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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 14:30

Non, je n’ai pas d’usine, pas d’outils. Je suis un des rares hommes-bombes. Je dis rares, car s’il en est d’autres, que ne l’ont-ils déclaré un jour ?
Il est vrai, il demeure possible qu’il n’y en ait eu.
Nous sommes obligés à quelque prudence.
« Éclater, ça peut être dangereux, un jour », pense le public.
 Après tuer, les caresses. « Qu’il dit, pense le public, mais s’il demeure dans le tuer, s’il s’enfonce dans le tuer » et le public, toujours magistrat en son âme simple, s’apprête à nous faire condamner.
Mais il est temps de me taire. J’en ai trop dit.
A écrire on s’expose décidément à l’excès.
Un mot de plus, je culbutais dans la vérité.
D’ailleurs je ne tue plus. Tout lasse. Encore une époque de ma vie de finie. Maintenant, je vais peindre, c’est beau les couleurs, quand ça sort du tube, et parfois encore quelque temps après. C’est comme du sang.

 

                                                                                                               Source : Incipit - Extraits.

 

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 14:27

 

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ANE [1024x768]

 

BARQUE [1024x768]

 

DETAIL [1024x768]

 

LES COMPAGNONS 1977 [1024x768]

 

PALOMBIERE DE [1024x768]

 

TONNELLERIE 1981 [1024x768]

 

                  SUITE : DESSINER : OUVRIR UN MONDE  (2) - (TEXTE).

 

 

 

Dessiner : ouvrir un monde.

 

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  Il y avait une fois une ferme modeste adossée à un bois. Presque inapparente, fondue dans le paysage comme le vol de l'oiseau glisse dans le bleu du ciel. Quelques arpents de terre brune; une grange; quelques fruitiers. Une sorte d'existence sur la pointe des pieds, dans le genre de l'oubli. Certes ce pâté de bâtiments couleur de ciment on aurait pu l'oublier, on aurait pu passer au bout de l'allée de castine blanche, laisser échapper un regard vers les discrètes frondaisons puis suivre son chemin vers les collines alentour. Tout cela on aurait pu le faire dans la plus grande distraction et l'on ne se serait plus jamais souvenu de cet endroit. Seule une vague trace sur la mémoire, une fragile empreinte pareille au filet d'air dans le ciel d'hiver.

  Seulement la maison, la grange, les remises ne vivaient pas seules dans une belle autarcie qui eût pu suffire à leur contentement, à leur persistance à être. La maison avait une âme. Belle affaire, me direz-vous, belle affirmation en forme de lieu commun. Mais précisément ce lieu n'était pas commun. Il était en quelque sorte, jusqu'au profond de ses assises terrestres, livré à une belle âme, à une vie faisant ses voltes et ses arabesques, à une fantaisie à nulle autre pareille dont les remuements trouvaient toujours à s'épanouir sur la face orangée de quelque potiron ou les feuilles quadrillées d'un cahier d'écolier.

  Dans cette maison vivait un homme qu'au premier abord on aurait pu prendre pour un ermite : grand, sec et noueux comme les arbres qu'il élevait; le visage barbouillé d'une toison poivre et sel à la façon d'un patriarche, le chef couvert indifféremment d'un béret hors d'âge ou d'un bonnet de laine qui lui conférait l'aspect d'un meunier. Sans doute beaucoup pensaient avoir affaire à Maître Cornille lui-même et la méprise n'aurait été que relative : l'homme vouait aux moulins à vent, une passion peu commune. Et cette passion, si elle était bien enracinée, ne le cédait en rien à une autre bien plus dévorante : celle du dessin.

  Sur l'écorce des potirons, du temps de sa jeunesse, il gravait des signes et des formes; sur les cahiers d'école, plus tard, il faisait de nombreuses esquisses à l'encre et au crayon : la bande dessinée était son quotidien.

  Si vous le voulez bien, cet homme nous le nommerons l'Artiste, tout simplement, parce qu'en réalité on avait affaire à une telle sorte d'humain, si rare et d'autant plus remarquable. Bien sûr le qualificatif est parfois galvaudé, attribué, à tort et à travers, aussi bien à l'enfant griffonnant les feuilles blanches qu'à l'artiste reconnu. Picasso, par exemple. Assurément cet homme n'était pas Picasso. Assurément il n'avait pas fait les Beaux-arts. Encore qu'il n'aurait pas été le moins doué des  potaches de cette noble Institution s'il avait eu la chance d'en franchir le porche.

