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24 mai 2016 2 24 /05 /mai /2016 07:58
Ouvrir la brume.

« Quand je plongerai dans tes brumes... »

Photographie : Alain Beauvois.



« Si le baptême est un plongeon
je t'aiderai à renaître...

Lac Fou - Bas Armagnac - Gers
hier matin, dans la canicule
quand la brume de chaleur

se dissipe pour dévoiler l'Intimité.

Je n'ai rien retouché,

c'est ainsi que la photo s'est offerte.

Et je voulais garder l'Instant comme immaculé. »

A.B.

C’est l’heure majestueuse où rien ne bouge. La nuit est en sa décroissance et le jour n’est pas encore venu. Hésitation de l’instant à paraître, comme s’il y avait danger à dévoiler son être, à le remettre aux hommes en tant qu’offrande. L’aile du silence, immense, est posée sur les choses et l’on n’entend rien, pas même le souffle du vent, pas même la respiration des hommes. Partout est l’ouate légère, partout l’écume qui dit la beauté du paraître après le sommeil, l’évanouissement, la perte de soi dans les arcanes du rêve. On voudrait demeurer dans cette espèce de lassitude bienfaisante, se lover au creux de soi et attendre que le temps fasse son office avec le doigté souple qui convient aux moments rares. Car c’est de « re-naissance » dont il s’agit comme si, au sortir de quelque Jourdain, la vie parvenait à éclosion. Alors nous verrions le monde avec des yeux de nouveau-nés, les paupières soudées par des humeurs vitreuses, les oreilles vierges du chant du monde, les membres fragiles de ne jamais avoir foulé le sol. Tels des papillons au terme de leur métamorphose qui déplient leurs ailes dans la soie de l’heure. Le battement est aussi joyeux qu’inaperçu, presque à la limite du rien, sur le bord du vide. Mais tout le monde est alerté de cette brise printanière qui vient d’entrer sur la scène de l’exister et l’on attend le prodige de la venue comme on le ferait observant le ciel d’orage où, bientôt, brillera l’arc-en-ciel.

L’air est frais, parcouru d’ondes claires, mélange subtil de corail et de parme. Un air si léger qu’il semblerait ne pas toucher la terre, en sustentation, pareil à ces oiseaux qui, dans la brise d’été, font leurs longs vols planés à la seule irisation de leurs ailes. Ils sont le lexique intangible de l’instant, l’harmonique suspendu annonçant le mystère de l’heure. On les devine plutôt qu’on ne les voie. On en dessine l’arabesque quelque part sur la falaise du front avant même que les soucis ne s’y impriment. On avance avec la ruse du lézard, le sautillement du moineau, la marche chaloupée du caméléon. Car il ne faut pas faire de vagues qui troubleraient l’ordonnancement du paysage. Ici, devant les yeux, tout juste contre l’étrave du nez, tutoyant un corps désirant, s’écrit la fable du romantisme. La beauté du site, l’inclination de l’âme à la mélancolie, le battement de la palme du souvenir, les réminiscences de Combray, la tasse de porcelaine où infuse un thé au parfum aérien. Il y a du Turner aussi, la brume en témoigne la douce vibration, fin grésil distillant le basculement des secondes. On pourrait demeurer là, sur une seule patte, flamant rose se confondant avec la conque qui l’accueille et finir par se dissoudre dans l’eau, se confondre avec la mousse verte et brune des frondaisons.

La gloriette, cette minuscule fantaisie imitant le culte antique rendu à Vénus ou Apollon, on ne l’avait même pas aperçue, troublé qu’on était par la magie du lieu. Et voici maintenant qu’elle sort de l’eau et affirme sa présence, tel un amer côtier aperçu depuis le pont d’une goélette. Fascination que de disposer d’un ancrage pour le regard alors que l’âme voguait sur de bien étranges flots. Cela commence à s’illuminer, à faire sa tache blanche, là-bas, au-dessus du massif touffu des arbres. C’est une à peine émergence, un mouvement d’enfant peu assuré de ses actes, le début d’une comptine qui, bientôt, racontera l’histoire des hommes sous le ciel, près de l’eau, dans la meute serrée des sillons de glaise. Alors sera venu le moment du dépliement de la conscience, du pur événement, de la douleur aussi pour « Les Damnés de la Terre ». Balancement immémorial du bonheur et de son contraire, ce désespoir qui, parfois torture le corps jusqu’à le réduire en cendres. Ainsi s’annonce le jour avec son cortège infini d’interrogations, de points de suspension, d’interjections, d’étonnements, de ravissements. Ceci est déjà inscrit dans le paysage, stigmates invisibles qui le traversent, mais aussi tremplin pour la joie. C’est pour cette raison que la rencontre avec la beauté est toujours tragique et que la séparation qui, inévitablement survient, nous plonge dans un état de mélancolie, de vague à l’âme. Dans le paysage c’est de nous dont il est question, de notre condition mortelle, de notre finitude comme dernier acte de la représentation existentielle. Aussi tenons-nous à nous y ressourcer le temps d’un éblouissement. Il n’y a peut-être pas de plus haute révélation que celle-là : exister, le savoir et en tirer toute la quintessence.

Le jour est levé maintenant qui précise lieux et destinées. La ville des hommes s’éveille. Les rues s’animent de cris joyeux. Le soleil monte lentement vers le zénith. Il fera sa course circulaire jusqu’à ce que la nuit l’efface l’espace d’un étrange voyage. Il sera alors temps de rêver avant que l’aube ne surgisse à nouveau. Oui, temps de rêver !


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