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15 septembre 2017 5 15 /09 /septembre /2017 17:51
L’étiage du temps.

Tu disais en cet automne précoce

Le gris de l’heure

Les rides  naissantes

Les illusions perdues

Ces degrés de l’existence

Pareils aux strates du temps

Tu disais cette eau de lagune

Cette mélancolie

Qui n’en finissait de goutter

Cette perte des choses

Dans une manière de Néant

Tu disais le brouillard

Sa ténuité

Son insolence

Sa persistance à tout nimber

De mystère

A tout inonder

D’une parole d’ennui

Tu disais tout ceci

Et c’est comme si

Tu étais devenue invisible

Simple mot de vent

Se mêlant à la rouille des feuilles

Tu disais le lac

Sa plaque d’argent

Tu disais son immobilité

Sa mutité longue

Et je recueillais ton silence

Au creux de mes mains

Une goutte de rosée

Dans le soir qui venait

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15 septembre 2017 5 15 /09 /septembre /2017 16:25
Du rameau, la fragilité.

Du rameau vous aviez la fragilité.

La consistance à peine affirmée.

Un souffle d’air

Vous eût confiquée

A mes yeux si indociles.

Je ne supportais de vous voir

Que pleine et entière

Vouée en votre chair

A dire votre gloire

A parler le signe de

Mon dicible plaisir.

Un souffle d’air vous eût ôtée

A ce qui n’était

Que caprice d’enfant

Qu’une brume eût effacée

Comme se distrait de soi

Le phalène

Dans la perte du jour.

Du rameau vous aviez

Cette rumeur blanche

A la limite de l’ombre.

Que n’étais-je cette ombre

Cette nuit en laquelle votre

Ineffable corps

Eût plongé en moi

Avec l’arche

D’un émerveillement ?

Que n’étiez-vous

Cette aube nouvelle

Etincelante de rosée ?

Que n’étiez-vous ?

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3 juillet 2017 1 03 /07 /juillet /2017 14:47
La venue à nous du fragile.

                   Photographie : Blanc-Seing.

 

 

 

 

   C’est toujours la même antienne, nous longeons les choses dans une distraction si coutumière que nous finissons par ne plus les apercevoir. Autrement dit, elles ne nous parlent plus et nous n’entretenons plus de dialogue avec elles. Question d’ego sans doute, question de vitesse où le monde nous entraîne dans son continuel tourbillon et nous sommes au centre du vertige, noyés dans l’œil du cyclone, pressés de signer l’épilogue d’un événement avant même qu’il n’ait commencé.

   En une autre époque qui n’est guère si lointaine, l’écrivain Faulkner aurait parlé du « bruit et de la fureur ». Dépossession et désespérance de soi en quelque manière car notre être même nous échappe, devancé par un temps qui lui devient inconnaissable. Alors nous nous réfugions dans ces substituts de la saisie de la temporalité que sont les rencontres rapides, les amours cataclysmiques, le feu d’un alcool, l’ivresse des images sur un écran, l’ingestion de barbituriques, l’essai d’un peyotl, d’une ambroisie qui enflamme l’esprit, d’un haschich rimbaldien qui, l’espace d’un instant, nous arrache à notre destin pour nous y reconduire avec encore plus d’effroi.

   Nous divaguons sur la scène mondaine avec des allures fantomatiques et il s’en faudrait de peu que nous devinssions, aux yeux des autres, aussi inapparents que la brume au-dessus de la Cité des Doges. Nous voguons sur de gris canaux, passons sous des ponts aux soupirs mélancoliques, sommes fascinés par ces hautes façades parcourues de la lèpre de la moisissure, nos yeux se troublent et de hauts campaniles tressent sur l’arc de notre imaginaire les esquisses d’une ville fantôme. Nos mains battent le vide, notre corps est traversé de lumière, nous sommes radiographiés, réduits à n’être que des calques sur lesquels le réel n’a plus de prise. Nous nous cherchons et ne nous trouvons pas.

   C’est midi en été sous la lame arborescente de la clarté zénithale. La forêt crisse sous les meutes de chaleur, se déchire sous les coups de canifs des cigales dont les cymbalisations ricochent ici et là avec des airs de scie musicale. On boucherait volontiers ses oreilles afin de demeurer en soi, dans la touffeur de sa citadelle, seulement préoccupés de vivre dans la douleur, un pas après l’autre, titubant, tels les funambules sur leur fragile corde céleste. Les coups de gong sont partout qui cognent le mur de la peau, veulent entrer, faire leur sabbat au milieu des rivières de sang et des tubes blancs des os.

   Peut-être tout ceci pourrait-il ressortir par la fente de la fontanelle et recouvrir le peuple des feuilles d’une litanie sombrement humaine, peut-être les enduire du glacis de la désespérance. C’est si étrange d’être ici, sous les incisions de la dague solaire et de demeurer dans le silence alors que la terre rugit de sa douleur d’être écartelée, là, au beau milieu du jour et personne ne répond à ses plaintes muettes, à ses brusques retournements parmi la geôle étroite des racines.