  Je veux dire "Artiste", aussi bien pour la tentation de s'approcher de la création que pour l'inclination à mener une vie libre, faisant abstraction des contraintes, accordant à son penchant pour le dessin l'attention qu'il convient. Car, pour être artiste, il ne suffit pas de manier correctement le crayon ou le pinceau; de savoir tracer des perspectives; de donner aux proportions leur juste mesure. C'est sans doute cela et, en plus, une disposition naturelle à projeter son propre dessein sur le monde. A imprimer son empreinte sur la face des choses. Or cet homme avait une vraie nature, une vraie personnalité qui allait de soi, qui rayonnait, savait communiquer une passion, un enthousiasme. Cette disposition est si rare de nos jours où les comportements sont stéréotypés, façonnés par les médias, formatés par la société cybernétique. L'originalité, au sens fort du terme, laquelle fait surtout signe en direction d'une singularité. On conviendra que toute création, aussi modeste fût-elle, porte en elle le sceau de cette singularité, affectant souvent celui qui en est à l'origine d'une étrangeté, sinon d'une bizarrerie, certains diront d'une "folie". Et, si tel était le cas, alors empressons-nous, à la façon d'Erasme de faire l'éloge de cette folie si proche de l'utopie. Par nature toute création est une utopie, un idéal jamais atteint, ce qui, du reste, en fait tout l'intérêt.

  Mais revenons à la maison, revenons au lieu. D'ici, les terres descendent en pente douce vers la Leyre après avoir franchi les  vergers, les bosquets, après avoir longé la grande bâtisse du Château des Terrieux. Sur sa falaise, Beaulieu est un paisible village sans histoire, surmonté de sa meute de maisons, Les Arbieux, manière de minuscule Montmartre pastoral. A l'horizon les hauteurs de Castelnou, les maisons empilées de Bastimont. Plus loin, mais hors de la vue, Neuville et ses ponts, ses portes du Moyen-âge. Convenons-en, le paysage est modeste, comme ralenti, tout au bord d'un passé proche alors que les écoles, dans leurs cours de goudrons, vibrent encore du rire des enfants en tabliers et du roulement des calots sur les chemins de poussière.

  Je ne sais si le qualificatif de "bucolique" convient, tellement il paraît désuet, empreint de la marque d'un autre temps. Ce dont je suis assuré, par contre, c'est qu'une telle douceur, le moutonnement doux des collines, la ligne plate des "pechs" couverts de chênes rouvres incite à la rêverie, dispose à la poésie. Mon imaginaire d'enfant a été longuement marqué par le cadre enchanteur des "Charmettes" de Rousseau : une disposition au simple, une écoute du modeste, une ouverture à l'événement. Je ne sais si l'Artiste cultivait cette vibrante nostalgie, ce lyrisme facilement exposé aux expériences naturalistes, cet enchantement face au végétal, à son efflorescence. Sans doute en était-il atteint. Comment peut-on travailler la terre, y creuser des sillons, y jeter les grains qui lèveront sans être possédé par une telle dimension liée au déploiement du vivant ? La terre, il la vivait dans la densité du quotidien, il la vivait organiquement, corporellement.

  Je me souviens de lui, en automne, penché sur la charrue tirée par une paire de vaches, alors qu'alentour, les tracteurs faisaient leurs panaches de fumée entraînant avec eux les brabants furieusement arcboutés dans l'argile.  Attachement viscéral à la terre. C'est cela, l'Artiste. Il doit l'éprouver du dedans, comme une promesse de création. Le geste du labour est la première esquisse sur la feuille d'argile; les graines sont les crayons;  la levée des premiers épis, la luxuriance des couleurs, sont les variations de la gouache, du pastel, des "Conté" faisant leur histoire sur ce qui vient à la rencontre du regard inquiet. Oui. Car la vision de l'Artiste ne peut  faire l'économie de ce suspens.

