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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 08:16
Equinoxiales.

« Equinoxe en liberté provisoire ».

Œuvre : Céline Guiberteau.

Existant, on marche sur le bord de la Terre, comme cela, sans trop savoir d’où l’on vient, où l’on va. On est sur le haut de la grève. On avance à l’aveugle, comme un somnambule. A côté de soi, le « bruit et la fureur », le mystère du monde. Les vagues déferlent tout le long de la côte avec un roulement continu, un vacarme pareil au tonnerre. Cela résonne longuement dans les spires de la cochlée, cela fait osciller le menhir de chair, cela remue jusqu’à la moindre parcelle d’eau de nos cellules. Plus de la moitié du corps : eau. N’est-ce pas là une vérité, un signe vers notre lointaine origine ? L’océan aux eaux multiples bat en nous au rythme immémorial des marées et cela cogne contre notre outre de peau et nous frissonnons longuement sous la poussée intérieure. C’est le temps équinoxial, celui qui nous demande de naître une seconde fois. Nous, d’abord. Le monde, ensuite. C’est le Printemps de Botticelli, ses muses aériennes, ses nymphes sublimes qu’habille un voile d’air et les nuées de fleurs coulent de la bouche de Flore comme une eau de source de la calcite blanche. C’est Norouz, le « nouvel an », le « nouveau jour » qui marque d’une insigne faveur, sur le calendrier persan, l’entrée dans une nouvelle ère, dans un temps régénéré, comme si, soudain, marchant à reculons, nous remontions à la fontaine qui nous a donné le jour.

L’eau est blanche, écumeuse, parcourue de longs frissons, grise par endroits avec des filaments arrachés au monde secret, invisible ; l’eau est noire, identique à la ténèbre lorsqu’elle voile la Terre de son suaire mortel, pareille à une encre de Chine qu’un artiste aurait déversée sur les rives de la mer. L’eau est furieuse, comme si elle avait une mystérieuse mission à remplir, peut-être user jusqu’à la toile tout ce qui fait phénomène afin qu’une nouvelle naissance puisse avoir lieu. Les explosions, les déflagrations se succèdent sans cesse et l’on est immergé jusqu’au plein du corps et l’on est envahi d’angoisse et sa propre temporalité devient un fil ténu, invisible, un fil d’Ariane dont le destin s’étoile jusqu’au cœur du labyrinthe. C’est de notre provenance voilée dont il s’agit et nous tremblons. De ne pas la connaître, mais aussi de pouvoir la connaître un jour. Mais voilà un assaut des vagues et nous sommes reconduits au seuil de la grotte primitive, loin, là-bas, dans le temps, loin dans l’espace, quelque part au-dessus des flots atteints de folie. Nous sommes l’Erectus, l’Habilis à la forme trapue, à l’âme si engoncée dans le massif de chair qu’elle n’en peut émerger, livrée seulement aux peurs primitives, à l’effroi qui empale le corps et le cloue, sidéré, là, contre la falaise prise de furie. On a si peu d’espace autour de soi et le temps est une glu qui poisse et maintient dans l’ignorance. On ne sait ce qui se passe vraiment. On se réfugie comme l’animal au fond de son terrier et l’on attend que le jour s’ouvre à nouveau, que la lumière essuie les traces de la démence. On est sous l’emprise du limbique et du reptilien, on est un genre de saurien que la verticalité n’a pas encore élevé au statut d’homme. Hominidés seulement. Attitudes simiesques si proches de la racine, du tubercule, du moignon serré dans sa gangue de terre. Cette présence tumultueuse de l’eau, cet appel de l’océan à faire renaître la vie, à initier un nouveau cycle, on ne l’entend pas, on demeure serti dans son linceul de peau.

On continue à marcher, tout en haut de la grève, si près des rouleaux de la mer qu’on en sent la troublante énergie jusque dans la graine de son ombilic. Puis, soudain, le temps s’inverse, les aiguilles tournent d’une manière sénestrogyre, l’espace se condense et, ombilic contre ombilic, l’on est arrivé dans la très étonnante conque amniotique, là où a lieu la première alchimie, où l’eau est soudée au feu, au socle de la terre. Cela bouillonne infiniment, cela fuse, cela vit la lente parturition géologique, cela initie un cycle, cela appelle la vie. Profusion de micro-organismes, danse des cellules et des bactéries, puis, bientôt des formes plus complexes situées plus haut sur la chaîne de l’évolution. Alors, brusquement, depuis le simple enroulement qu’on est, immergé dans la grande masse amorphe, l’on se met à comprendre sa propre présence. La vérité est enfouie au sein des abysses où vivent les poissons aux yeux aveugles, les baudroies si primitives, qu’en elles, encore, se dissimulent la roche, le feu, la mutité de la matière originelle. Alors, insensiblement, on est appelé par la lumière, on aspire à connaître l’air, à sortir dans le grand jeu sans limite, à se dissoudre dans l’éther où habitent les sublimes Idées. Ça y est, maintenant nous sommes né à nous-même, nous avons abandonné notre tunique d’écaille, le limbique et le reptilien sont dans la fosse abyssale, notre front est ceint de la lumière du néo-cortex, nous avons l’intelligence gravée sur l’étrave de notre visage, nous comprenons, nous parlons, nous écrivons la grande fable de l’univers à chacune de nos respirations et nos yeux sont emplis de clarté.

C’est cela la vision cosmique des choses, cette soudaine plongée jusqu’aux abysses fondatrices et ressortir vers la lumière avec la certitude de sa fusion, de son osmose avec l’univers. Nous en faisons partie comme il fait partie de nous. Marchant en haut de la grève, tout contre la marée d’équinoxe, nous sommes, à la fois, saisi de peur et envahi de ravissement. Seulement à l’aune d’une approche de ce que nous sommes en réalité, cette demeure mobile où battent toujours les eaux océaniques originelles. Etre fragment d’océan et le savoir, quel plus beau cheminement sur Terre qu’en être inondé en son sein ? Alors le trajet devient léger, alors depuis le sol de poussière s’élève le chant des sirènes et l’on est fasciné.

C’est cela que nous dit cette belle photographie en des termes qui sont les siens : le crépitement doré des sels d’argent, là-haut, tout près du zénith où habitent les belles pensées, le blanc pur comme toute origine, toute virginité, le noir de fumée tout droit venu des mystères de la terre, le calme de l’eau, par endroits, sa révolte, cette écume si sombre qu’elle surgit à la manière d’une allégorie nous disant la nécessité de sonder jusque dans l’abîme la source de notre provenance. Cela qui était dans l’attente et la mutité, le clos et le non-advenu commence à s’éclairer. Sans doute est-ce le lieu premier de toute vérité. Sans doute !

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21 novembre 2015 6 21 /11 /novembre /2015 08:30
Les arbres dansent-ils ?

Photographie : Gilles Molinier.

Etude 2015.