  C’est midi en été et l’on ne sait plus très bien qui l’on est, pourquoi cette marche de somnambule dans le dédale des taillis et les lourdes frondaisons des chênes, les boursouflures de leurs troncs, les excoriations qui gonflent leur pulpe, les rhizomes qui courent en tous sens comme si, soudain, il y avait danger à affirmer sa présence solitaire parmi les convulsions des hommes, les replis des animaux dans les ténébreux boyaux des terriers. Mais pourquoi a-t-il donc fallu cette déambulation sous la voûte charnue des arbres pour qu’apparaisse avec une telle profondeur la détresse de vivre sous le ciel blanc, sur le chemin de poussière qui file loin, là-bas à l’horizon imprescriptible du regard ? Pourquoi ?

   Avions-nous, au moins, vu ce qui existait à côté de nous de sa vie modeste, inapparente mais combien révélatrice d’une signification à donner à toute chose ? Non. Nous n’étions qu’aveuglés par notre propre questionnement, inclus dans le massif de notre chair, isolés par toute l’épaisseur de notre pensée, alertés par la vive tension de notre esprit. Le limpide spectacle des choses est ce murmure à peine proféré dans la discrétion d’un clair-obscur. Un tremblement de liane dans la nuit d’une grotte, un battement d’aile de chauve-souris sous la douce laitance de la Lune. Il vient un moment où il faut déciller la bogue de l’intellect et de la sensation et s’ouvrir à ce chant de comptine qui s’élève là, juste devant les yeux, dans cette si belle humilité pareille à la perle d’une larme.

   Un tronc d’arbre est couché sur le sol de mousse, dénudé, criblé de trous inapparents par où, bientôt, la mort va s’infiltrer jusqu’à l’âme, affairée à en boulotter les dernières ressources jusqu’au moment où plus rien ne demeurera de cela qui avait été depuis un temps immémorial. L’antique chêne aura vécu sa vie de chêne. La mort aura réalisé son ancestrale tâche à partir de laquelle une vie se construira à nouveau. Eternel cycle  du même, continuel déroulement palingénésique pareil au mythe qui réactualise sa puissance à être éternellement raconté, reproduit selon un infaillible rituel.

   Dans le fond quelques fougères agitent leurs modestes destinées alors que l’ombre portée d’une autre fougère pose sur le tronc son graphisme d’outre-tombe. S’agit-il d’un hommage rendu à celui qui part ? D’une muette chorégraphie immobile qui viendrait dire la rareté de l’instant qui passe ? D’une simple résille se découpant sur la matière avec son habituel lot de contingence ? D’un discret spectacle offert au royaume sylvestre ? D’une empreinte du temps posée là comme son architecture la plus visible ?

   Mais voici que notre vision se dote d’une acuité qu’elle n’avait pas alors qu’elle n’était occupée que d’hallucinations métaphysiques. Voici qu’enfin nous avons renoncé à notre regard éloigné pour le reconduire à une plus exacte observation de la présence. Ce que nous avons fait : atomiser le réel, le porter au contact direct d’une conscience en quête d’un savoir immédiat afin que, devenu métabolisable, notre jugement puisse s’en emparer dans un essai de vérité. Cette venue à nous du fragile, du fuyant, de l’indicible est sans doute la seule façon de nous entendre avec ce qui toujours nous questionne et disparaît avant même la fin de notre interrogation. Ainsi va le monde qui tourne alors que nous tournons avec lui. Tout est vertige ! Tout est abîme ! Il nous faut survivre. Sans délai.

  

  

  

   

 

 

 

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2 juillet 2017 7 02 /07 /juillet /2017 08:23
Sommes-nous dans l’exactitude des choses ?

                          Photographie : Blanc-Seing.

 

 

 

 

   Cette image nous croyons la regarder avec un regard neuf, sans a priori, avec la justesse qui sied à une vision du simple. Nous pensons que seule la raison de notre perception est à l’œuvre et qu’aucun doute ne pourrait s’immiscer dans la tâche d’une description. Nous disons donc la plaque de rocher en quelque endroit de la nature, ses lignes de faille, le lisse qui en parcourt la surface, les cailloux levés tels de minuscules menhirs et leur ombre portée, cette manière de flèche qui pourrait indiquer une direction. Laquelle ? Du septentrion, de l’orient, de l’occident ?

   Mais, métaphoriquement exprimée cette direction ne serait-elle celle de la pensée ? Et précisément celle de l’orient d’une pensée, à savoir d’un début, d’une aurore de ce qui se donne à voir dans l’exactitude. La courbe du jugement en est à son origine, elle n’a nullement subi l’insolation du zénith, elle n’a nullement éprouvé la plongée occidentale dans les ombres crépusculaires et, bientôt, la perte dans la nuit qui sera celle des songes, de l’imaginaire, des multiples métamorphoses du réel.

    Ce réel qui deviendra méconnaissable à la mesure de ses étonnantes déformations. Les êtres humains y deviendront tels ces grotesques de la Renaissance, telles les figures légumineuses d’Arcimboldo, identiques aux visages déformés et grimaçants d’un Francis Bacon dont la touche du  pinceau est parfois si proche d’une démence. Les demeures seront ces prisons hallucinées d’un Piranèse avec ses écheveaux de cordes se perdant dans le vide, ses escaliers aux marches disjointes, ses échelles arrêtées à mi-hauteur, ses poulies où ne s’accroche que le rien, ses mystérieuses machines en forme de trébuchets. Une vision fantomatique des choses qui scinde le réel et le projette selon des esquisses que l’on ne pouvait soupçonner.