  Toute création ouvre un abîme dont il faut nécessairement sortir. Par la conscience. Par l'œuvre qui parle et signifie. Alors, parmi les couleurs et les traits, les hachures du fusain, les griffures de l'encre, ce sont des visages familiers qui surgissent, comme le sillage des comètes dans le ciel d'hiver. Une pure illumination. Il n'y a pas de plus grand bonheur (sinon l'extase du Saint ou la volupté des Amants) que de voir apparaître, comme issue des limbes, une scène où s'illustrent des lieux investis d'affects, où s'épanouissent des figures charismatiques à force de sens accumulé par les ans. Chaque dessin est une révélation, chaque dessin est une aventure. Chaque dessin est un lieu où s'origine une nouvelle histoire, où se révèle une liberté jusqu'alors tenue secrète. Les personnages, surgis des coulisses, nous livrent une fiction que nous n'avions pu imaginer.

  La grâce du dessin, le talent de l'Artiste auront présidé à leur alchimie. Puissance de l'imaginaire qui libère les situations, organise les actions, bâtit les plans d'une possible utopie. Devant nous, sur la feuille magique, se trouve posée la "divine comédie". Le cadre blanc tout autour, c'est la scène; le paysage tout au fond, c'est le décor; les personnages hauts, en couleur, ce sont les comédiens d'un acte dont nous attendions la mise en scène depuis des temps immémoriaux. Tout cela devait nécessairement exister. Tout cela devait trouver une issue. Ces situations avaient un destin que l'Artiste a su porter à nos yeux pris de curiosité. Oui, nous les attendions, nous les souhaitions ces "petites marionnettes de la vie quotidienne".    

  Nous savions qu'elles étaient incontournables, qu'il suffisait d'un médiateur habile à les rassembler, à les doter d'un langage, à tracer les contours d'un nouveau réalisme. Aux yeux des spectateurs attentifs, ces images auront dorénavant autant d'importance que le réel lui-même. Modestes ambitions assurées d'une probable éternité tant que dureront ces fables de papier. Et le papier a la mémoire plus longue que celle des hommes, promise à la corruption. Le papier subirait-il un coupable autodafé, pour autant l'œuvre lui survivrait. Jamais œuvre ne peut disparaître comme les choses contingentes. Elle ne s'actualise sur le papier qu'à la mesure étroite des sens de l'homme qu'elle excède toujours. L'idée de la création dépasse la création elle-même. Elle est d'une autre nature.

  Mais revenons au supposé théâtre que proposent ces images fraîches et signifiantes à la fois. Je me souviens, lors de ma petite enfance, d'une petite Compagnie théâtrale du nom de "Troupe Durosier" qui venait, les soirs d'hiver, occuper l'estrade du Café Jembès. La salle était toujours comble. Je me rappelle mon émerveillement d'enfant à voir jouer des pièces sans doute extraites d'un répertoire familial. Les spectacles étaient rares à l'époque et les consciences disposées à l'ouverture. Minces gemmes brillant du plus loin de la mémoire. Un théâtre de l'intime, du quotidien, du simple. Aujourd'hui tout ceci, cette disposition à accueillir un message direct, à se réjouir  d'une convivialité à portée de la main, tout ceci est effacé.

  Ces pièces, je les ai oubliées. Il m'en reste seulement l'impression d'agréables saynètes d'une époque accordée au rythme du temps, attentive au recueil du sens dans un  lieu dépourvu d'artifices. Une généreuse authenticité où nos jeunes vies pouvaient s'abreuver afin de se projeter dans un avenir clair, lumineux. C'est la même émotion qui se fait jour lorsque je regarde ces images empreintes d'un bonheur immédiat. Je ne sais si ce sentiment a pour nom nostalgie, laquelle contient toujours l'idée d'une souffrance. Souffre-t-on de son enfance, de cette manière de parenthèse enchantée dont elle jouit à nos yeux bien des années plus tard ? Ce dont nous souffrons, assurément, c'est de la perte d'un contact direct avec la nature; de l'effacement des relations authentiques; d'une confusion du temps affairé à son toujours plus grand accroissement. Et notre perte la plus significative est à n'en pas douter notre éloignement de la terre, de la terre en tant que matière élémentaire, déclinaisons de mottes, veines d'humus, coulées de marne et de glaise; mais aussi terre symbolique investie de riches significations.

  Ces images crées par l'Artiste, que nous disent-elles ? Qu'évoquent-elles en nous ?

