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5 août 2013 1 05 /08 /août /2013 10:58

 

L'Autre : grille de lecture singulière.

 

 

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  C'est toujours pareil, parmi les hommes, comme une ligne de partage qui délimiterait, une césure qui les placerait les uns à côté des autres, en ferait des échantillons à placer sous la loupe du regard.  D'un côté les grands, de l'autre les petits; les chevelus, les chauves; les Noirs, les Blancs; les Futés, les Modestes du bonnet. Mais voyez-vous, tout ceci repose essentiellement sur les vertus de la dialectique, laquelle depuis les anciens Grecs, cherche à créer du paradoxe, à opposer les énoncés, leurs contenus, à différencier, à confronter. Or, si la dialectique est la forme qui convient aux agoras afin que s'y produisent échanges et discours, il en va tout autrement dès qu'il s'agit d'établir des catégories, des sortes de classifications selon lesquelles se répartiraient les Hommes, les Femmes, eu égard aux prédicats qui leur sont attachés.

  C'est ce que fait Henriette depuis la radicalité de son jugement, et, bien sûr, prenant l'amplitude de ses convictions pour la vérité toute nue, elle classe, d'un côté les Bien lotis, les Méritants; de l'autre les Insuffisants, les En-voie-d'accomplissement, comme s'ils émergeaient juste du limon et qu'une main démiurgique, sans doute, eût à les façonner afin qu'ils parviennent à une éclosion adéquate. Mais adéquate à qui ? Mais adéquate à quoi ? Mais bien évidemment au sentiment qu'a Henriette de posséder la bonne clé d'interprétation. Or, ce qui est vrai d'Henriette est aussi vrai pour chacun des Individus faisant sa marche obstinée sur le bout de Terre qui, pour un temps, lui a été alloué. Bien évidemment, vous aurez reconnu là les singuliers entrechats, les subtiles broderies avec lesquels toute conscience s'arrange, juste dans l'intention de pouvoir prétendre taper dans la cible, en plein milieu de sa signification majeure, à savoir la justesse de sa propre appréciation concernant les choses. Et les hommes aussi car, si l'on possède le bon outil, pourquoi ce dernier faillirait-il à sa tâche ?

  Le problème est bien celui qui pointe le bout de son museau chafouin, dont je suis sûr que vous aurez perçu ses trémulations vicieuses, tout comme le raisonnement biaisé qui lui est attaché. Si la taupe peut se contenter d'un jugement à courte vue, prélevant ici ou là une racine ou un tubercule sans en connaître la nature profonde - tout fait ventre identiquement dans les circonvolutions ombreuses de l'humus -, bien évidemment il ne saurait  être question de chercher à fouir le sol anthropologique de la même manière que celle utilisée pour le simple et naïf végétal dont le nom indique, du reste, la vie simplement végétative. Mais, me direz-vous, un jugement est bien possible concernant l'homme, la femme. La morale, la justice, l'amour se nourrissent bien de ces différences existant entre les individus afin que l'humain dispose d'un code selon lequel apercevoir la vérité ou son contraire, la fausseté, l'inexactitude à être.

  Certes. Non seulement un jugement est possible, mais il est indispensable à tout fonctionnement social. Il y aura toujours des humanistes et des délinquants; des esthètes et des matérialistes; des bons Samaritains, des  Prêtres et des Lévites longeant le corps du malheureux sans même lui accorder un regard. C'est ainsi, la nature humaine est une manière d'auberge espagnole, de caravansérail où se croisent dans une incroyable complexité pèlerins honnêtes et marchands véreux, ou bien l'inverse, la variété humaine tenant à la fois de la merveille et de la simple abomination dans un même geste continu d'exister. Sans doute n'y a-t-il pas de pomme sans ver ! Autant en prendre notre parti. Et maintenant, après ces allusions aux paraboles éclairantes et aux métaphores explicatives, il suffit de se reporter aux comportements de nos aimables protagonistes car, à leur façon, ils sont pareils à des images nous aidant à nous saisir du réel.

  Si Henriette, aussi bien que Jules ont le "droit", chacun à leur manière, de percevoir les objets du monde, ils ne procèdent pas identiquement, loin s'en faut. Henriette, en prise directe sur les choses, volontiers concrète et un brin expéditive se confie, le plus souvent, à des opinions instinctuelles, genres d'arc réflexe produisant du sentiment, de l'opinion (la doxa des Grecs), du prêt-à-porter de la pensée, de la mondanéité, de l'expression sur le mode du "on" : on pense comme Paul, comme Pierre et tout ceci, évidemment, court-circuite une bonne partie du libre-arbitre. Le libre s'évacue, ne reste plus que l'arbitre ! Ceci énoncé ne veut en rien signifier que l'insistance à être d'Henriette serait en une certaine façon, inférieure à celle de Jules qui, on l'aura compris, fonctionne lui également avec l'arbitre mais en ménageant, tout autour, une aire de liberté. Car, si apprécier une pomme peut se satisfaire d'une manière d'immédiateté perceptive : celle-ci me paraît meilleure; celle-ci moins goûteuse, en matière d'humain il convient de prendre des pincettes, à savoir de conférer au jugement une assise plus large. En définitive, tout est en ce domaine, relié à une question spatio-temporelle. Poser un jugement, pour Jules, suppose une antériorité d'appréhension du sujet dont il est question, en même temps que l'édification d'un vaste espace tout autour afin que celui-ci, cet empan de liberté, crée les conditions mêmes d'une possible vérité. C'est pour cette raison que pour Jules, identiquement à son ancien métier de Magasinier, c'est à la suite d'une longue expérience, d'une maturation des données réelles se présentant quotidiennement à lui, que va découler son activité de classification du divers - pour lui boulons, soupapes et biellettes -,  dans des catégories particulières. Car toute taxonomie doit nécessairement s'enquérir, bien en-deçà de l'événement actuel qui fait phénomène, des assises qui ont précédé son apparition et, déjà, apercevoir, bien au-delà de son actuelle structure, les formes possibles de son devenir. Pour faire référence à une métaphore facilement compréhensible : s'enquérir de la pomme ne peut avoir lieu qu'après avoir pris acte des racines qui l'ont portée à son éclosion et, déjà, de sa corruption, donc de sa disposition de s'abandonner pour laisser place à une autre génération de pommes.

  C'est simplement pour cette raison que Jules a élaboré une grille de lecture complexe, intégrant aussi bien la relation des ses Copains au registre de la sensorialité, des archétypes, des formes symboliques, des manières d'exister, grille que vous découvrirez lors de la prochaine publication et dont déjà, votre perspicacité aura tiré quelques anticipations. Et, pour clore ce propos sur notre perception du monde, disons que le mode d'approche, pour Henriette est "proximal" donc opérant dans un rayon d'action immédiat, alors que pour Jules, il est "distal" donc a priori éloigné du sujet à observer, ce recul lui assurant, cependant, une perception plus "objective" du réel. Pour autant, si vous questionniez Jules et Henriette sur la qualité de leur singulière approche, chacun serait persuadé d'avoir fait le "bon choix", tellement il est vrai que chacun de nous a une telle familiarité avec sa propre nature qu'y introduire le moindre grain de sable peut gripper la machine. Peut-être, en définitive, dans tout ceci n'est-il question que de rouages, de clavettes et de pignons s'emboîtant "naturellement". Ce n'est pas l'ancien Magasinier de la Manu qui nous contredirait, lequel cependant, fait fonctionner la machine à sa manière. Unique, bien évidemment !

 

 

 

 

 

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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 16:45

 

Dieu aime-t-il les pauvres ?