  Cette belle photographie sous les yeux, nous pourrions disserter longuement sur sa similitude avec les peintures de l’Ecole Flamande, dire le nécessaire clair-obscur, l’équilibre des formes, la densité de la matière, la nébulosité de l’air, la grâce subtile de cette lumière cendrée, l’enchevêtrement harmonieux des massifs, manière de jardin à l’anglaise qu’aurait ordonné la rigueur d’une vision géométrique. Tout cela nous pourrions le dire et encore nous n’aurions rien dit des arbres en leur essence. Car, si essence il y a, quelque chose anime ce végétal de l’intérieur, comme le feu produit l’éclair et s’y consume le temps d’une brève vision.

 Mais quel est donc ce principe qui produit les bourgeons, fait croître l’arbre, le porte au-devant de nos yeux éblouis, en étale les ramures, l’élève dans l’éther dans le registre majestueux du pachydermique baobab ou bien dans la lutte enflammée du cyprès ? Combien sont précieuses ces images tutélaires que nous portons en nous comme une faveur. En nous, toujours le bourgeon, la larme de résine, le trajet de la sève et les racines, les sublimes racines qui disent en hiéroglyphes métaphysiques notre appartenance au sol, notre adhésion à la terre fondatrice. A simplement évoquer l’arbre et aussitôt surgit l’arche magique d’une géopoétique. Nous voyons le cèdre du Liban, ses branches basses, ses longues aiguilles couleur de mousse éteinte. Nous voyons les immenses séquoias de Californie plonger dans l’eau grise du ciel, loin, là-bas où ne sont plus les hommes. Nous voyons les vénérables oliviers de Crète, leurs troncs séculaires semés de tubercules, leurs rhizomes apparents, leurs cheveux fous que traverse le Meltem. Nous voyons tout cela et encore bien davantage et nous fermons les yeux sur les beautés du monde et nous confions notre voyage à l’encre nocturne qui fait ses lacs alentour des demeures et le sommeil nous fauche comme un blé trop fragile que l’âge de raison n’aurait pas encore atteint.

 Nous dormons, les poings fermés, en forme de spirale, la truffe humide comme de jeunes chiots. Au-dessus de nos têtes étonnées se balancent les meutes de la canopée, tanguent les fleuves verts des forêts équatoriales, vrombissent, tel un essaim d’abeilles, les grands eucalyptus où l’air joue sa multiple symphonie.

 Que font les arbres lorsque nous dormons ? Un pandémonium ? Une ronde ? Une grande farandole pour dire aux hommes la beauté de la Terre baignée par les rayons de la Lune ? Les arbres dorment-ils ? Dansent-ils ? Cela, l’essence des arbres, leur nature intime, jamais nous ne la saurons. Seuls les arbres la savent. Les arbres à la grande sagesse !

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20 novembre 2015 5 20 /11 /novembre /2015 08:27

 

L'instant avant le jour.

 

L'instant [1024x768] 

                                                                                                   Photographie : Thierry Chiès.

 

  La nuit est un long fleuve posé sur la lagune. A peine quelques remous et le silence alentour pour dire l'imminence du jour. L'air, dans les abris de ciment, n'est encore défroissé et les corps sont à la dérive, pris dans les mailles serrées du rêve. Parfois, comme une aile qui glisserait au-dessus du paysage, un souffle d'air à peine esquissé. Une manière d'absence, un chuchotement, l'avant-parution de la lumière. Il y a tant de secrets pliés au centre du limon, tant de mutisme lové dans le ventre de la glaise. Toute esquisse de mouvement serait, déjà, une effraction, une irruption de ce qui voudrait se dire mais attend l'éclosion dans le recueillement. Cela, les hommes le savent depuis les couches où ils dorment, existences compactes, sourdes, pareilles à la pierre lente des gisants. Alors on espère de cette heure vide qu'elle vienne vous délivrer de quelque sortilège. L'avant-jour est de cette nature : une éternité cherchant à écarter ses rives obséquieuses, à surgir dans le pur événement.

  On n'est pas très sûr de ce qui adviendra, on fait ses premiers pas sur le plancher disjoint avec des hésitations de somnambule. Les mains tendues brassent l'ombre, les jambes sont des bâtons encore roides, affectés  aux  touffeurs étroites de la nuit. Doigts gourds, paumes réunies en conque, on distrait son visage d'un peu d'eau fraîche, on y dispose la première ouverture. L'épiphanie est mince, yeux soudés, narines pincées, effigie en forme de lame de couteau. Il faut réduire sa silhouette, se fondre dans les traits encore inapparents de la lumière, faire corps, se dissoudre. Elever son spectre de carton à l'encontre des choses  serait une pure offense, un genre de récrimination, le jet d'un cri sous la lame unie du ciel, une révolte. Alors on se résout à n'être que pénombre, vacillant clair-obscur, déclinaison d'un langage non encore advenu. Un balbutiement.

  Sur le marais, c'est le noir qui domine. Bitume, obsidienne fermée, cataractes de suie. Parfois, cela s'éclaire de l'intérieur. Gonflement de l'eau sous la poussée du ragondin. Comme un tronc flottant à la dérive. Ou bien ce sont les carpes aux ventres opalescents qui font un bruit de nageoires. Ou bien les tortues cistudes qui flottent à mi eau, l'éperon de leur tête à peine visible. Sur la levée de terre cernée de pruneliers, les branches épineuses commencent à griffer l'air, à y imprimer des graffitis couleur de cendre. Puis le triangle de la cabane des paludiers imprime sa ligne brisée alors que les salines piègent la clarté dans les bassins pareils à une plaque de zinc usé.

  A l'orient, alors qu'une vibration commence à s'annoncer, ce sont les premières brumes qui se posent sur le massif des arbres, les premières gouttes de rosée qui se mettent à luire à la façon de minces étincelles. Tout se confond dans une même harmonie, le chant des oiseaux, le reflet des arbres dans le miroir du lac, les hampes des joncs faisant leur ponctuation verticale. Univers d'eau, de terre, de ciel où rien ne cherche à luire, dominer, se singulariser. Tout infiniment uni, tout concourant au simple, à l'élémentaire comme s'il s'agissait d'une parole neuve, d'une fable des origines à partir de laquelle le monde surgirait à profusion. Corne d'abondance libérant son miel, sa gemme claire, ses gouttes oblongues voulant dire la beauté de l'existence, la plénitude de l'être, le ressourcement infini de la nature.

  Oui, les paysages simples sont beaux. Ils s'annoncent dans la discrétion, ils marchent sur la pointe des pieds, font de subtils pas de deux, d'étonnantes chorégraphies. Ils sont pareils aux fils de la vierge sur le bouton hérissé du chardon, pareils au visage pur et cuivré de l'Indienne sous son voile couleur corail, à la course blanche du Soleil au zénith, au gonflement de la Lune sur l'eau des rizières.

L'instant avant le jour, en son incomparable beauté, nous fait signe vers tout ce qui croît et se déploie, modestement, à l'abri des regards, près des eaux claires, dans l'ombre discrète, dans l'inapparent. Car, du visible nous sommes toujours trop abreuvés pour qu'il perdure dans une manière d'annonce qui retiendrait notre attention. Sous la ligne d'horizon, tout près des feux de la conscience, s'incline toujours, pour notre vision intérieure, la merveille des merveilles, la vérité du monde en son unique apparition. 

 

                                                                                                            

 

 

 

 

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19 novembre 2015 4 19 /11 /novembre /2015 08:35

 

Prélude au devisement esthétique. 

