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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 08:47

 

sdm 

 

Tableau de Mary Cassatt -

Femme en body rouge et son enfant.

Source : Wikipédia.

 

 

 La contrainte temporelle.

 

"Il fut tout surpris un jour en sortant un miroir d'un des coffres de la Virginie de revoir son propre visage".

 

... Eh bien, Jules, à cette étape de la fiction, nous ne pouvons faire l'économie de la référence à la psychanalyse et, notamment, à Jacques Lacan qui a été à la base de la création d'une véritable école de pensée. Je ne sais si Tournier a eu cette intuition, ce sentiment que la situation de son héros s'approchait de si près de cette réalité que l'enfant connaît, vers l'âge de six mois, et qui a été qualifiée de "Stade du miroir". Bien sûr, il ne peut y avoir homologie parfaite entre l'aventure de Robinson et celle qui concerne le développement du tout jeune enfant, certains rapprochements symboliques sont cependant inévitables. Pour clarifier le débat, je t'expose brièvement en quoi consiste ce fameux "Stade du miroir".

  Vers la fin de la première année, lorsque l'enfant découvre pour la première fois son image dans un miroir, c'est pour lui, le surgissement de la "lumière"qui agit comme révélateur de son identité et concourt à cimenter la sorte d'éparpillement corporel dans lequel il se vivait jusqu'alors. Cette étape, aussi inattendue que décisive, constitue le fondement de la conscience de soi, de sa construction identitaire et il vit cette expérience unique à la façon d'un acte qui le transcende, ce dont il retire une vive satisfaction en même temps que le sentiment d'exister sous le règne d'un ego complet et autonome.

  Or, tu comprendras que, pour Robinson, la situation est diamétralement opposée et ne signe qu'une sorte de retour à la case départ. De construit qu'il était, corporellement, psychologiquement, symboliquement, en raison de son "âge d'homme", Robinson n'apercevant dans le miroir qu'une forme qui suscite la surprise, se sent tout à coup dépossédé de son propre sentiment unitaire et, de ce fait, retombe dans les limbes, dans l'indifférencié dont la souille, encore présente à son esprit, était l'exacte projection métaphorique. Si, pour l'enfant Lacanien, la perception de sa propre image dans le miroir induit en lui un sentiment proprement extatique et magique qui entraîne une "assomption jubilatoire", chez Robinsonle sentiment s'inverse et ne se réalise que sous les traits d'une "chute mortifère", constituant l'un des aspects de sa propre régression vers la terre, la "materia prima". Or, si cette expérience du miroir est bien liée au Temps, notamment à la période qui concourt à projeter l'enfant vers le futur; chez Robinson l'expérience du miroir prend une toute autre signification temporelle.

 

"En somme il n'avait pas tellement changé, si ce n'est peut être que sa barbe avait allongé et que de nombreuses rides sillonnaient son visage".

 

... Or nous verrons, par la suite, que cette nouvelle épiphanie du visage de Robinson sous les traits d'un vieillissement prématuré, en même temps qu'elle est constitutive d'une angoisse, le mine de l'intérieur, le pousse même irrémédiablement et d'une façon souterraine à souhaiter le retour vers l'innocence de la petite enfance, entraînant inévitablement la nostalgie de l'origine.

 

 

 La perte du sourire.

 

 

"Ce qui l'inquiétait tout de même, c'était l'air sérieux qu'il avait, une sorte de tristesse qui ne le quittait jamais".

 

 ... Et cette tristesse qui paraissait maintenant mieux le définir qu'aucun des aspects de sa condition naturelle, se doublait d'une évidence tragique :

 

 "Il essaya de sourire. Là il éprouva comme un choc en s'apercevant qu'il n'y arrivait pas. Il avait beau se forcer, essayer à tout prix de plisser ses yeux et de relever les bords de sa bouche, impossible, il ne savait plu sourire".

 

Aristote, percevant mon égarement, me parla en ces termes :                

 

 - A l'attitude qui est la tienne en ce moment , Jules, je m'aperçois que tu viens de comprendre ce que le sort de Robinson possède d'injuste, de grave, d'irrémédiable. Le sourire même l'ayant abandonné, le Naufragé est, si l'on peut dire, acculé à l'extrême naufrage qui le prive d'une mimique si expressément et existentiellement humaine. Robinson est reconduit dans l'ornière étroite de l'animalité dont il pensait qu'elle ne le concernerait plus depuis sa sortie de la souille. Or la suite du texte nous éclaire sur l'impasse dimensionnelle à laquelle il doit se confronter, comme un condamné à mort écouterait, dans les profondeurs de son cachot, la sentence qui constitue le dernier terme avant le gibet. Rien de pire pour Robinson, en effet, que sa chute dans la condition de chrysalide aveugle qui n'a plus prise sur son destin et, bientôt, s'ouvriraient les portes de l'absurde et du Néant.

 

 

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