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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 16:18

 

Honnies soient qui mâles y pensent (32)  

 

Les dix années qui suivirent la naissance de Sigismond, comme les eaux calmes de la Limeuille, coulèrent en parfaite harmonie au milieu des bruyères et des landes de la Sologne. Les tempes de Monsieur le Comte avaient blanchi, la démarche d’Yvette-Charline était moins assurée, les parties de bridge moins longues; le couple Anselme-Marie-Grâce fonctionnait à merveille, attentif au développement de Sigismond qui, pour être harmonieux, n’en était pas moins sinueux et parfois même primesautier, à la façon des ruisseaux de montagne qui, au travers des rochers, cherchent à creuser leur lit.

  Bien que le lien du sang unît Calinpe et Sigismond, leur comportement respectif était fort dissemblable, Calinpe étant toujours d’humeur égale alors que Sigismond était plus impulsif, plus imprévisible, sautant souvent « du coq à l’âne » sans qu’aucune raison pût, la plupart du temps, expliquer les volte faces dont il était coutumier. Calinpe, parfait modèle de l’enseignant scrupuleux et organisé, méthodique, plongé dans les livres plus qu’il n’aurait fallu, contrastait avec son demi-frère, de tempérament brouillon, spontané, aimant plus que tout la nature qui constituait son lieu de prédilection. La Librairie de Monsieur le Comte ne l’attirait guère que pour les quelques ouvrages de botanique et de zoologie qu’elle contenait, vivants résumés des plantes et insectes que produisaient à foison les forêts entourant La Marline, que Sigismond parcourait à longueur de journée, connaissant le moindre sentier, le plus petit ruisseau, le plus infime terrier. Nul ne se désolait de cette attirance pour les espèces végétales et animales qui, dans la région, constituaient les racines mêmes de tout natif Solognot. Quant aux études, encadrées de près par Calinpe, bon gré mal gré, elles allaient leur bonhomme de chemin, sans que Sigismond y produisît des étincelles qui en eussent fait, comme son demi-frère, un candidat de choix pour l’Ecole Normale. Nullement opposé à la classe, il n’y prélevait toutefois que le strict nécessaire, pensant que les bons élèves n’étaient que des amateurs de superflu qui encombraient leur mémoire de bien fastidieuses choses, préférant réserver à ses circuits cérébraux quelques pistes de choix qui avaient pour nom, pêche, chasse, cannes à moulinet, lacets, collets et autres artifices aptes à meubler ses occupations dès que les volets de l’école se refermaient sur les pupitres où les livres dormaient « du sommeil du juste ».

  On comprendra le peu d’attrait de Sigismond pour la chose intellectuelle, dont le seul centre d’intérêt dans ce domaine, entretenu par Monsieur le Comte d’une façon constante, était l’écoute de proverbes et dictons qu’il trouvait amusants, plus par leur forme souvent archaïque et leur rythme semblable à des comptines, que par leur contenu réel. La petite « séquelle » de l’immaturité, dont avait parlé le Docteur Artémis de Lalande, semblait se situer dans le fonctionnement de Sigismond, uniquement au premier degré, le second degré lui paraissant parfaitement hermétique. Son processus mental faisait inévitablement penser à un schéma primaire semblable au système de l’arc réflexe chez les batraciens. Toute idée frappant le cerveau de Sigismond semblait se comporter à la façon d’une goutte d’acide dont l’action, sur le système nerveux de la grenouille, entraînait aussitôt la contraction des faisceaux musculaires et le repliement de la patte, sans que le système nerveux central en fût informé, tout se passant à la  périphérie et nullement dans les centres de la conscience et de la vigilance. Ainsi ne percevait-il, des proverbes et dictons, que la forme extérieure, «l’enveloppe », à défaut d’en saisir la substance interne et la signification sous-jacente. En un mot, Sigismond se contentant de la surface des choses, de leur aspect, peu enclin à en saisir les subtilités et les nuances. On argumentera que ce « défaut » de perception concernant les proverbes n’était en aucune façon préjudiciable à l’évolution du jeune Sigismond et l’on aura raison, à condition toutefois, de bien mesurer les conséquences d’un fonctionnement au premier degré qui, parfois, recèle des pièges plus redoutables que les collets auxquels les lapins livrent leurs cous en toute innocence.

 

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