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15 juillet 2013 1 15 /07 /juillet /2013 10:12

 

Tout part du silence.

 

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"Soirée saturée de parfums ineffables.. J'écris avec une incroyable lenteur, bute contre les zones stériles.. Rien n'égale l’âcreté de ces heures où je piétine et que le doute débordant la mauvaise passe, se propage sur toute la longueur de l'entreprise.. altère son principe, hypothèque sa fin.. Il me faut revenir à la perfection des rythmes et des mots qui sonnent et résonnent en eux-mêmes.. être à ma propre écoute, les cinq sens à l’affût.. capter les radiations de l'univers.. griffonner mon bonhomme de chemin.. et ne redouter qu'une chose : l'affreuse stupeur silencieuse."                [NB : c'est moi qui souligne.]

 

Sur un texte et une image de Pierre-Henry  Sander

 

  Tout part du silence, tout y revient. Depuis le néant précédant notre présence au monde jusqu'au suivant décrétant notre absence. Tout, dans le silence et, surtout, majestueusement le langage. Car c'est bien le silence qui ouvre la voie au langage et non l'inverse. Le silence est condition de possibilité de l'effraction, du surgissement au sein de l'existence. Comme la nuit est la possibilité du jour. Il n'y a pas d'autre lieu où puisse se réaliser l'événement. Le silence n'est jamais une pause, une parenthèse entre deux mots. Il est seulement la dimension à partir de laquelle toute rhétorique s'installe et rayonne. Le bégaiement, la dysphasie, l'aphasie, s'ils entretiennent bien un rapport avec le suspens, ce n'est qu'au titre d'un manque, d'une pathologie, d'une perte. Réitération de la parole dans le bégaiement comme pour remonter à la source de l'énonciation, en retrouver le cours originaire. Empêtrement dysphasique dans les ornières d'une élaboration qui se cherche mais faillit à sa tâche. Altération de la fluence verbale chez l'aphasique pareillement à un désarroi face à ce qui, à proprement parler, devient "innommable".

  Bien évidemment la parole, cette manière de démesure ouverte à la poésie, à la déclamation, à l'incantation, à l'évocation ne saurait se mesurer à l'aune d'un tel silence maculé de non-sens. A contrario, c'est toute l'amplitude des significations qui se trouve recueillie dans la conque ouverte du silence. Tout y résonne en écho, tout y figure en abyme jusqu'à l'infinitésimal, l'elliptique, le souffle premier par lequel le langage procède à son envol. Pour cette raison il ne faut jamais en faire la couleuvrine au bout de laquelle s'immolerait notre manquement à faire se révéler les mouvances ordinaires de la parole, les arabesques de l'écrit. S'appuyer sur lui, le silence, c'est simplement disposer le tremplin destiné  à l'invention, l'imaginaire, peut-être le surréel, le fantastique. Car il n'y a pas de limite. Le silence est une essence et, dès lors que l'on a découvert la polyphonie dont il est le fondement, alors s'irisent quantité de chemins, alors se manifestent des  myriades de potentialités. C'est tout simplement notre inféodation au souverain "Principe de Raison" qui nous place dans une position intenable, situant toutes choses dans une relation causale. Mais, entre le silence et la parole qui en est l'émergence dans le réel, il n'y a pas de lien direct, démontrable, de l'ordre de la chaîne matérielle, de la densité,  du corpuscule. La relation, à défaut de s'inscrire dans la concrétude, est simplement ontologique : de l'être du non-encore-proféré mais attendant de l'être à ce-qui-est-proféré et s'installe dans l'attente du ressourcement.

  Ainsi considérée, la thèse liée au silence se délie de toute contingence, de toute dimension aporétique. Car c'est bien d'une aporie dont il s'agit lorsqu'on affecte à la source de toute expression le statut habituellement réservé à tout ce qui se referme et disparaît dans une énigmatique occlusion. Le silence, s'il doit être "redouté", ne peut l'être qu'au titre du recueillement préalable à toute écriture, du moins si cette dernière veut répondre à une exigence de vérité. En définitive, c'est d'appréhension dont il est question - cette peur d'avoir peur -, car se confronter à la dimension d'une essence revient à se prosterner révérencieusement devant une idole, métaphoriquement, s'entend.

  Jamais l'être-langage du langage ne pourrait  s'illustrer à simplement être convoqué, comme on hèlerait un cocher dans son fiacre. Pour être en chemin, il faut d'abord avoir cheminé de concert avec le véhicule auquel on a confié, pour un temps, son destin. Continuellement le langage nous habite et fait ses orbes dans l'enceinte de notre peau. C'est bien du-dedans du langage qu'il faut partir afin de l'amener à paraître sur les fonts baptismaux de la création et non de ce qui lui est périphérique - "les parfums ineffables""les cinq sens à l'affût""les radiations de l'univers" - car les prétendues "radiations" avant de nous être affectées comme des prédicats de l'univers sont des métabolismes internes dont nous sommes dépositaires, sans toujours en être suffisamment alertés.

  Ainsi, toute "affreuse stupeur silencieuse" devrait consentir à retourner son gant afin que les coutures du sens deviennent infiniment visibles et se vêtent d'habits festifs. En lieu et place de cette mince dramaturgie, pourrait faire phénomène l'attente de ce qui toujours finit par se révéler et que nous pourrions nommer " sérénité face au sublime". Car, si le langage est considéré en son amplitude même, c'est de cela dont il s'agit. La stupeur ne pouvant naître que de son contraire, à savoir la privation de ce qui constitue l'homme et l'assure de son être. Quant au doute affectant les heures présumées inventives, il  s'annonce encore comme l'une des facettes d'une rationalité cartésienne incluse dans une chaîne de causalité. "Douter" devenant par on ne sait quelle décision arbitraire la condition de possibilité de "penser", laquelle engendrerait à son tour la roue de "l'exister" et, même plus fondamentalement, assurerait l'indispensable quadrature dont notre être dépendrait afin d'assurer sa présence au monde. Mais aucun cogito, aussi habile fût-il, ne pourrait constituer une explication satisfaisante dès l'instant où, nous saisissant de notre plume, nous essayons d'entrer dans la complexité du langage. C'est bien plutôt le langage lui-même qui devient la "cause première" dont l'œuvre est "la cause finale". Décidemment on n'en a jamais fini avec les LumièresLe langage est une illumination !"Les mots (…) sonnent et résonnent en eux-mêmes". Toujours.

 

 

 

 

 

 

  

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