   Maintenant, revenir à l’image c’est se laisser saisir en sa représentation par une dimension qui lui appartient en creux, dévoiler ses significations latentes, exhumer ses messages cryptés. Autrement dit en livrer une inapparente sémantique, laquelle concourt à sa richesse, à sa plénitude. Les choses du monde apparaissent, le plus souvent, selon un tel lieu commun qu’elles finissent par s’évanouir dans le geste même qui essaie de s’en emparer. Regarder le réel ne consiste pas à se confier à une logique des signes. Ceux-ci existent indépendamment de nous, ils jouent leur singulière partition, ils possèdent leur propre dramaturgie, leur esthétique, leurs relations complexes. Ils constituent un peuple avec leurs traditions, leur langage, leurs façons de se mettre en scène et d’apparaître à partir d’esquisses qui sont les leurs avant d’être les nôtres.

Sommes-nous dans l’exactitude des choses ?

   Mais quel est-donc cette scène animalière qui se livre à nous avec le mystère d’une énigme ? Serait-ce un félin assoupi dans la lourde tâche de la digestion ? L’œil est fermé, les naseaux au repos, la gueule scellée, les pattes allongées dans la position statique du sphinx. Devant le museau, sans doute les reliefs d’un repas, peut-être le reste d’une carcasse dépouillée de sa chair. L’heure est matinale que disent les ombres longues, la douceur de la lumière diagonale, la teinte de gris apaisé qui parcourt l’anatomie repue. Image du repos après que l’essentiel a été assuré : se nourrir afin de ne pas mourir. Mort de la proie assurant le devenir du prédateur. Toujours ce violent battement de la lumière fécondante, existentielle tout contre l’ombre captatrice, voleuse de vie. Toujours ce tragique suspendu au ciel du monde telle la brillante et impitoyable épée de Damoclès. Il faut vivre ou bien mourir, tel est notre lot depuis la ténèbre du temps. Il n’y a pas de station intermédiaire, sauf la vie qui est un sursis que chaque jour ampute de sa lame acérée.

Sommes-nous dans l’exactitude des choses ?

   Et, voici, il a suffi d’une simple rotation de la photographie pour que les sèmes de l’image changent brusquement de valeur, que le paysage nous apparaisse comme une réalité nouvelle dont la représentation originaire ne nous précisait rien, plus même, soustrayait à nos yeux ce nouvel agencement qui eût instantanément détruit notre compréhension de ce qui se donnait à voir. Avec un peu d’imagination, la posture animalière s’est décalée vers le site anthropologique. Oui, c’est bien d’un homme dont il s’agit avec l’arête du nez qui parcourt la face tel un raphé médian, point de suture de deux réalités complémentaires, la dextre et la senestre. Nous ne sommes que deux moitiés accolées en leur centre. La dysharmonie de notre visage, notamment, confirme cette étrange cohabitation de deux territoires qui, par aventure, pourraient être distincts si le hasard n’en avait fait le site d’une unique représentation. Schize originelle qui, métaphoriquement interprétée, pourrait légitimer notre constante ambiguïté, la lame du doute qui nous traverse, notre hésitation à être dans la forme accomplie d’une totalité.

   Une ombre portée divise le nez en deux parties presque égales. Puis la ligne qui rejoint l’arc de Cupidon. Puis la bouche entr’ouverte dont on ne sait exactement si elle se retient sur un langage intérieur, si elle se dispose à émettre un message, si elle est appel de l’autre ou réserve en soi avant que d’émettre une parole d’amour, proférer un jugement, imprimer dans la feuille du réel les nervures d’une subjectivité.

  Merveilles que toutes ces naturelles dispositions des choses, y compris les plus modestes, qui déploient à l’envi la polyphonie de ce qui se montre et demande la juste attention, l’essai de décryptage, la traduction hiéroglyphique du monde. Il y a tant de fourmillements partout répandus, tant de disponible effervescence, tant de transfigurations du réel que c’en est un perpétuel vertige, une immense farandole bariolée, une étonnante commedia dell’arte. Il y aurait tant à dire qui demeure celé dans la gangue d’oubli, dans le pli secret du sillon, la chute d’eau au milieu du lit de galets, la dentelle d’une feuille où le paysage torturé d’une écorce.

   Tant de choses. Aurions-nous imprimé un autre basculement à l’image et auraient surgi encore plein d’autres manifestations dont nous n’aurions pu épuiser la généreuse offrande. Etre au monde est ceci : tendre la voile de sa peau contre le vent, emplir ses mains du creux du silence, dilater le globe de ses yeux en forme de planisphère, faire de la plante de ses pieds ces outils qui retournent le sol et y cherchent les tessons d’une vérité. Toute vie est archéologie. Oui, il faut fouiller ! Inlassablement, fouiller !

 

 

 

 

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1 juillet 2017 6 01 /07 /juillet /2017 08:07
Le cercle étroit de l’attention.

