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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 08:11

 

Les couleurs du fondement. 

 

 

malevitch

Kazimir Malevich - Carré noir sur fond blanc -

Source : Wikipédia. 

 

 

Nous mangeons, nous buvons. Nous vivons.

Nous voyageons, nous écrivons. Nous vivons.

Nous lisons, nous fumons. Nous vivons.

Nous aimons, nous rêvons. Nous vivons.

Mais nous N'EXISTONS PAS !

 

Nous mangeons, nous buvons, nous voyageons, nous écrivons, nous lisons, nous fumons, nous aimons, nous rêvons et cela s'appelle VIVRE.

 

"VIVRE", "VIVRE", criait l'Homme-fou et il battait des mains en appelant l'infini.

 

"VIVRE", "VIVRE", criait l'Homme-fou et il faisait sa gigue sur le bord du monde en convoquant l'absolu.

 

"VIVRE", "VIVRE", criait l'Homme-fou et il sautait vers les étoiles en convoquant Dieu.

 

Mais Dieu ne pouvait l'entendre, car l'homme-fou, n'EXISTAIT PAS !

 

Certes, il faisait sa pantomime dans les rues hasardeuses de la ville; certes il courait dans les avenues à la vitesse d'une comète; certes il franchissait beaucoup de carrefours et de ponts, mais L'homme-Fou n'EXISTAIT PAS !

 

Il buvait et l'eau faisait son bruit de fontaine le long de l'œsophage. Il mangeait et l'on entendait les nutriments faire leur cascade vers l'aval. Il aimait et l'on entendait plein de soupirs et de sanglots. L'Homme-Fou était vivant, trop vivant, trop occupé à vivre et négligeait d'exister. Cela veut donc dire qu'il était à peine sorti du néant, un pied dedans, un pied dehors, la tête enfouie sous la nappe de peau, les yeux gonflés d'eau, les poings encore rouges des eaux maternelles, le teint laiteux, les cheveux collés sur la fontanelle, les lèvres roses faisant leurs bulles de glaires. C'était un nouveau-né plein de vagissements stériles qui éructait au grand jour sa rengaine d'ennui : "VIVRE - VIVRE", mais personne ne l'entendait, même pas les autres humains, puisqu'iln'EXISTAIT PAS !

 

Certes il vivait, plus qu'il n'était coutume, en-dehors de toute règle de bienséance, braillant aux quatre coins de la planète son tragique glapissement "VIVRE- VIVRE" et les sons ricochaient sur la vitre des choses et se retournaient contre le Vivant et ses tympans se déchiraient sous la pression et ses mains dodues et boudinées griffaient pathétiquement l'air et le "VIVRE - VIVRE"faisait ses longues trémulations bien après que le nourrisson avait rendu l'âme. En fait, sa courte et gélatineuse vie, le Vivant l'avait usée, l'avait dilapidée en de pitoyables objurgations, en des essais avortés de connaître quelque chose du vaste monde. Il n'avait été, l'espace de son apparition, qu'une série de métabolismes, une suite de battements de cœur, des diastoles-systoles, des sécrétions glandulaires, hypophysaires, des trophismes épithéliaux, des remuements de condyles à l'intérieur de glénoïdes bien huilés, des enroulements de métatarses, des combustions de graisse, des empilements de  glycémies, des  partitions de transaminases, des congestions de liquides bilieux et hépatiques, enfin, en quelques  mots rapidement synthétiques, des perditions entraînant d'autres perditions, des enfilades de non-sens, des clignotements à l'infini, des gammes de BLANC et de NOIR, sans qu'une once de GRIS vienne tempérer la démesure, lui accorder visibilité, parole, voix, langage.

  C'est ainsi que les jours se déclinent pour les Vivants, un jour BLANC, un jour NOIR, mais jamais de jours GRIS. 

Pourtant c'est LE GRIS qui est constitutif du sens, de la marche des étoiles, de l'immense bifurcation des mondes, de la coruscation des planètes, des galaxies de la connaissance.

 

Le NOIR est abstrait.

Le BLANC est abstrait.

Le NOIR ne profère rien.

Il se tait. Il se renferme dans sa coquille. 
Il referme sa coque de noix sur ce qui aurait pu apporter de la lumière, de la connaissance, du désir.

Le BLANC est identiquement muet.

Il est vide. Il est glacé. Il est une vitre sur laquelle ricoche le jour.

Il est une démesure qui boulotte la lumière. Il la manduque, il la digère. Puis, plus rien.

Sur le BLANC, jamais de clarté apparente. Lumière contre lumière.

Mais attention : le BLANC n'est pas la lumière, il en est la décoloration. Il est pure affinité du vide. Le BLANC est l'irrésolution entre les mots. Le BLANC est l'en-creux de la parole. Le BLANC est tout sauf la virginité. Il est l'éblouissement qui précède la volupté. Il est pure folie de se fondre dans l'Autre. Au risque d'une perdition.

NOTA BENE :  Le NOIR n'est pas la nuit. Il en est l'exact opposé.

Le NOIR replie le calice ouvert de la nuit. Le NOIR boit les étoiles. Le NOIR est l'inconscient qui fait ses mille voltes afin de nous plonger dans la cécité. Le NOIR est la ténèbre. Le NOIR est le bitume qui enrobe les orbites et dissout le chiasma optique et alors ce sont des jours de goudron, de pétrole, des jours fossiles. Le NOIR est excès de BLANC. Il rejette et vomit longuement l'écume immaculée. NOIR à cette seule condition : d'une éviction de ce qui, à lui, s'oppose.

 

Le BLANC est rejet du NOIR. Il est pure brillance. N'admet jamais la tache, l'ombre qui l'altérerait. Le BLANC, c'est juste du NOIR qui a retourné sa calotte.

 

Le BLANC et le NOIR c'et une polémique. Echec et mat.