 

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       (Photographie de Marc Lagrange).

                             

  Cette image figurerait-elle les prémices d'une voluptueuse fête des sens ? Serait-elle déjà l'orgie romaine en ses délices anticipatrices ? Sans doute pourrait-on le penser, seulement il manque une dimension dionysiaque au tableau, une impétuosité, un déchaînement de passions. Au contraire, tout y est apollinien, les sujets y apparaissent dans des postures hiératiques, manières de concrétions éclairées de l'intérieur, regards fréquemment occultés par des masques, éclairages métaphysiques ne dévoilant des choses que leurs apparences alors que les ombres semblent détenir un sens inaperçu. Les femmes y sont de longues lianes liquides traversées d'un flux continu. Nul remous d'air, nulle immersion dans une  terre traversée de tellurisme, nulle flamme qui s'élèverait selon une métaphore passionnelle et qui dirait la réalité crue, l'absolue contingence.  L'eau est bien l'élément premier, constitutif, la longue mélodie secrète qui parcourt ces anatomies empreintes de mystère et d'onirisme.

  Regardant ces manières de cariatides sculptées dans le marbre fluide, lignes parfaites de la figure féminine, l'on serait même tenté de les envisager comme des réverbérations des Formes platoniciennes, dont on sait qu'elles sont inaccessibles à la perception mais dont il n'est pas interdit à l'entendement d'en proposer quelque esquisse vraisemblable. Ici, la nudité est nue et cette proposition n'est pas seulement une tautologie. Il y a austérité, distance, dépouillement et que les menus colifichets vestimentaires n'aillent pas nous abuser : ils ne sont présents qu'à renforcer cette exigence. C'est à dire celle de la vérité. Les corps sont laissés à leur mission première : élever dans l'éther l'effigie humaine afin que s'établissent les vrais rapports opposant l'horizon immanent au zénithal transcendant. Ici, il y a inscription du signifiant à même les corps, lesquels  ne sont pas saisissables, pas plus que l'art ne saurait être préhensible directement. Seulement au regard de l'âme.

  Ces corps sont des épures, des esquisses de la beauté, des préludes au devisement esthétique.  Ce qui veut dire : accueil du silence. Car aucune parole ne saurait être prononcée qui offenserait l'œuvre. Dire le corps est une entreprise périlleuse qui, toujours, en dit trop ou pas assez. Trop et la sensualité crue recouvre la manifestation authentique. Pas assez et le filigrane est à peine visible dans la trame du propos photographique. Le corps disparaît sous la vêture symbolique.

  En vue de signifier, le corps n'a d'autre voie que sa propre architecture. Il doit se faire sculpture, mais sculpture oublieuse de soi afin que ne surgisse pas la meute d'un lexique ambigu. L'érotisme inquiet est là qui veille dans l'ombre et, bientôt, la troublante  pornographie qui vient mêler les perspectives. Seule, pour le Photographe, pourra être empruntée une ligne de crête où cheminer, sans faillir. C'est-à-dire l'exigence d'une parole nue, pareillement aux corps qui se dévoilent à nous. Une parole sans fioriture seule à même de proférer l'essentiel. Ici, toute digression, toute proposition fausse ramènerait l'œuvre à l'anecdote. Ce qu'elle ne saurait être.

  Le corps est un vrai problème car faillible à l'infini, disposé plus que tout à l'immédiate corruption. De la chair. De l'esprit aussi, qui le traverse de part en part mais parfois s'en libère. A cette recherche du dire vrai il faut une rigueur parfaite, un traitement formel sans faille, une précision quasiment géométrique. Corps glacés sous l'exigeante lentille. Objectiver, autant que faire se peut, écarter le sujet peccamineux et fantasmatique qui toujours rôde comme un voleur dans la nuit. Car, si l'art admet la volupté, autorise le désir, il ne saurait en admettre le mensonge.  L'art est vérité en soi ou bien il n'est que pure illusion, fantaisie ou simple argument picaresque. Or l'aventure de l'art mérite mieux qu'un parcours anecdotique. Il lui faut énoncer un propos sans compromission, élever dans l'espace un pur désir ontologique. C'est de cela dont il s'agit avant tout, pour le Regardant, être par l'image puis quitter cette dernière avec le sentiment d'un accroissement intérieur. Peu importe sa nature. Ceci est affaire de singularité, de subjectivité.

  Refermons donc l'image. Il ne restera, au bout du compte, que quelques nervures signifiantes, quelques effigies pareilles à des gemmes qu'éclairerait l'aube nouvelle. Nulle histoire, nulle événementialité qui pourrait naître de ces déesses énigmatiques. Seulement une retenue, un recueil. Le supposé érotisme est un leurre. La volupté se drape d'une sobre idéalité. Car, si quelque phénomène apparaissait de cet ordre, il ne résulterait que d'une pure fantasmagorie. D'un simple voyeurisme. Ici, Eros est  illusion, ici Thanatos étend son règne. 

  Le Regardant s'absente déjà à même le parti pris esthétique dont la chair, retirée, laisse s'éployer les infinis possibles du sens. D'un premier geste du regard, nous aurions pu croire à d'autres significations plus immanentes, à de simples propos charnels. Seulement ces représentations ne pourraient être incarnées qu'à l'aune d'un trop rapide inventaire. Donc d'un regard par défaut, ce que, jamais, par essence, il ne saurait être.  Sans doute ces déesses sont-elles  l'épiphanie que notre désir  convoque, mais désir de l'art avant tout. Elles sont des efflorescences en voie de constitution, de simples figures de rhétorique, ellipses nous reconduisant à une manière d'origine  que, souvent, nous ignorons par pure paresse intellectuelle ou par un manquement à notre condition herméneutique. Aucune interprétation vraie ne saurait s'exonérer d'une manière de sagesse reconduisant les choses au sens premier, à leur éclosion. C'est cela que nous devons assumer face à toute image portant en elle le réseau complexe et infini des significations.

 

 

 

 

 

                                                                                                    

 

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17 novembre 2015 2 17 /11 /novembre /2015 14:55

 

NOIRE IDOLE

 

Nativeemotions [1600x1200]

                         Source :   Nativeemotions photography.  

 

  L'heure est venue de convoquer la Noire Idole. Pour oublier. Comme on boit un long verre d'absinthe. Dans la pièce où rôde une généreuse pénombre, la voilà qui surgit. A peine un effleurement du temps, une fragilité de l'espace. Un modelé lissé par l'heure crépusculaire. Le corps n'est pas dans son entièreté. Il n'est qu'une esquisse, un tremblement, une fuite à peine retenue. Si près du glacis de l'obsidienne, tellement semblable au tracé du fusain, au trait  entr'aperçu de l'estompe. Ce qui, encore, la rend plus désirable. Déjà on sait la volupté, déjà on sait le rêve, déjà la sublime affliction entraînant par delà les rites ordinaires.

