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20 juin 2022 1 20 /06 /juin /2022 13:48
Soi face à Soi

Image : Léa Ciari

 

***

 

[Du thème récurrent de la SOLITUDE

 

   Si la solitude est bien l’un des thèmes fondateurs du Romantisme et de ses états d’âme, si la solitude constitue le fond de toute littérature existentielle elle est, tout autant, la préoccupation constante de qui veut créer. On a coutume de parler de la solitude de l’Écrivain, dans le secret de sa chambre, face à ses personnages de papier. Certes cette solitude est réelle, tout comme elle est éprouvée par le Peintre face à sa toile, par le Sculpteur face à sa sculpture, par l’Amant face à son Amante, par l’Existant face à son existence. Autrement dit, cette situation est coalescente à notre condition mortelle et rime, bien évidemment, avec finitude. C’est au motif d’être des entités finies que nous éprouvons ce sentiment d’un vide qui nous entoure, d’un abîme qui, toujours, nous précède et dans lequel, un jour, nous chuterons, trouvant peut-être alors réponse à nos continuelles interrogations.

    Nombre de mes écrits, nouvelles, réflexions en forme de rapides essais, poèmes et autres méditations, vivent sous le souffle continuel de cette solitude qui les justifie et en nervure le sens. Å cette posture, plusieurs raisons : un penchant naturel en direction de la poésie orphique et du thème de la perte, lequel est l’âme même de cette manière de poétiser. Ensuite au regard d’une considération existentialiste de notre destin marqué au coin de la contingence, de l’aporie, de la déréliction, toutes choses s’annonçant comme autant de figures de l’isolement de l’individu dans le monde.

   Mais cette impression de vacuité n’est nullement la conséquence d’une attitude passive. Les Protagonistes de mes Nouvelles sont des Solitaires qui s’éprouvent en tant que tels, font « vœu de solitude » si l’on veut, cette exigence leur étant dictée pour la simple raison que l’Amour, l’Écriture, la Nature dont ils poursuivent inlassablement l’Être, ne se donnent jamais que dans la confidence, l’intimité, le silence. Silence s’établissant entre les corps et les âmes comme seul médiateur réalisant la manière de prodige en quoi consiste l’Union des Contraires, des Dissemblables, une Unité se crée en Soi au regard de l’Altérité. Deux solitudes qui se rejoignent, parviennent-elles à cette fusion dont la Dyade primitive, la figure de l’Androgyne traçaient le beau et irremplaçable portrait ? Nul ne pourrait y répondre qui n’aurait éprouvé en Lui, en Elle, cet essentiel vertige qui demande à être comblé. Deux Incomplétudes pour une Complétude ?]

 

*

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Å la périphérie en quelque sorte

Comme délié de son être propre

On se distrait de soi, on voyage

On aime, on écrit, on lit

On fait tout dans un constant

Éparpillement, une fragmentation

On se croit ici, bien campé

Sur ses deux jambes

Et on est là-bas, loin

Comme étranger

Å son esquisse

Manière de Nomade

Qui ne connaît nul repos

Attend de la prochaine dune

Du croissant de la Lune

Qu’ils lui disent sa propre vérité

Le lieu de son repos

L’espace d’une certitude

Peut-être.

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Mais les certitudes ont le corps léger