Le BLANC et le NOIR  sont de pures illusions.

Le NOIR existerait dans l'absolu et rien ne pourrait paraître.

Le BLANC existerait dans la totalité et l'univers serait une étincelle éteinte.

Le BLANC et le NOIR sont de pures illusions, des vues de l'esprit, de gentilles hallucinations.

Le BLANC pur existerait et le NOIR s'absenterait.

Le NOIR pur existerait et le BLANC s'absenterait.

Le BLANC est confusion puisque rien n'y paraît.

Le NOIR est confusion puisque rien n'y paraît.

 

Le NOIR est l'absence d'intervalle qui fusionne les mots et en brouille la perception, comme une soupe précosmique dont, encore, n'émergerait nul cosmos signifiant. Ainsi :

 

 "Riennesignifiedèslorsquel'espacequiexistententrelessignesseconfondenuneseulechaîne,

laquelledevientinsignifianteetrapidementsynonymed'unintraduisiblesabirdont

mêmeunlinguisteéminentnepourraittireraucunehypothèsevraisemblable."

 

  Ce qui, énoncé clairement, se traduit ainsi :

 

  "Rien ne signifie dès lors que l'espace qui existe entre les signes se confond en une seule chaîne, laquelle devient insignifiante et rapidement synonyme d'un intraduisible sabir dont même un linguiste éminent ne pourrait tirer aucune hypothèse vraisemblable."

 

Le premier énoncé est bien évidemment celui d'un VIVANT; le second celui d'un EXISTANT. Le premier est un chaos. Le second est un cosmos.

 

  Seul le GRIS signifie. Le GRIS est le médiateur entre les mots, leur souple respiration, leur haleine inventive. Le GRIS est pure donation de ce qui existe avant de se révéler au grand jour. C'est pour cela que les aubes sont GRISES. Le GRIS c'est le passage du souffle à la parole. C'est la teinte intermédiaire des sentiments entre haine et passion. Le GRIS, c'est l'imaginaire qui fait ses boucles entre rêve et réalité. Le GRIS c'est le lieu d'élection où les choses parviennent à leur éclosion, à mi-chemin entre intelligible et sensible. Le GRIS, c'est l'ajointement du jour et de la nuit, là où s'immisce la Muse de la poésie.

 

  GRIS est le mystérieux imaginal des ésotériques, ce fameux Barzakh ou entre-deux que les sens sont incapables de saisir, une limite qui sépare le connaissable de l’inconnaissable, le monde matériel du monde de l’esprit et du Mystère. C'est le  lieu de la perception Imaginative, le lieu des rêves et visions. "

 

GRISES les clés qui font communiquer, d'un seul geste, comme d'un seul mouvement de la pensée, les espaces du-dedans avec les espaces du-dehors : le corps et le cosmos; le vécu intime et le réel; le sentiment et la raison; l'inconscient et le conscient; la méditation-contemplation et l'usage social du langage.

 

GRIS, les seuils qui délimitent l'espace collectif et l'espace individuel; la nature ouverte et la grotte primitive; le sacré du temple et le profane du lieu commun; les cimaises des musées et la déambulation de la rue; la nature et la culture.

 

GRISES, les portes qui font communiquer entre eux les lieux spécifiques de l'habitation; celles qui conduisent de l'inconnu au connu, du polysémique abstrait de l'espace indifférencié au signifiant singulier de l'espace maîtrisé.

 

GRIS les ponts de la mixité sociale réalisant la synthèse des modes de vie, de pensée, effectuant les conditions d'un libre échange des cultures en les métissant, en les ouvrant à d'autres civilisations, à d'autres beautés, à des conceptions différentes des modes selon lesquels la vérité tend à se manifester sous les diverses latitudes.

 

GRIS les passages situés dans les villes, généralement passages couverts réalisant la médiation des fonctions plurielles de la cité : passage du commerce à la culture, puis aux loisirs, puis au religieux, au festif, au pur hédonisme, parfois aussi aux zones interlopes dédiées à la luxure.

 

GRIS, les sourires ouvrant l'épiphanie humaine en direction de l'Autre afin qu'une mutuelle compréhension puisse exister, qu'une fusion des affects, des percepts, des concepts puisse trouver un site à partir duquel se déployer selon de nouvelles perspectives.

 

GRIS, l'amour cimentant en une union indéfectible l'Amant et l'Aimée en une seule arche expressive-compréhensive.

 

GRIS, l'espace de la raison sensible, dans lequel Michel Maffesoli, ce Sociologue inventif, essaie de nous situer afin de créer un espace intermédiaire, une pensée médiatrice entre l'aridité du concept et la pente déclive des passions.

 

GRIS, l'espace géopoétique dont Kenneth White a été l'heureux concepteur :

Ce monde géopoétique situé à l'épicentre de la trilogie Eros, Logos, Cosmos, soit à l'intersection de l'amour, du langage-raison, de l'univers. Il crée un "monde", celui de l'union harmonieuse de  l’esprit et de la Terre.

 

GRISE est encore l'étonnante Chôra platonicienne qui instaure un espace intermédiaire de gestation entre l'être absolu et l'être relatif, lieu de bien des supputations et de thèses intellectuelles, mais seulement préhensible par la voie de l'intuition. Car, comment "imaginer" le passage du "rien" au "quelque chose" sans faire référence à cette "nourrice primordiale" dont le sein symbolique ou halluciné, donnerait lieu et place au devenir, à l'exister en son merveilleux déploiement. 

