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13 août 2013 2 13 /08 /août /2013 08:16

 

La Gourmandise.

 

 

  Que dire enfin de la Mère Gignoux dont les rondeurs de sumo ne cherchent en rien à dissimuler sa légendaire GOURMANDISE ? Que dire de tous les sensuels qui, inévitablement, ralentissent et le plus souvent s'arrêtent à la devanture de chez Hassenforder, le Pâtissier meilleur ouvrier de France, avec ses pyramides de frangipanes, de pavés, de nonettes, avec ses tours de croquignoles, ses élévations de croquembouches aux sucres glacés couleur de miel; que dire de ses plum-cakes, de ses puddings avec des fruits confits comme des arcs-en-ciel, de ses accumulations de macarons, de ses meringues légères comme des nuages, de ses mosaïques de loukoums, de ses échauguettes en chocolat sur des tours de praline ?, que dire des chalands au profil "chou à la crème", genre Pittacci, qui observent longuement les friandises, se balancent d'un pied sur l'autre au bout de leurs jambes courtes et boudinées et, finalement, se décident à franchir le Rubicon, restent un grand moment sur l'autre rive dont ils reviennent toujours les bras chargés  de "delicatessen", comme on dit Outre-Rhin, un sourire faisant de leur tête une pomme d'api que traverse une lézarde radieuse anticipatrice du plaisir des papilles ?

  Que dire des autres, plutôt minces et fluets, à la façon de Simonet et de moi-même, qui demeurent longtemps devant les vitres où reposent les précieuses reliques, ne se balançant nullement, n'opinant pas du bonnet, ne parlant pas non plus, puis repartent soudainement sur le trottoir, les yeux rêveurs comme s'ils avaient été traversés d'un songe ? Que dire ? Des premiers qu'ils sont des sybarites, des jouisseurs et des voluptueux qui ne vivent que dans l'instant ? Des seconds qu'ils sont de délicats ascètes, des esthètes qui se projettent dans la durée et  se sustentent à la source de la contemplation ?

  Que dire de tous ces hasards platement existentiels qui font se croiser les orgueilleux et les envieux, les avares et les paresseux, les colériques et ceux livrés à la luxure, aux plaisirs de la bouche ? Que dire de tous ces péchés qui ne sont "capitaux" que parce que les hommes en ont décidé ainsi ? Que dire de tous ces mouvements, ces trajets, ces hésitations qui habitent ce peuple de fourmis qui sillonne la Terre, qui s'écoule dans les rues, se répand en filets le long des trottoirs, se faufile au ras des caniveaux, s'agglomère comme un essaim de guêpes sur les vitrines où brille l'éternel miracle ? Que dire ?

  Que faire, sinon ouvrir les yeux et regarder, regarder toujours et sans cesse, ne perdre aucune miette de ce réel qui nous concerne, nous oppresse, nous fascine aussi ? REGARDER, ce qui veut simplement dire : sentir, percevoir, éprouver, comprendre, interpréter, donner du sens. C'est cela que nous essayons de faire au "Club des 7", avec modestie et chacun à sa manière, et, je vous assure, venez un de ces jours vous asseoir avec nous, on deviendra pour un moment le "Club des 8" et, alors que vous aurez regardé à votre tour, mais regardé VRAIMENT, avec toute la force décuplée de vos sclérotiques blanches, avec toute l'acuité de vos pupilles aiguës, alors vous pourrez jeter tous vos livres, tous vos mensonges en forme de petits signes, de petits crochets, de petites virgules, d'insignifiantes parenthèses; vous pourrez dépouiller les choses de leur pellicule glacée et opaque, vous aurez migré sans même vous en rendre compte, vous aurez traversé l'immensité de la conscience et vous vous retrouverez de l'autre côté de la peau du monde, là où les viscères, les meutes de nerfs, les empilements d'os, les ruisseaux de sang ne peuvent plus mentir, vous n'aurez plus de frontière et chacune de vos inspirations sera comme une immense bouffée d'oxygène qui aura traversé l'espace et le temps et vous pourrez vous voir vous-même, séparé, distant, distinct et vous pourrez faire tourner le piédestal où vous reposez et vous éprouverez un étrange sentiment, une bizarre ubiquité qui courbera votre vision, vous aurez gagné une manière d'omniscience, pas parfaite bien entendu, mais tout vous concernera dès lors d'une façon englobante, sphérique, circulaire, comme si vous étiez une planète et son satellite à la fois et vous jouerez à ce jeu subtil de la substitution, tantôt au centre, tantôt sur l'ellipse et nul autre que vous ne le saura et vous pourrez, vous aussi, la trouver votre "agora", votre "Place du Marché" d'où battra le cœur intime de la vie, ses pulsations, ses rythmes et plus jamais votre regard ne sera le même, plus jamais il ne sera linéaire, aveuglé par la ligne basse de l'horizon par où s'écoule le jour vers sa ligne de fuite et après il n'y a plus que la foule des ombres et le silence de la nuit.

  La cataracte qui recouvrait votre cristallin se sera fissurée et vous aurez surgi en pleine clarté, et dans le déboulé de la lumière, vous apparaîtront des nuées de minces cristaux aux facettes inconnues, des ondes en forme d'échos venues de très loin, des lisières à peine cendrées là où gesticule toute la démesure de la grande geste humaine, sa beauté aussi, son sens du tragique, son incessant métabolisme fou et alors, de votre point d'observation, sur le banc peint en vert, il ne s'agira plus seulement de la Place du Marché, mais de toutes les places du monde à partir desquelles vous saisirez, d'un seul empan du regard, tous les peuples de la terre et ces peuples auront déclos leurs bouches muettes aux lèvres serrées et ils vous livreront quantité de secrets dont vous aviez eu l'intuition mais qui n'avaient pu encore surgir de la clairière, ils vivaient alors leur vie paisible à l'ombre des forêts et n'étaient, pour vous, qu'insondables mystères.

  Si Henriette m'entendait en ce moment, elle dirait :

  "Mais, mon pauvre Jules, arrête donc de te creuser le ciboulot, il n'en sort que des trucs sans tête ni queue et plutôt que de prendre ton scalpel pour disséquer les Autres, occupe-toi de ton petit ego, et puis du mien aussi, parce que, un coup de main pour repeindre la cuisine, ça serait pas de refus et au moins quand on peint, on voit de suite les résultats, alors que toi, avec tes idées voilées comme les planches d'un tonneau, t'es comme un aveugle qui chercherait un microbe dans une botte de radis, un sourd qui voudrait écouter la Neuvième de Beethoven, un paralytique s'exerçant à la perche, un manchot s'inscrivant au concours de boules.

  Pourtant, Jules, je te l'ai déjà dit, les idées c'est que du vent et on peut pas dire, ça nourrit pas son homme, alors que moi, avec mon petit lopin de terre, je peux au moins te mettre sur la table une jardinière de légumes et je sais pas si tu vois la différence, c'est même comme si elle croquait sous la dent et que son jus cascade dans ta gorge, descende le long de ton œsophage, puis glisse dans ton estomac, et le réel est là, tu peux franchement le sentir, tu peux même lui donner des noms, par exemple "radis", "laitue", "potiron", alors que toi, avec tes mots gonflés comme des baudruches, c'est juste de l'air que tu brasses et une fois que l'air est parti y a plus rien que du vide et t'es pas plus avancé à la fin qu'au début, alors ça vaut pas le jardin et d'ailleurs tu ferais mieux d'aller bêcher plutôt que de te goberger avec les autres barjots à reluquer les Ouchiennes qui vous voient même pas tellement vous êtes insignifiants, alors..."

 

 

 

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