Penché sur ses feuilles de Canson - je l'imagine assez volontiers, l'hiver, assis à la grande table de la cuisine, près de la cheminée où danse le feu -, l'Artisteréalise son rêve. Ce rêve il le traduit par  des traits de plume, des taches de couleur, des mots qui s'impriment petit à petit sur la surface blanche à la façon dont un paysage émerge de la brume. Penché sur ses feuilles, sans doute avec l'assiduité d'un enfant, en même temps que son application, il assiste, émerveillé, à la naissance de la pure magie. C'est cela, la création, on part de rien - juste une feuille blanche -, et à la seule insistance de son geste on crée un événement et soudain tout s'ouvre et signifie comme au premier matin du monde. C'est une joie toute simple qui s'empare de l'Artiste et le projette dans une autre dimension.

  Pour l'Artiste, pour cet Artiste, dessiner c'est ouvrir un espace, y projeter des lieux où tout s'ordonne, où tout signifie avec clarté. Certes le paysage est modeste, circonscrit à ce qu'Il peut apercevoir depuis l'horizon de sa demeure. Mais nul besoin de la vastitude du monde pour exprimer ses sentiments, ses affects, ses petites admirations. Un coin de terre y suffit amplement, un modeste rectangle de papier peut en assurer l'accueil. Le Colorado ne saurait mieux dire. L'aventure de l'homme n'est jamais mesurable à l'aune de ses déplacements, de l'amplitude des pays qu'il investit.

  Un moulin à vent faisant tourner ses ailes sur une colline; la rue d'un village familier; un coin de mur au cimetière; la lisière d'un bois; quelques maisons en ruineun lac pour une pêche confidentielle; une palombière tout en haut d'un tronc vrillé; un champ de blé près d'un village;une fête champêtre et voilà posés, en quelques coups de crayon, les contours d'une histoire. Or cette histoire nous parle et nous y reconnaissons ce pays où puisent nos racines, où s'abreuvent nos légendes, nos petites fables qui, mieux que les grands discours, concourent à poser nos fondements sur ce coin de terre à nul autre pareil.

  Oui, car tout lieu, pour peu qu'il soit investi par ses occupants, est affecté d'une singularité, possède une couleur, murmure un chant dont nous reconnaissons les harmoniques. Il n'y a pas d'erreur possible, ces images sont les nôtres, elles nous adressent une parole rassurante, elles nous parlent depuis ce que nous fûmes, dans notre relation aux autres, à la terre, aux murs, aux lignes qui cernaient notre horizon familier. Chacun porte en lui ces stigmates du sol natal, chaque  identité s'y ressource constamment, parfois à son insu, parfois le sachant.

  Voyant ces images, je me souviens de mes déambulations d'enfant dans les prés au bord de la Leyre; je me souviens de la chute d'eau du moulin, des rouages poudrés de farine, de la crémaillère que nous activions parfois, avec les copains, pour voir se précipiter dans un étroit canal une eau glauque destinée à faire se mouvoir les trémies, à faire tourner les courroies sur les brillants volants d'acier. Je me souviens du Chemin du ciel - oui, il existe-, de son paisible ondoiement parmi les frondaisons, de sa fontaine de cresson, de son talus planté de chênes. Je me souviens de la barque de tôle noire flottant sur l'eau tranquille, elle servait à poser les nasses; du pont de bois montant vers le château enchanté des Terrieux. Je me souviens de la falaise blanche de Beaulieu, de son entaille pareille à des lèvres de calcaire - on disait que son antre avait servi à abriter des Maquisards -; je me souviens d'un trou percé au milieu d'une sorte de lande, recouvert de poutres mal équarries pour en empêcher l'accès : de lui, on disait qu'il était l'entrée d'un souterrain conduisant quelques kilomètres plus loin, jusqu'aux salles d'un mystérieux château. Parfois, pour resurgir, la mémoire a besoin de points d'appui, de minces tremplins, de subtiles évocations. Assurément, ces dessins témoignent de tout cela du fond de leur simplicité, de leur exactitude, de leur générosité.

  Pour l'Artiste, pour cet Artiste, dessiner c'est donner des assises au temps. Seul le surréalisme peut s'en affranchir, dans une représentation qui se situe dans un au-delà peu représentable. Mais les dessins dont nous parlons ont une empreinte particulière, une couleur  aquarellée tellement semblable à la nostalgie. La fantaisie n'empêche nullement le réalisme. Tout, ici, est clairement identifiable. Regardant, nous faisons un saut dans le temps, nous revisitons une autre époque. Caprices de la mémoire qui gomme les détails, confond les formes dans un confortable conformisme.