 

GRISES les coïncidences des opposés (voir/être vu; le repos/le mouvement; le fini/l'infini,…) où s'immolent en un même creuset ce qui, par nature, semblait antinomique, livré au grand écart, inconciliable à jamais. Partant de ce qui nous est proposé d'appréhender dans le monde du fini, nous nous disposons, dans une démarche purement cognitive, à la compréhension de l'infini, lequel est, par définition, toujours à envisager dans toute opération d'intellection. La contradiction est une détermination interne à la raison discursive. Or,  N. de Cues prétend dépasser les mots pour dire l’être. Nous ne saurions mieux projeter pour dire le Sens. Et, pour mieux percevoir le propos du Penseur médiéval, prenons un exemple simple, celui de la paix. On ne peut penser le problème d'une paix concrète entre les peuples sans en avoir une perception en même temps abstraite de l'ordre de l'éthique, donc "infinie".  Or l'éthique n'est jamais perceptible "directement", mais seulement en raison d'une opération de l'entendement et, pour être tout à fait complets, de l'esprit, aussi bien que de l'âme en ses multiples acceptions.

 

GRISE L'hypothèse Gaïa.

 

Cette séduisante hypothèse dont nous ne nous hasarderons  pas à dire si elle nous paraît épistémologiquement recevable, présente la Terre comme un organisme vivant, doué de conscience, d'intention, ceci pour les avancées les plus radicales de ce concept.

Cette idée de "Terre animée" a toujours hanté l'imaginaire humain. La plus belle expression en étant, sans doute, le point de vue du pionnier de la "conscience environnementale", Henry David Thoreau situant la Terre dans une perspective spirituelle assez semblable, dont le contenu, sans doute teinté d'un lyrisme débordant, marqué du sceau du plus foncier vitalisme, n'en demeure pas moins étonnante, mais aussi enthousiasmante en ces temps d'obscur consumérisme :

 

" La terre que je foule aux pieds n'est pas une masse inerte et morte, elle est un corps, elle possède un esprit, elle est organisée et perméable à l'influence de son esprit ainsi qu'à la parcelle de cet esprit qui est en moi. " 

 

Cette hypothèse, pour hasardeuse qu'elle paraisse, présente l'indéniable avantage de nous donner à penser de quelle façon peut s'opérer le fameux passage d'un processus biologique à un processus de l'ordre de la psyché.  On reconnaît là le mythe de la Terre-Mère traversant de nombreuses civilisations, notamment chez les peuples célébrant les cosmologies amérindiennes. L'hypothèse Gaïa semble signer une manière de retour vers une mystique, sous des apparences scientifiques. De telles émergences dans la pensée contemporaine apparaissent comme des remises en question des thèmes de la modernité, laquelle, à partir de Descartes s'est orientée vers un réductionnisme résultant d'une séparation du corps et de l'esprit. Beaucoup d'esprits éclairés, évoquent l'urgence d'un retour à un plus juste équilibre permettant de repenser le sens de l'homme dans la Nature, ce qui, pour notre propos, s'énoncerait de la manière suivante : "Plutôt que de persister à vivre , l'Homme devrait s'essayer à exister". Formule elliptique s'il en est, dont la forme aphoristique convient bien à une nécessaire condensation de la pensée.

 

GRISE la noosphère.

 

 Se contenter de vivre sur la Terre pourrait facilement se confondre avec une progression de l'Homme en direction de ses besoins vitaux, que l'on peut également qualifier de "primaires", à savoir se nourrir, se vêtir, trouver un toit où s'abriter. C'est ce que firent, pendant plusieurs milliers d'années nos ancêtres hominidés vivant dans les grottes et progressant au rythme de la cueillette et de la chasse. Teilhard de Chardin, en paléontologue éminent, n'ignorait évidemment rien des événements de l'évolution humaine. Sans doute pensait-il, dès le début de ses travaux - n'oublions pas le fait qu'il était Père Jésuite -, que cette dimension de l'homme entièrement tournée vers l'appropriation de biens matériels ne suffisait pas à en faire une description anthropologique satisfaisante. L'homo sapiens sapiens lui donnait déjà raison qui entrait dans le domaine des activités sociales, culturelles, religieuses.

  Mais ce n'était pas encore assez. A cette dimension devait se rajouter une perspective spirituelle, donc une inscription vers la transcendance. Pour Teilhard, matière et esprit sont une seule et même chose dont l'humain ne sait pas percevoir les nécessaires convergences.

Il faut plus d'amplitude à l'intellect afin que ce dernier se prépare à prendre la mesure de ce qui, selon le Père Jésuite, s'annonce à la manière d'une révolution et, à cette fin, il reprend la notion de "noosphère" dont il pense qu'elle est à même de rendre compte de ce qui s'annonce à l'horizon de la fin du siècle : l'immense réseau de communications humaines entourant le globe de ses milliards de significations aussi diverses que complexes. La vie devient existence, une " pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines ".

- (Bien évidemment, chacun, chacune, reconnaîtra dans cette formulation, la révolution cybernétique de l'Internet ainsi que l'explosion exponentielle des Réseaux Sociaux. Le Père Teilhard en était le précurseur conceptuel) -  Ainsi se rejoignaient dans une même unité compréhensive, "sciences de la terre, anthropologie et métaphysique chrétienne." ( Jean Onimus). Le sommet  de la théorie culminant en un "point Oméga" signant l'accomplissement dans une parfaite spiritualité et la nécessaire rencontre avec Dieu auquel l'homme aboutirait après être parti d'un "point alpha".

Que la thèse de Teilhard trouve comme épilogue l'arrivée dans la sphère divine, n'étonnera personne. Pour les agnostiques dont la plupart des hommes font partie, à commencer par nous, il suffira d'envisager une "spiritualité laïque", cette dernière étant simplement constituée des buts supérieurs et ultimes dont nos  actions et nos jugements peuvent s'emparer. Par exemple l'art, l'action humanitaire, les considérations élevées de l'esprit, la contemplation, la méditation, l'ascèse physique ou mentale, l'immersion dans le sentiment de totalité que la Nature peut nous offrir si nous savons nous y disposer.

 

 

GRIS le sentiment océanique.

