polaire où nulle vie ne semble pouvoir émerger de cet inquiétant silence. Mais c’est sans compter sur l’insistance de la vie à paraître, même sous les latitudes les plus rigoureuses. Toujours, à notre insu, se déroule le cocon temporel qui dévide ses inlassables fils afin que la situation au monde des Existants puisse trouver les conditions de son effectuation. Ce qu’il faut voir, c’est ceci : un papillon - disons un Moiré Boréal aux ailes sombres -, ce papillon est mort afin qu’un autre naisse. Un papillon a abandonné son corps sur lequel une imperceptible chenille a prospéré dans le creux de quelque mystère inaperçu des hommes, dans une éclisse de temps qui, maintenant, va occuper tout l’espace, coloniser le champ libre de la joie.

   Belle réalité palingénésique au travers de laquelle se laisse découvrir le chant du monde en sa perpétuelle possibilité de ressourcement. Il n’y a pas de fin, pas d’impasse, pas de chemin qui se lancerait dans le vide, déboucherait dans un absolu privé d’attaches, dénué de langage. La parole qui, un jour, a commencé, jamais ne s’éteint. La lumière qui, un jour, a brillé poursuit sa route étincelante dans la faille immensément ouverte du cosmos. Toute forme humaine est Imago Mundi, image du monde en voie de cristallisation, métamorphose en acte, temporalisation aux inépuisables ressources.

 

   Elle est ici et là-bas.

 

   Chrysalide est arrivée à nous comme le prodige qu’elle est, un infini étonnement sur la courbure des jours. Elle est ici et là-bas et encore ailleurs sans jamais épuiser son essence. Elle est dans cette pliure étroite de l’hiver où elle prend naissance de la mort d’une saison. Elle est dans ce dépliement du printemps où elle métabolise ses potentialités, chrysalide à la tunique pleine de promesses. Elle est enfin en cet été, en cette brume solaire dont, papillon accompli, elle entoure son vol hésitant, comme la beauté réalisée qui se dit l’espace de quelques battements d’ailes. Hiver-printemps-été : scansions temporelles qui métaphorisent l’impréhensible dimension de ce qui passe et fuit toujours à l’horizon des choses, tout comme le sentiment d’amour ou la vive passion qui ne se révèlent qu’à la hauteur de leur flamme, autant dire dans l’orbe d’une disparition.

 

   Damier Athalie.

 

   Elle est à la fois chenille, chrysalide, imago en sa dernière instance, ce magnifique papillon, Grand Porte-Queue aux ailes cendrées, aux macules bleues et rouge, ou bien Damier Athalie aux cellules blanches et jaunes, aux fines rayures noires. Elle est toujours à être, à se dévoiler, à se hisser hors de son cocon afin que, devant nos yeux éblouis, se manifeste sa beauté infiniment temporelle, multitude d’esquisses successives dont elle nous fait le don sans réserve.

   Aujourd’hui corps blanc fluet avec les brindilles des bras qui dévident leur tunique de soie. Elle en émerge à peine, à la manière de toute chose fragile ayant constamment besoin de s’assurer de sa forme. L’île du visage est encore prise dans les mailles qui signent son passé alors que l’envol du papillon en est l’éphémère réalisation, un envol pour plus loin qu’elle dans le mystère du monde. Qu’était-elle hier ? Que sera-t-elle demain ? Déjà nous songeons à mille tableaux mouvants dont elle sera le centre de rayonnement.

   Mais, au fait, où se trouve son être le plus vrai ? Quelle en est la station la plus accomplie ? Ou bien l’être n’est-il que cet indéfinissable qui change d’atours pour mieux nous berner, nous conduire aux portes du vertige ? Ne serait-ce pas ceci, en réalité, la fuite d’un invisible qui ne nous interroge qu’à précisément se rendre toujours insaisissable ? Ne serait-ce pas ceci ?

 

 

 

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