  Nous sommes toujours étonnés de revoir les photos de nos proches, les nôtres, lorsqu'elles ont pris le temps de jaunir entre les pages d'un album ancien. Nous sommes toujours surpris de redécouvrir les anciennes voitures, les vieux appareils, les décors passés : images d'Epinal qui rôdent toujours, tout juste en dessous du niveau de la conscience. Pourtant, tout cela, c'était hier : la scie à ruban de l'ancienne Scierie; le Société Française dont j'entendais, depuis ma chambre, le bruit syncopé; le Massey-Ferguson rouge qui paraît si drôle aujourd'hui - c'est peut-être ce modèle dont l'Artisteavait fait l'acquisition pour remplacer la laborieuse traction des Agenaises -; la classique Mercédès des Agents d'affaires; la moissonneuse-batteuse McCormickqui servit à forger mes premières armes de moissonneur - elle était "rustique" mais moins inventive que la "Crubéleuse" qui nous est proposée ici -; la Triumph avec laquelle mon Père était supposé transporter le Général. Toute une époque donc, une parenthèse du temps, dans lesquelles nos destinées sont inscrites. Toute une minuscule mythologie qui porte l'empreinte des choses, des lieux, des hommes surtout.

  Pour l'Artiste, pour cet Artiste, dessiner c'est donner lieu et existence à l'homme. Bien évidemment, ces paysages, ces machines, ces maisons ne seraient rien sans l'incontournable et indispensable présence humaine. Et si ces images atteignent leur but, nous divertir autant que nous émouvoir, c'est bien en raison de cette humanité qui, partout, au fil des dessins fait ses arabesques et déploie ses événements. Ici ou là, il y a l'apparition de personnages dont nous ne pourrions dresser l'identité. Nous ne les connaissons pas vraiment. Ils ne sont là que pour jouer en contrepoint des individus réels, pour leur donner la réplique, pour donner corps et âme à la fiction.

  Oui, il s'agit bien d'une histoire, de la mise en scène d'une gentille "comédie humaine", d'une petite agitation de la scène du monde sur laquelle, chacun à notre tour, nous produisons notre petite pantomime, nous saluons et puis le rideau se baisse pour laisser la place à d'autres comédies. C'est comme au Théâtre Durosier : les tréteaux sont dressés, on se rassemble autour des dessins en grappes serrées, on ouvre grand les yeux et on essaie de reconnaître les Acteursle Forgeron qui, du haut de sa machine, contemple les épis que de laborieuses mains cueillent avec agilité; Monsieur le Curé qui, armé de son goupillon vient bénir la moisson; les Chiffonniersqui poussent leur charreton en s'amusant de la scène; Le Garde-Champêtre-Eboueur-Croquemort, homme toutes mains qui pilote son infernale machine à collecter les ordures et à briquer les arêtes de trottoirs; l'Agent d'affaires qui récolte les limaçons jusque sur la tombe de sa Belle-mère regrettéele Charpentier qui surveille la fabrication d'allumettes, laquelle s'active sous la poussée du Société Française; le Meunier dont la seule apparition ressuscite les antiques moulins de Cailladelles; à nouveau l'Agent d'affaires occupé à chasser comme un riche propriétaire Solognot, alors que le Garde-champêtre, sous l'œil inquisiteur de la Maréchaussée, véhicule une brouettée de gibier promis à de probables agapes.

  Alors on continue à regarder, à tellement regarder qu'on est soudain parmi eux, tous ces personnages de papier et on pêche en compagnie des Halieutiques au bord du lac de Biou; on festoie de concert avec les joyeux lurons à la palombière de la Sarlatte; on s'essaie à jeter quelques boules au rampo; on grimpe aux arbres comme à un mât de cocagne en espérant saisir jambons ou saucissons; sur l'air de Schubert on pilote la Crubéleuse, alors que d'autres acolytesenfournent dans la gueule de la chaudière des pelletées de charbon; on est le Général lui-même porté en "Triumph" par le Motard-Immobilier un brin roublard; enfin on est complètement soi-même et tous les autres dans cette grande Confrérie d'autrefois dont on n'a jamais déserté la compagnie et dont on est si aise de retrouver la chaude fraternité.