 

 

 

  Parfois, avouez, c'est à n'y rien comprendre au comportement des hommes, à leurs lubies, à leurs petites manies, à leurs gentils radotages, à leurs croyances. Remarquez, les croyances des autres cela ne nous empêche pas d'avancer et de tremper notre bout de crouton dans la gamelle, et de vivre selon nos propres principes. Après tout, la foi ça se respecte et il faut bien un peu de tolérance dans la société afin qu'elle puisse faire tourner ses bielles et actionner ses rouages sans autre forme de souci.

  "La tolérance ?  Il y des maisons pour ça !", affirmait le très catholique Paul Claudel. Oui, et après tout on peut aussi bien "aller aux Putes" qu'honorer la Vierge Marie le dimanche. Peut-être, d'ailleurs, les deux ne sont-ils pas incompatibles ! C'est toujours d'un même acte d'amour dont il s'agit. L'un est amour vénal incliné au commerce avec les Dames de petite vertu; l'autre amour sublimé en direction d'une Dame à la grande vertu. Du moins nous l'a-t-on appris ainsi dans la petite sacristie qui sentait bon le moisi et le pain azyme et même on n'avait qu'une hâte avec les autres chenapans, c'était de sortir au soleil, de s'égailler dans la nature en criant comme des beaux diables, oubliant ce que le bon Curé aux oreilles découpées dans du carton - cause aux engelures -, nous avait inculqué longuement, et que nous nous dépêchions de disséminer aux quatre vents le temps de chaparder quelques cerises vertes. C'était à la période du bon "Mois de Marie". A part le Curé, la Sainte du coin, le carillonneur et les trois ou quatre enfants de chœur commis à servir l'Immaculée, on peut pas dire que la Maison du Bon Dieu avait à pousser ses murs afin d'y accueillir la foule des fidèles ! Mais revenons-en aux vertus de ces Dames et aux diverses croyances subséquentes, sans cependant s'engager ici dans le débat urticant qui, toujours, s'installe entre dévots et agnostiques. C'est affaire de penchant personnel, non de raison.

 

   "La foi ne se prouve pas, elle s'éprouve. Les croyants n'ont pas besoin de preuves, mais d'épreuves.", comme l'affirmait subtilement Julien Green .

 

  Or, si nous suivons l'Ecrivain dans son assertion, nous en approuverons le contenu surtout quant à la finale de son énoncé : "Les croyants [ont besoin] d'épreuves".

 Et, bien évidemment, ce n'est pas Henriette qui nous contredira, elle dont le long monologue est une violente diatribe en direction des religions, du joug qu'elles imposent, des fourches caudines sous lesquelles doivent se ployer les croyants afin qu'ils soient dignes de recevoir l'amour divin. Mais de quoi l'homme s'est-il rendu coupable pour qu'il lui soit demandé de subir ces fameuses "épreuves" ? Certes la pomme, certes les fruits de l'Arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais peut-on se laisser abuser longtemps par une si mince fable ? Et quand bien même l'âme de l'homme, en sa nature, eût dissimulé depuis l'origine, les stigmates d'une "joie" peccamineuse, Dieu, en son infinie bonté - c'est du moins l'antienne des bedeaux et autres catéchumènes -, eût pu consentir à "passer l'éponge" pour plagier la très concrète Henriette.

  Car, sur Terre, entre hommes de relativement bonne volonté, lorsque la justice rend son verdict, l'homme condamné "purge sa peine", pour, ensuite, ressortir à l'air libre et marcher en tous sens selon les délibérations  de sa nouvelle liberté. Mais il est vrai que la justice des hommes n'est pas celle de Dieu, et comme Dieu est le Transcendant par excellence, il est "juste" que sa sévérité soit exemplaire au regard du piètre comportement de l'humaine condition.

  Soit. Mais ce qui est confondant dans toute cette histoire, c'est que ce sont toujours les pauvres diables, les laissés pour compte, les paumés de tous ordres qui paient, tout au long de la longue aventure humaine, la plus lourde facture. Comme si la pauvreté elle-même était une des conditions requises pour souffrir davantage et s'extraire de son extrême condition de pêcheur impénitent à la seule force du poignet.  Ainsi, aux quatre coins de l'univers, dans les sombres, étroites et humides galeries des mines, pour quelques pièces, les damnés  arrachent au sol ses richesses en priant la Pachamama, la "généreuse" Terre-Mère (= la Vierge Marie) de leur accorder pain  quotidien, alcool et longue vie alors que, de leurs gueules noires coule, en longs filets jaunâtres, le jus de feuilles de coca qui, chaque jour un peu plus, les envoie en enfer. Remarquez, ils y sont déjà et n'ont donc plus rien à craindre ! Et ce qui est vrai dans le cadre de la cosmogonie andine l'est tout autant sous d'autres latitudes, aussi bien dans le chamanisme Inuit, que chez les esprits de l'animisme, les rites vaudous, le totémisme, ainsi que dans toutes les mythologies religieuses ou assimilées qui ont fleuri de tous temps sous les divers tropiques, fussent-ils "tristes" ou bien versés au pur hédonisme. 

  Traits communs à ces diverses épiphanies du fait religieux : une certaine naïveté des populations, souvent beaucoup d'ignorance, de piété mystique, de prosternation devant des phénomènes inexpliqués, le refuge instinctif dans la meute tribale, une peur quasiment viscérale de la nature et des déifications qui semblaient l'avoir investi de toute éternité, l'adhésion à des cosmogonies "primaires" fondées sur des chaînes de causalité claudicantes, une existence recluse et incluse dans un territoire "féodal" où perdurait souvent la fameuse dialectique hégélienne du "Maître et de l'esclave". Mais, malheureusement, pour ces peuples opprimés, la logique de la "Phénoménologie de l'Esprit" semblait être grippée, ne produisant que rarement le résultat qu'énonçait le postulat, à savoir que l'Esclave excédé par sont sort finissait par se rebeller et prendre le pouvoir à son tour.

  On voit donc comment la pesanteur humaine, l'inertie naturelle des sociétés dominantes permettaient, par le recours à la force, mais aussi, bien évidemment, à la soumission qu'exigeait la pratique d'une religion ou d'une croyance, de maintenir dans un statut de quasi-dépendance des légions de travailleurs affamés, en haillons et hagards, lesquels n'avaient guère que le recours au fameux "opium du peuple" auquel recourir afin de ne pas tuer dans le germe le mince espoir qui s'insinuait encore dans les consciences à la manière d'un filon étique, de plomb plutôt que d'or. Le métal jaune répandait une sorte de mandorle ceignant le front des Méritants, alors que la gangue de plomb faisait ployer l'échine des Coupables. Ainsi semblait s'accomplir la parabole inscrite depuis la nuit  des temps à la cimaise du Paradis Terrestre :

 

  " Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez." (Genèse 3).

 

  Ainsi s'exprimait le Serpent face à Adam et Eve, instillant dans leur âme ainsi que dans celle de leurs descendants, l'idée même de la Mort, du péché éternel et du rachat  dont l'homme devenait  redevable avant que de redevenir fréquentable. Cependant à ce jeu du rachat, c'était comme au Monopoly, certains gagnaient et amassaient des fortunes alors que d'autres végétaient et croupissaient dans des quartiers peu reluisants. C'est ce constat en forme de yatagan ou bien de guillotine acérée qu'Henriette énonce avec virulence devant Jules médusé (Voir "les Copains d'abord"), lequel Jules n'en pense pas moins mais le tient bien au chaud en quelque pli secret du corps.