  Sur le corps de nuit, le corps de basalte, glisse uniment la douce lumière. Comme pour dire l'étrangeté, la distance, mais aussi le gué à franchir pour ailleurs. Rester à la frontière se confondrait avec l'étroit destin du supplicié. Dans l'intervalle il reste à s'installer dans la contemplation. Mais quelle est donc cette pluie ruisselant sur la terre de la sculpture humaine ? Seraient-ce des larmes préparatoires à une joute sacrificielle ? Ou bien une source claire à laquelle s'abreuver longuement ? Ou bien la persistance d'un mirage ?

  Peu importe. Nous aimons à nous interroger, à demeurer sur le seuil tant que la tension se résoudra à ne pas nous détruire. Et cette pliure de la lumière selon courbes, dolines et dépressions est-elle la projection à même la peau saturée d'envie des Pléiades, de Cassiopée ou la Chevelure de Bérénice ? Cette clarté nous la vivons de l'intérieur et, dans l'espace urgent de nos anatomies, cela fait de grandes flammes blanches, des langues de feu, des gerbes d'ivresses. Silène est tout près qui veille à nos soporifiques pensées. Car nous ne saurions rester éveiller qu'à risquer notre perte. Nous sommes à la lisière, encore dans la clairière laiteuse du doute, souhaitant la percée en même temps que nous la redoutons. Il y a danger à demeurer, à stagner dans le marais des sentiments troubles, dans l'irrésolution. Nous sommes attirés par le geste même de cette main androgyne qui fait ses effleurements sur la hanche en forme de dune. Ovale parfait des ongles. De brillantes lunules s'y allument, invites à se saisir d'une autre démesure.

  En nous, alors que la nuit est entrée dans  son encre profonde, commence la longue impatience, la délicate métamorphose. Attente, nous sommes, d'un outre-noir, d'un au-delà du corps qui nous fait face en son énigme. C'est du pur surgissement que nous espérons le salut. Cela vient, par ondes successives, cela s'invagine dans le moindre de nos abîmes, cela colonise notre urticante peau. Cela a trait aux abysses, aux yeux globuleux des baudroies, aux dépliements des algues, mais aussi aux flux tempétueux lors des hautes eaux. Nous le sentons. Nous atteignons notre solstice, juste avant le basculement. Myriades de traits qui fusent dans les remous de notre cortex. Etoiles filantes, queues de comètes, gerbes ultimes. Nous sommes bousculés, l'étui de notre épiderme se retourne comme la calotte du poulpe, nos membres sont livrés aux flagelles de la pieuvre.

  Nous existons en-dehors de nous, en plein ciel alors que de hautes vagues mescaliniennes, rythmes pressés de traits et de points, habitent la pointe de notre chiasma, juste en arrière de nos yeux. Depuis nos racines mortelles montent des cascades de phosphènes, nos nerfs s'étoilent en longs rhizomes étincelants, en ténus fils d'Ariane, notre sang se gonfle de bulles carmin, nos alvéoles sont des chambres livrées au bouillonnement du magma, nos mains parkinsoniennes avancent à l'aveugle, cherchent, cherchent, la paroi est proche, nous en sentons la lourdeur pariétale longuement parcourue de signes, le danger aussi est tapi dans l'ombre qui pourrait nous réduire à néant.

  Nos yeux soudés se décillent soudain, pupilles dilatées jusqu'à la mydriase. Il n'y a plus de nuit, plus de pénombre où réfugier sa peur. Seulement un éblouissement. Ça y est, nous sommes enfin de l'autre côté de la Noire Idole, sur sa face de clarté. La blancheur est rayonnante, les chaos d'écume roulent leurs anneaux, la mousse est aérienne, les bulles fusantes, les corpuscules serrés comme le grain d'un fruit très précieux. Nous commençons à voir, à exister alors que, devant nous, l'amphore féminine, le violoncelle sublime est là, debout dans sa certitude, silhouette à contre-jour, ourlée de réalité. Là-bas, plus loin, est l'air crépusculaire sur le seuil duquel, jusqu'à maintenant, nous nous tenions. Il fait ses confluences nocturnes, comme un appel au ressourcement. Nous le rejoindrons bientôt. Mais, d'abord, livrons nos sclérotiques de porcelaine à l'émerveillement. Les courbes sont parfaites. Depuis la conque du bassin en passant par la pure courbure des hanches, le creux adouci des reins, le col de cygne des épaules, la longue déclivité de la nuque. Là, à la racine de la sensation, sur le plein et le délié de l'Existante, de la Noire Idole, en lettres de feu et de braise, l'ultime scarification qui gonfle la peau : OPIUM

 

 

 

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16 novembre 2015 1 16 /11 /novembre /2015 13:54

 

Le voyage au-delà des yeux.

 

utopia

                                                                            Photographie : Thierry Chiès.

 

   D'où il venait, personne ne l'avait jamais su. Eole faisait partie du paysage comme le sable appartient à la dune. Eole se confondait avec la brume d'eau, le vent, les nuages pommelés, la crête ourlée des vagues. Il restait assis de longues journées sur le ponton de planches, les pieds ballants au-dessus de l'eau irisée du port, jetant sur la plaque de mercure de petits cailloux que l'onde reprenait. Ses repas étaient frugaux : une pomme trouvée sur un arbre desséché, des coquilles extraites du limon, quelques poissons grillés au feu de bois. Toujours, à ses cotés, un bâton de noisetier portant, dans l'écorce, une spirale entaillée au canif. Eole s'amusait à suivre cette hélice blanche du bout des doigts alors qu'un sourire rêveur habillait ses lèvres. Parfois, à contre-vent, il inclinait sa nuque alors que l'air du large dessinait dans le massif de sa barbe des nuées de fils clairs.

  Son immobilité aurait pu faire croire à un épouvantail comme on en voyait, jadis, parmi les carrés d'herbe grise des jardins. Il s'occupait à poursuivre des choses infimes : humer le sel iodé, sentir la brûlure du soleil sur sa nuque, jouer avec la corne de ses mains, frotter un caillou contre un autre, griffer le sol de poussière de ses talons de pierre ponce. Cela semblait suffire à son bonheur et les adultes, pas plus que les enfants, ne s'inquiétaient de sa présence. Parfois même on l'oubliait avec tellement d'intensité qu'il se fût confondu avec le môle de pierre noire sur lequel il confiait sa destinée au temps.

  Le soir, lorsque le crépuscule arrivait, avec l'odeur de varech et les bateaux de pêcheurs rentrant au port, il profitait des rayons du soleil. Son visage buriné comme un vieux couteau luisait dans les derniers feux. Distraitement, il croquait un quignon de pain ou bien aspirait le corps couleur corail d'une moule. Parfois il gobait une huître verte, s'essuyant les lèvres d'un large revers de mains. Il saluait les gens qui passaient à sa portée. Tout le monde le connaissait mais, pour tous, il restait un mystère. Lorsque les premières vagues de la nuit poussaient devant elles leur frange d'écume, il rentrait dans une des cabanes aux  planches disjointes, se laissait aller sur un tapis de feuilles, ramenant sur lui une mince toile de coton. Les soirs de pleine lune, la clarté imprimait sur son corps quelques zébrures glissant sous l'astre blanc. Sans doute rêvait-il. Parfois, des passants attardés  percevaient comme une agitation, d'étranges remuements derrière la hutte enduite de goudron.

