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10 décembre 2022 6 10 /12 /décembre /2022 08:27

   Vous apercevant du plus loin de mon songe, vous ne pouviez que vous inscrire dans le cercle de mon inquiétude. Le ciel est bas ce matin, des miettes de blancheur en traversent l’immatériel souci. D’étiques oiseaux noirs, sans doute des freux, sillonnent l’horizon sans trêve. Je ne sais s’ils sont des signes annonciateurs de quelque malheur, s’ils sont le funeste présage de la rigueur hivernale. Sur la lentille de mes yeux, une brume s’est déposée, une manière de gel qui me livre le Monde en une étrange fantasmagorie. Ce qui, hier encore, était clair, ce qui, hier encore disait son nom, voici qu’il n’en demeure que le voile d’une ombre et un discours si confus qu’il se situe aux confins d’une lourde mutité.

   Vous apercevant du plus loin de mon songe, mais peut-être aussi du plus loin de la mémoire, peut-être vous ai-je rencontrée un jour de pur bonheur que le temps a effacé de ses doigts légers mais oblitérant tout, si bien que ne restent que quelques échardes de souvenirs, quelques éclairs dans la nuit de la conscience, quelques hautes silhouettes aux ineffables contours. Si vous avez suivi mon propos, si, d’une mystérieuse façon, vous pouvez vous enchâsser en mon regard, voir par mes propres pupilles, ce qui vous apparaîtra bientôt, un genre de vague irisation, une bruine diaphane, une pluie dont nul regard ne pourrait traverser la cruelle densité. Si bien que, vos yeux, buttant sur cette mer d’écume, ils feront retour vers vous, vous découvrant alors sous un jour qui, jusqu’ici, vous avait été refusé. Simple Narcisse à elle-même remise, c’est ce bien curieux paysage que vous découvrirez, une manière de plongée en vous jusqu’à la limite extrême de votre être.

   Sans doute vous interrogerez-vous sur la nature de cette étrange cellule (elle pourrait être celle d’une Nonne en méditation), dont vous figurez l’étonnante cariatide, mais une cariatide vaincue, en quelque sorte, affalée tout contre la lame de son Destin, possiblement en pénitence, à tout le moins remise à une introspection qui paraît sans issue. A l’angle d’un mur blanc et d’un mur gris, d’un plafond mangé de ténèbres, casque de cheveux noirs, vêture noire, dans la posture de retrait qui sied aux Exilés de la vie, vous figurez comme sur le revers d’une pièce usée, dont l’effigie serait devenue illisible, si bien que votre chiffre remis à la pure nullité vous distrairait de vous-même au point de vous rendre simple image perdue dans les pages d’un antique antiphonaire, manière de plain-chant s’épuisant à même son verbe irrésolu.

   Ne vous étonnez point que j’use de termes religieux, vous êtes si semblable à ces ténébreuses Contemplatives dont on ne connaît rien, si ce n’est la rumeur d’un chant grégorien en provenance de quelque crypte. Mais à qui donc s’adresse ce chant sinon à elles-mêmes en quête de qui elles sont ? Dieu est si loin. Dieu est si abstrait. Dieu est si absent. J’énonce ceci à la manière d’une antienne afin que, sortant de votre songe creux, vous puissiez enfin l’emplir de quelque existence vraisemblable, y amarrer quelque projet, lequel vous distrayant un instant de qui vous êtes, ouvrirait pour vous un chemin de lumière, non celui de votre Esprit, celui de votre Corps dont, enfin, vous pourriez faire le lieu d’une fête. Non, je ne pense à nul pandémonium, à nulle danse dionysiaque qui vous soustrairait à votre sagesse et immobilité apolliniennes. Non, je songe simplement à votre corps dénudé rayonnant sur un linge blanc, l’irradiant de sa belle présence. Je conçois combien mon propos doit vous paraître osé, un genre de viol si je peux employer ce mot, mais rien ne sort du carcan d’attitudes séculaires qu’à être ébranlé fortement, une sorte de tellurisme et, bientôt, des failles s’ouvriront par lesquelles le passé disparaîtra sous ses propres sédiments, de nouveaux territoires se donneront à conquérir.

