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15 octobre 2022 6 15 /10 /octobre /2022 09:21

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

   Venus de l’ombre, venus de la nuit, allant vers la nuit, c’est ainsi que se détermine notre destin, que se trace la voie dans laquelle s’inscrivent nos pas. Aujourd’hui, avançant dans la lumière, habillant nos yeux de clarté, illuminant la plaine de notre peau, nous n’avons plus souvenir de toute cette ténébreuse densité, de cette matière opaque avec laquelle nous nous confondions, avant même que nous vinssions au Monde. Sans doute, même, tentons-nous d’en biffer le souvenir, sinon la pure possibilité. Car reconnaître en soi, sa part de Nuit, ses projections d’Ombre, constitue toujours une épreuve redoutable. Tous, nous voulons figurer sur les plus hautes cimaises, là où crépitent les étincelles, là où les collines reçoivent leur brillante aura, là où les yeux s’habillent de diamant.

 

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

   Cependant, il ne sera pas dit que nous accorderons aux ténèbres quelque privilège. Å l’encontre de notre belle Planète qui tourne tout autour de son axe, nous souhaitons en immobiliser le cours, exposer toujours notre visage à la clarté du soleil, effacer les ombres portées, faire se diluer la moindre poussière qui dissimulerait en elle un germe de contrariété, qui nous inclinerait à nous confondre avec cet obscurcissement dont nous redoutons qu’il ne contienne le tissu même d’un non-sens. Ainsi cherchons-nous les vastes places avec les colonnes de talc de leurs hautes statues, les vitrines éclairées des magasins, les rues parcourues par la foule mouvante et bariolée, les toiles blanches des cinémas qui font reculer les ombres, qui sont une fête de la lumière. La lumière, nous la recevons telle une sublime ambroisie, elle nous inonde de sa gaieté, elle nous caresse de son inépuisable joie.

 

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

   Parfois, quand la saison avance, que le jour décline, sentons-nous, à la façon d’une brise légère, l’appui discret, mais bien présent, mais bien réel, d’une manière d’ennui que nous pensons pouvoir relier à tel ou tel événement fâcheux qui serait venu à notre encontre. Mais, en vrai, le « Mal » est bien plus profond, bien plus pervers, au simple motif qu’il est comme notre revers, le revers de cette condition humaine dont nous participons, dont bien évidemment, nous ne pouvons nous exonérer.

 

Cette soudaine lassitude,

c’est l’Ombre.

Cette léthargie qui envahit nos têtes,

c’est l’Ombre.

Cette subite mélancolie tressant

à notre front les cirrus de la tristesse,

c'est l’Ombre.

 

   Nommant l’Ombre, nous désignons ce qui nous contraint et sème notre route d’obstacles entravant notre progression. Ce qui est évident, c’est que notre geste de désignation donnant visage au « Mal », nous le rend plus supportable. Rien ne serait pire que de ne pouvoir le nommer, cette indistinction portant en soi la toujours prégnante aporie de l’inconnu. Mais connaître l’ennemi n’est nullement le maitriser, tâcher seulement de le tenir à l’écart.

 

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

    

    Celle à qui nous attribuerons le nom de « Venue-de-l’Ombre », nous ne la voudrons seulement singulière, bien délimitée en son identité. En quelque sorte nous la désirerons Universelle, nous glissant en sa peau d’un instant à l’autre sans que rien ne soit changé de son destin, le nôtre s’inscrira en son sein à la façon dont s’emboîtent les poupées gigognes. Elle est qui-nous-sommes, nous-sommes-Elle en une unique respiration, un unique regard, une unique conscience. Ainsi, chaque fois que paraîtra Venue-de-l’Ombre , c’est de nous dont il s’agira, nous coulant dans ses différentes postures, ses mouvements, ses pensées, l’horizon qui est le sien, qui est le nôtre, sans distinction aucune.

 

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

 

    S’il y a une égalité entre les Existants, c’est bien celle-ci, cette Loi qui nous fait tous semblables devant la finalité absurde de la posture humaine, nous sommes tous lestés du même faix, cette Ombre ultime qui prospère au loin et nous attend dans la patience, la plus ou moins longue patience, certes. Mais, au bout du trajet, tous les comptes sont identiquement apurés. C’est l’Ombre qui gagne et nous fait le don de l’Absolu. Sans contours définissables, sans nom prédiqué avec exactitude, sans visage. L’Absolu en tant qu’Absolu, ce qui, en soi est le Sans-Mesure que nous redoutons et qui, paradoxalement, nous attire, nous fascine. Nous voulons résoudre l’énigme posée par le Sphinx. Nous sommes des Œdipe qui nous ignorons. Or nous savons que la seule réponse possible « l’Homme, est une réponse franchement abyssale qui nous hante notre vie durant. Beaucoup de ténèbres, quelques éclaircies cependant.

       

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

    Venue-de-l’Ombre, la voici qui se donne à voir en une sorte d’apparition semée de mystère, de réserve, de beauté en voie d’accomplissement. Derrière elle, faisant fond, une Ombre bleutée, entre Acier et Minuit, une Ombre généreuse, si vous voulez et, bien sûr, d’autant plus « vénéneuse » qu’elle se voile d’une douce harmonie. Une flaque de clarté diffuse, approximativement Turquin, germine dans les lointains. Comme un souvenir de naissance, de venir au Monde, de sortie du Néant.  Des limbes encore visibles tissent leurs fils d’Ariane, ceux qui, une vie durant, lui rappelleront le lieu de sa venue, cet insaisissable dont elle sera toujours traversée, cet invisible continûment accolé au visible comme la dette que celui-ci, le visible, a contractée vis-à-vis de celui-là, l’invisible.

  

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

    Venue-de-l’Ombre est debout au milieu de sa Nuit, pareille à une Princesse Orientale. Un bras est relevé, en forme d’anse d’amphore, au-dessus de sa tête. Seul, l’abri de sa main plus claire se laisse percevoir. La chevelure est brune, simple continuité de la Nuit, à peine émergence. Le visage est partagé en deux parties égales, la gauche est inapparente alors que la droite donne site à une joue claire, un œil aux aguets, ceci se continuant par les deux cordes du cou qui se prolongent en un V que referme le noir du corsage. Le bras droit, à peine éclairé, rejoint la zone d’Ombre. Une chemise bleue cerne le corps, fait le lien avec toute une zone d’indistinction.

   

Mais la nuit est là, qui guette

La lumière croît en elle

   

    C’est comme la visitation d’une image dans le bleu du rêve, un subtil poudroiement dont la délicatesse estompe une impression qui pourrait être obscure, emplie de morosité, versée au sentiment du tragique qui nous habite et nous fait nous courber sous le poids du destin. Dans une manière de joie simple, Venue-de-l’Ombre arrive à nous selon une esthétique si évidente que nul ne pourrait y deviner les signes d’un quelconque chagrin, la trace d’un tracas, quelque perte à l’horizon de l’être. Certes sa parution s’effectue sous le symbole d’une ambivalence qui pourrait nous atteindre et nous inquiéter. Cependant, nous ne sommes nullement dupes, mais  c’est la face de douce lumière que nous retiendrons. Car des choses qui nous visitent, si le versant de Nuit n’en peut être ôté ; le versant limpide, transparent, diaphane, c’est celui que nous choisirons, ce genre de flottement irisé de libellule à la face des eaux. Les ailes vibrent pareilles aux éclats du verre pilé dans le jour qui paraît. Le Jour !

 

La lumière croît

   

 

 

 

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