  Le matin, aux premières heures de l'aube, alors que la brume sortait à peine de la lagune, Eole se levait, confiait son visage à la première fraîcheur de l'eau et, muni de son bâton, gagnait les maisons en direction de la forêt. On dormait encore dans les chambres noyées d'ombre et les oiseaux n'avaient pas commencé leurs vols circulaires. Bientôt Eole atteignait les premières houles vertes des pins, ses pieds nus glissant sur le tapis d'aiguilles. Le chemin, il le connaissait par cœur, à la façon dont un bûcheron, les yeux fermés, éprouve toutes les aspérités de sa cognée. Parfois ses orteils butaient sur des dalles de ciment ou bien ses talons roulaient sur les pommes de pin. Peu à peu l'air se déplissait, le sable faisait crisser ses grains de mica, l'odeur sourde de la résine gagnait la crête des arbres. Maintenant la pente s'accentuait et le vieil homme devait reprendre des goulées d'air. Il s'appuyait sur la branche de noisetier, lui imprimant une impulsion à chaque nouveau pas.

  Bientôt l'atmosphère devint plus fraîche, plus iodée, avec des nappes chargées de brume. Eole s'enfonçait dans les couches fraîches du sol. Sa progression était lente mais régulière. Puis ce fut l'arrivée sur la crête de la dune, là où, soudain immense, l'horizon s'élargissait à perte de vue. C'était un vertige qui s'emparait du chemineau, un genre de douleur en même temps qu'une soudaine impression de liberté, de vastitude infinie. C'était comme s'il était arrivé au bout d'une étrange planète, sur la courbe ultime, là où plus rien ne pouvait advenir  qu'une dilatation sans fin, une ouverture, un dépliement de tout ce qui croissait sous les quatre horizons. Eole s'assit sur le bord du monde, sa barbe confiée au vent, sa peau au soleil, ses mains remplies d'une poussière blonde, souple, aérienne. Il laissait des filets s'écouler entre les mailles de ses doigts et cela faisait un chant de luciole, une harmonie pas plus haute que le scintillement d'une étoile. Cela suffisait à son contentement, cette manière de paix, ce passage de rien, cette pliure d'un temps infiniment étendu.

  Le rituel d'Eole, c'était ceci : il se saisissait d'une brindille et, sur la croûte de sable durci, couleur de cendre, il traçait une ligne plus sombre, faisait le dessin de ce qui, dans une manière de féerie, emplissait le paysage révélé à sa propre beauté. Il y avait, d'abord, ces coulées de sable pareilles à la lave des volcans, un genre de presqu'île qui faisait avancer son éperon vers la masse blanche d'un plateau immaculé, comme si l'on était près de l'origine, quelque part dans un lieu sans frontières, un lieu porté par un poème toujours renouvelé. Partout déferlaient les vagues d'écume, depuis un golfe clair jusqu'à la ligne courbe, au loin, qu'une cataracte de nuages blancs fécondait de sa mystérieuse présence. Et, du côté du peuple des pins, une anse prenait son envol vers le dôme glacé du ciel alors qu'en son extrémité, loin, au-delà de toute compréhension immédiate, s'élevait un cône régulier, peut-être celui d'un ancien volcan ou bien une île surgie de nulle part - comme les îles volcaniques se hissant vers leur destin à la seule force de leur désir d'être -, une île qui paraissait portée par un rêve, si lointaine, inaccessible, émergence d'une possible utopie, concrétion enfin réalisée du vieux songe humain. Tout cela était beau, bien au-delà de toute parole, de tout geste; de toute profération qui serait venue offenser le silence.

  De chaque côté du visage du vieil homme, pareilles à des gouttes de résine, les pleurs coulaient en de singuliers ruisselets, comme si ses pensées s'étaient condensées, surgissant au plein jour. Pour témoigner, dire toute la rareté du monde que, jamais, aucune main ne pourrait étreindre. Ses doigts, resserrés sur la tige de noisetier, tremblaient, avec le rythme d'une brise printanière. Plus rien ne semblait l'atteindre que la plénitude de la lumière, la courbe illimitée des choses. Il eût voulu, sur-le-champ, être transporté en plein ciel  puis déposé sur le flanc de la pyramide de sable qui, maintenant, s'irisait parmi la brume de chaleur. Il savait que, plus jamais, il ne serait atteint d'une telle grâce, que tout finirait par rejoindre la poussière, quelque part sur les môles de pierre, près des cabanes enduites de bitume. Il fut pris d'un vertige si fort qu'il perdit connaissance, sa barbe grise poudrée de sable léger. Lorsqu'il revint à lui, déjà le jour déclinait. Depuis les hauteurs de la dune il apercevait, sur le glacis de la lagune, le sillage des bateaux rentrant au port. Bientôt la fraîcheur monterait à l'assaut des pins, glisserait sur le dôme de sable. Tout alors se disposerait à la nuit souveraine. Eole, à regret, laissa derrière lui le rêve se dissoudre. Les plaques de ciment, à nouveau, les maisons où s'allumaient quelques ampoules, les huttes de planche et de goudron, le môle de pierre noire. Il s'y assit, visage tourné vers le large, vers les meutes bleues des vagues océaniques. Quelques barques le saluèrent. Mais Eole ne pouvait les voir, les entendre, leur adresser un signe de la voix. Depuis son enfance, très loin en amont du temps, Eole était aveugle : deux boules de porcelaine fermées à la clarté. Eole était sourd : des pavillons soudés comme les berniques aux rochers. Eole était muet : le massif de sa langue était fixe, immobile. Il ne restait plus, à Eole, que le cri étouffé du vent, l'étendue invisible du paysage, la parole intérieure comme une belle utopie à laquelle confier son destin. 

 

 

                                                                                                                       

 

 

 

 

  

 

 

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15 novembre 2015 7 15 /11 /novembre /2015 10:13

 

 

jnana chakshu

 

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  jnana chakshu. Mais que sont ces mots qui chantent comme une manière d'incantation ? Nous disons jnana chakshu, et nous sommes déjà transportés en dehors de nous, dans un lieu de liberté, donc affranchi de toute contingence. Certes il peut être déconcertant de se livrer à la magie des mots, de s'en remettre à leur charge poétique ou émotionnelle sans aller plus avant, sans creuser l'aire immense des significations. Or, prononçant l'étonnante formule jnana chakshu nous comprenons déjà qu'un ailleurs nous fait signe que nous pressentions à défaut de pouvoir le nommer. Mais observons ce magnifique portrait d'une femme indienne. Grande beauté qui émane de ce visage de cuivre, de ces sillons à peine naissants, de cette perle suspendue à la narine, de la braise rouge du tilak dont nous ne pouvons détacher notre regard. Nous sommes fascinés. Là est le lieu du sublime jnana chakshu, le troisième œil, celui de la connaissance qui conduit au monde intérieur. L'espace est immense qui se révèle une fois franchi ce point ultime : déferlement d'images dont la réalité n'est qu'une inconséquente copie, profusion du sens échappant aux habituelles divagations quotidiennes.