  En réalité, tous ces compagnons de voyage sur un coin de terre, dans un temps rétréci comme la coque de la noix, nous ne les avons pas oubliés. Ils hantent toujours nos mémoires. Ils sont présents dans le paysage, dans les plis de la terre, au coin des chemins, près des fontaines où ils allaient puiser de l'eau, à l'orée des bois parsemés de cèpes et de glands. Ils sont pareils aux racines faisant leurs longs trajets dans l'ombre terrienne, semblables au rhizomes qui tissent entre eux un long chant destiné aux vivants.

  La magie du dessin, le talent de l'Artiste les ont ranimés. Ils sont redevenus, l'espace d'un instant, l'intervalle d'un regard, une sève nourricière, ils ont grimpé le long du tronc noueux de l'existence, ils sont devenus rameaux, feuilles ouvertes à la contemplation du lieu qui les a façonnés, mais aussi, mais surtout, des êtres qui s'y épanouissent encore avec leurs vivantes corolles de mémoire. Jamais nous n'oublions. Il suffit de regarder les choses en leur intime, de questionner le joug vermoulu, de faire parler la lame aiguë de la faucheuse, de s'adresser à la faux qui taillait l'herbe des chemins d'autrefois.

  Bien des chemins ont des choses à nous dire. En eux repose la lourdeur des choses du quotidien, en eux nous devinons les pas de ces vivants qui les ont créés, les ont parcourus le long de leur destin en forme d'énigme. Le Chemin du ciel, les prés qui descendent vers la Leyre, la terrasse sous le presbytère, le "turron" qui fait couler son eau claire dans le lavoir autrefois résonnant du rire des lavandières, tout ceci nous parle, tout ceci est mélangé à l'eau de nos cellules, à l'air de nos poumons, à notre langue assoiffée de saveurs anciennes. Etions-nous plus "vrais" autrefois qu'aujourd'hui ? Existe-t-il un âge privilégié pour définir notre identité, affirmer notre essence ? Pourquoi, tels les saumons, nous efforçons-nous de remonter le cours des rivières jusqu'au lieu de la ponte originelle ? Mais notre "origine" n'est-elle pas quotidienne, à la façon d'une constante "re-naissance" ? Et les caprices d'une mémoire fluctuante n'existent-ils pas à seulement assurer ce ressourcement ?

  Sans doute faut-il oublier hier pour construire aujourd'hui. Que serait notre vie si nous archivions avec clarté tous les menus événements dont nous sommes affectés depuis notre venue au monde ? Nous sommes tissés de temps et nous le savons. Si nous l'oublions, le temps, lui, ne nous oublie pas. Toujours prêt à resurgir, à s'étoiler en milliers de facettes, à bruire de milliers d'infimes souvenirs. Mais il ne convient pas de nous souvenir de tout. La tâche serait trop lourde, trop ingrate. A la façon des feuilles, il nous suffit de faire apparaître quelques nervures, quelques figures, quelques lieux, quelques images. Et alors tout se met à signifier avec force et nous pouvons regarder l'horizon avec l'assurance d'une quête encore possible. Créer, de ses mains; tracer sur les robes oranges des cucurbitacées des lignes infinies; orner ses cahiers d'école d'esquisses au crayon; poser sur les feuilles de Canson les figures, les lieux chargés de sens; tout ceci procède d'un même souci, celui de donner à l'exister des raisons d'apparaître. Certains savent s'y employer avec un rare bonheur. Il suffit de s'accorder à une telle évidence.

  Oui, la fin du voyage en terre de nostalgie est proche. C'est tout juste si les Acteurs de la Troupe Durosier ont commencé à se démaquiller, et déjà il faut songer à plier les tréteaux, à ranger l'estrade. Le spectacle, ce sera pour la prochaine fois. Seulement c'est pas infini, les images, et puis la source est un peu tarie et l'Artiste, sur l'épaule des Anges, il doit bien en dessiner encore quelques scènes avec le Bon Dieu en train de carder la laine ou de tailler des branches d'olivier; avec Saint-Pierre burinant des rochers pour bâtir son église façon Facteur Cheval; avec Eve qui se fait une beauté dans le miroir du Chiffonnier; avec Adam qui épluche des pommes en attendant de les manger pour l'éternité alors que le Serpent guette planqué entre les jambes de Judas; avec les Apôtres qui s'empiffrent lors de la Cène en faisant semblant de s'intéresser au Christ, alors que ce dernier, mangeant son dernier repas avant la crucifixion, ne pense qu'à Marie-Madeleine qu'il aimerait bien mettre sur sa couche de paille et puis l'Artiste, s'il nous entend du fond de son humour, depuis l'intérieur de sa drôlerie, depuis la profondeur de son enthousiasme, depuis le constant remuement de sa passion, il doit bien rigoler, il doit affûter ses crayons, préparer sa bouteille d'encre, disposer ses couleurs. Et vous qui me lisez, vous savez quelle forme ça a un dessin venu du fond des étoiles, vous savez comment ça parle à nos esprits embrumés; comment ça peut faire rebondir nos âmes ?   