                    Photographie : Blanc-Seing.

 

 

 

 

 

   Nous avançons sur le chemin. Nous croyons nos pas assurés, notre jugement sain, exact quant aux choses qui viennent à nous. Nous flânons. Nous regardons de-ci, de-là. Cette fleur, cette branche, ce bout de bois, cet insecte qui traverse le sentier de son pas hésitant. Parfois même nous demeurons dans le cercle étroit d’une liane, y apercevant le réseau de quelques feuilles, des troncs en voie de constitution, enfin l’anatomie de la forêt en sa réalité fragmentaire. C’est un peu comme si nous demeurions au centre de notre corps, peut-être sous l’abri arqué du diaphragme, à l’abri des orages du monde et du vent furieux des esprits lorsqu’ils vivent à la mesure de leurs excès.

   Alors nous ne nous présentons à la conscience universelle qu’en tant que citadelle dans laquelle luit à peine le lumignon de la raison. Nous nous contentons d’une vue étroite, nous ne sortons de nous qu’à l’aune d’une vision se glissant au travers du goulet étroit d’une meurtrière. Et pourtant notre âme témoigne d’une présence qu’elle croît réelle, comme si la totalité de ce qu’il y a à connaître était enclose dans ce genre de microcosme qui s’offre à nous comme seule vision d’un monde possible.

   Soudain c’est comme si nous nous éveillions au centre de l’Académie de Walton dans le cercle prestigieux « des poètes disparus », ce groupe d’esprits libres et oniriques, anticonformistes, qui veulent fixer leurs propres règles et amener la réalité à coller à leur intime subjectivité. En fait le lieu d’une indépassable utopie qui est inféodation à son propre ego plutôt que reconnaissance de l’existence en sa manifestation la plus exacte. Car tout acte libre s’il part bien de soi ne peut s’exonérer du rapport à l’autre, aux choses, au monde.

    La liberté est donc cet ensemble de cercles concentriques, lesquels partant de soi se dirigent vers ce qu’il y a de plus lointain, les autres communautés humaines, les terres éloignées, les mœurs plurielles, les langues polyphoniques de l’universelle nature pour enfin retourner à soi avec la connaissance de cette périphérie qui justifiera ce centre que, toujours, occupe le moi en tant que l’endroit le plus signifiant pour notre conscience. Genre de geste qui porte au loin le proche pour le confronter à ses limites et faire retour tel le boomerang après l’accomplissement de son étrange ellipse.

   Et maintenant si nous revenons à la valeur métaphorique de l’image, voici que nous n’y découvrons plus seulement ces simples efflorescences végétales, ces rameaux en train de se constituer en arbrisseaux, mais aussi tout ce qui alentour, extérieur à la liane qui en trace le contour, se signale en tant qu’autres présences, autres réalités plus distales : des taillis denses, sans doute des layons forestiers, des bosquets, des collines les portant, des nuages couvrant les collines, un ciel les dominant, des oiseaux qui en traversent le libre espace, des océans au loin qui grondent de toute la puissance de leurs flux éternels.

   L’histoire d’un saut avant lequel ne s’affirmait en tant que visible que sa propre demeure alors qu’après se dessine avec force le village mondain, la foule polychrome avec ses clignotements, ses joies et ses peines, ses bonheurs lumineux et ses sombres tragédies. Toujours nous sommes appelés à voir au-delà de notre propre continent, condition de possibilité de notre être comme conscience au monde. Il n’y a guère d’autre lieu où exister et la poésie, ce chant immémorial de l’être, résonne partout où il y a présence, pas seulement dans le cercle étroit de l’attention. Mais dans celui, plus large de « la tension », cette constante inquiétude d’exister qui nous fait différer de nous-mêmes et nous porter plus loin que notre propre ébauche.

   Nous ne sommes jamais complet qu’à être en nous en même temps qu’en dehors de nous. Ceci nous le sentons à défaut parfois d’en être bien assurés. Je ne suis qu’à l’aune du miroir que me tend le réel. La plupart du temps l’éblouissement ne provient que du regard de Narcisse sombrant à même sa propre image. Il nous faut donc retourner tous les miroirs et poursuive le chemin, éclairés. Là est notre seule voie !

  

 

 

 

 

 

 

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11 juin 2015 4 11 /06 /juin /2015 14:02
Innommée dans la venue du jour.

« Je te vois à travers les larmes et je devine ma mort »

Encre et abstract 150/70

Nuit du 05 Juin 2015

JM-Musial / Georges Bataille « L’Aurore ».

