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6 décembre 2020 7 06 /12 /décembre /2020 08:43
Fragment de beauté, beauté du monde

 

   « Lumière d’automne »

      Photographie : Hervé Baïs

 

 

***

 

 

   Combien de pages sublimes ont été écrites sur cette merveilleuse saison d’automne, laquelle semble propice à tous les enchantements. La nature y est si belle, si profuse dans ses formes et ses couleurs, tellement ressourcée à son propre chant intérieur. Citer quelques vers de François Coppée et tout est dit de cette prodigieuse corne d’abondance :

 

« C’est l’heure exquise et matinale

Que rougit un soleil soudain ;

A travers la brume automnale

Tombent les feuilles du jardin.

*

Une blonde lumière arrose

La nature, et dans l’air tout rose

On croirait qu’il neige de l’or.

*

 

   Tout, ici, est exprimé qui dit l’exception de ce temps qui n’a pour durée que l’instant. Bientôt le soleil déclinera, se voilant de blanc, la brume se fera plus insistante, la lumière inclinera vers des teintes de plomb et de cendre, bientôt seront les flocons qui remplaceront la « neige d’or » automnale. A une expansion, à une explosion de la nature, succèdera le frimas hivernal, porte ouverte aux regrets, champ livré à la mélancolie, prières intimes afin que renaisse ce par quoi nous existons, à savoir l’aspiration à la clarté zénithale, cette fille du Ciel, alors que le nadir s’endeuille de la présence d’une Terre aux sillons profonds, cette métaphore des abysses. C’est un peu comme un Amant quittant son Amante sur un quai de gare. Bientôt ne demeureront que le feu rouge du convoi et une entaille à l’âme dont il faudra faire son quotidien.

   On a marché longtemps au revers des collines, on a aperçu, loin, là-bas, dans l’échancrure des arbres, les maisons des hommes, les villes où ils vivent à l’unisson, grappes compactes essaimées au hasard des rues. On a levé ses yeux au ciel, de longues zébrures le traversaient, les points brillants de coques d’acier les précédaient. On a entendu des chants d’oiseaux qui se perdaient au large de l’horizon. On a perçu le grondement d’un train glissant sur sa ligne d’acier. Sans doute, a-t-on été attentifs à des murmures de voix naissant à la confluence des rues, des terrasses de café s’y éployaient avec le rire sourd des hommes, celui plus mince, plus aigu des femmes. On a pensé à tous ces mouvements, ces éclats, ces couleurs qui se dissoudraient sous peu sous la poussée des premiers froids. On s’est levé de bonne heure. On voulait surprendre les dernières manifestations dont le paysage s’ornait afin de les archiver au plein de la mémoire. C’est si précieux le souvenir d’un bonheur éphémère. Cela tient si chaud lors des journées de pluie et de crachin, lors des équinoxes qui se déchaînent et obligent à se terrer.

   On est arrivé au bord d’une mare - simple souvenance de « La Mare au Diable », des belles descriptions lumineuses de Georges Sand ? -, on est arrivé au bord d’un monde dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Ce pourrait être une manière de Paradis sur Terre, un refuge pour amoureux, l’abri d’adolescents voulant confier leur âge ambigu au secret des feuilles. Le temps est si clair, le ciel si bleu, couleur de dragée. Les ramures des grands arbres font leur feston sur le recueil du jour. Ils dessinent, sur la toile de fond du lointain, les premiers signes de la beauté. Tout, ici, vient à soi dans la pure évidence. Nul effort nécessaire pour embrasser ce qui comble le regard. C’est de simple avenance à ce qui veut bien se présenter dont il s’agit, le pur paraître des choses en son effusion toujours renouvelée. Cela surgit de la feuille, de l’écorce, cela monte des ossements blancs des racines, cela flotte en fin tapis de rhizomes, cela vous amarre aux plaines d’humus, cela vous dit le lieu de votre présence, le rare de l’heure, le pli du mystère de ceci même qui, jamais, ne se renouvellera. 

   Et pourtant ce séjour existait depuis toujours mais on n’en savait rien, mais on voulait ignorer le simple, le minuscule, le discret. Il en est ainsi de tout éclat qui ne parvient à son être qu’à se dissimuler longuement. Fatigue immense des agoras profanes où cascade la meute des curieux et des pressés ! Il faut le retrait. Il faut l’oubli. Il faut la méditation que ne peut recevoir que le bouquet d’arbres, sa palette automnale si riche, le bouton d’or qui vire au beige, le sable, assourdi d’une teinte crépusculaire, le paille qui éclate et flamboie aux premiers rayons du soleil. Il faut être saison soi-même, en sentir le frémissement au creux des mains, en éprouver la souple texture contre la soie de la peau, en deviner les sourdes exhalaisons partout où naît la mesure d’une surprise. Sur le tissu cuivré des feuilles, à la surface du miroir de l’eau, dans ces deux motifs ovales qui en dessinent la figure, sur le liseré d’herbe verte qui encercle l’eau et lui donne son logis.

