Œuvre : Barbara Kroll
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Toi l’Esseulée
Comment pouvait-on te rejoindre
Tu semblais si enclose en toi
Plongée dans une méditation
Qui sans doute te dépassait
Où étais-tu donc
Qui ne pouvait se dire
Dans quel lieu d’étrangeté
Dans quel temps tissé de rien
Et ce cruel silence autour
Et cette meute de bruits dedans
Qui devait forer
En ton corps
L’incision d’un deuil
*
Vois-tu te regardant
Je me reculais insensiblement
De manière à te saisir
En ton entièreté
Mais était-ce au moins
Possible
Aperçoit-on jamais quelqu’un
Avec son passé
Son présent
Son futur
Le temps est cette idée
En fuite d’elle-même
On cherche l’instant
Et l’on ne trouve
Qu’un peu de poussière
Le gris d’une fumée
Se perdant
Dans le corridor
Des nuages
*
Te sais-tu au moins
Nommée
Par mes soins
Entourée
Des plus exactes attentions
Placée dans l’écrin
Qui s’essaie
Au verbe du monde
Il est si étrange
De ne rencontrer
Que la fugue des choses
Un massif de cheveux
Dans le noir
Des épaules d’albâtre
Leur chute dans le jour rare
L’angle des bras
Tel une tristesse
Les mains crochetées
Aux genoux
Suppliantes
Révulsées
Atteintes d’hébétude
Le fût des jambes planté
Dans l’indifférence du sol
Comment aborder tout ceci
Hors les mots de la déréliction
*
Autour de toi je vois ceci
Qui je suppose te rend
Invisible
A toi-même
Aux autres
Le ciel en coulée sombre
Est-ce un bronze
Un vert-de-gris
Sa nuance est si austère
Son air si dense
Jaune l’horizon
Où ne se découpent
Que des étrangetés
Un temple est posé là-devant
Avec son fronton si régulier
Une horloge y a suspendu
Son heure
Sans doute destinale
Sans doute d’effroi
Puis le noir des arcades
Mystère gonflé d’ombre
Une galerie teintée de cendre
Aux colonnes démesurées
Hautaines
Sidérées
Engluées
Dans leur propre matière
Ombres longues décidées
À entailler
À dépecer
À tuer
Le sang est déjà présent
Le long des coursives de pierre
*
Deux hommes en discussion
Mais s’agit-il de figures humaines
Leur rigidité est telle
On dirait les Marionnettes
De la Mort
Ne disent rien d’autre
Que leur absence
Des causeries des gens ordinaires
Leur funeste préoccupation
T’attendent-ils
Toi L’Insurgée
Pour te conduire à trépas
Ton immobilité est si grande
La démesure d’un marbre
La fermeture de la statue
A autre chose que son secret
Un triangle
Un rectangle d’ombre
La découpe blanche
D’une fontaine
Une eau noire y brille
D’un inquiétant éclat
Autour la terre est un tapis
De haute laine
Qui ne laisse passer
Nul son qui viendrait
De l’abîme
En réalité il est
En toi
Vacant
Librement ouvert à ta venue
Il est l’écart qui te sépare
De ta propre présence
Es-tu autre qu’une esquisse
Sur une toile
Nous n’attendons qu’un signe
Pour venir t’y rejoindre
Sais-tu le peu de réel
Qui nous habite
Nous aussi sommes
Des songes
Des scansions que le temps
Aurait dispersées
Au hasard des routes
Longuement
Nous errons
*