  Bien évidemment, ce type d'interrogation suspendue dans le vide - pourquoi des pauvres ? -  nous cloue contre le mur de la déréliction, puis nous livre, pieds et bouche scellée, dans le puits sans fond de la sombre aporie, là où se referme la compréhension, là où la questionnement se retourne comme un gant inutile ne pouvant plus guère nous assurer que de saisir le monde à la manière d'un filet d'eau putride et nauséabonde. Le sens - cette transcendance réalisée - s'absente soudain de nous, nous laissant sans voix, c'est-à-dire nous ôtant ce que nous avons de plus noble, à savoir le langage et la conscience qui en assure l'effusion. Et, même si le souverain Principe de Raison fuit de notre pensée à la vitesse des comètes - corollairement au sentiment de fermeture de l'aporie -, essayons tout de même de nous poster sur le seuil d'une possible réflexion et, à tout le moins, d'un entendement avec nous-mêmes.

  Ces "Mineurs de la Pachamama" - ces croyants étalant devant nous la palette des offrandes, quelques feuilles de coca, une giclée d'eau de vie, une goulée de bière, une pincée de poudre de perlimpinpin; le font-ils par amour pour eux-mêmes, par pure égoïté, attendant de leurs prières un juste retour; le font-ils pour une supposée félicité qui, un jour, pourrait leur être offerte afin que soit effacée leur douleur; le font-ils pour l'amour qu'ils adressent à la Pachamama, à Dieu, à un Absolu comme finalité, sans espoir de quelque bénéfice ?  Le font-ils seulement "pour le faire", pour que quelque chose soit accompli, mus par un sombre et impérieux instinct ?

  Mais tout ceci est un autre enjeu qui, en définitive, pose le problème du sens à accorder à l'amour. Nécessaire réflexion dès que l'on s'adresse à l'Autre, fût-il humble, roi ou bien Dieu. La question demeure posée.

 

 

 

 

 

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3 août 2013 6 03 /08 /août /2013 09:33

 

L'âme flotte-t-elle ?

 

 

 

  Aujourd'hui, ça va juste être le tour de ce bon Pittacci; Calestrel ce sera pour la prochaine fois. Car, voyez-vous, c'est comme dans la "Comédie humaine" de Balzac, les personnages, faut prendre le temps de les détailler, les mettre sous l'œil du microscope, prendre son scalpel et de voir ce qui se dissimule sous la peau, au-delà de l'épiderme, dans le profond du corps, à cet endroit mystérieux où se dissimule l'âme. Faut chercher longtemps vu que c'est de l'invisible, l'âme. Depuis le temps qu'on en parle et qu'on gire tout autour sans bien savoir en quoi elle consiste, quelle est sa nature profonde, si elle ressemble à un boomerang, à une langue de feu transcendant la réalité, à un pur souffle d'air avec quelques volutes blanches alentour. Souvent, avec les choses invisibles, on se comporte comme les gamins qui imaginent le château de la Belle au bois dormant, et le château et la Belle, on les imagine selon ses inclinations personnelles. Des fois c'est un château romantique comme celui de Louis II de Bavière, perché sur son éperon de rochers, tout près des nuages et avec plein de frondaisons vertes comme de la mousse à la pistache. Parfois c'est un sombre château écossais de pierres brunes dont la silhouette s'efface par le haut au milieu des nuages, par le bas dans le lac où Nessie fait ses contours ophidiens. Parfois c'est juste une superposition d'idées, une dérive onirique, un glacis à la surface de la toile, un moulin avec ses ailes bariolées qui tournent dans le vent.

  Vous voyez, c'est si bizarre, les choses de la nature de l'âme, des sentiments, de l'esprit, du spirituel, de l'art. Ça change infiniment selon le regard de celui qui applique son œil au microscope et cherche à voir ce qui, par hasard, voudrait bien s'éclairer. C'est un peu comme les fragments colorés du kaléidoscope, facile métaphore d'une vérité multiple, toujours fuyante, insaisissable à mesure que l'on s'en approche. Car c'est bien là la manière qu'a la vérité de se présenter à nous, par petits bonds successifs, avec une marche de guingois, souvent claudicante, hérissée de faux-bonds, glissant infiniment au-devant d'elle comme si, elle-même voulait se précéder afin de se mieux connaître. Et, souvent, plus on pense au problème de la vérité, plus on cherche à en savoir davantage, plus on s'empêtre dans le marécage des contradictions. C'est comme si on avait les mains enduites de guimauve collante, élastique, avec laquelle on finit, bientôt, par faire une manière de boule unique, indistincte.

  Mais revenons à l'âme. Faute de pouvoir en tracer une esquisse satisfaisante que nous pourrions dessiner sur une feuille de Canson, puis l'épingler au mur sans autre forme d'inquiétude, nous préférons lui conférer une forme, lui donner corps, l'inclure dans une concrétude, en faire, sinon un objet, du moins un simple colifichet qu'aussi bien nous pourrions porter au-devant de nous, à la manière d'une offrande et qui contribuerait à nous définir. Une photographie en somme. Une image identitaire. Comme les prisonniers, nous pourrions tenir une ardoise grise sur laquelle serait tracée, à la craie blanche, la couleur de notre âme. Ainsi, au hasard de nos déambulations dans l'établissement pénitentiaire, pourrions-nous lire : "Amour" - "Don de soi" - "Sexe" - "Pêche à la ligne" - "Nourriture" - "Rencontre" - "Altérité "- "Femmes" - "Hommes" - "Orgueil" - "Avarice" - "Envie" - "Colère" - "Luxure" - "Paresse" - "Gourmandise" .

  Mais voilà, qu'en dernier ressort, nous n'avons énuméré que les 7 péchés capitaux. Mais l'âme aurait-elle d'abord à voir avec ceux-ci, serait-elle une simple hypostase du Bien, du Beau, du Vrai et leur toujours possible chute dans les ornières de l'humaine condition. Par exemple Sarias est constamment attiré vers le piège de l'égoïsme; Pittacci complètement livré aux affres de la luxure; la Mère Gignoux par la gourmandise; la Mère Dubreuil par la colère. Quant aux autres, les vertueux, les bien-pensants, bien-agissant , les Simonet et autres Vergelin, ne nous exposent-ils ce côté brillant de leur âme qu'à en dissimuler le revers d'ombre ?

  Vivre, ou plutôt exister, serait-ce toujours naviguer à vue en évitant les écueils, les barres de rochers, les carcasses échouées, les récifs d'autant plus dangereux qu'ils sont cernés d'une certaine invisibilité ? Vivre serait-ce laisser flotter son âme entre deux eaux, les eaux claires de surface, celles plus sombres, abyssales et glauques des grands fonds ? Les Copains, sur leur frêle esquif essaient, à leur façon, de poser cette éternelle question à défaut de pouvoir y répondre. C'est une des raisons qui font que leur continuelle navigation, par vents et marées  s'accomplit toujours selon la devise célèbre : " FLUCTUAT NEC MERGITUR". "Il flotte mais ne sombre pas". Sans doute l'âme est-elle de cette nature. En faire l'hypothèse nous maintient au-dessus des flots aussi longtemps que nous porte cette croyance. Mais peut-être n'est-ce qu'un leurre ?  Interrogez votre âme, peut-elle consentira-t-elle à vous répondre ?

 

 

 

 

 

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2 août 2013 5 02 /08 /août /2013 10:09

 

La délicieuse petite subjectivité égocentrée.

 

 

   Vous aurez deviné, Henriette, on peut pas vraiment dire qu'elle est vraiment en phase avecGarcin. Faut dire, le Garcin, il est plutôt du genre mal équarri et il semble plus tenir à la complétude de sa bedaine qu'à l'incomplétude de ceux qu'il croise. C'est comme ça, Garcin, c'est pas le mauvais diable, mais il n'hésite jamais à jouer des coudes dans la fille d'attente de la primaire, à pousser un brin la viande des Mitoyens, de façon à piquer la place à côté du poêle qui ronfle alors que les giboulées font les malignes juste derrière le carreau.