  Mais nous ne sommes pas Indiens, nous ne sommes pas les traducteurs des Upanisads, ces courts textes poético-philosophiques en sanscrit censés nous ouvrir à une autre dimension, à une spiritualité. Mais, pour autant, sommes-nous fermés à toute compréhension de ce qui pourrait advenir hors du champ de vision étroit auquel nous sommes soumis ? Et, en tant qu'occidentaux, certaines images ne tiendraient-elles pas, en nous, un langage identique à celui des Upanisads ? Nous voulons dire une ouverture à d'autres lieux, d'autres espaces ?

Maintenant, il nous faut nous préparer au grand saut qui nous reconduira à une vision plus conforme du monde qui nous est familier. Maintenant il nous faudra tâcher de comprendre le contenu d'un autre portrait, lequel recèle aussi quantité d'images auxquelles s'attachent mille esquisses que, jusqu'alors, nous n'avions pas entrevues.

 

Capture3

 

 

      Certes, pour autant que nous le sachions, Zoé n'est pas Indienne, certes des différences existent avec celle dont le front est marqué du tilak. Certes les cultures sont différentes. Mais, pour autant, s'agit-il ici de deux univers qui seraient inconciliables, de deux comètes s'éloignant l'une de l'autre à la vitesse de l'éclair ? Nous ne le pensons pas. Par-delà l'espace et le temps, de grandes arches existent entre les hommes, les femmes, tous habitants d'une même planète. Mais voyons maintenant par où peuvent s'établir quelques homologies. Et où donc serait le troisième œil, le fameux jnana chakshu qui nous occupe sans que nous puissions en cerner la nature ? Ne s'agirait-il que de fantasmes, de pures hallucinations de notre imaginaire, de fantaisies ? Mais regardons donc avec suffisamment de complicité ce qui, sous nos yeux étonnés, se révèle avec la force d'une évidence. Oui, le troisième œil est bien là, sans doute hypostasié dans une certaine matérialité, ramené à un statut d'objet, mais là tout de même. Dans l'appareil photographique.

 

 

oeil

 

 

    Cet œil  qui paraît nous fixer, - pareillement à celui que Marc Lagrange a adopté pour  son profil - n'est-il pas présent à nous révéler à nous-mêmes, à nous inviter au cheminement intérieur chaque fois que nous nous confrontons à une image vraie, esthétiquement aboutie, pourvue d'un langage ? Précisément celui de la lumière. Merveilleuse écriture qui nous en dit toujours plus que n'en révèle la surface de papier glacé. Extraordinaire aventure des photons nous entraînant par-delà la camera obscura vers le domaine d'une riche polysémie. Car il y a toujours matière à réflexion, à intellection, à étonnement donc à fréquenter les rives de quelque philosophie et, pour certains, d'une spiritualité.

 

marc lagrange

 

  Et cette camera qui nous fascine tant, n'est-elle pas la simple métaphore de ce qui nous affecte lorsque nous nous livrons à observer les choses ? Notre œil n'est-il pas cette optique à l'orée de la chambre noire; notre propre intériorité les flancs du soufflet où se déroule la subtile alchimie, la précieuse métamorphose; notre conscience la plaque sur laquelle s'impriment les grains d'argent, les seules connaissances vraies auxquelles il nous soit possible d'accéder ?

  Et ce regard de Zoé, complice, rayonnant, venu tout droit du centre secret qui l'anime, comme pour tout un chacun, ne nous invite-t-il pas, à la façon du  jnana chakshu, à nous diriger vers d'autres significations, à faire se déployer les formes qui sont latentes en nous, à faire surgir quelque icône dont, le sachant ou à notre insu, sommes les porteurs ?

  Grâce à une conjonction des affinités, à une convergence du sens, les yeux de Zoé nous invitent vers d'autres yeux, vers un autre regard. Par exemple celui de Morphée, dont déjà, nous disions qu'il était investi, dans l'espace des sourcils, d'une "manière de tilak dont les indiennes parent leur front d'une goutte de curcuma, symbole du soleil levant, en même temps que marque de séduction."

 

 

Capture

 

   Et la blondeur de sa chevelure, - nous parlons toujours de Zoé, - la profusion des crins assourdis ne nous invitent-ils pas à faire halte auprès de "la plus noble conquête de l'homme" - de la femme aussi, s'entend - , ce cheval dont Raphaël Macek nous délivre de si belles images. Là, entre l'animal et l'homme, c'est bien d'un échange entre deux intériorités dont il s'agit, comme la réverbération de deux regards cherchant à communiquer l'indicible. Mais jamais un regard ne peut longtemps être soutenu. Il en est ainsi de notre vie intérieure qu'elle doit souvent s'occulter afin de demeurer aussi près que possible de son essence.

 

cheval

 

  Enfin, le pur et lumineux regard qu'atteste le portrait, ne nous entraîne-t-il pas au centre de nous-mêmes, vers le seul endroit où les Formes platoniciennes puissent se révéler, car faire de la réalité une Idée ne se réalise jamais que dans des lieux de silence.

 

formes platoniciennes

 

 

   Cette rapide évocation, partant du jnana chakshu, le troisième œil donnant accès à la vie intérieure, passant par l'œil anatomique, l'optique photographique, la chambre noire, convoquant Morphée et sa longue rêverie, la somptueuse encolure du cheval pour aboutir à une manière de cérémonie sacrée, ne nous a parlé que de nous, de notre condition humaine dont la photographie  nous fait l'offrande avec tant de beauté !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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14 novembre 2015 6 14 /11 /novembre /2015 13:53

 

Cerise est le désir.

 

51 


 

                                                                              Photographie de Marc Lagrange.

 

 

 

   Regardant cette image, nous sommes d'emblée portés vers le lieu d'une plénitude. Pourtant le prétexte pourrait paraître mince qui  met en scène une jeune femme s'apprêtant à déguster un fruit bien innocent. Mais s'arrêter là reviendrait à  survoler la surface glacée de la photographie sans en pénétrer l'infinité de sens.  Car il y a bien ouverture d'un monde, d'un univers troublant à force d'une supposée ingénuité. Que cherche donc à nous dire cette image dont nous pressentons la force sans en déceler les fondements ?

  D'abord, d'une manière évidente, elle nous reconduit à la Genèse. Eve est là, devant nous, portant à ses lèvres le fruit défendu, perçant le secret de l'Arbre de la Connaissance. Mais est-ce bien de cela dont il s'agit ? Cet arbre ne cacherait-il pas plutôt l'Arbre de Vie et, par conséquent, le désir qui lui est coalescent, qui en constitue la condition de possibilité ? Le choix du fruit n'est nullement fortuit. Bien sûr nous ne pouvons éviter d'évoquer la pomme.    

  Mais si cette dernière s'insère parfaitement dans le projet newtonien par lequel la gravitation universelle est sommée de nous apparaître, sa mise en scène, ici, aurait manqué son objet. Comment, en effet, mieux susciter l'idée du désir qu'en proposant l'esquisse de la divine cerise ? Braise suspendue au milieu de la parenthèse rubescente des lèvres, prête à être immolée dans un festin princier, elle est la confondante incarnation de ce qui n'est qu'une infime vibration sur l'arc de la conscience. En peu de mots, tout est dit de ce qui pourrait survenir dans un temps suspendu : une subtile efflorescence ivre d'elle-même.