  Alors, en attendant les prochains dessins, ceux-ci, buvez-les; dégustez-les, parlez-en à vos amis, épinglez-les sur vos murs mais surtout, ne les oubliez pas. Ça aime pas l'oubli, les dessins. Alors, promis, faites-en une cure quotidienne. Ça vous protègera de l'ennui. Ça vous fera revivre ce passé qui vous est si cher. Ça vous projettera vers le futur. Croyez-moi, il n'y a pas mieux pour vivre votre présent. Pleinement ! Merci l'Artiste de nous donner de si belles raisons d'espérer !

                                                       VOIR :    Dessiner : ouvrir un monde (1) - (dessins) -

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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 15:17

 

 

Thérèse, beaucoup diront que tu n’existes pas.

Mais je sais que tu existes, moi qui, depuis des années, t’épie et souvent t’arrête au passage, te démasque.

Adolescent, je me souviens d’avoir aperçu, dans une salle étouffante d’assises, livrée aux avocats moins féroces que les dames empanachées, ta petite figure blanche et sans lèvres.

Plus tard, dans un salon de campagne, tu m’apparus sous les traits d’une jeune femme hagarde qu’irritaient les soins de ses vieilles parentes, d’un époux naïf: « Mais qu’ a-t-elle donc? disaient-ils. Pourtant nous la comblons de tout. »

Depuis lors, que de fois ai-je admiré, sur ton front vaste et beau, ta main un peu trop grande! Que de fois, à travers les barreaux vivants d’une famille, t’ai-je vu tourner en rond, à pas de louve; et de ton œil méchant et triste tu me dévisageais.

Beaucoup s’étonneront que j’aie pu imaginer une créature plus odieuse encore que tous mes autres héros. Saurai-je jamais rien dire des êtres ruisselants de vertu et qui ont le cœur sur la main? Les «cœurs sur la main » n’ont pas d’histoire; mais je connais celle des cœurs enfouis et tout mêlés à un corps de boue.

J’aurais voulu que la douleur, Thérèse, te livre à Dieu; et j’ai longtemps désiré que tu fusses digne du nom de sainte Locuste. Mais plusieurs, qui pourtant croient à la chute et au rachat de nos âmes tourmentées, eussent crié au sacrilège.

Du moins, sur ce trottoir où je t’abandonne, j’ai l’espérance que tu n’es pas seule.

I

L’avocat ouvrit une porte. Thérèse Desqueyroux, dans le couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l’aspira. Elle avait peur d’être attendue, hésitait à sortir. Un homme, dont le col était relevé, se détacha d’un platane; elle reconnut son père. L’avocat cria : «Non-lieu» et, se retournant vers Thérèse :

« Vous pouvez sortir: il n’y a personne. »

Elle descendit des marches mouillées. Oui, la petite place semblait déserte. Son père ne l’embrassa pas, ne lui donna pas même un regard; il interrogeait l’avocat Duros qui répondait à mi-voix comme s’ils eussent été épiés. Elle entendait confusément leurs propos:

«Je recevrai demain l’avis officiel du non-lieu. ­

— Il ne peut plus y avoir de surprise?

— Non : les carottes sont cuites, comme on dit.

 

                                                                                             Source : Incipit - Extraits.

