Sur le chemin, nous marchons et regardons.
Mais que voit-on vraiment hormis soi ?
Hormis la blessure narcissique
que nous portons au-devant de nous
comme une offrande ?
Que voit-on du monde ?
Sinon quelques images floues
et nous regagnons le logis
et nous sommes quittes des choses
à seulement les avoir effleurées.
Le jour est encore une hypothèse,
quelque chose qui pourrait survenir
et glisser sur nous comme l’écume.
Nous sommes hagards.
Nous sommes aveugles.
Nous sommes sourds.
Nous sommes paralytiques.
Nous sommes muets.
Nous sommes sans goût,
sauf quelque madeleine ancienne
qui vibre dans la ruche de notre tête.
Et, cependant, nous avançons.
Nous semons sur le chemin
notre bave de limaçon.
Et, cependant, nous sommes
dans le creux,
la spirale,
la fermeture
de l’hélice.
Nous avançons mais demeurons sur place.
Tant que nous n’aurons pas décidé de nous mobiliser,
de faire se déployer le long métabolisme de la connaissance.
L’herbe dans sa belle phosphorescence,
nous ne la voyons pas.
L’ombre passe sur nous comme l’aile de la chauve-souris.
Nous ne la sentons pas.
L’arbre s’incline devant nous et reste au secret.
L’arche du pont qui s’élève dans un mouvement purement aérien,
nous passons dessous et l’ignorons.
Ou bien, alors, si nous prêtons attention
au brin d’herbe,
à la tache d’ombre,
à la colonne de l’arbre,
à l’architecture du pont,
nous n’avons de cesse de tomber
dans le bavardage à leur sujet,
c'est-à-dire que nous en faisons des objets.
Reconduire les choses à leur essence,
c’est tout simplement les laisser se déployer
et se mettre à l’écoute de ce qu’elles ont à nous dire.
L’herbe est le doute sur lequel le poète tisse ses vers.
L’ombre la vérité qui s’occulte, attendant de connaître la lumière.
L’arbre est l’appel vers la transcendance.
Le pont est le médiateur qui relie les rives et les hommes entre eux.
Mais peut-être avons-nous trop dit.
L’essence des choses est de la nature du silence.
Aussi convient-il de se taire.
Longtemps !