  Nous restons dans cette manière de vérité épochale, nous sommes fascinés, tendus, maintenus dans un insoutenable suspens. Alors la parole parvient à son étiage, les mouvements se dissolvent dans leur propre impuissance, les bruits s'évanouissent dans l'orbe de leur inconsistance. Simplement muets, nous sommes reconduits à l'espace d'une profération immanente, nous sombrons dans les rets d'un discours mondain bien éloigné d'une sublime poésie, alors nous nous exprimons en prose. Nous nous en remettons à ce que nous suggèrent nos perceptions. Et c'est déjà beaucoup que de commencer à percevoir les nervures du sens faire leurs étoilements sans fin.

  Nous sommes d'abord sensibles à la polyphonie des couleurs, à leur éclatement symbolique alors que, volontairement,  la palette en est réduite à sa plus simple expression. L'irruption du carmin joue en mode dialectique avec sa complémentaire, un vert profond, si proche d'une nuit doucement permissive. Le déferlement blond des cheveux, leur coulée en souples vagues vers l'aval est saisi comme le début d'un voyage fluvial, initiatique. Le visage, les bras taillés dans une argile douce, une manière de luxueux et précis céladon, convient à quelque cérémonie secrète dans le mystère d'une alcôve. On est gentiment priés de demeurer sur le seuil. Jamais on ne s'abreuve à la boisson sacrée sans y avoir été invité. Ainsi en est-il de l'art du thé qui suppose une initiation en même temps qu'une inclination particulière de l'âme.

  C'est la lumière, ensuite, qui nous saisit du dehors. D'abord nous restons impressionnés par sa réserve d'ombre. De là, de sa densité plénière naissent, pareils aux vers du poème, les linéaments d'une esthétique. Car la densité du noir, si elle peut troubler, faire signe vers Thanatos, n'est jamais la ténèbre, le pur néant. Bien au contraire, cette obscurité est la source même au cœur de laquelle va se déplier le creuset des significations. La merveilleuse sculpture humaine ne nous apparaît qu'au travers de sa confrontation à la touffeur de la pénombre. Elle est pur jaillissement de ce qui, depuis toujours, cheminait dans le ventre fécond des choses non dites, en attente de son éploiement.

  Nous sommes requis de tenter d'épuiser la chair multiple de ce qui se manifeste sans pouvoir cependant y parvenir. Ainsi girent longuement à notre entour les constellations du questionnement, lesquelles se perdront dans les eaux limpides de l'imaginaire. Nous aurons perçu, l'espace d'une image, grâce à la puissance d'envoûtement de la peccamineuse cerise, ce qui toujours nous fascine parce que se soustrayant à l'emprise de notre volonté. Nous aurons perçu la force de l'image, son pouvoir de révélation, l'emboîtement des significations dont elle nous fait l'offrande. Ainsi, en abyme, se jouent, dans les reflets d'un vertigineux carrousel spéculaire du monde, les destins alternés et indissociables de l'Aimée, de l'Amant, de l'Amour. Car nous ne saurions mieux dire que l'image elle-même.

 

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13 novembre 2015 5 13 /11 /novembre /2015 08:42

 

D'une vérité qui voudrait se dire.

 

7 

Photographie : Yaman Ibrahim. Sur Facebook.

 

  Nous disons de cette photographie qu'elle est belle. Sans doute l'est-elle, mais encore faut-il savoir à partir de quoi une telle affirmation peut être formulée. La décrire consisterait déjà à en cerner quelques nervures signifiantes. Dire le visage pareil à une terre parcourue de profonds sillons, le dire en tant que cuir tanné par les ans, comme un bois antique dans lequel se seraient imprimés les signes du temps; le dire, en somme, métaphoriquement. Ceci serait une première tentative mais, de prime abord, nous sentons que cela ne suffit pas, que nous ne faisons qu'effleurer le problème, que nous demeurons en surface.

  Or, si nous ne souhaitons avoir recours à la métaphore - cette merveilleuse figure de rhétorique par laquelle la poésie prend souvent forme - , alors nous comprenons que cet Existant, nous ne pouvons davantage l'aborder à l'aune d'une icône, pas plus qu'à la mesure d'une idole. Car, à le considérer de cette manière, nous ne ferions que le reconduire à ce qu'il n'est pas. A savoir une image, fût-elle celle d'une nature transcendant le réel qui nous affecte quotidiennement.

  Une autre perspective consisterait à lui assigner quelque identité ou fonction sociale concourant à le déterminer. Et alors nous pourrions l'envisager sous les auspices du moine, de l'ascète, du pèlerin, peut-être même du chemineau longeant les sentiers du monde. Mais, ce faisant, nous le limiterions à quelque hypothétique silhouette, la condition humaine en comptant à foison.

  Tous ces essais successifs ne seraient, en leur fond, qu'une sorte de mise en scène, de fiction  dont notre imaginaire aurait bien voulu s'emparer. En réalité, cet Existant, nous l'aurions revêtu de quantité de masques, lesquels n'auraient résulté que de notre fantaisie. Cet Existant comme boule d'argile nous faisant face dans laquelle nous aurions imprimé les formes de notre propre subjectivité. Toutes les tentatives : des essais successifs d'interprétation. L'Existant considéré selon telle ou telle esquisse, selon notre propre vision des choses. L'interprétation, cette simple euphémisation de la compréhension. Tout visage nous faisant l'offrande de sa singulière épiphanie nous renvoie au devoir de compréhension. Ce qui veut simplement dire que l'Autre est à "comprendre", soit, étymologiquement formulé : "saisir avec". Mais que saisir et au moyen de quoi ? Mais simplement saisir l'essence de l'altérité au moyen de l'éclairement de notre conscience.

  Autant de temps nous persisterons à nous saisir de l'Autre selon ses qualités formelles - la géographie qu'il met à notre disposition -, autant de temps nous girerons dans l'orbe de l'esthétique, donc de la sensation, donc de ce qui apparaît comme l'illusion dont nous serons toujours les spectateurs distraits et, le plus souvent, satisfaits. Alors nous nous contenterons du masque - ce "faux visage" : à l'origine le mot italien "maschera" -, de l'apparence, peut-être même du faux-semblant, du maquillage, du simulacre.

  Or, ici, bien évidemment, nous sentons d'emblée que le propos du Photographe ne saurait trouver sa justification dans l'exposé d'une quelconque anecdote. Cette image va à l'essentiel, cette image outrepasse sa dimension strictement topologique, sa proposition spatio-temporelle. Elle fore bien plus loin, du côté des significations premières, des fondements. Elle nous interroge bien au-delà des habituelles vanités mondaines, des entrechats et des colifichets dont notre société contemporaine aime à s'entourer, des paysages en trompe l'œil, des pastiches et autres mirages qui ne nous donnent à voir que la fumée alors que nous souhaiterions observer le feu, ce qui l'anime et le rend tellement fascinant.