  Oui, vous me direz que vous en connaissez plein des types du genre de Garcin, des pas-gênés-aux-entournures qui pensent qu'ils sont la Terre, le ciel et les étoiles. Ils sont comme des soleils avec le carrousel des planètes qui tourne autour et ça les empêche pas de mettre un pied devant l'autre.

  Des fois, Henriette, elle dit que tous les hommes sont comme ça. Des fois Jules dit que toutes les femmes sont comme ça. C'est étrange, tout de même, cette manie de se défiler dès l'instant où il s'agit de prendre le miroir et de trouver au milieu du tain brillant ses petites taches, ses petites éclaboussures, lesquelles sont là juste là pour nous dire nos insuffisances, nos manquements, nos obsessions mesquines et la vie qui tourne autour et qui n'en peut mais !

  Indulgence avec soi, exigence avec les Autres comme si ces derniers étaient de faibles et confondantes hypostases de notre propre royauté. Mais c'est tout simplement magnifique cette manière d'inconscience qui nous permet d'exister à l'économie, le cul posé sur les braises sans même en sentir la chaleur. Oh, souvent, il y a bien des inquiets, des atrabilaires, des métaphysiques qui viennent souffler sur les braises, juste histoire de voir si, au-dessus, brûle la flamme de la conscience. Mais heureusement pour chacun de nous, nous sommes desSubjectivités montées sur pattes, de minuscules volcans animés de l'intérieur et nous ne consentons à prendre acte des autres insularités qu'à projeter en leur direction, fleuves de lave, rigoles de feu, jets de lapillis et autres bombes volcaniques.

  Et, de cela, y a-t-il lieu  d'en prendre ombrage, d'aller en place de Grève, de dresser l'échafaud et de disposer sa tête sur le billot ? Mais alors nous ne serions que notre propre bourreau, nous mettrions fin à l'individu, pas à l'humanité, à ses travers, à ses marches de guingois. Car, voyez-vous, nous sommes comme les crabes. Nous ne consentons à sortir de notre abri de rocher qu'à aller sucer la moelle de l'Autre, le pauvre et innocent bernard-l'hermite qui traîne son existence derrière lui à la façon d'un obséquieux boulet. Mais, dans ceci, il n'y a rien de tragique, pour la seule raison que, tour à tour et collectivement, nous sommes tantôt crabes, tantôt bernard-l'hermite et nul ne songerait à s'en offusquer ! Et comme je suis, comme vous, une pure Subjectivité, je sais que vous pensez comme moi.

  En son temps, un type comme La Bruyère - quel nom délicieux tout de même pour dire aux arbres que nous sommes comment ils doivent pousser ! -, ce type donc, dans les "Caractères"dressait le portrait robot de l'humaine condition, avec justesse, nous inclinant à corriger nos défauts.  Mais c'est au délicieux Blaise Cendrars que nous laisserons le soin de conclure :

  "Sans l'appui de l'égoïsme, l'animal humain ne se serait jamais développé. L'égoïsme est la liane après laquelle les hommes se sont hissés hors des marais croupissants pour sortir de la jungle."

   Sans doute sommes-nous continuellement occupés à sortir de la jungle des comportements et sentiments humains. Mais qui donc consentira à lâcher la liane le premier ? 

 

 

 

 

 

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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 18:07

 

Le Matou des Collines.

 

 charmettes

 Source : Musée Jean-Jacques Rousseau - Montmorency.


 

     Le Mathieu, quand il s'est absenté, ça a fait comme une traînée de poudre dans la campagne où la terre est blanche. Personne y croyait vraiment. Le Mathieu, lui, qui était aussi immobile et puissant que le chêne rouvre. Avec ses jambes plantées à la façon de deux socs dans l'argile grasse. Et ses mains larges comme des battoirs. Et son tronc rugueux et son front arrimé aux nuages. Mais c'était pas Dieu possible. Et on s'était même mis à convoquer la Vierge Marie et tous les Saints et, pourtant, dans le coin, on se laissait pas facilement aller à la prière. Et l'église, on y avait pas mis les pieds depuis la première communion ! C'est qu'on était tellement attelés au limon, hélés à la grange, attachés aux fayots et ça laissait pas beaucoup de temps pour la parlotte avec les anges. Alors on se courbait vers le sol et on demandait pas son reste.

  Alors, le Mathieu, comme ça, sans crier gare, il a pris ses cliques et ses claques et il s'en est allé moissonner les nuages chez Saint-Pierre. Vous parlez d'une fichue histoire. C'est pas plus tard qu'hier qu'on le voyait encore dans sa grande verrière blanche avec le regard qui flottait vers l'horizon. C'est vrai, depuis quelque temps, il avait ses yeux gris qui s'absentaient. Le Mathurin y disait que c'était juste histoire d'aller faire un tour du côté de sa jeunesse, dans les Aurès où y avait des filles, des Berbères aux yeux comme la braise. Faut dire, ce pauvre Mathieu, dans la vie, il avait juste trimé. Même pas le temps de se trouver une Epousée. Même pas le temps d'aller au bal. Sauf bien avant l'âge mûr, deux ou trois fois, mais ça l'avait pas emballé. Ce bandonéon qui miaulait, ces lumières noires qui faisaient briller le col des chemises, et les yeux qui s'allumaient dans la nuit, on aurait dit des dames blanches. C'était pas trop son affaire ces réunions où la Commune se retrouvait pour danser, boire et faire la fête. Lui, son affaire, c'était la terre.

  Faut dire à  "Las Combes", perché en haut de la colline, avec juste le pech derrière la remise et sa coiffe de châtaigniers, le Mathieu il était bien tranquille. Même le vent du nord s'y aventurait pas sur ses terres. Juste, parfois l'autan avec de l'air chaud et la pluie était pas loin. Alors Mathieu prenait sa fourche et se dépêchait de rentrer le foin. Les Agenaises au mufle luisant, elles avaient la rumination facile et il fallait en mettre de côté pour l'hiver. De la bonne herbe avec de la luzerne, du sainfoin et le fenil en était tout embaumé et l'odeur elle venait jusque dans la cuisine. Parfois même dans la chambre musarder parmi les araignées. Quant il faisait chaud, que le soleil montrait ses rayons, souvent le "Matou" - c'était juste un sobriquet, cause au flegmatique et à l'embonpoint -, il allait se réfugier dans le nid d'herbe sèche et il dormait tout son saoul jusqu'à l'heure de la "toste", des tranches de pain trempées dans du vin sucré. Fallait souvent prendre des vitamines cause à la tâche qui vous faisait suer pareil à la fontaine de l'Artémis. Pas bien causant, le Voisin, mais remplir la cruche à son puits réconciliait et puis on pouvait quand même boire sans se parler. Des fois que ça aurait fait des courants d'air !

  La 'toste". Faut dire, le Type des Combes, il aimait ça le pain. Plus que de raison,  disait le Docteur. Mais ces gens de la Ville, avec l'Abel, on dit qu'ils y connaissent rien et qu'ils disent ça juste manière de nous taquiner. Juste au matin, alors que les vaches somnolaient encore, le Mathieu y découpait des tranches comme des meules pour affuter les couteaux et, jambon à la main, Opinel de l'autre, y déambulait entre les herbes, histoire de voir s'y avait pas un lièvre pour trinquer ou un lapereau à mettre à tremper avec des pruneaux. C'est les grives qu'il préférait. Il les attrapait avec des matoles de grillage de sa fabrication et, en rentrant au bercail, il les épluchait, les volatiles, avec l'eau à la bouche et la rosée qui lui mouillait les sabots. C'est pas pour dire, et puis y a pas de raison de se moquer de ceux qui sont plus là, le Matou il avait un sacré appétit. Même un jambon, y paraît, y survivait pas à la semaine. Et le vin, y fallait bien vider les barriques pour la prochaine vendange. Et le Docteur, toujours lui, il disait que c'était pas une circonstance atténuante et que les crises de goutte, fallait pas chercher midi à quatorze heures.

