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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 07:48
L’énigme de l’heure.

Giorgio de Chirico.

1911.

Source : Wikipédia.

L’énigme de l’heure. Oui, telle l’énigme du Sphinx demandant à Œdipe de reconnaître, au travers de sa formulation métaphorique, la figure de l’homme sous les apparences de l’animal. Oui, le monde est plein de mystères et de zones d’ombres que nous ne saurions déchiffrer. Nous n’en possédons pas la clef. Alors nous poursuivons notre chemin, à l’aveuglette, avec plein de questions irrésolues. L’une d’entre elles, majeure par l’abîme qu’elle ouvre, est celle du temps. Insaisissable par nature et nos doigts ne peuvent retenir ni les secondes, ni les jours qui passent et coulent vers l’aval. Le fleuve dans lequel s’inscrit notre destinée est ce confondant ruban dont nous ne sommes que quelques gouttes rassemblées, le temps d’un voyage. La source de notre naissance, non seulement nous ne l’avons nullement décidée, mais elle demeure inaccessible pour la simple raison qu’à peine surgissant sur la scène du monde nous n’en retenons pas l’ineffable phénomène. Notre innocence première en fait l’économie à même notre propre fusion dans les choses. Quant à l’estuaire, notre parcours terminal dans l’immense finitude océanique, nous ne le saisirons, théoriquement, qu’à la minute de notre mort, alors même que se clora notre histoire et que, pour le dire, notre langage fera alors défaut. Tout ceci, cette butée contre l’incompréhension se nomme aporie, prédicat fermant la question dans le geste de son ouverture. Nous sommes ballotés au sein de la parenthèse, pris en étau entre l’ouvrante et la fermante, comme si notre destin se résumait à cette navigation privée de boussole.

La boussole, elle, fait référence à l’espace, lequel, à la différence du temps, se laisse toujours appréhender sous la figure du lieu à habiter, de la montagne faisant écran à l’horizon, de la courbe du soleil qui dessine, en plein ciel, la projection de la durée dans le mouvement qu’il accomplit. Espace toujours à portée de la main. Saisissant la cruche mise en forme par le potier, c’est de l’espace dont nous prenons acte. Nous pouvons le décrire, en réaliser l’esquisse, en calculer le volume, percevoir entre ses flancs la belle image du clair-obscur. Mais le temps ! Existant, nous ne sommes que temporalité. Le temps qui passe : temporalité. Entre les deux, le vide et lui seul. Comment, en effet, immergés dans le temps, tissé d’heures, pourrions-nous percevoir ce qui nous constitue et nous porte au-devant de nous dans l’aire fixe de notre destin ? Comment ? La question résonne en notre enceinte de peau à la façon d’un gong métaphysique. Entre le temps et nous, il faudrait instaurer une zone de libre méditation à partir de laquelle établir des différences, introduire une dialectique, enfoncer le coin de la raison et, peut-être, mathématiser cette abstraction qui, toujours en fuite, ne se laisse jamais apercevoir. Ce qu’il faudrait encore, c’est installer juste devant notre vision, les empans relatifs des diverses temporalités : celle, infinie de l’univers qui s’impose comme mouvement cosmique ; la nôtre, mortelle, qui s’y loge en creux et s’y dissimule avec habileté comme si elle était l’œuvre de quelque démiurge pervers.

Le temps ! Ce fleuve héraclitéen qui, toujours s’écoule, jamais ne s’arrête, participe au devenir en un fluide continu, nous métamorphose en simples Ophélie se donnant aux flots sans même s’apercevoir de leur geste tragique. Faudrait-il alors se saisir de ce flux ininterrompu, le confier au convertisseur ontologique platonicien, en faire cette belle et unique Idée qui le porterait à flotter dans la mer des essences immatérielles, éternelles et immuables, le figeant dans un bloc de platine afin qu’il devienne réalité, c’est-à-dire, cette chose dont nous pourrions parler, que nous aurions le loisir de faire tourner entre nos mains à la façon d’une toupie.

« Le temps est un enfant qui joue au trictrac : la royauté est à un enfant », nous dit encore Héraclite, voulant signifier le chaos toujours possible en tant que jeu de hasard, la fragilité des parcours humains, la chute aléatoire des dés sur la scène du monde. Nous ne sommes que des enfants qui jouons avec le temps, ne s’apercevant pas cependant que nous jouons. Nous en apercevrions-nous que, déjà, nous ne serions plus que de pures âmes voguant dans les immensités célestes. Le temps ! Ah, le temps ! Enigme insoluble de l’heure. A peine est-elle apparue, qu’elle n’est plus. A peine est-elle apparue que nous sommes loin et se retourner ne servirait à rien. Sauf à convoquer ces « Petites madeleines » proustiennes qui ne vivent que d’une illusion : celle de pouvoir faire se présenter, à nouveau, un temps évanoui. Se présenterait-il, il ne serait plus le même. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », s’il fallait, encore, demander à l’Obscur de conclure.

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Published by Blanc Seing - dans Micro-philosophèmes

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