  Seulement le feu, pas plus que l'image, ne livreront leurs secrets à des regards s'appliquant seulement à ricocher sur la face brillante des choses. Constamment, il faut se livrer à une vue incisant la peau du réel. Le regard adéquat, par son exigence même, passe au-delà du miroir, pour ne retenir, de la quadrature de l'Existant, seulement le cercle, là où s'origine l'essence de la liberté humaine, puisque toute chose considérée comme telle se délie de ses prédicats réducteurs. Regardant cette image du Vieil homme avec exactitude - l'éthique ne porte pas d' autre nom - , nous ne faisons que le reconduire à son tremblement premier, à sa vibration ultime.

  "L'art est la mise en œuvre de la vérité.", nous disait le philosophe Heidegger dans "Chemins qui ne mènent nulle part".  Ce qui veut signifier que nous ne pouvons nous arrêter, considérant l'œuvre, à un abord perceptif réalisé dans l'immédiateté, lequel nous installerait dans la pure sensation et nous y laisserait. Il n' y est jamais question de considérations formelles, telles la couleur, le contraste, la composition, et, conséquemment, le sentiment esthétique. Ce qui nous est proposé dès que l'art est atteint, c'est ce cheminement en profondeur qui donne lieu à la vérité d'un monde. De telle manière se révèle à nous, est rendu visible ce qui, habituellement, se soustrait à l'entendement. A savoir l'événement à partir duquel signifie, sous les traits de l'homme, son essentielle humanité. Cette belle photographie de Yaman Ibahim nous y invite avec une sobre élégance. Car l'élégance, à défaut d'être une simple vitrine que nous présenterions au monde, est cet espace d'invisibilité qui nous habite tous et que, seule une exigence de vérité, peut mettre en exergue. Les plus belles cimaises sont celles qui, dans la discrétion, ouvrent cette dimension. Nous ne saurions nous y soustraire qu'à nous oublier nous-mêmes en nous confiant aux ombres tremblantes et illusoires de la caverne platonicienne. Il y a mieux pour qu'un site authentique soit assuré à notre condition mortelle : celle de sa propre remise à ce qui brille de mille feux, aussi bien dans les œuvres d'art, aussi bien au centre de l'éther et qui s'appelle indifféremment, chef-d'œuvreIdée du Bien. Hommes de raison, nous sommes appelés à connaître ce à quoi le sensible fait signe : l'être vrai qui transcende le réel et lui donne ses assises mondaines. Nous sommes tous, le sachant ou à notre insu, convoqués à une telle contemplation.

 

 

 

 

 

 

 

     

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11 novembre 2015 3 11 /11 /novembre /2015 08:47

 

L'éternité d'abord.

 

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                                                                      Photographie : Thierry Chiès.

 

  La lumière est posée sur les choses avec son bruissement d'abeille. Un effleurement que nul langage ne saurait dire. Un pur présent, une donation que même le corps ne parviendrait à percevoir. L'ondoiement des gouttes d'eau parmi le lacis des algues en serait une manière d'approche. Ou bien le clapotis de l'écume au fin fond d'une conque marine. C'est ainsi, parfois le monde s'annonce à nous avec une telle densité que nous devenons soudain muets, incapables de proférer quoi que ce soit. Et c'est une immobilité qui se saisit de nous, une méditation nous visite, une torpeur s'alanguit dont, jamais, nous ne voudrions qu'elle s'absente de notre aire intime. La plénitude est si rare, avec son sentiment éphémère, insaisissable !

   L'heure est clouée au sentiment de la nature. Les fuseaux blancs des aigrettes ne sont  pas encore perceptibles, pas plus  que la vibration colorée du martin-pêcheur ou la fuite aigüe du sterne. Tout dans la même invisibilité première, dans l'unique élan en lui-même retenu. Heure pareille au corail avant que ne se révèle la bogue nocturne de l'oursin aux piquants hérissés, venimeux. Heure non assignable à quelque réalité, heure avant le prédicat, instant reposant dans l'innommé, dans le singulier, l'unique. Instant proprement sphérique, jamais disposé à l'attaque angulaire, à l'effraction, à la dispersion dans le fragment, la division, l'éparpillement. C'est pour cela que cette aurore en suspens fait phénomène avec sa teinte d'argile et de feuille d'automne. De si belles harmonies. Comme une dernière lumière qui voudrait  dire la disposition au recueillement, l'ouverture prochaine à la vision totale, décuplée, le merveilleux séjour dans l'île imaginative.  

  C'est dans l'essence même de l'eau que repose cette inclination à tout unir, tout rassembler, tout lier dans un réseau serré d'affinités. Les rives du lac, les étalements des estuaires, les ramifications infinies des deltas parmi les arbres aux racines multiples ne font que féconder ce que le paysage porte en lui comme une faveur des dieux, à savoir la simple et pure beauté. Qui ne sait la voir, la reconnaître, s'expose à la brûlure de l'inconnaissance, à la coruscation de la folie ordinaire, à la cécité esthétique. Une errance sans fin, une fermeture à tout ce qui s'annonce comme un chemin à suivre afin que la trace humaine se distingue, à jamais, de tout ce qui rampe et croupit dans les marécages de l'impéritie. Il faut en être alertés, il faut constamment laisser ouverte la meurtrière de la vigilance, le doigté subtil de la conscience, le phare avancé du regard. Et tant mieux si cela ressemble au romantisme, si cela a à voir avec le surréalisme, si le symbolisme est à portée de la main, si le panthéisme commence à faire sa symphonie d'eau, de terre, d'air, de feu ! Il n'y a que ce tremplin anthropologique tendu vers la source, élevé vers les ramures de l'arbre, soutenant les boules écumeuses des nuages qui puisse suffisamment s'extraire des contingences ordinaires afin de pénétrer le champ des significations.

  Mais nous sentons que, bientôt, cette plaine d'eau  qui nous avait fait l'offrande de sa présence au monde, de sa pellicule bienfaitrice, apaisante, est sur le point de se retirer, de basculer sous les assauts des meutes  mondaines. Alors se produiront les premières rumeurs sur les agoras aux vastes latitudes, alors commenceront à déferler dans les artères étroites des villes les automobiles aux mufles carrés, alors s'alièneront les foules des Existants selon les lois machiniques dont ils  sentent qu'ils ne peuvent s'exonérer. La relation à l'eau passait par un lien intime, sans détour, par une solitude, laquelle réalisait la condition même d'une révélation, d'un déploiement de ce qui avait à se montrer.

      Maintenant, il nous faut apprendre à renoncer, à nous écarter de cette faculté que nous pensions avoir acquise de nous inscrire au cœur des choses, d'entrer de plain-pied dans la mise à nu d'une vérité. Maintenant, il nous faut vivre auprès d'elles, les choses, avec une certaine marge d'erreur, dans une manière d'indistinction du réel qui nous cerne de ses bras aux ramures étroites. Déjà, à l'horizon de notre vue, commencent à apparaître, se détachant du long plateau d'étain liquide, quelques minces silhouettes noires, identiques aux griffures du calame sur le parchemin, signes avant-coureurs de l'écriture que nous sommes et que, présentement, nous commençons seulement à déchiffrer. L'homme n'est jamais "un signe privé de sens" comme le prétend Hölderlin dès l'instant où il sait reconnaître, dans le simple événement, aussi bien le reflet du lac que le vol de la libellule, la trace ouverte du dire, l'apparition singulière et toujours renouvelée du chiffre du monde. 

 

 

 

     

 

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