   Jamais on n’en finirait de nommer la belle parure de ce temps qui décline, les allées du Jardin du Luxembourg, les statues poudrées de rosée dans le matin qui fraîchit, les vignes se vêtant de soufre et de sanguine, les grappes de raisin que gonfle un suc inquiet, le revers luisant des champs labourés, leurs mottes brillant tel un métal, la terre qui reçoit l’or de la semence, le fin brouillard qui envahit les vallons, la tresse de fumée qui s’élève des fermes, le halo blanc qui coule des lèvres aux premiers froids. Bien sûr, la nostalgie est toujours attachée à l’évocation de ces tableaux qui résonnent à la manière d’un hymne pastoral. Mais c’est ainsi, malgré le progrès des Sciences et des Arts, une constante existe en filigrane dans la psyché qui trace l’empreinte de l’aventure humaine. Nul ne peut ignorer la voix de la Nature, surtout lorsqu’elle se fait nébuleuse, empreinte d’une belle gravité, voilée comme la parole d’une femme amoureuse dans le demi-jour d’un boudoir.

  La beauté ici présente n’est nullement isolée, elle joue en écho avec toutes les autres beautés du monde. Ce qui lui confère son caractère d’universalité. L’arbre d’ici appelle la lointaine et haute canopée, les fûts immenses de ses arbres, la meute d’oiseaux multicolores qui en sillonne la marée toujours renouvelée. Ciel d’ici (Le ciel vogue haut, bien plus haut que la joie ou le souci des hommes, à des altitudes que ne peuvent atteindre que les Idées, les machines terrestres en seraient bien incapables), ciel d’ici donc jouant avec tous les ciels de haute destinée, ceux du majestueux Altiplano, ceux des pics aux neiges éternelles du Kilimandjaro, des temples incas du Machu Picchu, des pitons rocheux du Massif du Gheralta éthiopien qui dominent la plaine parsemée des touffes vert sombre des acacias, ceux des hauts plateaux d’Arménie que surplombe le Mont Ararat couronné de neige, ceux des étendues libres de la steppe hazakhe avec son tapis d’herbe jaune, ses collines érodées par le vent. Eau d’ici et ses reflets jouant avec les infinités de reflets des eaux turquoise du Lac Baïkal contrastant avec les roches brunes du cap Bourkhan, jouant avec les falaises du plateau d'Oust-Ourt au bord du Lac d’Aral, jouant encore avec les berges gelées du Grand Lac de l’Ours au Canada, avec les motifs pourpre de ses maisons de bois. Le jeu est infini qui part d’ici, vogue au loin, puis retourne au lieu de son essor.

   Ce microcosme ici présent appelle un macrocosme absent mais, pour autant, ne l’ignore pas. En réalité l’un est la condition de l’autre. Le monde entier est un terrain de jeu dont l’homme ne prend possession qu’à la mesure physique qui est la sienne, une goutte d’eau égarée dans le vaste Océan. Mais il n’est nullement besoin de sillonner tous les ciels du monde, d’arpenter toutes les terres, d’inventorier tous les arbres de la planète. Nous avons, près de chez nous, toujours, un univers en miniature, une manière de castelet dont nous animons les marionnettes qui y figurent, avec ses personnages bariolés, ses figurines de carton-pâte. Nous regardons le spectacle et, déjà, nous sommes loin, dans quelque contrée mystérieuse où souffle le vent flexible de l’imaginaire. Nous ne sommes plus aux Tuileries devant Guignol ou bien Gnafron. Nous sommes au loin de nous et dérivons au milieu des traces fulgurantes des comètes. Nous observons une carte de géographie. Nous y suivons, par la pensée, ses routes et ses fleuves, le réseau dense des voies ferrées, nous nous enfonçons dans les canyons emplis d’ombre, volons au-dessus des chapeaux de fées tachés de sanguine, au-dessus des plaines d’herbe qui oscillent sous la force du vent, au-dessus du Mont Gang Rinpoché,  à 6 638 mètres d'altitude et longeons  la grande chaîne du  Transhimalaya.

   Nous sommes des genres d’hommes-oiseaux qui scrutons notre ombre portée. Elle court et épouse toute la splendeur du monde. Elle nous dit le précieux de notre appartenance à la scène d’un théâtre qui semble dressée à seulement nous éblouir, susciter notre étonnement, nous pousser à la découverte. De nous. De cet autre qu’est le monde en sa constante étrangeté. Partout, toujours, une frondaison aux couleurs chatoyantes, un ciel de porcelaine ou bien de corail, une eau limpide tel le cristal ou bien mousseuse sur un tapis de lichen. L’automne n’en est qu’une des facettes. Sans doute la plus colorée. Que nous réservera l’hiver, qu’encore jamais nous n’aurons observé ? Nous sommes attente au seuil de ce qui vient. En attente.

 

 

 

 

 

 

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