 

  Et ce sentiment de la Nature (à la fois subjectif si nous considérons comme dans l'hypothèse Gaïa que la Nature pense, éprouve, existe sous forme consciente; à la fois objectif, en tant que sentiment que nous projetons sur elle), cette soudaine plénitude dont nous sommes possédés, à notre insu, nous retrouvons tout cela inclus dans le "sentiment océanique" initié par Romain Rolland, repris par Carl Gustav Jung, sentiment dont les connexions avec le concept de noosphère de Teilhard sont évidentes. Le "sentiment océanique" est cette sublime impression de se trouver, soudain, portés hors de nous-mêmes vers une manière de transcendance, de totalité avec laquelle nous sommes en écho, microcosme réverbérant le macrocosme. Double spécularité où nous regardons le monde comme lui nous regarde : fusion des consciences. Nous disons "des consciences" car nul sentiment d'ampleur ne saurait surgir de la rencontre d'une conscience - la nôtre -, avec un événement périphérique de la nature, un quelconque objet, une simple entité matérielle. Il y faut plus. Il y faut une projection de notre propre conscience sur le monde. Sans doute pourra-t-on dire que la supposée conscience de la Nature, c'est nous qui la lui communiquons du sein de notre exaltation. Peu importe, ceci n'obère en rien la qualité de l'expérience spirituelle. Mais tâchons de comprendre plus avant et écoutons ce qu'a à nous dire André Comte-Sponville, lequel ne rattache pas nécessairement cette dimension d'ouverture  à une quelconque attitude religieuse :

 

  "Au fond, c'est ce que Freud décrit comme « un sentiment d'union indissoluble avec le grand Tout, et d'appartenance à l'universel ». Ainsi la vague ou la goutte d'eau, dans l'océan... Le plus souvent, ce n'est qu'un sentiment, en effet. Mais il arrive que ce soit une expérience, et bouleversante, ce que les psychologues américains appellent aujourd'hui  (…) un état modifié de conscience. Expérience de quoi ? Expérience de l'unité, comme dit Swami Prajnanpad : c'est s'éprouver un avec tout. Ce « sentiment océanique » n'a rien, en lui-même, de proprement religieux. J'ai même, pour ce que j'en ai vécu, l'impression inverse : celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? À quoi bon ? L'expérience suffit. "

 

Mais bien évidemment les religions et philosophies, quelle que soit leur nature, ne peuvent être exclues d'un accès à cette dimension aussi étonnante qu'enthousiasmante. – rappelons que le mot "d'enthousiasme", étymologiquement, vient du grec ancien du grec ancien : ἐνθουσιασμός ,enthousiasmós  qui veut dire "Avoir Dieu en soi"-.  Cependant l'on conviendra que tout un chacun, sous un terme aussi générique que celui de Dieu, mettra le contenu de sens avec lequel il éprouvera le plus d'affinités.  Et l'empan sera large, "Dieu en soi" pouvant aussi bien résulter de l'observation du simple brin d'herbe et de l'activité très rousseauiste d'herboriser, que de la contemplation de la beauté d'un incunable, en passant par la dégustation d'une sublime ambroisie ou la vue de l'Aimée. Et nous pourrions citer encore le ravissement consécutif à l'écoute d'une pièce musicale ou bien la quasi extase à la vue du chef-d'œuvre. Rien ne saurait, par essence, limiter ce "sentiment océanique" dont la "logique" consiste à excéder tout ce qui se présente aux sens afin d'en faire le creuset d'un émerveillement. Dieu, à lui seul, ne saurait prétendre remplir la majestueuse "corne d'abondance". Il y a place pour la multitude !

  Dans nombre de disciplines, philosophies ou religions, concourant à trouver l'éveil spirituel (Zen par exemple), la métaphore océanique comme univers et celle de la vague à dimension humaine concourent à faire émerger ce fameux "sentiment océanique" conduisant à éprouver la nature de l'être comme non-duelle :

 

"Au-dessous du monde des perceptions sensorielles et de l'activité mentale, il y a l'immensité de l'être. Il y a une vaste étendue, une vaste immobilité, et une petite activité frémissante à la surface, qui n'est pas séparée, tout comme les vagues ne sont pas séparées de l'océan. "

 

  Eckhart Tolle - Le Pouvoir du moment présent - Ariane, 2000. Source : Wikipédia.

 

  Nombre de nos penseurs occidentaux, SchopenhauerHusserlHeideggerKarl Jaspers ou encore Georges Bataille, pour ne citer que ceux-là, affirment la réalité d'une telle non-dualité. Tous mettent en exergue, dans leurs œuvres, "l'expérience intime et transcendantale de l'unité entre sujet et objet." (Wikipédia).

 

Enfin, afin d'être complet sur le sujet de ce sentiment sans doute bien difficile à traduire par de simples mots, nous voudrions citer le point de vue exprimé par Mona Chollet, journaliste et essayiste suisse qui, dans "Nouveau millénaire, défis libertaires", prend position quant à ce"sentiment océanique" :

 

  "Et puis, il reste aux hommes un moyen de rester en contact avec cet «autre chose» dont ils ont parfois l’intuition. Ce moyen, à en croire Pietro Citati, ce sont… les mythes – ces mythes dont se méfie tant Michel Onfray. Les mythes, déclare Citati, sont «l’ultime reflet» d’une lumière cachée, «une sorte de souvenir-réflexe, de magique mémoire intuitive». Cela expliquerait pourquoi les écrivains, et tous ceux qui prennent en charge l’élaboration fictionnelle, sont à ce point exténués par leur tâche, qui consiste à assumer à la fois les limites parfois rageantes de l’existence humaine et l’intuition déstabilisante de tout ce qui la dépasse; à assumer, en résumé, ce tiraillement des extrêmes, ce mélange hétérogène, impur, qui fait la condition humaine, et devant lequel les religions, refusant l’évidence, n’ont jamais voulu s’incliner."