   Le Matou, tout de même. Et dire qu'on verra plus sa grande carcasse au milieu de la garenne où il allait couper le bois pour la cheminée. Son chien, le Berdouille, il l'avait toujours fourré dans les pattes. Tellement, parfois, les pattes on savait plus à qui elles étaient. Ça faisait comme une boule d'amitié qui passait par les chemins avec juste un peu d'inquiétude. Mais pas comme les Bourgeoises de la ville qui se posent des problèmes juste en se regardant marcher. Et encore on a pas parlé de ce bon vieux Bertille  qui se saucissonnait avec le trio. Parce que, à trois, ça va mieux pour marcher. Y en a toujours un ou deux de disponible pour ramasser l'autre, juste s'y fait un faux-pas. Et le Mathieu qui disait souvent : "Pour bien marcher, faut être foutu comme un tabouret pour traire les Garonnaises, avec trois pieds, t'en as toujours un de rechange !" Parce que, faut pas croire, l'Hôte des Combes, l'avait pas le certificat d'études mais savait compter les litres de lait de la Bermé et de la Noiraude, y savait compter les litres qui lui restaient dans la barrique même si elle fuyait un peu. Par contre y avait des calculs, il savait pas les faire : celui avec les trains qui se croisent et les rouleaux de tapisserie qu'y fallait savoir compter en enlevant les portes et les fenêtres. Faut dire, à "Las Combes" les trains y risquaient pas de grimper la côte et la tapisserie, elle était tellement clairsemée, même on voyait les pierres.

  Mais le Matou, ça le tracassait pas plus que ça. Avec les fayots, les poules, les lapins, et la braconne qu'il revendait aux Mitonneux du coin, ça lui suffisait pour arrondir ses fins de mois et même, d'ailleurs y s'était jamais aperçu qu'ils avaient des angles. Les fins de mois. Pour lui, les fins étaient comme les débuts et, du reste, ça lui aurait causé du souci si ça avait pas été pareil. Il aimait bien les jours qui se ressemblaient et il était pas envieux comme les mioches du Chef-lieu de Canton qui, à peine la morve sortie du nez, réclamaient la voiture ou bien alors ils faisaient un malheur. Le Terrien, il pensait que tout ça, les progrès d'aujourd'hui, c'était juste bon à attiser la jalousie et à semer la zizanie. Il avait pas besoin de se forcer pour vivre, comme ceux qui cherchaient du poil aux œufs. Il laissait les jours passer et ça lui était une occupation suffisante. Oui, pour  sûr, il aurait pu chercher une Fiancée dans le voisinage, quant il était encore présentable, avec des cheveux noirs et la tenue militaire. Mais c'était pas dans sa nature, toutes ces complications, les épousailles et les disputes entre les marmots, même il aurait pas pu écouter les histoires de la Catinou et du Jacouti dans le poste. Et puis, il se sentait pas bien apprêté pour préparer une chambre, faire de la place, nettoyer la poussière. Ça l'avait jamais empêché de vivre, la poussière, et puis ça faisait des jolis ronds dans l'air quand le soleil envoyait ses rayons.

  Mais, allez pas croire, c'était pas un sauvage le Matou. Y sortait jamais ses griffes, y cherchait pas la bagarre. C'était un docile. Un peu comme les Garonnaises qui se laissent traire sans s'occuper de la Bourse ou du temps qui change. Même c'était un disponible, le Matou. Toujours à ronronner quand on allait le voir. Et, d'ailleurs, y avait plein de gens du canton qui allaient aux légumes chez lui. Quand il vous voyait, il glissait vers vous, et on se demandait comment il faisait compte tenu de sa circonférence de tonneau, mais l'amitié ça lui donnait de la prestance, ça le précipitait vers vous, avec les bras ouverts comme des faux. Ses yeux gis comme la cendre de la cheminée, il les plongeait dans les vôtres et ça vous grattait jusqu'à l'âme. Juste des chatouillis, pas des méchancetés. Et ses mains comme des moules à beurre, elles attrapaient les vôtres de main et vous sentiez une écume vous sauter au corps, et vous sentiez un miel qui dégoulinait en vous avec ses sucreries. Le Mathieu, d'un air de rien, il lui fallait se brancher sur le courant des autres. Ça devait lui recharger les batteries et il souriait en pressant vos menottes menues entre ses meules de gruyère. Puis, quant il avait bien fait le tour de votre position, alors de sa voix étonnamment douce pour un tel volume, il vous disait : "Alors, la Classe, qu'est-ce que je peux pour toi ?".

 Il avait des remontées du temps du Régiment. Il tutoyait tout le monde et tout le monde le lui rendait bien. Pour les carottes grosses comme des manches de pioche, pour les patates obèses, on donnait ce qu'on voulait et même on aurait rien donné, il s'en serait pas offusqué. Ce qu'il voulait, surtout, c'était vous voir et vous serrer dans son amitié parce qu'après ça faisait un grand vide dans le mitan du ventre et on peut pas dire qu'il aimait ça le Mathieu. En ville, ils appelaient ça avec un nom anglais qui voulait rien dire mais, après tout, le Terreux, ça le regardait pas. C'était un peu des suppositions inutiles et il avait mieux à faire que de s'occuper de ces bêtises. Il était un peu comme ses Garonnaises, à brouter l'herbe de ses prés, à ruminer longuement et après il s'endormait sur la chaise de paille aux pieds de guingois, cause à la charge.

  Sacré Matou, pour une farce, c'en est une. Oui, la dernière, mais il le savait bien ce vieux comparse qu'un jour ce serait la dernière pirouette, la dernière tranche de la miche grasse, la dernière poignée comme un sémaphore de l'amitié. Et les orphelins qu'il laisse : ce bon vieux Berdouille qui, maintenant, ressemble plus à une serpillère qu'à un expert de la chasse; et le Bertille qui marche de guingois en évitant les mottes. Et la Bermé qui réclame sa traite et la Noiraude qui éparpille les mouches avec sa queue pleine de folle avoine. Et la Catinou qui braille dans le poste et le Jacouti qui lui remonte les bretelles du tablier, comment y vont faire maintenant qu'y a plus d'âme à "Las Combes", maintenant que le sol pour la batteuse résonnera plus des cris du Matou, que la faux fera plus sa musique dans les carrés de trèfle, que le bouchon de la chopine sera vissé pendant une éternité sur le goulot de la dame-jeanne ? Comment y vont faire, tous ceux-là avec leurs yeux pleins de lames vides ? Et si, au moins…

 

  Mais c'est l'Abel et le Mathurin qui se pointent avec leurs mines de conspirateurs et leurs bérets de feutre noir posé sur leurs têtes comme des crêpes de deuil. Mais ils ont pas l'air tristes. Même on dirait qu'ils rigolent comme s'ils étaient pris de vin et qu'ils viendraient trinquer le coup avec le Matou. Mais faites pas de bruit, mais bougez pas. Mais le Matou il me semble le voir dans les plis de la paille du reposoir, dans le creux du foin au milieu des odeurs de luzerne, dans les trous de la miche, dans le grillage tordu de la matole, dans le manche de la faux, dans les sabots crottés, dans les cercles du tonneau et même dans l'air qui passe. C'est L'Abel et le Mathurin qui le disent : ceux qui s'absentent ils ont laissé leur empreinte sur les choses, dans la fuite des jours, sur les mottes grasses et encore plein de choses comme ça. C'est ça qu'ils disent et peut-être ils ont pas tort. Mais j'entends comme une parole qui vient à mes oreilles et qui réclame son Opinel. Sacré Matou, tu seras toujours le même. Même depuis l'au-delà, tu peux pas t'en passer de ta rondelle de miche. T'as raison, Matou, c'est si bon de mastiquer sa croûte avec le pech derrière ses oreilles qui fait son bruit de feuilles et tout devant, à l'horizon, la terre qui fait ses mottes douces et, couché à ses pieds pareils à deux traversins Le Bertille et le Berdouille qui ronflent à l'unisson ! Sacré Matou !