***

 Voici ce qui avait lieu, allumait sa flamme dans l’aurore de sang. Le jour butait contre la persienne, éclaboussures vermeil qui faisaient leur trajet dans l’ombre de la chambre. C’est à peine si la nuit avait reflué, laissant ici et là ses diagonales d’encre. Des pliures dans lesquelles la mémoire se diluait. C’était une telle pesanteur que d’émerger sur les rives d’ennui et de s’en remettre, presque malgré soi, à cette fulgurance dans laquelle la conscience s’immolait comme remise à son dernier repos. Ô ouverture, ô déchirement, que ne renonciez-vous à surgir, à entailler ? Les chairs se divisaient en ruisseaux pourpres, les pelotes de nerfs faisaient leur tissage gris, les os cliquetaient leur blancheur et la peau faisait gonfler son outre jusqu’à la limite du réel. Pourquoi l’arrachement, pourquoi le décollement du pied-ventouse du socle de la nuit ? Bernique soudée au rocher-siamois et alors il n’y avait plus de différence et l’on était au monde avec la sérénité de la gemme, sa densité, sa fermeture à toute profération venue du dehors. Rien alors qui entaillait, lacérait et prononçait la mort pareille à une confondante effusion au-travers d’un rideau de larmes.

 Oui, Innomée, je te vois ou plutôt te devine dans une pluie de sanglots. Les tiens, les miens, ceux du monde car l’espoir a été cloué au ciel de sa perte et la lumière baisse et les ombres s’allongent qui veulent dire l’inconcevable, ce qui, jamais, ne saurait recevoir de nom, s’affubler d’un prédicat, fût-il le plus abstrait possible. Car, tout comme moi, Innommée, tu sais l’impossibilité qu’il y a à dire les choses, à s’épeler soi-même, s’attribuer un nom qui amènerait dans la présence, dans l’orbe de clarté, dans la lunule étroite d’une vérité. Il y a tant d’audace à seulement vivre, tant d’orgueil à prétendre exister, à lever son esquisse un rien au-dessus du néant. D’où je suis, Innommée, pareil au spectre antique, semblable au plâtre du mime, je te vois dans les limites floues de ta parution. Vitre dépolie du temps, tu y imprimes ce hiéroglyphe que, jamais, je ne déchiffrerai. Champollion aux mains vides recueillant dans la coupe du non-savoir les pleurs insaisissables des hommes. Ceux qui sont en partance pour plus loin que leurs tremblantes silhouettes. Et ne le savent pas.

 Innomée, depuis l’antre de deuil dans lequel tu ouvres le monde de la poésie, adresse-moi un signe, un geste de la main, une esquisse de sourire, ce sourire fût-il celui, blême et outrancier de la mort, mais profère donc le cri du silence afin que je te connaisse dans l’instant. Déjà aboli, naissant à peine. Innommée, reconduis-moi à ma nuit, efface-moi de ta vision perdue dans le tumulte des heures. Il est toujours temps de rejoindre sa tanière d’effroi, tellement de simulacres parcourent les allées de terre et de poussière. Sais-tu, au moins, depuis la bogue infinie de ta sagesse que l’on me nomme « L’Egaré », celui qui, par lui-même, procède à sa propre extinction ? Celui qui, croyant être-parmi-les-autres, n’est même pas arrivé en lui. Il fait si étonnant dans l’air qui se déchire et replie ses membranes autour de ma tête-rhinolophe. J’entends mon propre sifflement, mes battements d’ailes dans la grande caverne mondaine et soudain il fait si froid et, soudain, les pierres tombales se mettent en mouvement en direction des meutes pariétales où s’agite en tous sens, comme sur un écran livide, la disconvenue des hommes, où se lèvent les trémulations de leurs membres de bois sec.

 Innommée, es-tu simplement le mirage du destin, l’image faussement alanguie de la Moïra fomentant de bien sombres avenues pour l’homme ou encore la silhouette de la mort que mes mains griffant l’air, déchirant les voiles du doute, ne parviendront nullement à atteindre ? Je ne sais qui tu es vraiment. Mais lève-toi donc, rejoins-moi sur ma paillasse nulle et étique, que nous célébrions enfin, dans la conjonction de nos larmes, la grande fête dionysiaque de l’amour, que nous nous étreignions dans les convulsions de la « petite mort » avant que la Grande n’intervienne. Ô visite-moi, spectre charmant ! Ô ôte moi à l’être de stupeur que je suis devenu, esseulé, perdu de t’attendre plus longtemps. Ô VIENS ! Délivre-moi ! Que toi au monde et moi, esseulé, dans l’ombre de toi. VIENS !

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21 mai 2015 4 21 /05 /mai /2015 07:56
Ultima Thulé.

« Abstract Photography ».

Œuvre : John Charles Arnold.

Nous marchons à la lisière de l’eau et nous ne savons pas vraiment qui nous sommes. C’est une telle étrangeté de se trouver près des irisations bleues, des trous noirs, des croix des brindilles, des damiers piquetés d’azur, des minces franges blanches comme l’écume, si fragiles qu’on les croirait inventées par l’esprit ou bien dessinées par quelque démiurge s’essayant à donner forme au monde. Oui, nous sommes à la limite d’un cosmos, avec ses propres lois d’organisation, ses lignes de force, ses confluences d’étoiles. Nous sommes si étonnés d’assister à ce spectacle que l’image du mythe nous saisit de toute sa puissance et nous demeurons là, au bord du mystère comme si un univers nouveau allait paraître et nous tenir sous son insondable royauté. C’est toujours dans les lieux extrêmes que nous nous posons la question de la présence de ce qui est, de son hypothétique origine. Parce que, sous ces latitudes, nous n’avons plus de fuite possible. Nous sommes acculés à une manière de vérité. Nous sommes mis en demeure d’inventer quelque chose qui nous sauve de l’abîme de l’inconnaissance.