   Mais il me faut revenir à vous, dans le présent qui vous entoure, vous sculpte et vous porte au réel dans cette attitude, certes admirable, mais combien mortifère pour l’âme. Mais que pourriez-vous donc tirer d’une telle mortification, sinon de vous précipiter tête la première dans ces abysses de l’humain dont nul ne ressort indemne, seulement mutilé à soi, ôté à toute forme de vie qui pourrait s’illuminer d’un rayon de joie ?  Qu’il me soit permis de procéder encore à votre inventaire, je ne saurais m’en lasser à la seule raison que, par ma seule parole, je pourrais vous extirper de ce Néant (fût-il un choix volontaire), il vous condamne à trépas avant même que vos prières n’en aient traversé l’invisible et cruelle toile. Cependant, en cette posture de profond recueil, vous êtes belle au point de parvenir à quelque perfection. Si j’étais Peintre habile à manier le pinceau, toutes affaires cessantes, sur l’instant même de votre vue, je dresserais votre portait à la manière du génial Rembrandt, semant ici, parmi les pulsations du clair-obscur, la touche claire du visage, la levée d’une main pâle en direction de ce visage, prenant bien soin de laisser vos yeux dans le flou, comme si vous étiez saisie d’une jouissance intérieure qui se montrerait au-dehors dans toute la nudité de son acte.

   Puis, je n’aurais de cesse de poser sur le brun de la toile les deux collines claires de vos genoux dénudés, sans doute seraient-ils, tout au bout de ma brosse, promesse d’un Paradis dont mes rêves les plus hardis auraient en hâte dressé les tréteaux de votre subtile et envoûtante représentation. Ces trois points de votre être : votre Visage, l’une de vos Mains, la double harmonie de vos Genoux, tout ceci, bien loin d’être l’image pieuse d’une Religieuse cloîtrée en elle, procédant à sa propre négation, s’éclairerait des promesses d’un avenir radieux dont je serais, en quelque sorte, l’Officiant dévoué. Percevez-vous au moins, que dressant votre portrait en cette gloire discrète, je vous sauverais de votre entreprise de Pêcheresse, vous insurger contre qui vous êtes alors que, jusqu’ici, vous pensiez vous grandir du geste d’offrande à un invisible Dieu. Mais, vous que je n’ai pas encore nommée (sans doute Ève serait-il le nom qui vous conviendrait, une naissance à qui vous êtes si vous voulez), vous êtes à vous-même la Seule et Unique Déesse à qui vous aurez à faire pour l’infinité des jours à venir. Rien ne me sera plus agréable que de vous y rejoindre par la pensée. Une pensée appelant l’autre.

    Votre à peine apparition, le retrait en vous, étaient les signes mêmes au gré desquels vous m’êtes apparue selon l’image de quelqu’un dont il fallait, en quelque sorte, déployer l’étendard. Rien n’aurait plus été dommageable, pour Vous, pour Moi, que de vous laisser végéter dans cette ombre, cette nuit qui vous phagocytaient et vous précipitaient vers le lieu de votre trépas. La sainteté, si vous en avez une, est la vôtre, seulement la vôtre et Nulle Divinité, jamais, n’en pourra accomplir la venue au jour. C’est bien au motif de votre ténébrisme que vous êtes la Lumineuse. Ma découverte de vous est la source à laquelle je m’abreuve chaque heure qui passe. Demeurez en qui vous êtes, vous êtes le signe de mon regard le plus précieux. Rares sont les êtres de Lumière ! Toujours ils viennent de l’Ombre, tout comme le Jour naît de la féconde Nuit.

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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