 

  Belle méditation s'il en est quant à la démesure dont l'homme est constamment affecté et que les sceptiques, les matérialistes et autres adeptes d'une pensée réputée "dure" (ce qu'elle est sans doute), rejettent hautainement comme s'il s'agissait d'un caprice juvénile. Mais les équations les plus habiles ne sauraient prétendre détenir la totalité de la vérité, loin s'en faut. La Lune a une face cachée. Ce n'est pas pour autant qu'elle n'en est pas moins réelle. Peut-être l'est-elle davantage pour la simple raison que sa propre réalité est constamment excédée par la conscience humaine qui la vise et projette sur elle un imaginaire fécond auquel ne saurait souscrire sa face d'évidente visibilité. 

 

GRISE la mystique religieuse.

 

  Et, en préambule, il s'agit d'affirmer que rien ne saurait être ignoré de ce qui, pour l'homme, fait sens. Être agnostique ne veut pas pour autant dire négliger et mettre entre parenthèses le fait religieux. Un savant peut se livrer à un travail de recherche sur les textes sacrés, donc à une tâche herméneutique, sans pour autant adhérer à leur contenu spirituel ou bien éprouver un quelconque sentiment de piété. S'intéresser à la sphère des signifiés présuppose qu'on puisse les aborder TOUS sans idée préconçue, sans le moindre a priori. Témoigner d'un vif ressentiment vis-à-vis de la religion en général relève plus d'un compte personnel à régler avec celle-ci que d'une attitude de chercheur objectif en quête de vérité. L'attitude d'un Michel Onfray dans son "Traité d'athéologie" relève plus d'un dogmatisme levé contre un autre dogmatisme que de l'infinie sagesse dont doit être atteint le Philosophe dès qu'il entreprend de connaître le monde. La religion en fait partie. Rien ne sert d'en réaliser une mise à l'écart.

  Quelques révélations d'ordre mystique ont donné lieu aux plus belles pages de la littérature classique. Ne leur accorder aucun crédit participe plus d'une volontaire cécité de l'intellect que d'une véritable curiosité pour laquelle les limites n'existent pas.

  Ce long préalable étant posé, voyons maintenant ce que la mystique a à nous apprendre.

 

  Dans l'ordre du religieux, nous ne pourrons faire l'économie de la révélation de Saint Jean de la Croix, lequel, dans la "Nuit Obscure" (Noche obscura), fait l'expérience mystique qu'il développera tout au long de sa vie dans de nombreux écrits.  

"Il cherche à y témoigner du chemin des âmes vers Dieu." (Wikipédia).  

 

Pendant une nuit obscure,

Enflammée d'un amour inquiet,

O l'heureuse fortune

Je suis sortie sans être aperçue,

Lorsque ma maison était tranquille.

 

"L'âme dit, en ce cantique, de quelle manière elle est sortie, tant d'elle-même que de toutes les choses créées, savoir : en exerçant sur elle-même une rigoureuse mortification qui la fait mourir à soi-même et aux créatures, qui la fait vivre à l'amour divin et a Dieu, et qui la remplit de délices célestes."

 

Commentaires de l'abbé Jean Maillart, jésuite.

 

 

  L'on ne saurait davantage passer sous silence la participation en Dieu de Pascal.

 

  "La nuit du 23 novembre 1654, Pascal connait une nuit d'extase mystique, où il rencontre Dieu et est habité par des sentiments de "certitude, joie, paix, pleurs de joie". C'est la "seconde conversion" de Pascal, qui le conduit à renoncer aux plaisirs du monde, et aux sciences humaines, vaines face aux sciences divines. Il se retire à compter de 1655 chez les jansénistes de Port-Royal, qui s'opposent alors aux jésuites de la Sorbonne. Pascal prend part à la querelle, défendant ses amis jansénistes par l'écriture de 18 lettres appelées les "Provinciales" (du titre de la 1ère, Lettres écrites à un provincial par un de ses amis)."

                                                                                                                                    Source : Bibm@th.net

  

 

L'an de grâce 1654,

Lundi 23 novembre, jour de Saint Clément, pape et martyr, et autres au Martyrologue,

Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,

Depuis environ dix heures et demie du soir jusqu'à environ minuit et demie.

FEU

Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob,

non des philosophes et des savants.

Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix.

Dieu de Jésus-Christ,

Deum meum et Deum vestrum. Jean 20/17 *

" Ton Dieu sera mon Dieu "

Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Evangile.

Grandeur de l'âme humaine

" Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu ".

Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.

Je men suis séparé. ___________________________________________________

Dereliquerunt me fontem aquae vivae.

" Mon Dieu me quitterez-vous? "___________________________________________

que je n'en sois pas séparé éternellement.

" Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ".

 

Jésus-Christ,_________________________________________________

 

Jésus-Christ,_____________________________________________

Je m'en suis séparé ; je l'ai fui, renoncé, crucifié, Jean 17__________________________

que je n'en sois jamais séparé.____________________________________________

Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l'Evangile.

Renonciation totale et douce. Soumission totale et douce.

Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.

Eternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre.

Non obliviscar sermones tuos. Amen.

 

" Le mémorial " -  Blaise Pascal.

 

 pascal

 

 

 

 

Enfin, pour terminer cette longue méditation sur la façon dont la conscience humaine s'y prend pour faire se déployer les significations qui se présentent à elle, il est important de préciser que le véhicule emprunté pour parvenir à ce but (art, philosophie, science, religion) est moins à prendre en considération que l'intensité de l'expérience éprouvée, sa profondeur, le sentiment d'accomplissement et de plénitude qui lui y est attaché.

 

 GRISE la question de la Métaphysique.