Alors, soudain, une vision surgit qui traverse les cristaux de glace et nous installe dans cette belle utopie d’une Terre qui n’a peut-être jamais existé. Pour cela elle est d’autant plus belle qu’elle germe sous notre imaginaire avec la force de ce qui est libre et de demande qu’à déployer son poème dans l’espace. Mais quelle est donc cette Ultima Thulé ? Est-elle cette île mystérieuse cernée de baleines gigantesques et de monstres marins que décrit le Marseillais Pythéas le Grec ? Est-elle ce surgissement de rochers au nord de l’archipel britannique, quelque part du côté des Ferroé ou bien des Lofoten ? Est-ce un morceau du Groenland qui se serait détaché et flotterait sur le vaste océan telle une banquise sans boussole ? L’extrême nord, le Septentrion est toujours une immense fascination. Lieu de l’extrême se confondant avec la vastitude même de l’absolu. Lieu des majestueux glaciers qui nous toisent du haut de leurs montagnes bleues et blanches creusées de tunnels, emplies de filaments et de bulles. Une ivresse en réalité, une dimension qui dépasse l’entendement et nous reconduit à la taille de la fourmi contemplant l’univers. Mais, ici, regardant cette belle photographie dont l’abstraction fait penser à la rigueur d’une géométrie, à l’exactitude du concept, cependant nous ne rationalisons nullement, bien au contraire nous sautons de plain-pied dans la plus pure illusion qui soit, celle d’un rêve agrandi à notre propre dimension si, toutefois, elle consentait à s’élargir à la mesure de l’univers. Certes, nous sommes des explorateurs bien plus modestes que des Pythéas ou bien des Magellan et, sans cesse, nous flottons dans cette Ultima Thulé qui, pour être nôtre - le corps que nous habitons, l’esprit que nous animons -, se révèle être cette énigme que, chaque jour nous frôlons, sans bien la connaître. Alors nous détournons notre propre regard de nous-mêmes et cherchons dans le vaste univers ce qui est en nous mais que nous renonçons à voir. Cette photographie est belle qui nous exile de nous. La questionnant, nous ne faisons que nous questionner. Que veut-elle donc dire qui, jusqu’alors ne s’est jamais révélé ? S’agirait-il de notre propre mystère ? S’agirait-il de cela ?

Ultima Thulé.

Thulé, sous le nom de Tile,

d'après la Carta Marina de Olaus Magnus (1539).

Thulé est sur cette carte une île (imaginaire ?)

située entre les îles Féroé et l'Islande.

Source : Wikipédia.

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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 07:53
« On prend toujours un train … »

Photographie : Nadège Costa. 2012

Tous droits réservés

« On prend toujours un train pour quelque part.

Au bout du quai flottent des mains et des mouchoirs. »

Gilbert Bécaud

***

 Voyage de nuit : « Voyage au bout de la nuit ». C’est ainsi, tout voyage est par essence, quête de soi, expérience existentielle, départ et arrivée, origine et finitude, naissance et absurdité. Nous sommes tous, le sachant ou à notre insu, des Bardamu qui luttons entre deux pôles extrêmes, celui d’une connaissance illimitée du monde, celui de son occlusion et de sa reconduction à sa nullité essentielle. Comme si la guerre en nous, sa monstruosité, son aporie, nous foraient de l’intérieur, n’attendant que de surgir en tant qu’événement tragique dont notre vie serait la mise en musique prédéterminée. Une manière de voyage à bas bruit, une rumeur, un constant assourdissement dont nous nous absenterions à l’aune de récurrentes distractions ayant pour nom : art, amour, drogue, alcool, vitesse, fête. Une suite de diversions avant que ne s’éveille, en nous, le dard aigu de la lucidité : la mort en est l’aiguillon le plus visible.

 C’est sur le quai de Paris-Austerlitz que je vous ai aperçue, vêtue d’une ample robe noire -portiez-vous le deuil ou bien était-ce simple signe d’élégance, retenue dans l’ombre de vous ? - faisant, sur l’aire de ciment, vos pas comptés comme s’ils étaient le signe avant-coureur d’un destin en voie d’accomplissement. Vous étiez chaussée d’escarpins ouverts laissant apercevoir la braise de vos ongles, une lunule de lumière y faisait son feu-follet. Le haut de votre visage était dans l’ombre portée d’une capeline qui vous dissimulait aux yeux des curieux et des indiscrets. Vos yeux, sombres eux aussi, y trouvaient un naturel refuge. Je les croyais mordorés avec des reflets d’obsidienne. Mais, peut-être, n’était-ce que mon imaginaire qui les habillait de si ténébreuses envies ? On ne représente bien que ce que l’on est soi-même et j’étais dans l’indécision de vivre.