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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 15:04

La vie que je mène depuis quelque temps m’a plongé dans un état d’esprit bien particulier. J’ose à peine évoquer ma vie professionnelle, qui se résume maintenant à peu de chose : l’écriture d’un interminable feuilleton radiophonique, Les aventures de Louis XVII. Comme les programmes ne changent guère à Radio-Mundial, je m’imagine au cours des prochaines années, ajoutant encore de nouveaux épisodes aux Aventures de Louis XVII. Voilà pour l’avenir. Mais ce soir-là, à mon retour du café Rosal, j’ai allumé la radio. C’était l’heure, justement, où Carlos Sirvent entamait au micro l’une des multiples aventures de Louis XVII, telles que je les avais imaginées après son évasion du Temple. La tombée du soir, le silence, la voix de Sirvent qui lisait mon feuilleton en langue espagnole pour d’hypothétiques auditeurs égarés du côté de Tétouan, de Gibraltar ou d’Algésiras — un autre speaker aurait pu aussi bien le lire en français, en anglais ou en italien puisque des émissions en toutes ces langues existent à Radio-Mundial —, la voix de plus en plus feutrée de Sirvent qu’étouffaient des parasites, oui tout cela ce soir-là m’a entraîné — chose dont je n’ai pas l’habitude — à la réflexion.

Je continuerai d’écrire Les aventures de Louis XVII, tant qu’ils en voudront, à Radio-Mundial. Elles me rapportent un peu d’argent et j’ai ainsi le sentiment de n’être pas tout à fait un oisif. D’un point de vue littéraire, cela ne vaut rien et je reconnaîtrais volontiers que la traduction espagnole de mon texte français rend le style encore plus morne, si ma préoccupation présente était le style : le secrétaire de Sirvent, chargé de traduire au fur et à mesure ce Louis XVII, ne m’a-t-il pas avoué qu’il coupe des phrases et change les mots, non par goût de la perfection mais pour en finir au plus vite? Je sais que la chaleur est quelquefois accablante dans les bureaux de Radio-Mundial, surtout quand on tape à la machine, et je lui pardonne de ne pas respecter ma prose. J’ai écrit jadis des livres dont le tissu était moins lâche et d’une meilleure qualité. Mais, ce soir-là, en écoutant Carlos Sirvent raconter en espagnol Les aventures de Louis XVII, je ne pouvais m’empêcher de penser combien ce thème que j’ai galvaudé dans un feuilleton me touche plus qu’un autre.

C’est le thème de la survie des personnes disparues, l’espoir de retrouver un jour ceux qu’on a perdus dans le passé. L’irréparable n’a pas eu lieu, tout va recommencer comme avant. « Louis XVII n’est pas mort. Il est planteur à la Jamaïque et nous allons vous raconter son histoire.» Cette phrase, Sirvent la prononce chaque soir, au début du feuilleton, et l’on entend le ressac de la mer en bruit de fond, et quelques soupirs d’harmonica. Il est affalé devant son micro, le col de sa chemise bleue grand ouvert, et il profite des intermèdes pour boire, au goulot, cette eau minérale dont il ne se sépare jamais, aussi lourde et aussi indigeste que du mercure.

On la sert dans de minuscules carafons, au Rosal. Une eau des sources de l’arrière-pays. Tout à l’heure, au début de l’après-midi, j’étais assis sur l’une des banquettes de moleskine du Rosal — moleskine rouge qui contraste avec le bois sombre du bar, des petites tables, et des murs. D’habitude, à cette heure-là il n’y a aucun client. Ils font la sieste. Et les touristes ne fréquentent pas le Rosal. Quand je l’ai aperçue, assise près de la grille en fer ouvragé qui sépare le café de la salle de billard, je n’ai pas tout de suite distingué les traits de son visage. Dehors, la lumière du soleil est si forte qu’en pénétrant au Rosal, vous plongez dans le noir.

La tache claire de son sac de paille. Et ses bras nus. Son visage est sorti de l’ombre. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans. Elle ne me prêtait aucune attention. Elle fouillait dans le sac posé à côté d’elle sur la banquette, et de temps en temps, les bracelets de ses poignets cliquetaient dans le silence. Le barman s’est dirigé vers elle, tenant des deux mains le plateau de cuivre avec une carafe d’eau et un verre.

Elle a rempli le verre presque jusqu’à ras bord. Je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu la mettre en garde contre le goût très particulier de cette eau minérale et la sensation désagréable que l’on éprouve quand on l’avale pour la première fois comme l’enfant qui aspire sa première bouffée de cigarette. Mais elle n’aurait peut-être pas aimé qu’un inconnu se mêle de ce qui ne le regardait pas et lui donne la leçon. Elle a porté le verre à ses lèvres et l’a bu, d’un seul trait, avec le plus grand naturel et elle n’a pas eu le moindre froncement de sourcils.

 

                                                                                                                Source : Incipit - Extraits.

 

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