 

 

 

 

 

 

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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 10:13

 

 La figure mythique de la corrida. 

 

  La corrida ! Il faut l'avoir vécue, une fois au moins, pour en connaître le prix. Et, au préalable, avoir effacé de sa conscience toute allusion à une quelconque valeur morale prétendant situer l'homme par rapport à l'animal ou même seulement poser la question de  l'intérêt réel d'un tel sacrifice. La corrida existe à la manière d'une culture profondément enracinée dans l'âme espagnole, pareillement à une religion dont, régulièrement, il faut célébrer la liturgie. Pour les"aficionados", c'est une nécessité, comme la nécessité existentielle conduit, un jour, tout Existant face au visage blême et sombrement tragique de la Mort.

  Donc, ma seule et unique corrida, je l'ai vue, en compagnie de mes Parents, vers l'âge de 11 ou 12 ans, dans l'arène où la foule exultait sous le soleil de plomb. La tension était vive, palpable comme si, soudain l'air était devenu dense, à la consistance d'ouate. C'était une sorte de clameur du jour, une chaîne invisible qui reliait les hommes entre eux, dans une manière d'immense solidarité, de communion intime. Car, autrement, comment affronter seul l'allégorie de la finitude sous les traits de la puissante charge taurine ? La peur est alors à son acmé lorsque le Toréador se retrouve face à son destin : l'impressionnant Taureau qui, peut-être va le réduire à néant !

  Alors, dans la conscience du Toréador s'opère un étrange retournement : il devient soudain Minotaure. Et pourquoi donc évoquer la figure du Minotaure, cette représentation mythique d'une métamorphose humaine ayant en partie basculé dans l'animalité ? Mais tout simplement parce que cette forme purement fantastique recueille en son sein ce qu'il y a à comprendre de la corrida : face à la monstruosité taurine, à sa fougue, à sa violence -la Mort est de cette nature incompréhensible -, l'homme-Toréador n'a d'autre alternative que de basculer, lui aussi, dans une animalité abrupte : violence contre violence.

  Si l'homme, dans l'arène, restait lui-même, c'est-à-dire dans sa compréhension habituelle, sensible à la raison, au sentiment, alors, pour lui, la partie serait perdue. Le geste sacrificiel n'autorise jamais une quelconque faiblesse.  L'homme, par avance, y perdrait la vie. Or, la règle du jeu implicite qui relie en un même mouvement, Toréador et aficionados, consiste à n'entrevoir qu'une seule issue : celle de la mort de l'animal. Dans cette perspective l'humanité acquiert, de  facto, une manière d'imperium par laquelle asseoir sa toute-puissance, ce qui revient, symboliquement, pour elle, l'humanité, à devenir l'égal d'un dieu, donc à entrer dans l'immortalité. C'est toujours du même combat dont il s'agit, d'Eros contre Thanatos, de la Vie contre la Mort.

  De cela, on ne sort jamais, sous quelque latitude que ce soit, en quelque temps, fût-il antique ou moderne. Toujours la question sous-jacente à tous nos actes, nos gestes, nos pensées. Mais il faut que cette constante préoccupation demeure sous la ligne de flottaison existentielle, faute de quoi nous serions, à chaque instant, hautement périssables, menacés de sombrer dans l'abîme à chacun de nos pas. Alors les hommes ont inventé le travail, les loisirs, alors les hommes, les femmes ont inventé l'amour afin que la lignée perdure et que les Vivants, par existences interposées, puissent s'assurer d'un semblant d'éternité. Mais, faisant cela, cachant le tragique sous des monceaux d'occupations et de divertissements, pour autant la question de la chute finale demeure entière.

  Alors les hommes ont inventé la corrida, afin de resituer sur la grande scène de l'existence la dramaturgie originelle, celle qui posela Mort comme condition de la Vie. La Nature nous en donne constamment la sublime leçon. Les choses ne sont corruptibles et ne mettent un terme à leur naturel écoulement qu'à laisser la place à de nouvelles éclosions. Le pourrissement est le tremplin à partir duquel une nouvelle récolte pourra avoir lieu, un renouvellement s'opérer dans un cycle de l'éternel retour. La corrida rejoue l'éternelle partition de la vie en son clignotement alterné, pareillement à l'arène qui, scindée en deux parties, ombre et lumière, s'anime en allégorie existentielle. C'est ainsi, nous sommes au cœur d'un battement et il nous faut en intégrer le rythme. L'affrontement de l'homme contre le taureau est le versant éclairé de la Métaphysique, alors que la Mort en est son accomplissement ultime.

  La seule corrida que j'aie jamais vue s'est soldée par la mort du Toréador. Peut-être cet épilogue tragique m'installait-il, déjà, dans une compréhension latente de la finitude. Parfois l'attrait de la Philosophie, de la Métaphysique ne trouvent guère d'explication plus claire. Mais peu importent les racines, dès l'instant où l'arbre déploie ses ramures. Cependant, jamais l'écorce ne saurait oublier les rhizomes. L'une s'alimente à l'autre, la sève en est le naturel opérateur. Nous sommes une plus ou moins longue continuité et ceci nous le savons depuis l'éclairement de notre conscience, autant dire depuis toujours !

 

 

 

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18 juillet 2013 4 18 /07 /juillet /2013 09:00

 

La "re-naissance" de soi.

 

 

  Aucun "pèlerinage aux sources" ne peut faire l'économie des deux filets d'eau auxquels, par nature, mais aussi émotionnellement, viscéralement, nous nous abreuvons toujours. Ainsi le voyage initiatique nous conduisant au centre géométrique de notre existence - à savoir à nous-mêmes -, doit-il faire surgir, dans notre rencontre avec le sol, deux figures incontournables, deux esquisses tutélaires sans lesquelles, simplement, nous ne pourrions témoigner : celle du Père, celle de la Mère. Comme deux jambes primordiales afin de cheminer, de découvrir, de paraître au plein jour.

  Ainsi, pour Sarias (voir "Les Copains d'abord"), le passage obligé emprunte d'abord le chemin pour l'Andalousie, Séville étant le lieu du Père, puis remonte vers le nord, vers la Navarre et Pamplona, berceau de la Mère. Car il s'agit de savoir ce que l'histoire parentale a apporté à notre propre édification, quels sont nos points d'appui culturels, géographiques, peut-être éthiques ou religieux. Nous ne pouvons nous abstraire d'un tel soubassement, qu'à accepter que nos racines s'absentent de notre projet et nous laissent situés en un dangereux suspens. Pour autant, découvrir le lacis des rhizomes, les radicelles nous reliant à notre première terre, à l'aire parentale, ne nous aliène pas. C'est seulement une connaissance dont nous devons nous saisir afin de mieux éclairer notre progression. Il n'est pas indifférent que les premiers soins dont nous avons été entourés s'abreuvent, soit à une religiosité, à un paganisme, à une croyance locale, à une superstition, à une culture profondément inscrite à même la chair du sol.