 Vous êtes entrée dans le compartiment qu’éclairait, à la manière d’une Lune gibbeuse, une veilleuse violette dont le clair-obscur était aussi impalpable que la brume d’un lac. Nous n’étions que deux, installés dans la diagonale des sièges. Vous étiez un genre d’apparition mystérieuse, la simple courbure d’un songe, l’envol prochain d’un rêve. La faible clarté était propice aux jeux oniriques et vous auriez pu aussi bien être l’amante fuyant son aventureuse existence que la femme ordinaire rentrant au foyer avec le désir d’y trouver joie et réconfort. Vos jambes sagement croisées, votre immobilité étayaient la seconde thèse, celle qui accréditait humilité et retour à soi avec la pure décision d’être au monde dans la simplicité. C’est ainsi, c’est inévitable cette inclination à n’être que des voyageurs d’un Orient-Express en partance pour quelque aventure, du côté de vienne, Venise ou Istanbul, ces villes qui sont plus des lieux romanesques que des cités faites de pierres et de sang, de chair et de vies somme toute banales, avec de simples histoires.

 Vous n’avez ni feuilleté un livre qui m’eût donné quelques explications, ni rehaussé d’un fard un visage teinté de pâle, ni murmuré quelque remarque - fût-elle anodine et circonstanciée, la qualité de l’air par exemple - et vous m’avez reconduit à n’être porteur que d’hypothèses vous concernant, toutes fausses par nature. Mais c’était là m’offrir la plus belle des libertés qui soit : je pouvais vous imaginer à ma guise sous mille formes différentes, ardente et passionnée ou bien froide et distante. Mes successifs états d’âme en décidaient, aussi changeants que la lumière sur le clapotis d’un lac. A vrai dire, j’aimais cette silhouette hiératique que vous portiez au-devant de vous à la manière d’une défense. Il eût été illusoire de vous connaître alors même que je demeurais, pour moi-même, cette Ultima Thulé dont je ne saisissais que quelques esquisses fuyantes comme l’estompe. Vous êtes descendue dans une petite gare de Sologne, au milieu du tremblement argenté des bouleaux et du scintillement des étangs. Personne ne vous attendait sur le quai qu’une brume saisissait à la manière d’un poudroiement. Bientôt, alors que le train reprenait son allure, vous n’avez plus été qu’une tache noire se fondant dans le silence nocturne. La forêt faisait son glissement continu et, de-ci, de-là, les bruyères dissipaient leur poussière mauve qui se confondait avec le crépuscule du compartiment. Alors seulement, j’ai consenti à trouver quelque repos. Votre apparition comme un clignotement au rythme des éveils et des endormissements.

 Bientôt le voyage trouverait son épilogue, comme une guerre parvient à son exténuation après qu’elle a épuisé les ressources du tragique. Terrible condition humaine qui ne se satisfait ni du bruit ni de la fureur mais de leur conflit permanent. Nous ne sommes que des passagers clandestins en partance pour une destination inconnue. « Au bout du quai flottent des mains et des mouchoirs.» Mais qui donc les agite ces étonnants sémaphores, alors que l’aube se lève et que, déjà, la nuit n’est plus qu’une hallucination ? Qui donc ?

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27 avril 2015 1 27 /04 /avril /2015 09:05
« Toi ».

Œuvre : Eric Migom.

« Toi ».

Quelle émotion de seulement prononcer cette syllabe, ce jet en direction de l’autre, cet unique son détourant un être et le portant au-devant de lui dans l’unique qu’il est. « Toi », comme on dirait le poème du jour rassemblé en un seul mot. « Toi », comme on énoncerait le monde, son étrange sphéricité, sa perfection et l’impossibilité qu’il y a à le connaître autrement qu’à l’aune d’un simple effleurement. « Toi » dans la fuite éternelle. « Toi » que je ne pouvais saisir que dans la géométrie étroite de ce son. Irrémédiable. Inaccessible. Un simple gonflement de l’air dans la parenthèse rubescente des lèvres, puis plus rien qu’un souffle exténué d’avoir trop espéré. Rien ne dure jamais qu’à se mesurer à la dureté du réel, à sa confondante mutité.

« Toi ».

Et, pourtant, combien de fois avais-je roulé ton nom au creux de ma langue, « Toi », précisément - une étrange lubie de tes parents à ta naissance, sans doute -, « Toi », cette nomination qui n’en était pas une mais excédait cependant toutes les autres. Quel étonnement, parfois, quels jeux puérils il y avait lorsque, au milieu de la foule, criant ton nom, nous attendions de voir l’indécision des gens, leur interrogation quant à savoir si c’était eux qu’on avait apostrophés. Curieux phénomène, tout de même, que celui de se considérer le centre du monde et d’y demeurer toute une existence. « Toi » à peine prononcé parmi la foule d’une fête et c’étaient dix têtes qui pivotaient à la recherche de celui, celle dont, sans doute, ils se croyaient les élus. Alors, combien ton rire enfantin, carillonnant à la manière des grelots des attelages de Bavière, parcourait d’un frisson les nuques saisies d’une soudaine mutité. « Toi », comment mieux te décrire qu’en évoquant ton nom : spontanéité, joie simple d’exister, pareille à ce son parfait, à ses harmoniques cuivrés qui, longtemps, essaimaient à l’entour la farandole simple du bonheur.

« Toi ».

