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8 janvier 2015 4 08 /01 /janvier /2015 09:08

 

L'énigme de la beauté.

 

 eb

 Photographie : Kjeld Agerskov.

Source : A&M Art and Photos.

 

 

  Nous ne savons pas qui elle est, quel est le lieu qui l'abrite, le temps qui l'accueille mais nous disons  "cette femme à demi voilée est belle". Et, disant cela nous sommes assurés d'être dans une vérité. Certainement pas un absolu, tant le relatif se présente à nous comme la commune mesure du regarder. Mais notre certitude de la beauté nous faisant face continuera à nous hanter comme le font, parfois, à l'entour de nos têtes, quelques ritournelles venues d'on ne sait où. D'où vient que, nous, la plupart des hommes, serons attirés par cette effigie féminine, comme aimantés par l'image, dans un genre de fusion, de fascination. Que notre jugement esthétique sonne comme une évidence et, déjà, nous devrions être alertés. L'origine en est-elle "naturelle", comme si, de tous temps, était inscrite sur la peau du monde l'esquisse de ce qui s'y inscrit dans un genre d'heureuse complétude : sentiment de plénitude dont nous serions les destinataires à seulement contempler ? Ou bien cette dimension révélatrice découlerait-elle d'une longue maturation "culturelle" ayant porté à la quintessence certaines icônes dont, jamais, nous ne pourrions nous abstraire qu'à tomber dans une errance sans fin, une perte irrémédiable ? Il en est ainsi, lorsque ce qui fait sens et se porte au sublime s'efface, c'est dans un identique mouvement de déréliction que nous plongeons, devenant subitement orphelins d'un site qui nous avait accueillis dans une révélation dont nous faisions notre miel. Gemmes lumineuses, matières ambrées, jour crépusculaire pareil à la douceur de l'argile, à la délicatesse du céladon.

  Mais, afin de mieux nous y retrouver avec cet étrange ressenti, il nous faut décrire et dégager quelques traits signifiants. Dans le mouvement souple, enroulant, tellement semblable aux effusions du sable sur l'épaulement des dunes, dans un genre de repliement maternel, le visage émerge à peine du châle, dans une extrême délicatesse, comme lissé de cendre, poli par la lumière de l'aube, galet qui ferait sa simple lueur à l'horizon des vagues. Sentiment d'une infinie paix intérieure que le regard clos viendrait porter à sa signification pleine et entière. Car fermer les paupières sur les mouvements du monde est pur désir de se livrer à la méditation, de s'ouvrir à la contemplation, de trouver refuge à l'intérieur de sa gangue de chair, de demeurer celé dans le repli de sa conscience. L'ovale du front que cernent les arcs symétriques des sourcils, la déclivité parfaite du nez, le globe des yeux tissé de la régularité des cils, la chute libre des joues vers l'aval de l'image, sa disparition dans les plis de la vêture, tout ceci concourt à l'équilibre, l'harmonie, autant dire à l'émergence d'une heureuse esthétique.

  Nul ne saurait dissimuler à son discernement l'ouverture en direction d'un ressenti poétique. Ici, tout est tellement ajointé à la perfection, tout est si objectivement incliné au luxe, à l'élégance, au raffinement que nous ne saurions nous affranchir de cette joie ineffable qui s'inscrit en filigrane alors que nous sommes les Voyants privilégiés d'une si belle épiphanie. Or, la poésie, le plus noble des arts, cette transcendance de la langue vers un sens exhaussé, amplifié, nous conduit, par essence, au lieu même où se dévoilent toutes les beautés que le réel, souvent, se plaît à dissimuler derrière les voiles d'une constante incomplétude. La nécessité est là qui gomme les efflorescences, disperse le nectar aux quatre vents, oblitère les pollens qui métamorphosent la vie en pure donation. Alors nous errons autour de nos propres silhouettes comme planent, dans un étrange écho, les discours mêlés sur les vastes agoras du monde. Et, cette absence à nous-mêmes, nous pouvons seulement y remédier par le saut dans la configuration de ce qui signifie et s'étoile en milliers de ramifications créatrices, à savoir les belles manifestations de l'art. Ce dernier, en effet, ne s'instaure avec certitude chez le Regardantl'Écoutantle Touchant qu'à l'aune d'un abandon des contingences qui l'assaillent quotidiennement et le privent, le plus souvent, d'une pensée ouverte au recueil des choses en leur éploiement.

  Mais, si l'esthétique constitue l'un des modes d'approches privilégiés du sens que nous livre cette photographie, pour autant il ne saurait l'épuiser. Car, jusqu'à présent notre quête a simplement consisté à tourner autour du Sujet afin d'en faire l'inventaire. Autrement dit nous avons investigué avec nos yeux corporels, de manière à faire émerger les structures essentielles de l'œuvre. Démarche qui, si elle est nécessaire, ne suffit pas à poser une thèse satisfaisante sur l'objet de notre observation. Car, à seulement convoquer nos yeux de chair, à faire s'agrandir nos pupilles, à lisser nos sclérotiques de porcelaine, nous n'engageons que notre approche formelle du contenu à défaut de chercher à y décrypter les fondements, lesquels sont, bien évidemment, du seul ressort de l'éthique. Car, si la Belle Contemplée nous apparaît dans tout l'éclat de sa rayonnante beauté, il convient, désormais d'en réaliser une approche éthique et mobiliser à cet effet, l'œil de l'âme.

 

  Combien notre première perception de l'horizon poétique dont la Regardée est censée être le support subirait un singulier rétrécissement si nous percevions, à l'arrière-plan de l'image et de ses significations premières, immédiates, des contenus dont notre conscience  aurait à s'inquiéter : une tournure inadéquate de l'esprit, des pensées indigentes, des sentiments irrévérencieux, des passions coupables. C'est toujours sur ce fond de valeurs fondamentales que toute beauté peut trouver les conditions de possibilité de son effraction vers un dehors qui en prendra acte avec toutes les ressources mobilisées par l'exercice d'un jugement correctement disposé à accueillir ce qui se manifeste en direction du bien. Aucune beauté, fût-elle des plus remarquables, ne saurait briller de son éclat si elle ne révélait cette aptitude à figurer parmi ce qui porte la vie à son acmé et en constitue son foyer rayonnant. Métaphoriquement, l'esthétique est cette maison qui ne peut se révéler que lorsqu'elle se dispense autour d'un âtre, d'un foyer où brille la mesure pleine du sens. Il ne saurait y avoir de zone laissée dans l'ombre qu'à l'aune de la disparition même du Sujet. Ce dont notre ravissement aurait à souffrir pour n'être plus que simple effleurement d'une possible vérité demeurant occultée à nos yeux inquiets.  

 

 

 

 

 

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