A propos de mes aphorismes sur l'existence.
Les aphorismes. Ces minces énonciations fleurant bon la sentence sinon l'annonce d'une vérité ne font figure, dans notre
monde contemporain versé aux rapides évaluations, que de gentilles affirmations pour intellectuels en mal d'une "morale" circonscrite à une phrase lapidaire. Au mieux, ils paraissent jaunir aux
cimaises des temples avec la mutité des pierres dont, la plupart du temps, ils semblent partager le destin à la manière d'un hiéroglyphe refermé sur sa propre énigme. Cependant, certains,
certaines, se risquent à émettre une opinion, à porter un jugement, à initier une pensée contraire. Et, ô combien ils ont raison. Par sa nature même, l'aphorisme apparaît comme une pétition de principe dont il n'y aurait d'autre signification à tirer hors celle qui a été émise par son énonciateur. Il convient cependant
de porter à son crédit, qu'à l'instar de la philosophie, l'aphorisme en question s'annonce comme une entité parfaite au prétexte que son auteur, le créant, pose une thèse sur le monde et que
cette thèse, pour subjective qu'elle est, exprime un contenu faisant sens au-delà d'un simple caprice de la réflexion. Qu'il nous soit permis, ici, de citer, encore une fois, la belle phrase de
Cioran :
"Plus encore que dans
le poème,
c'est dans l'aphorisme que le mot est dieu".
Ecartèlement
(1979)
Emil Michel
Cioran
Si Cioran a raison, et faisons-lui ce crédit, alors l'aphorisme dévoile son essence à
la manière d'un absolu. Non seulement il excède le dire de la parole essentielle contenue dans le poème, mais il participe à un genre de transcendance de l'ordre du divin. Bien entendu il
convient de relativiser l'affirmation de l'Existentialiste métaphysique, mais tout de même, l'essence de ce qui y est exprimé est mise en valeur, à la fois par
sa brièveté et par sa forme assertive. Il semblerait qu'après le constat aphoristique il n'y ait plus rien à élaborer. Mais, bien évidemment, cette proposition ne tient que dans le cadre d'une
définition théorique, c'est-à-dire, au sens étymologique, d'une "contemplation".
L'aphorisme, posé dans sa cage de verre, comme au Pavillon des Arts et Métiers, n'intéresse guère que les archéologues
désireux de mettre à jour une nouveauté inaperçue. Donc l'aphorisme ne devient vivant qu'à entraîner contradictions, remises en question, réorientations de la
pensée. Celle-ci n'existe, la pensée, guère sans celles-là, les remises en question. Ce constat nous amène au schéma de tout discours classique, lequel repose sur une inévitable
dialectique. Et la dialectique n'existe qu'en raison de l'introduction du paradoxe. Essayons donc d'y voir plus clair.
Premier aphorisme : *"La crypte originelle", jamais on ne l'abandonne !
Paradoxe : L'erreur logique est de penser que le crypte originaire jamais
on ne l'abandonne ! Chaque être humain est jeté hors de la matrice par la naissance et a à s'organiser sur une terre qui, contrairement à une matrice toute prête est à organiser par la communauté
humaine née sevrée . Cette forclusion du saut logique est la pire des choses, elle entretient l' infantilisme des humains et le désir d'assistanat plutôt qu'un vrai désir d'avenir. Ségolène Royal
joue sur l'ambiguïté fondamentale des humains qui sont dans la forclusion de leur infantilisme!
Commentaire : Considérer un tel énoncé présuppose, à
notre sens, que deux caractéristiques de l'aphorisme aient été pris en compte. D'abord l'arrière-plan symbolique qu'il véhicule nécessairement
(la "crypte" est comme la matrice originelle, l'archétype qui façonnera bien des comportements ultérieurs); ensuite la dimension
inconsciente auquel il réfère (la "crypte" n'est, bien évidemment pas hallucinée en soi mais s'organise comme ce qui se réverbère et joue en écho dans
les motivations inconscientes des individus lorsque le Principe de Réalité les assujettit à une existence dont l'absurde est parfois la figure de proue.).
Si, comme nous l'affirment les Philosophes, l'homme est un être-jeté, livré à la déréliction, alors il n'a d'autre perspective que de
s'assumer en tant que tel, ouvrant devant lui l'horizon du projet, seule alternative lui permettant d'assurer sa propre liberté comme transcendance le situant hors du néant.
Et, le simple fait que l'homme, s'apercevant que l'existence le conduit souvent à faire rouler devant lui sa boule
de rocher jusqu'en haut de la montagne, c'est-à-dire à endosser le mythe de Sisyphe, cherche inconsciemment à initier un saut vers "la conque primitive", non
seulement ceci n'est nullement répréhensible, mais cette démarche s'inscrit en toute psyché humaine. Il n'y a donc pas " forclusion du saut
logique ", consciemment assumé mais simplement mouvement de recul devant ce qui semble menaçant, gros de danger. Du reste, ce retrait vers un refuge
primitif trouve son calque exact dans l'attitude de l'homo erectus, lorsque, effrayé par quelque phénomène naturel, - l'éclair par exemple -, il cherchait une réassurance dans l'ombre
"maternelle" ou "maternante" de la grotte. Nombre de nos comportements actuels, gravés dans notre cerveau limbique-reptilien, trouvent leurs assises dans des conduites primitives que notre
moderne néocortex a oubliées.