Et pourtant ce bonheur frais comme l’eau de la fontaine eut une fin. La petite comptine s’épuisa à proférer ce son unique qui vibrait dans l’air puis, un jour, retomba comme la goutte de pluie qu’une cendre ensevelit. Me levant à l’aube, mettant mes mains en porte-voix, lançant contre la face des rochers, un « Toi » aussi glorieux que possible, l’écho ne me renvoya jamais qu’une chute assourdie et ton nom éclaté en fragments, à peine un murmure qui disait ton départ à jamais. Vraiment, rien ne dure. Peut-être est-ce mieux ainsi. A trop vouloir prolonger les choses elles finissent toujours par s’exténuer de leur propre vacuité, de l’éternel retour du même qui nous pousse vers l’avant alors que nous nous exonérons de ce que nous avons été et ne sommes déjà plus.

« Toi ».

Ce qui me reste de « Toi », hormis cet appel qui résonne dans ma mémoire à la façon d’un sanglot, c’est cette peinture qu’un ami a réalisée de « Toi », précisément et qui éclate sur le mur de ma chambre, identique à l’écarlate de la muleta sur laquelle on aurait déposé un fin céladon teinté d’ivoire. Oui, combien cette posture de dos entretient ton mystère. Tu es bien « Toi », seulement « Toi » et nul ne saurait prétendre te dérober ce nom aussi énigmatique qu’elliptique. Parfois, regardant la toile, ton casque de cheveux noirs, le golfe de ton épaule, la ligne flexueuse de ta hanche, le cercle parfait de tes fesses, l’écoulement de ta jambe à la manière d’une eau de source, je murmure de tout petits « toi », de minuscules « toi », d’infinitésimaux « toi » et je te sens, là, tout près de moi, si discrète, si fragile qu’une larme à peine plus grosse que « toi » vient rouler sur ma joue et se dissipe aussitôt dans le bleu des souvenirs. « Toi » qui visites mes rêves avec la persistance d’une douleur, baisse un peu la lampe et viens mourir au creux de mon ombilic. Il y a toujours une place pour « Toi ». Uniquement pour « Toi ».

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24 avril 2015 5 24 /04 /avril /2015 14:06
« Une touche de printemps ».

Photographie : Patricia Weibel.

Une touche de printemps.

Dans le miroir, nous regardons notre visage et nous rêvons.

Et nous savons l’éternel retour du même.

C’est à peine si notre position debout est assurée, fragile menhir en voie de construction, et déjà nous cherchons à savoir. A savoir la mère, ses doux cheveux pareils à une tresse de cuivre, la pente brève de son cou, les mains comme des lianes. Le père à la voix forte, aux membres drus, à la marche en avant courbée sous le signe du monde. A savoir le proche. Le chant de la mésange charbonnière dans le massif de buisson, la fuite blanche du nuage sous le vent, le chant de l’eau à l’abri des hommes. A savoir l’image de soi dans la grande aventure mondaine. Tout s’éclaire avec la grâce des évidences, tout brille depuis le lointain cosmos et les étoiles sont piquées dans la toile du ciel avec leurs yeux qui pétillent. Et la saison est une à peine déclosion qui fait signe vers la fuite lente des jours.

Une touche de printemps.

Dans le miroir, nous regardons notre visage et nous rêvons.

Et nous savons l’éternel retour du même.

Il est l’heure de midi et la boule blanche est au zénith qui incendie le ciel. C’est le temps des « travaux et des jours ». C’est la grande meute du temps plein qui cerne de toutes parts et assigne à résidence. A résidence de soi. Alors le cercle de famille déplie son orbe et assemble ce qui peut l’être, au centre, comme les gerbes de la moisson voyagent ensemble pour produire le grain, assurer la récolte future. Combien de rires d’enfants auprès du foyer où s’élève la flamme ! Combien d’étonnements à entendre un babillage, à regarder la fragilité d’une locomotion, à surprendre le sourire sur le visage aimé, celui qui s’est confié à vous dans la plus belle espérance qui soit ! Combien de merveilles assemblées dans le cocon tiède de la maturité !

Une touche de printemps.

Dans le miroir, nous regardons notre visage et nous rêvons.

Et nous savons l’éternel retour du même.

Le crépuscule est arrivé, sans qu’on n’y prenne garde et la lumière a baissé qui ne touche plus les yeux que du bout de son mince effleurement. Sur les pages du livre, les signes sont de minuscules fourmis capricieuses qui, parfois, tiennent secrets leurs conciliabules, leurs mystérieux déplacements. On regarde autour de soi et la chambre est envahie de pénombre où le clair-obscur fait ses étranges clignotements. Soudain, il y a si peu de réalité à se saisir des choses et, souvent, les doigts demeurent hagards de n’avoir pu retenir la manifestation, la parole qui décroît, les images qui dansent jusqu’à la perdition. On n’est plus qu’une braise, bientôt une étincelle sise au milieu de l’outre de peau et les signaux se font si faibles, comme venus des confins d’une lointaine galaxie. Et le jour bascule dans la nuit et nous regardons avec effroi cela même qui nous saisit à la gorge et nous intime au silence.

Une touche de printemps.

Dans le miroir, nous regardons notre visage et nous rêvons.

Et nous savons l’éternel retour du même.

Est-il encore temps ?

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