Que le moindre vent disperse à l’horizon

Mais la conscience de Soi est si diffuse

Qui s’égaille aux quatre coins des perditions

Tous, nous sommes des sourciers

En souci de notre intime beauté

Tous nous avançons sur un sol de poussière

Mains scellées sur cette branche de coudrier

Dont nous attendons qu’elle nous délivre de nous

Nous dise le chiffre de notre rébus

Traduise en mots clairs cette

Légende qui nous détermine

Issue de longues lianes millénaires

Nous en avons perdu la trace

Notre Présent si emmêlé au Passé

Notre Passé en dette du Futur

Notre Futur perdu dans son illisible figure

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Parlant, nous n’avons parlé

Que de Nous, que de Vous

Que de tel Homme, de telle Femme

De ce Quidam que toujours nous sommes

Qui traînons derrière nous

Le lourd boulet de l’Humaine Condition

D’elle, jamais nous ne nous échapperons

D’elle nous sommes les Rejetons

D’elle nous portons la pesante genèse

Parlant de Moi, de Vous

Nous n’avons proféré

Qu’au sujet de Qui, ici

Fait face au Miroir

Fait face à Soi puisque tout miroir

Toute représentation, ne sont jamais

Que l’écho de qui l’on est

Dont on poursuit sans relâche

L’image fuyante, floue

Cette flamme qui vacille et

Toujours, menace de s’éteindre

Et c’est bien cette menace

De disparition

Qui nous tient en éveil

Fouette notre sang

Incendie le massif de notre chair

N’aurions-nous cette épée de Damoclès

Suspendue au-dessus de nos têtes

Et nous serions dépossédés

De notre angoisse

Délivrés de notre finitude

Nous vivrions hors l’humain

Pareils à la plante, au rocher, à l’animal

Dans la plus pure inconscience

Dans la mutité la plus confondante

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

D’Elle qui apparaît dans

Le champ de notre vision

Nous voulons habiter le corps

Éprouver les sentiments

Ressentir les sensations

Du creux même du vertige

Qui est notre bien commun

Qui suis-je, en réalité, d’autre

Que ce corps exposé au miroir

Que ce corps qui exulte

De ne point se connaître

De ce corps qui interroge

Un silence blanc

Rien ne s’y imprime

Qu’une Question

Reflétant une

Autre Question

Tous les miroirs sont trompeurs

Nous y cherchons la réponse

Å notre propre énigme

Et ils ne nous renvoient

Que notre sourde matérialité

Ce réel têtu qui bourgeonne

Å même son apparence

Et ne dévoile rien de notre Être dont

Au moins une fois, nous eussions souhaité

Qu’il se manifestât à la hauteur

De sa singulière Essence

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Je suis Moi, je suis Vous, je suis

La vaste Communauté

Des Hommes et des Femmes

Cette houle existentielle qui ne se lève

Qu’à retomber aussitôt

Dans son lourd marigot

Car nous avançons tels

Des Somnambules

La tête ourdie de songes

Et les songes sont mortels

Qui s’effacent bientôt

Peut-être est-ce ceci que nous souhaitons

Être des Rêves qui flotteraient haut dans l’éther

Des Rêves libres d’aller où bon leur semble

Des Rêves seulement occupés de Liberté

De clairs horizons, de chemins tracés

Vers de pures félicités

Elle, l’Inconnue, qui est-Elle

Et nous-en-Elle selon notre

Souhait le plus ardent 

Elle, drapée dans sa vêture sombre

Vert de Hooker taché de nuit

Elle au dos nu couleur d’ivoire

Elle aux cheveux de feu lissés d’une moire

Elle au bras qui tombe le long du corps

Elle, qui est-Elle 

Le saurait-Elle et alors

En un identique mouvement

Nous saurions qui nous sommes

Et notre secret deviendrait transparent

Et notre mystère disperserait

Sa cendre sous le premier printemps

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Elle, dans son face à face

Qui donc interroge-t-Elle 

Les Autres qui, parfois, traversent

La plaine de son existence 

Le vaste Monde et ses bigarrures 

Ce Souvenir ancien

Qui brûle au centre de sa tête 

Qu’interroge-t-Elle 

Son visage est plongé dans l’ombre

Son immédiate épiphanie

Partie la plus visible de son Être

Nous est soustraite

Comment pourrions-nous la connaître

Elle qui demeure dans la plus

Sévère des occultations 

Et pourtant, qui mieux qu’Elle

Pourrait faire son inventaire

Pénétrer ses pensées

Sonder son imaginaire

Décrypter ses fantasmes 

 

Ne vivons-nous sur

Le mode de l’illusion 

Ne vivons-nous qu’à prier

Notre propre icône dont nous

Ne saurons jamais si elle

N’est affabulation

Si elle ne résulte que

De notre faculté à imaginer

Certes nous sommes esseulés

Et notre constante interrogation

Est le témoin de cette immense solitude

Si nous faisons halte devant le miroir

C’est bien pour nous donner le sentiment

Que nous ne sommes nullement

SEUL

Que d’Autres sont là

Qui nous tendront la main

Que nous pourrons aimer

Qui nous aimeront en retour

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

Nous sommes des lanceurs d’écho

Nous mettons nos mains en porte-voix

Nous visons la montagne

Sa paroi de noire obsidienne

Nous lançons notre voix

Nous attendons son retour

Cette confirmation de

Qui-nous-sommes car

Å défaut de toute altérité

Au moins voudrions-nous être

Confirmé en notre présence

Nous lançons un CRI et nous pensons

Å la terrible toile d’Edvard Munch

Et nous tremblons d’avoir

Perdu pour toujours notre voix

Dans quelque abîme

Cotonneux, illisible, hostile

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

 

« Ohhéeé, OOhééé,

Ohé, Ohé…»

 

Vous qui songez

Dans le tain du miroir

M’avez-vous entendu 

Vous à qui je rêve parfois

M’avez-vous entendu 

Vous qui ressemblez

Å une peinture

M’avez-vous entendu 

 

« OOhéé, Ohé,

Ohé, OOhhéé…»

 

Où est-il l’écho ?

A-t-il disparu 

L’ai-je inventé 

Si vous m’entendez

Vous-les-Lointains

Mettez vos mains

En porte-voix

Et CRIEZ

N’importe quoi

Des mots d’amour

Les vers d’un poème

Une chanson douce

Des mots-cigüe

Des mots-sagaie

Des mots-yatagans

Si vous voulez

Mais des MOTS !

 

On est là, dans le vaste monde

On est là mais absent à Soi

Mais absent aux Autres

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