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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 08:33

 

"Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c’est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet..."

 Oui, Cocher-Machiniste, menu tremblement qu'agite le Destin. Et pourtant, à t'entendre, à te regarder, on te croirait doué des plus éminentes qualités. Celle par exemple de conduire cette foule d'idiots majuscules où bon te semble, selon ton bon vouloir, peut-être même ta fantaisie. De les déverser directement dans le premier cimetière zébrant l'éther de ses bras en croix, Le Père Lachaise, par exemple. Ou bien de les précipiter, d'un coup de frein bien ajusté, dans les ateliers du Musée Grévin afin que les sculpteurs puissent immortaliser dans la cire leurs faces hilares se distrayant de la mort à grands coups de plaisanteries grotesques.

Mais brave Cocher-Machiniste, tes coups de fouets, tes coups de volant ne sont qu'illusions. Ce n'est pas toi qui joues la partition. Tu es joué, tout simplement, tout comme ta cargaison d'inutiles ventripotents est jouée, tout comme moi, Nevidimyj qui suis joué depuis ma naissance  et même, sans doute, bien avant. Mais moi je le sais. Ça parle en moi depuis longtemps, le langage de la vérité, le langage mortel qui lance ses faucilles et ses yatagans, alors que les Déplacés du 27 le sont à leur insu, occupés qu'ils sont à ne voir que l'écume des choses. Mais il y aurait tellement à dire. Mais, fouette Cocher et ramène-moi donc à mon lieu d'incertitude. Celui-ci, quoique inconfortable, quoique induisant un état de sidération permanente vaut encore mieux que cette crasse anonyme qui habite ces sièges martyrisés par des dizaines de fessiers ourlés d'ignorance !"

 "Que doit être cet assemblage d’êtres bizarres et muets ? Sont-ce des habitants de la lune ? Il y a des moments où on serait tenté de le croire ; mais, ils ressemblent plutôt à des cadavres..."

 "Pour être bizarres, assurément, ils le sont. A force d'hébétude. A force de vouloir trouver chez l'Autre, cette énigme dont ils ne supportent pas qu'elle résiste à leur insatiable curiosité, ce qu'ils ne sauraient, du reste,  trouver en eux-mêmes. Car ils sont vides, désertés par les pensées et leurs actes sont aussi menus et inglorieux que la vacuité dont ils font preuve lors de l'émission de chacun de leur souffle.

Ou bien seraient-ils des Luniens à la mine blafarde, des Pierrot tellement tissés de nullité, des valets bouffons commis à faire rire, des candides à la recherche de quelque absolu, des badins, des enfarinés, des Paillasse poursuivant de leur assiduité creuse de merveilleuses  d'inatteignables Colombine ?

Mais votre blancheur - maintenant je m'adresse à vous, blafards Compagnons de voyage, sans détours et d'ailleurs en quoi serait-il méritoire de faire quelques entrechats hypocrites destinés à dissimuler votre piètre réalité ? -, votre blancheur, disais-je n'est que celle de la Mort, de la Dame-à-la-faux, la grande moissonneuse de têtes et de destins empaillés. Cadavres, croisement d'iniques ossuaires, crânes vides à force de déraison. Vous n'avez jamais été, tout au long de votre vie, que des candidats à une ambiance d'église morne, des porteurs de cierges brûlant pour des gloires posthumes, des suppôts de Satan et de ses basses œuvres, des concrétions miséreuses se voilant la face, des élévations de jalousies, des souffleurs d'un théâtre où ne grimaçaient, sur la scène de l'humain, que d'étiques masques par où le fiel et la bile s'écoulaient en longues glaires jaunes. Vos semblables vous ne les avez fréquentés, ne les avez courtisés que dans le but d'en tirer profit, de remplir le gousset cupide de votre vanité des écus d'or dont l'éclat contribuait à entretenir votre cécité.

  Et moi, Youri Nevidimyj, sur lequel vous dardiez vos regards pointus comme la hargne, dont vous tâchiez d'arracher le masque afin d'en disséquer l'identité, que vous pistiez sans relâche, espérant obtenir de l'une de mes probables chutes, des indices croustillants, des secrets bien nauséeux, de petites misères toutes chaudes, rondes comme des œufs, que vous vous seriez empressés de fouetter, réalisant ce que votre goinfrerie naturelle attendait, à savoir une omelette mousseuse, persillée, juteuse, mets délicat que vous auriez aspiré de vos lèvres goulues, digérant par avance la petite histoire, la mince fiction qui aurait illustré un somptueux repas. Ensuite, les reliefs de la curée, vous en auriez fait l'offrande à vos semblables, les trépanés de l'esprit, les cul-de-jatte de la pensée, les hémiplégiques du sentiment.

Et que le Lecteur n'aille pas croire que j'abuse, que j'en rajoute. Le réel qui concernait ces Erratiques était bien pire que cela, au-delà de tout langage !"

 "L’omnibus, pressé d’arriver à la dernière station - la Mansarde n'est plus si loin, maintenant -, dévore l’espace, et fait craquer le pavé… Il s’enfuit !…

Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière..."

 "Et cette masse informe, ô Lecteur bienveillant et vigilant, tu l'auras deviné, n'est autre que ton serviteur, Youri Nevidimyj, tout juste enfant, courant après l'omnibus de son destin - excuse-moi pour cette métaphore si peu gracieuse mais tellement parlante -, après que ses parents l'ont abandonné, tout juste à la fin de la Révolution. En ces temps-là on n'aimait pas les bâtards nés de l'accouplement monstrueux d'un grand aristocrate et d'une fille d'un miséreux moujik, laquelle, par un tel acte, avait rompu le lien avec le Peuple nourricier.

Et ce Peuple tout entier tourné vers sa vindicte, tout entier disposé à châtier de ses propres mains les traîtresses à la cause révolutionnaire, tu en auras éprouvé l'inquiétante présence par le truchement de ces Convoyés qui ne le sont que de l'Histoire, chargés par Elle de régler des comptes, de solder ce que le passé a été incapable d'accomplir.

Pourtant, Lecteur, tu seras témoin de ma volonté d'apaiser les choses, tu apprécieras ma façon de progresser dans l'existence, faisant profil bas, le dos arrondi, le regard abrité par le revers d'astrakan de ma redingote, les mains recouvertes de chevreau noir, le chef couvert d'une toque de fourrure - il faut bien, parfois se relier à sa propre histoire, surtout lorsqu'elle a glissé entre vos doigts comme le vent parmi les bouleaux de la taïga -, et mes bottes de cuir aux revers glacés sont-elles une offense aux quidams que je croise et qui, parfois, surpris par mon accoutrement, se prennent à sourire ? J'inspire sans doute plus la pitié que l'envie, alors que ne me laisse-t-on en paix; ma vie recluse dans ma piteuse mansarde ne suffit-elle pas à racheter une "faute" dont je ne suis même pas coupable ?

Lecteur, tu ne manqueras pas d'être surpris par ma vindicte, mes apostrophes envers mes Poursuivants et, dans le même temps, mon ton éploré, parfois lyrique, peut-être suppliant. Ô combien ma folie m'a été utile lors de mon enfance vagabonde; dans l'orphelinat qui me recueillit en Russie; lors de mon arrivée ici, de ma prise en charge par mes protecteurs, de mon existence entre les quatre murs venteux du ciel de Paris ! Mais cette folie, mon enfance en était déjà porteuse, elle en contenait les germes. Sans doute m'a-t-elle protégé de moi-même. Mais il me faut revivre avec l'intensité propre au réel tous ces traumatismes qui ont constitué mes fondements. J'ai mal à mon enfance !"

 

 

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