 

 Mais nous ne saurions conclure ce tour d'horizon en direction de la compréhension des significations sans faire référence au problème qui traverse toutes ces tentatives et en constitue les fondements. A savoir la question essentielle formulée par Leibniz en 1740, sur laquelle repose l'édification de la Métaphysique :

 

"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?"

 

 

  Poser la question n'est certainement pas la résoudre. Mais, tout de même, comment pourrait-on éviter de l'aborder ? Et, ici, sans doute, rejoignons-nous notre attitude de tout jeune enfant, lorsque découvrant la possibilité de la Mort et, corollairement, l'inquiétude viscérale dont elle porte l'ombre, plonge, irrémédiablement, dans une angoisse constitutive, laquelle déterminera l'essence de notre propre finitude humaine. Et, ici, identiquement, sommes-nous reconduits à l'orée de notre adolescence, peut-être au seuil du jour, alors que les choses s'abîment dans une manière d'ambiguïté, d'illisibilité et que, soudain, le fait d'ÊTRE devient tellement ténu, irreprésentable, que surgit l'idée du RIEN, du NEANT et, sans même le savoir, notre corps, notre esprit deviennent les lieux géométriques, le point focal où la Question fait ses cruelles mais indispensables interrogations. C'est de notre propre vision, de notre compréhension intime du monde dont il s'agit. Comme un cercle herméneutique sans fin, une fuite vers l'avant, cernée de mortelles obsessions, attendant seulement, qu'un jour, l'existence sur son ultime déclin nous en livre, peut-être, l'explication. Bien évidemment, nul doute que s'origine, à partir d'une telle requête, les instances essentielles de la Métaphysique. Les racines sont plantées dans le sol inquiet, l'arbre se déploiera, fera ses feuillaisons sans, pour autant, que les assises terrestres, chtoniennes, ombreuses soient, un seul instant oubliées.

  Que Leibniz, en son temps, ait fait intervenir l'Être suprême, à savoir Dieu, de façon à clore provisoirement le débat n'a rien de vraiment étonnant. La Cause première apporte bien des apaisements lorsque l'âme est troublée. Il s'agissait, tout simplement, de la reprise de la conception d'Aristote. Comme quoi l'histoire des idées ne demandait qu'à être reconduite. Mais, quelles que soient les perspectives adoptées, qu'il s'agisse d'une assise religieuse, spirituelle, profane, matérialiste, idéaliste, le problème fondamental n'en est pas moins évacué, qui continue son évolution en sourdine, à bas bruit. Qui jette la Métaphysique par la porte peut, à tout moment, s'attendre à la voir se manifester par la fenêtre. Ne se débarrasse pas des concepts fondamentaux qui veut !

  Bien évidemment, cette question posée de cette manière presque indigente, pourrait paraître naïve et, sans doute, bien inopportune aux esprits épris d'une interprétation toute matérielle du monde. Car, pourquoi se poser la question dès l'instant où de l'étant nous est fourni à portée de la main et où son existence ne semble pas pouvoir être remise en question. Mais le registre des évidences est souvent étroit et il faut donc aller y voir de plus près. Car, tout aussi bien, le Néant aurait pu être la seule forme de "manifestation" à laquelle l'être aurait pu consentir depuis sa constante énigme. Mais l'être-présent aussi bien que le Néant-imaginé demeurent deux hypothèses dont les équations sont identiquement difficiles à mettre en scène. Nous en sommes réduits au domaine des conjectures. Et tant mieux.

  Ainsi sont créées les conditions par lesquelles nous ne cesserons de convoquer l'étonnement philosophique, seul à même de nous porter au-delà de nous-mêmes, vers notre propre compréhension humaine d'abord, vers la saisie du monde ensuite. Nous aurions pu nous contenter de vivre, c'et-à-dire de ne considérer que le fonctionnement de nos mécanismes biologiques, nos assises basales, nos métabolismes élémentaires, nos destinées d'amibes. Mais, dès l'instant où s'introduit la question du pourquoi, alors nous ne sommes plus en repos, alors nous ouvrons grandes les portes de la sémantique existentielle alors que, jusqu'alors, ne s'étaient présentées à nous que des suites lexicales isolées, comme autant de mots sans lien les uns avec les autres.

  Le Pourquoi est de telle nature qu'il métamorphose aussitôt ce que la vie lui présentait à la façon d'une évidence en préoccupation de tous les instants, en thèse réellement existentielle. Cherchant, par cette question même, à nous extraire de ce Néant qui nous provoque, nous nous appuyons sur les bases dont la vie nous fait le don afin, par ce seul exhaussement, d'élaborer la question, c'est-à-dire donner du SENS à ce qui ne saurait en avoir. Le trajet accompli est celui-là même de la Philosophie qui, voulant se libérer de l'impensable, a recours à la seule question fondant l'existence et qui est celle de l'énigme de l'être dont l'équivalent pourrait être l'énigme d'exister. Car exister, c'est être. Alors que vivre n'en constitue que les prolégomènes, les conditions de possibilité d'une apparition.

  La vie, dans sa profusion, prend souvent l'apparence du chaos. Si rien n'est organisé, le vivant se rebelle et devient illisible, à la façon du tableau de Giorgio de Chirico où tout est soumis au registre de la schizophrénie (donc de la perte du sens). Si tout est organisé, ordonné par le langage, la raison, le logos en tant que question, tout redevient pensable, hypothèse progressant vers une thèse éclairée-éclairante du monde en tant que cosmos. Le cosmos étant un autre mot pour dire la compréhension, le sens. 

