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3 septembre 2015 4 03 /09 /septembre /2015 07:29

 

Là où s'absente la terre.

 

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                                                         Photographie : Blanc-Seing

 

 

    La terre, toujours nous la cherchons. Toujours nous la désirons. Comme un point d'attache, un ombilic où fixer notre errance, une concrétion que nous voudrions prête à recevoir nos racines. La terre, partout présente, simple sillon d'argile ou bien colline à l'horizon, ou bien glèbe à modeler dont nous souhaiterions qu'elle nous dise notre effigie parmi l'occupation des choses. Partout, la terre, même symboliquement. Jusqu'en l'homme, confondu étymologiquement  avec l'humus. L'homme, "né de la terre; terrestre".

  Mais alors, pourquoi cet attrait pour tous les lieux où le limon, la glaise  sont tellement pénétrés de brouillard, de brume, avec leurs rives gonflées d'eau,  leurs langues végétales obscures courant au ras du sol, leur sourde présence ? Lacslagunesdeltas, paysages ne ressemblant à rien d'autre qu'à eux-mêmes dans une manière d'absence, de vacuité. Et pourtant, rien n'existe plus que cette infime vibration. Nous la sentons en nous, à l'aube, alors que la clarté est à peine levée, l'immensité liquide s'adonnant à sa densité plénière avec un genre de paresse heureuse. Il y a si peu de mouvement et aucun bruit n'est encore sorti de sa conque de silence. Tout dérive en amont des mots et le peuple des Vivants rêve à défaut d'exister. Tout est si immobile, dense, alourdi.

  Sur ces terres aquatiques plane comme une ombre de mystère et de doute. Il semblerait que toute civilisation soit en germe, toute culture non encore advenue, pareillement à un premier matin du monde. Et c'est bien ainsi. Tellement de terres sont dévastées, livrées à une ivresse conquérante, labourées par le farouche désir des hommes, déchirées jusqu'en leur sein par quelque rage de posséder, de soumettre. Mais ici on est si proche des tourbières, de leur haute austérité, que l'on ne peut que demeurer humble, en retrait des choses, disponibles à soi-même, prêts à écouter une parole qui pourrait advenir et nous révéler une vérité si proche et que, pourtant, nous ignorons.

   Tout endroit du monde livré à une vie élémentaire, simple, immédiate, connaît cette manière d'ivresse qui appartient aux éléments eux-mêmes ou bien aux fulgurations des choses de haute destinée dont la Nature, et elle seule, a le secret. Disposons-nous donc face à ce qui se dit dans la modestie. Chacun est pourvu de cette oreille de l'esprit, de cette vue de l'âme qui font se déployer à l'infini la pluralité des phénomènes, s'ouvrir les polyphonies présentes juste sous la surface liquide des étangs. Et la lumière est là, toujours présente, toujours tendue à la façon d'une peau sur laquelle s'imprimerait et ricocherait le  signe infini de l'univers. Jamais nous ne pourrons rester insensibles à sa lente progression, à sa fusion le long du dôme glacé du ciel.     

  Les nappes de clarté glissent lentement les unes sur les autres, en silence, comme si, seul, le recueillement convenait à cette heure annonçant le dépliement du jour. Tout est déjà dit qui pourrait trouver son accomplissement et nous demeurons au seuil d'une probable aventure dont, cependant, bien qu'étant alertés, nous ne percevons que de fuyantes esquisses. Comment parler de la lumière qui, partout, rebondit, fulgure, fait ses lignes et ses angles, ses courbes et ses nuances autrement qu'en regardant, en se gardant de parler ? Sans doute la mutité est ce qui s'accorde le mieux à cet événement. Et, pourtant, en nous, nous sentons combien cela s'agite, alors que, hors de nous, tout dérive dans le calme, l'harmonie. C'est grâce à ce hiatus, à cette profondeur que le paysage s'inscrit en nous avec force et nécessité. Ce ne sont alors que dérives hauturières, probables marées d'équinoxe, voyages au long cours. Déjà l'onirisme est en nous, auquel nous n'échapperons plus.

  La terre ne sera plus alors qu'une vague idée à l'orée de nos fronts, une certitude s'abolissant, une brume perdue dans l'éther. Nous serons en plein air, au milieu des courants fluviaux des vents glissant sous les quatre horizons, nous serons possédés par son souffle continu et, tout en bas, sous l'écume de nos corps, s'allumeront les théories brillantes des rizières parcourues de lignes noires. Nous serons oiseaux parmi la confluence blanche des cygnes, nous serons mouettes et hérons cendrés, aigrettes confondues avec leur réverbération, foulque à l'œil de braise alors que les hommes étireront, dans leurs cubes de ciment, leurs membres lourds de sommeil. Ce sera pareil à une longue solitude habitée de choses étranges mais étonnamment manifestes, présentes à seulement les frôler.

   Il n'y aura plus de couleurs. Les rouges et les bruns auront été dissous. Les bleus et les verts ne se révéleront plus que sous des formes tellement mêlées, semblables à du pastel, à de l'estompe et nous ne les reconnaîtrons plus. Seulement des blancs, des gris, des teintes de cendre et de bitume, des coulures de lave. Tout dans l'irréel, dans l'essentiel, afin que l'abolition chromatique nous amène tout près d'une exacte mesure du monde. Plus de bavardage, plus d'égarement, plus d'arc-en-ciel avec ses indigos et ses violets, plus de trompeuse apparence. La terre, l'air, l'eau le ciel, infiniment unis, reliés, liés dans de simples réverbérations métalliques, de plomb, de mercure, de platine. Un lexique dépouillé, une sémantique du simple nous disant la nécessaire humilité afin que tout nous soit livré dans l'immédiateté, l'à-portée-de-la-main, l'aisément perceptible.

 

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  Tout, ici, vit au rythme d'une ample respiration, d'une harmonie immémoriale. Quand le reflux de l'eau s'amorce, qu'émergent îles minuscules, frêles digues, végétation racinaire évoquant la mangrove, alors la terre réapparaît,  mais dans le tremblement, l'incertitude, la craquelure. Minces géométries voulant dire notre propre appartenance au socle géologique, à la dureté du sol, voulant faire signe vers l'empreinte de nos pieds à même la glèbe dont, au moins, nous sommes symboliquement issus. Mais ce limon saturé, noir, abstrait, de l'ordre de la lagune, de la flaque, du marais, de la soue, nous peinons à le reconnaître en tant que nos possibles fondements, notre supposée origine. Alors nous attendons la prochaine eau, la coulée du vent sous le ciel, la décroissance du jour, sa prochaine perte dans les marécages de la lumière. Notre vue s'égare, hésite, interroge ce qui, devant nous, surgit dans l'hésitation, le tremblement, l'incertitude. Il faut, à notre regard, cette possible perte afin que les éléments de la Nature dans leurs incessants mouvements jouent la partition d'un "éternel retour du même". Cela seulement nous assure, provisoirement, de notre propre persistance à être au milieu des événement, lesquels ne sont jamais que nos intimes projections sur le monde. Avoir connu, l'espace d'un instant, ce prodige du paysage lagunaire nous installe définitivement dans une manière d'approximation qui, loin d'être une fermeture est son exact contraire. Alors, tout ceci, les éléments, la dérive du temps, l'inconstance de l'espace, les métamorphoses diverses ne sont plus hors de nous, mais en nous. Comme une parole à longuement féconder. Peut-être n'y a-t-il de vrai que cet hymne que nous délivre la Nature à condition que nous sachions l'écouter.

         

                                                                                             

 

 

 

  


 

   

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