   Ramon Sarias, lequel a toujours pratiqué l'oubli de ses origines, comme d'autres jouent au cricket, en toute insouciance et même avec un sentiment de quasi ravissement esthétique, découvre, ébloui, en compagnie de ses comparses, tout ce qui le détermine, bien au-delà de ce qui se peut imaginer. Car il n'est pas indifférent de provenir d'une hispanité dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle est habile à mêler les genres, la Semaine Sainte et la foi qui lui est attachée basculant soudainement dans l'acte profane le plus immanent qui soit, la Feria, avant de sombrer dans une manière d'apothéose dans l'arène où  la Corrida déroule son intense dramaturgie.

  Le voyage initiatique, l'espace d'un instant, le temps d'une parenthèse enchantée aura été le convertisseur opérant la sublime métamorphose.  Ramon l'expatrié, (l'apatride conviendrait mieux), se découvre une patrie, en même temps qu'il réhabilite une généalogie dont il avait fait son deuil, croyant, de cet oubli, pouvoir faire la condition d'une réelle assomption personnelle. Mais, bien évidemment, c'était du contraire dont il s'était agi.

  Réinvestissant un territoire qu'il aurait dû habiter continûment, non seulement Ramon Sarias s'offre une catharsis sur mesure, mais il donne à nouveau essor à ses propres fondements. Toute connaissance de soi, agrandie, augmentée par quelque cognition que ce soit, par quelque révélation intime est, toujours, de l'ordre de la "re-naissance". C'est bien à cette "re-naissance" que Sarias se dispose tout au long de ce périple qui, à l'évidence, n'est qu'un retour sur lui-même. On n'est jamais mieux au plein d'une vérité que lorsqu'on finit par coïncider avec son essence. C'est de cela dont l'Ibérique est atteint. Ses témoins existentiels, Bellonte et Jules Labesse, l'ont conduit jusque sur les bords de nouveaux fonts baptismaux. Toujours nous renaissons de nos cendres, pareillement au Phénix. Jusqu'à l'instant fatidique de la dernière Corrida !

 

 

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16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 10:41

 

Ce qu'être veut dire.

 

 

 Toujours, la diastole-systole de l'existence nous incline à ce sentiment d'ambiguïté, à cette vibrante démesure qui nous fait osciller entre deux pôles identiquement cernés "d'inquiétante étrangeté" . Notre naissance, nous ne pouvons la connaître, pas plus que nous pourrions, en quelconque façon, nous situer à son origine. Notre mort nous est promise, mais sans que nous en connaissions le terme et la forme dont elle habillera nos contours.

  Etrange balancement du blanc au noir, de la lumière à l'ombre, de la joie à la douleur, de la révélation à l'occlusion de tout ce qui signifie et rayonne dans l'orbite de notre éphémère fiction. C'est ainsi, l'histoire que nous écrivons au regard du monde est toujours cette alternance, cette marche syncopée, ce sautillement sur place alors que nous croyons avancer vers notre destin. Mais c'est bien plutôt le destin qui s'annonce à nous selon son implacable volonté. Car si nous sommes libres, et ceci, il nous faut bien le postuler, nous ne le sommes que conditionnellement, simplement en raison de ces deux polarités essentielles, du début, de la fin, qui ne sauraient nous appartenir en propre.

  Alors, de la longue cohorte des jours, il nous faut nous arranger, nous disposant sans délai à en recevoir l'offrande, à en subir, parfois, la densité pareille à une gangue de plomb. Car notre marche est entravée comme celle des dromadaires dont on garrote les pattes afin qu'ils ne  s'évanouissent dans le désert, parmi la multitude des herbes folles et des épines d'acacia. Progresser, existentiellement parlant, est toujours ce risque de piqûre mortelle ou, à tout le moins, de profonde blessure nous offrant fièvre purulente et urticants bubons.

  Mais il nous faut revenir au réel et l'habiller de vêtures plus aisément compréhensibles. Il nous faut, une fois de plus, avoir recours à l'image afin que ce fameux "sentiment tragique de la vie" dont faisait état Miguel de Unamuno, nous apparaisse dans une dimension vraisemblable. Alors, quoi de plus éclairant que de s'en remettre à une hispanité dont la riche symbolique existentielle nous en dira plus qu'une rhétorique métaphysique ne le pourrait. Il faut, seulement une fois, avoir été immergés, d'abord dans la foule emplie de piété de la Semaine Sainte, puis, sans pause, se retrouver dans la clameur étourdissante de la Féria. C'est de cette sublime dialectique que peut naître et prendre essor ce sentiment ontologique que le Philosophe espagnol a si mis bien mis en exergue dans son œuvre. Car, nous autres, Hommes égarés dans la mondanité, il est de notre devoir  de nous confronter à l'incompréhensible, l'incommensurable, le hors-de-propos puisqu'aucun langage ne saurait tenir le discours de la stupeur longuement.

  Il s'agit de cela, de cette incroyable prise de conscience de ce qu'être veut dire lorsque, après avoir déambulé avec les agonisants et les flagellés, avoir accordé ses pas au balancement des mystérieuses cagoules dissimulant l'épiphanie humaine, soudain nous sommes propulsés en pleine lumière, dans la profusion de la Feria, alors que dans l'ombre de la fête s'illumine déjà l'habit de lumière qui aura raison de la fougue noire, taurine, indivisible, turgescente, naseaux fumants, écumeux, comme pour dire la beauté en même temps que le drame de l'ultime combat.

  Parfois nous est-il indispensable de nous confronter à ces sanglantes allégories de manière à ce que surgisse en plein jour l'espace d'une vérité que, toujours, nous portons en nous mais que nous remettons au hasard afin qu'il en dispose à sa guise. Sans doute est-il trop douloureux de passer, sans transition, du vif éclat à l'ombre mortifère, de l'éclairement à la ténèbre. Une chose de l'ordre du sacré - la Semaine Sainte - basculant dans la folie ouverte par le profane - la Feria - est ce qui, certainement, constitue le pivot d'une compréhension en profondeur de ce qu'exister veut dire et dont, toujours, nous retardons l'explication.

 

 

 

 

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4 juillet 2013 4 04 /07 /juillet /2013 08:55

 

L'Autre, nous le portons en nous.

 

 

(Ce court texte sert de préambule au chapitre 28 de "Les Copains d'abord", fiction dans laquelle l'altérité est le fil rouge faisant tenir entre eux tous les fragments.)

 

    Parfois, chez l'homme, en l'homme, il y a une telle charge de sens qu'on débouche, immédiatement, sur de la plénitude, de l'éblouissement, un genre de savoir absolu. Seulement tout ceci est tellement précieux, fragile, que surgit, d'emblée, l'indicible et ses contours tracés à l'estompe. Parler de cela, l'humanité, parler de l'amitié, des sentiments faisant leurs minces linéaments dans les consciences, parler de cette ambroisie qui coule entre les Existants et, soudain, la vue se brouille, et soudain les larmes se révèlent être les seules paroles. Et, soudain le silence s'installe comme la seule ressource.

  C'est ainsi. On peut librement parler d'un paysage, décrire longuement le mécanisme des horloges, faire l'apologie d'un concept, tracer l'esquisse d'un projet. Mais comment évoquer ce qui, ténu, tendu à l'extrême, vibrant comme la corde de l'arc ne peut se dire que dans une manière d'approche, d'effleurement, d'esquive avant que ne se révèle à nous la merveille des merveilles : l'existence en son ineffable beauté.