  Nul doute que la question de Leibniz soit  une question fondamentale. La posant de cette manière dont on pourrait penser qu'elle résulte davantage d'un jeu de cour d'école que d'un esprit de rationalité, nous percevons, aussitôt, sous l'apparente candeur, l'abîme de réflexion. Car, élaborer la question qui met en perspective l'énigme de l'être, ne saurait résulter d'un simple passe-temps, comme l'on jouerait au cricket. Encore que tout jeu suppose une prise de risque et une situation face à de l'inconnu. A éluder une telle question, pour autant, nous ne l'évacuons pas. Si nous faisons mine de nous en absenter, aussitôt, surgit à sa place une autre question faisant sa mortelle giration: qu'en est-il du Néant ? Comme un jeu infini de bascule où il s'agit de l'être ou bien du non-être. Chaque question portant en soi son immense charge de mystère, d'inquiétude. Car, comment envisager l'être, cette pure abstraction sans être saisi de vertige. Car, comment habiller le Néant d'une silhouette qui ne nous effraie point ? C'est toute la dimension de notre vision du monde sous son angle Métaphysique qui court sous de telles projections. Disant cela, la vie, l'existence, la Mort, le Néant, nous ne faisons que répéter l'éternelle antienne dont nous ne saurions nous libérer qu'à saper nos fondements humains.

 

  Que nous y consentions ou non, nous sommes toujours dans l'inquiétude d'être. La Question métaphysique en étant la perspective la plus visible. C'est de cette Question dont, à tout moment, nous devons être pénétrés afin d'accéder à l'Exister et ne pas demeurer dans les pesanteurs du Vivre .

  Nous chercherons, ainsi, à nous absenter de tout ce qui gire dans l'orbe de la quotidienneté avec sa succession de clignotements abscons, NOIR - BLANC - NOIR - BLANC, appelant ce GRIS intermédiaire, l'unique voie de passage nous intimant à connaître ce dont l'être est constamment pourvu et que notre entêtement à ne pas voir dissimule sous des voiles d'inconnaissance, alors que l'évidence du sens est si proche, nous brûlant constamment de son urgence à paraître.

  Pourtant du GRIS, nous sommes constamment entourés, mais c'est nous qui ne savons pas le reconnaître, en faire notre demeure. Car tout réside dans la façon d'habiter la demeure que nous sommes, d'habiter le monde ensuite. Et l'habiter avec plénitude passe par des voies multiples, lesquelles peuvent être aussi simples que de regarder la lumière faire sa glaçure sur l'arrondi du galet, mais, aussi bien, se placer en situation de comprendre la pensée complexe, la théorie inventive, le concept ouvert, la sublime métamorphose, les subtilités du métabolisme, les phénomènes de plasticité humaine, les glissements successifs du sens, du secret au révélé, de l'ésotérique à l'exotérique.

  Le problème du sens, c'est que, la plupart du temps, il n'est pas directement saisissable. Il y faut au moins une attention, le recours à une propédeutique, l'acceptation de la remise en question des évidences dont le réel nous abreuve sans, pour autant, qu'il nous donne les clés de compréhension qui, en toute logique, devraient y être afférentes de manière à ce que nous puissions en réaliser une lecture adéquate. Mais bien des choses de ce fameux réel se présentent à nous comme les hiéroglyphes se montraient à Champollion dans toute leur charge de mystère. Et c'est bien cette dimension de sens caché qui en fait tout l'intérêt. Qu'aurions-nous à chercher si tout, d'emblée, avait reçu son empreinte définitive ? Nous n'aurions plus de question à nous poser et, de facto, le langage, cette essence singulière marquant l'homme de son sceau, n'aurait plus à rayonner. Une aporie et nulle autre chose.

  Tout ce qui a été évoqué précédemment dans cet article concourt à apporter un "supplément d'âme", à proposer un tremplin à partir duquel mobiliser la pensée, une ouverture dont le regard pourra se saisir afin que la conscience mobilise de nouveaux territoires. Bien évidemment la profusion des propositions peut paraître déconcertante, mais ce n'est qu'à l'aune d'une telle amplitude que peut se révéler l'immense champ éclairant-éclairé que nous serons amenés à investir si nous consentons à pénétrer dans la "multiple splendeur" dont, par essence, nous devons être les révélateurs. Abandonnant le NOIR et le BLANC à leur naturelle mutité, c'est au GRIS que nous demanderons de déployer la symphonie du monde. Celle-ci empruntera quantité de chemins dont, par définition, nous n'épuiserons jamais les ressources.

  Quelques pistes ont été données, celle du barzakh ou perception imaginative; de la raison sensible; de la géopoétique; de la chôra platonicienne; de la coïncidence des opposés; de l'hypothèse Gaïa; de la noosphère; du sentiment océanique; de la révélation mystique de Saint Jean; de la nuit d'extase pascalienne; des mythes; de la question fondamentale leibnizienne et, bien évidemment, la liste n'en est pas exhaustive. Elle dépend bien plus d'un choix affinitaire que des conclusions d'une logique.

  Le fil rouge, le dénominateur commun qui relie tous ces essais de compréhension de ce qui nous fait face, tient dans le fait qu'ils résultent d'une simple volonté de ne pas limiter notre cheminement sur terre au fait de vivre selon notre seul métabolisme, identiquement aux battements de cils de la diatomée, mais d'ouvrir un colloque singulier avec l'exister dans toute la profondeur de ce que ce terme veut dire, essentiellement depuis que la pensée des Philosophes est passée de la conception cartésienne instaurant la dualité corps /esprit et la raison comme moteur de l'entendement, à une philosophie plus soucieuse de s'enquérir de ce qui se dissimulait sous les apparences en tant que chair subtile du monde, sens ultime des choses comme, seule la phénoménologie a su l'envisager.

  Mais, de façon à surgir au plus près de ce qui voudrait se dire, il faut abandonner les considérations abstraites et se référer à quelque expérience concrète. Considérer le Vivant et l'Existant en tant qu'esquisses sensiblement différentes de la figure humaine, surtout dans leur relation à un mode de vie ou bien d'exister. A cette fin, nous convoquerons l'œuvre d'art, un tableau par exemple, que nous aborderons selon deux modes distincts, celui du Vivant, celui de l'Existant.

