Photographie : Alain Beauvois
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Cette assise bleue dans le ciel
Elle était si vacante
Dans la brûlure de l’été
La foule était bigarrée
Les mouvements multiples
La houle au loin
Faisait ses blancs embruns
Les mouettes au ras de l’eau
Tressaient le poème du rien
Les nuages étaient légers
On eut dit des flocons de papier
Des mots voguant
Au plus loin d’eux-mêmes
*
Il y avait longtemps
Au creux de juillet
Sur ce reposoir d’azur
Ta forme s’était posée
Pareille à la brume
Qui tapisse les eaux
Aux confins de l’aube
Tu lisais je crois
Quelques vers
De Rainer Maria Rilke
J’en ai encore à l’oreille
Le rythme inépuisé
En mon visage un univers pénètre
Peut-être inhabité comme l’est une étoile
Ceci intranquille
J’en avais surpris les signes d’encre
Au-dessus de ton épaule
Cette dune indolente
Cette douceur d’amphore
Cette invitation au péché
Mais pourquoi donc
Cet alanguissement
Au plein du jour
Pourquoi cette solitude
Alors que l’heure était à son acmé
Les enfants joyeux
Jouaient au cerf-volant
Leurs queues de soie
Fouettant l’azur
Les couples jouaient
Au jeu de l’amour
Dans les chambres muettes
Que la lumière brunissait
*
Auprès de toi
Ma présence était si discrète
A peine un soupir
Que le vent du large aurait chassé
Nous n’avons dit mot
Le concert de nos solitudes
S’abîmait au loin
Dans d’étranges vertiges
Dont nous étions exclus
Il fallait être dans l’unique
N’en point sortir
Au risque de sombrer
Dans la mondaine vanité
*
Nous étions des êtres du silence
Des clavecins désaccordés
De métalliques destins
Que ne frappait plus
De marteau en quête
De quelque son
Le vide était notre lieu
Le peu nous sustentait
L’infime déposait en nous
La trace inapparente du temps
*
Qu’aurions-nous pu proférer
Qui n’eût altéré ce bonheur insu
Quel geste aurions-nous accompli
Qui nous eût remis au monde
Dans l’ennui sans issue
Dont sa matière est tissée
Mieux valait être soi
Dans l’enfermement du paraître
Mieux valait cette insularité
Qu’un inutile bavardage
Mieux valait ce mutisme
Il était garant de notre vérité
*
Cette assise bleue dans le ciel
J’en reprends possession à l’instant
Bien des années après
Sais-tu ton empreinte
Y est presque visible
Ton odeur iodée présente
La grâce de ton cou
Aussi réelle que la touffe de varech
Sur la nuée de roches noires
*
Es-tu seulement une décision
De ma mémoire
L’image inachevée
Trouvant aujourd’hui
Le lieu de sa fenaison
Parfois il faut un long temps
Avant que les choses ne s’ouvrent
Et parlent avec clarté
Le sublime est ceci
Qui se retient toujours
Dans la nervure du secret
*
Mais comment se fait-il
Ces feuillets que tu lisais
Les voici sur ce banc
Où s’éploie
La lointaine rumeur
De la mer
Ils viennent de si loin
Cependant ils sont si près
En aperçois-tu
Où que tu sois
Ce message hauturier
On dirait le ventre d’une goélette
Que borde la verte écume
On dirait le pieu du phare
Planté en plein ciel
Cette exclamation à jamais
Qui ne trouvera nulle réponse
Comme un qui voyagea sur des mers inconnues
J’erre parmi les sédentaires éternels
Oui le poète des poètes est là
Qui nous sauve du risque de périr
Sans même avoir entendu la beauté
Or ceci seulement est le glaive
De notre accomplissement
Ensuite nous pourrons mourir
Outre cet éternel voyage d’exil
Que demeure-t-il
Qui vaudrait la peine d’être vécu
Je te le demande muette présence
Cette assise bleue dans le ciel
Vide de toute dette à quoi que ce soit
Sera le mot ultime
Qui sera proféré
Le temps déjà n’est plus
Qui s’enfuit à l’horizon
Loin l’horizon qui s’écarte
Des êtres de chair
Et nous ne connaissons même plus
Les frontières qui nous bordent
Tout est si flou
Qui plonge les yeux
Dans l’ombre
Une assise
Avons-nous une assise
Au moins
*