   Et alors, cette découverte s'abreuvant au sublime ouvre à toutes les pensées, à toutes les considérations, à toutes les démesures. Car, une fois la surprise passée, une fois la révélation étalée au grand jour, nous nous extrayons d'un cône d'ombre pour nous exposer à la lumière. Tout s'y révèle avec éclat, tout y rayonne, tout y signifie. Tout devient alors relatif, aussi bien les possessions matérielles que les diverses silhouettes de la concrétude qui, quotidiennement, affectent l'homme et le détournent de son propre propos. Car, au premier chef, c'est bien à nous-mêmes, dans l'enceinte de notre peau, que nous entretenons le commerce originel. Consubstantiellement attachés à notre stalactite de chair. Et, du reste, comment pourrait-il en être autrement ? Pourrions-nous différer de notre réalité ? Quel scalpel pourrait tracer la ligne de partage selon laquelle il s'agirait tantôt de nous, tantôt de nous en tant qu'autre.

  De ceci il faut être persuadé, l'Autre, nous le portons en nous, nous lui donnons acte, nous le sculptons à la force de notre regard, nous le modelons afin qu'il puisse faire écho et que notre voix ne profère nullement dans le vide. Cette partie de nous qui est déjà en l'Autre, qui est déjà l'Autre, nous la sentons confusément, comme nous percevons l'aube gagner notre peau afin qu'elle paraisse. Or, ce colloque singulier par lequel nous nous affirmons sur la scène du monde, en même temps que nous l'amenons à faire phénomène, nous lui affectons les prédicats de "conscience", de "vérité". L'une étant l'autre. L'une étant miscible dans l'autre. Dites "conscience" et vous avez "vérité". Dites "vérité" et vous avez "conscience". Un genre de révélation en chiasme où les significations naissent de leur propre rencontre, de leur convergence, de leur nécessité à imprimer sur la face des choses leur urgence à être.

  Or, c'est bien souvent cette urgence métaphysique que nous confondons avec notre hâte à posséder, à courir ici et là en de multiples affairements. L'urgence métaphysique, ne veut jamais dire quelque empressement à réaliser quoi que ce soit. C'est bien du contraire dont il s'agit. L'urgence est à comprendre comme la nécessité pour notre être de coïncider avec sa propre essence. Dès l'instant où ceci devient visible, alors s'éclaire le chemin par lequel nous nous rencontrons nous-mêmes, alors s'ouvre la voie par laquelle l'Autre nous devient immédiatement accessible. Le solvant universel convoqué à cette tâche est la relation. Pour commencer celle dont nous devons assumer le déploiement à l'intérieur de notre propre réalité, ensuite porter cette réalité au devant de l'Autre. Sans doute n'y a-t-il guère de mission plus exaltante pour les Existants que nous sommes.

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 17:32

 

Symphonie en noir et blanc.

 

 

 

   Toutes les couleurs sont égales. Cependant…

 

  Sur les corps couleur de nuit coulent les ruisseaux de la peur. L'angoisse est là qui fait ses mailles serrées, contraint au silence, à l'immobilité. La nuit est une étoupe, une souricière et les étoiles sont absentes. Le ciel est vide. Le ciel est aveugle.

Dans les baraques, sur les lits de planches,  le sommeil est étroit, traversé de flammes blanches. Les flammes des diamants qui habitent les filons de glaise sourde. Les flammes qui creusent les âmes, ravagent les consciences, allument le désir des hommes.

  Blanc est le désir, noire la peur. Longues zébrures couleur de braise sur les peaux meurtries. Elles disent, en lignes simples, le langage de la domination. Celui de la soumission aussi. Dans les boyaux étroits, dans les galeries brumeuses, les corps d'obsidienne souffrent en silence. La douleur est toujours la plus vive quand elle n'autorise même plus la parole. Au-dessus des sombres venelles où agonise l'espoir, sont les entrepôts avec leurs grandes bâtisses coloniales. Sous des opalines vertes, sur des tapis sombres brillent les gemmes de l'envie.

  Blanc est le pouvoir. Blancs sont les visages fascinés par les éclats pareils aux longs filaments des comètes.  Blanc est le sentiment qui contraint, opprime, réduit à néant l'essence de l'homme. Blanc est l'abîme du néant où le sens se dissout avec sa consistance de brume.

  Noire est la condition des hommes à la peine. Partout où errent leurs effigies d'ébène se révèle la ténèbre, gire l'orbe de la finitude. La nuit est une étoupe et les étoiles sont vides. La nuit est dans les corps et fait son bruissement, son cri assourdissant de chauve-souris. Les membranes de l'incompréhension, de la folie, du désarroi sont partout palpables et les abris de planches et de goudron sont  le refuge des erratiques.  Noir bitume où tout s'englue, où tout sombre et s'incline au désespoir.

 

   Toutes les couleurs sont égales. Cependant…

 

  Le temps est long dans les sillons de terre. Le ventre des choses est comme déserté. Rien n'en sortira qu'une noire solitude. Les pierres, dans l'ombre, allument des convoitises, incisent les regards. La sclérotique des Blancs est une porcelaine dure sur laquelle ricoche la lumière. La pauvreté aussi. La pauvreté est noire, elle ne connaît pas la clarté. Les mains sont noires, noueuses, usées comme de vieilles racines. D'autres mains sont blanches. Lisses. Les feux des pierres s'y allument. Les coupures vertes s'y consument comme des braséros ultimes. Il n'y a d'autre but que cette éternelle combustion. Les pierres sont infiniment précieuses, icônes dans le noir compact des rhizomes souterrains. Les rhizomes enserrent les corps dans une gangue nocturne. Les étoiles ont déserté le ciel et l'immensité est vide.

 

  Toutes les couleurs sont égales. Cependant…

 

  Long est le temps qui fait ses cordes tressées. Longue est la peur qui enserre les ventres. Ventres pareils au ventre sombre et étroit de la terre, là où s'abolit le langage. Longue la couleur noire saturée d'indicible. Noire est la lumière, Noir est l'Homme qui, soudain, surgit au firmament parmi les nuées d'incompréhension. Noir est l'espoir qui se fait jour alors que les Blancs oppressent, divisent, parquent. Noir d'un côté. Blanc de l'autre. Frontière au milieu. Pas de gris qui dirait la perte du Blanc dans le Noir, la perte du Noir dans le Blanc. Certaines couleurs : incompatibles. Métissage : mot interdit, pratique interdite. Il y a des réalités qui ne peuvent avoir lieu, des partages délétères, des actes prohibés. Alors on dresse les murs de la honte, on établit les frontières. La résidence est Blanche. Le taudis est Noir. Et, ainsi, à l'infini, selon l'imaginaire sans fin de la barbarie. "A visage humain", disait avec raison le Philosophe.

 

 

  Toutes les couleurs sont égales. Cependant…

 

Noir est l'homme qui, soudain, inverse la logique des peuples. Noir est Noir. Certes. Blanc est Blanc. Sans doute. Mais comment une humanité pourrait se construire sur cette sommaire dialectique ? Comme si les couleurs, de toute éternité, avaient été prédestinées à ranger les hommes selon leurs mérites, leurs valeurs. Combien tout ceci devient tout à coup détestable, hors jeu, impensable. Noir est l'homme qui crée, à la force de ses convictions, à l'amplitude de son intelligence, à sa capacité de visionnaire la Nation arc-en-ciel. Car toutes les couleurs sont égales.

 

    Toutes les couleurs sont égales. C'est cela qu'il nous faut proférer haut et fort afin que Celui qui s'est levé un jour nous entende.

    

 

Sur la courbure infinie des consciences

NELSON,

Nous écrivons ton nom :

 

Négritude.

Espoir.

Liberté.

Solidarité.

Ouverture.

Non-violence.

 

 

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