  Le Vivant regarde l'œuvre dans sa pure apparition compacte, matérielle, superpositions de couches de peinture et d'aplats de couleurs, dans sa matérialité donc, ce qui revient à dire que sa visée est d'ordre ESTHETIQUE, qu'il ne cherche à y percevoir qu'une manière de dialectique abrupte dont ne se dégagent que les formes  du BLANC et du NOIR, fermées sur elles-mêmes.

  L'Existant, vise la même œuvre mais d'une façon essentielle, en découvrant sous la surface esthétique l'empreinte ETHIQUE qui l'anime et l'assure d'une vérité : la façon qu'a l'œuvre, dans son dessein d'authenticité, de correspondre à son essence.

  Ainsi, le décalage entre VIVRE et EXISTER pourra analogiquement être rapporté à la différence s'instaurant entre la perception d'une FORME de nature plastique et le FOND qui la sous-tend et qui peut se décliner à l'aune de tous les prédicats concourant à en établir la signification intime. L'ordre de ladite signification passe, dès lors, du simple constat de la présence à la compréhension de ce que cette dernière signifie pour nous, en tant que nous sommes des singularités en quête d'une nécessaire complexité.

  Rapportée au Poème, cette réflexion fait le constat suivant : Si le Vivant n'en perçoit que le rythme, la cadence, la prosodie, le chant du langage, l'Existant, lui, en décrypte la mélodie inaperçue du monde.

 

  La VIE est une ESTHETIQUE.

  Le NOIR est une ESTHETIQUE.

  Le BLANC est une ESTHETIQUE.

  La VIE, le NOIR, le BLANC sont les prémisses du sens.

 

  L'EXISTENCE est une ETHIQUE.

  Le GRIS est une ETHIQUE.

  L'EXISTENCE, Le GRIS sont les ressources réelles du sens, leur révélation, leur vérité.

 

"VIVRE", "VIVRE", criait l'Homme-fou et il se dispersait dans les marécages NOIRS et BLANCS de la schizophrénie, simplement parce qu'il n'avait pu, ou su, donner sens à ce qui lui faisait face et qui n'était, en réalité, qu'une partie de lui-même, une réverbération. Et il était atteint de FOLIE. Mais d'une folie d'en-bas.

"EXISTER" , "EXISTER", disait l'Homme-Fou et il sinuait parmi les nuages, volutes  et circonvolutions GRISES. Et ceci, il le faisait car il questionnait tout ce qui venait à son encontre, n'oubliant de se questionner lui-même. Sur son origine. Sur le chemin accompli. Sur sa finitude. Et il était atteint de FOLIE. Mais d'une folie d'en-haut.

 

  Mais c'est toujours de FOLIE dont il est question. Car la Vie, l'Existence, si elles sont regardées adéquatement, ne parlent guère d'autre chose. Mais recherchons donc l'étymologie du mot "folie" afin qu'elle nous éclaire sur son inévitable polysémie :

 

  2. 1690 (Fur. : "Il y a aussi plusieurs maisons que le public a baptisées du nom de la folie, quand quelqu'un y a fait plus de despense qu'il ne pouvoit, ou quand il a basti de quelque maniere extravagante."). Prob. altération d'apr. folie = déraison.

 

  Il est tout de même curieux de constater que, par glissements successifs, la folie comme déraison se soit métamorphosée en folie en tant que maison, à savoir l'habitat et, par voie de conséquence, la façon d'habiter. Mais alors, l'admirable langage - comme toujours - , nous ferait-il signe vers une compréhension plus adéquate de ce que veulent dire, successivement, Vivre, Exister, comme si l'habiter, essence fondamentale de l'être humain, ne prenait réellement sens qu'à nous mettre sur la voie de quelque urgence ontologique ? De cela, jamais nous ne pourrons être assurés. Qu'il nous soit cependant permis de poser une hypothèse selon laquelle, Vivre correspondrait à un habiter en voie de constitution, en tant que possibles fondations de ce qu'il y a à construire. Cela serait, en quelque sorte "l'inhabiter".

  Alors qu'Exister serait l'habiter dans sa plénitude, lorsque la maison est achevée et le sens mis à l'abri.

  C'est sans doute ce que veut exprimer l'article dont un extrait est reproduit ci-dessous :

 

« “Habiter” (wohnen) signifie “être-présent-au-monde-et-à-autrui”. […] Loger n’est pas “habiter”. L’action d’“habiter” possède une dimension existentielle. […] “Habiter” c’est […] construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre. […] C’est parce quhabiter est le propre des humains […] quinhabiter ressemble à un manque, une absence, une contrainte, une souffrance, une impossibilité à être pleinement soi, dans la disponibilité que requiert l’ouverture » (pp. 13 et 15).

Annabelle Morel-Brochet, - "Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…" - EspacesTemps.net, Livres, 04.11.2008
http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-lrsquohabiter-heidegger-et-apreshellip/

 

  Ainsi de la démesure qu'annonçait l'œuvre de Kazimir Malevich - Carré noir sur fond blanc -ne faisant jouer que deux abstractions "in-signifiantes", à l'œuvre de Giorgio de Chirico où le signifié se fragmente pour ne plus laisser apparaître qu'un lexique fragmenté, nous avons essayé d'introduire les éléments d'une sémantique s'essayant à resituer l'homme dans la dimension dont il ne saurait longuement s'absenter, celle du SENS qui le constitue et l'affirme au monde en tant que belle esquisse anthropologique. C'est peut-être ce que De Chirico, en habile Métaphysicien, voulait signifier à titre d'énigme, en peignant ce beau "Chant d'amour". Car, jamais LE SENS n'est donné d'avance. C'est nous qui le créons à mesure que nous EXISTONS !

 

 de chirico-copie-1

"Chant d'amour" - Giorgio de Chirico.

Source : Wikipédia.

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

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