La conscience s'inscrit toujours "en avant" des démarches humaines, "en éclaireur de pointe", alors que l'inconscient, pour sa part, "traîne des pieds",
cherche des creux et des cryptes où retrouver, le temps d'une nostalgie, cette merveilleuse perspective cosmologique dont il fut le premier habité de l'intérieur. Toujours, quelque part, dans le
cheminement existentiel, sans doute à l'abri de certain pli inaperçu, se joue en sourdine la petite mélodie dont les premiers battements furent, à l'évidence, amniotiques. Tout, depuis avant même
la naissance a été patiemment engrammé, métabolisé, tout s'est invaginé dans la moindre de nos cellules. Ces traces mnésiques, physiologiques, sensorielles demeurent en nous, comme des stigmates
d'un temps heureux d'avant la naissance. Le Clézio dirait :
"Nos peaux, nos yeux, nos oreilles, nos nez, nos langues emmagasinent tous les jours des millions de sensations dont pas une
n'est oubliée. Voilà le danger. Nous sommes de vrais volcans." (La Fièvre).
Or, que ces milliers de fourmillements aient lieu dans la vie intra-utérine ou bien dans l'existence de la mondanéité
quotidienne, ceci ne change rien à la question. Un véritable lien ombilical court depuis notre conception jusqu'au dernier rivage sur lequel il nous sera donné de tracer notre aventureuse route.
Il n'y a pas de changement réel de nature entre le fœtus et l'homme auquel il donnera lieu et temps. Tout s'inscrit dans la même arche continue du devenir, tout signifie de la même manière.
Jamais de césure dans le déploiement du vivant. Pas de "dedans", pas plus que de "dehors". Pas plus "d'avant" que "d'après". Notre configuration est déjà bien entamée dès notre venue au monde.
Notre psyché ne nous est pas donnée comme cadeau lors du passage à "l'âge de raison", cette vieille rengaine qu'on assénait autrefois aux enfants turbulents afin qu'ils veuillent bien consentir à
rentrer dans le rang lorsque la société l'exigeait.
Quant au prétendu "infantilisme des humains ", il ne résulte nullement d'une disposition de ces derniers à refuser
l'entrée dans la vie adulte. Il est bien plutôt une pathologie, un manque-à-être, une difficulté résultant sans doute de processus inconscients dont ils n'ont même plus le souvenir. Ils ne
peuvent donc être tenus pour responsables d'une situation qu'ils n'ont pas créée eux-mêmes.
Pour ce qui est de la volonté des Politiques de maintenir certains individus dans cet état "d'infantilisme", nous craignons bien que le problème
soit infiniment plus complexe. Peut-être excède-t-il même l'existence ici et maintenant, trouvant peut-être quelques assises dans cette fameuse "crypte" qui,
si elle peut parfois incliner à la nostalgie, est bien souvent livrée aux caprices et tempêtes d'un liquide amniotique dont il serait puéril de croire qu'il est exempt de dangers.
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Deuxième aphorisme : *Seul l'Insulaire vit "au-dehors". Afin de ne pas désespérer.
Paradoxe : L'insulaire vit dehors ? Il vit dans une poche, une métaphore
utérine...
Commentaire : Là aussi, comme pour l'aphorisme précédent, il convient de situer les affirmations dans leur exact contexte. Bien
évidemment, tout insulaire peut être assimilé, métaphoriquement parlant, à cet individu en gestation attendant son éclosion en plein jour. Donc, dire que l'Insulaire vit "au-dehors" (voir les indispensables
guillemets), c'est seulement prendre acte de son désir de se projeter en-dehors de lui-même, précisément afin de ne pas étouffer dans le bain amniotique, afin d'espérer, de vivre son
autonomie, d'accéder à la liberté dont son insularité semble le déposséder. Mais, si l'Insulaire rêve si fort du manque de l'Île, c'est parce que, d'abord, il a vécu insulaire. Souvent les choses
ne se révèlent qu'à s'affronter. Voir toute dialectique. Le noir et le blanc. Le jour et la nuit. L'ombre et la lumière. Ainsi vont les choses sur cette terre bien disposée à assembler les
contraires, à condition seulement qu'on veuille bien s'y disposer.
NB : Nombre de nos écrits traitent de ce thème que nous nommons
d'une façon générique : "la conque amniotique". Cette notion de l'expérience prénatale et sa fonction symbolique relativement à l'existence de
l'individu nous paraissent avoir un intérêt fondamental. Afin de faire la part de l'inconscient par rapport au conscient, afin de percevoir l'influence des archétypes (notamment de la Mère
et de sa représentation inconsciente sous forme d'anima dans la psyché masculine, etc…) à l'œuvre dans l'édification de tout imaginaire bien en amont des premières significations du langage et de
l'activité symbolique; enfin, en vue d'opérer l'indispensable continuité d'un individu, lequel débute bien en avant sa sortie au monde, ne serait-ce qu'en raison de ses fondements
généalogiques et de son appartenance à la communauté humaine.
Toujours en relation avec cette crypte originelle, il semble qu'on ne puisse faire l'économie du concept de "traumatisme de la
naissance" dont la paternité revient à Otto Rank, lequel défendait la thèse selon laquelle "l'arrachement" à cette terre primitive constituait la source
évidente de l'angoisse infantile. Il semble bien, en effet, que nous puissions méditer longuement sur la valeur éminente de rupture aussi bien sur le plan anatomique, que physiologique et, par
voie de conséquence, sur l'empreinte durable psychologique qu'un tel "passage" induit pour l'existence qui se constituera à partir de cette soudaine césure. Mais, bien évidemment, toutes les
projections intellectuelles que nous pouvons édifier sur une telle réalité n'existent qu'à l'état de thèses, l'origine du problème nous demeurant toujours occultée. Bas du formulaire